Postdéveloppement et tourisme: L'heure des choix
Par Bruno Sarrasin, Olivier Dehoorne, Yann Roche et
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À propos de ce livre électronique
La crise sanitaire de 2020-2022 a révélé la fragilité des modèles touristiques basés sur une croissance illimitée et a mis en évidence la nécessité d’une approche systémique pour concilier les intérêts économiques, la protection de l’environnement et la justice sociale.
Le tourisme, longtemps perçu comme un moteur de développement, a-t-il encore sa place dans un monde marqué par des crises environnementales et sociales croissantes ? Peut-on réinventer le secteur pour qu’il devienne un vecteur de transformation durable et responsable ?
Cet ouvrage collectif répond à ces questions en explorant les enjeux contemporains du tourisme, notamment la crise climatique, les inégalités économiques et les défis mondiaux. À travers neuf chapitres, les autrices et les auteurs abordent des thèmes tels que la décroissance, le « tourisme de masse éclairé » et le postdéveloppement.
L’ouvrage interroge le modèle de développement actuel, qui repose sur une exploitation sans fin des ressources naturelles et sociales. Il s’adresse à toute personne cherchant à comprendre les limites du modèle actuel et le rôle du tourisme, et invite à une approche plus relationnelle du tourisme, intégrant les perspectives locales et globales.
Il urge de redéfinir notre rapport au monde naturel, en réévaluant notre place et nos liens avec les territoires. Postdéveloppement et tourisme : la dernière chance ? ouvre la voie à un tourisme plus responsable et conscient, porteur d’un avenir respectueux des êtres humains et non humains.
Bruno Sarrasin
Bruno Sarrasin est professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). Il enseigne le cours Tendances et avenir des marchés touristiques au baccalauréat en gestion du tourisme et de l’hôtellerie.
En savoir plus sur Bruno Sarrasin
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Aperçu du livre
Postdéveloppement et tourisme - Bruno Sarrasin
Introduction
Postdéveloppement et tourisme : la mesure du défi
Bruno Sarrasin,
professeur, Université du Québec à Montréal
Bernard Schéou,
maître de conférences, Université de Perpignan Via Domitia
Le tourisme, considéré il y a quelques années comme un phénomène mondial inévitable (Timothy, 2019), a vu sa trajectoire, ses conséquences et même sa légitimité remises en question suite à l’arrêt brutal des déplacements causé par la pandémie (Lapointe, Sarrasin et Lagueux, 2020). Les théories suggérant un rattrapage de certains pays à partir de critères quantitatifs ou proposant un ensemble de mesures pour soutenir la croissance économique apparaissent nettement en décalage avec l’accélération des inégalités et la multiplication des défis climatiques observés au cours des dernières années (Rastegar, Higgins-Desbiolles et Ruhanen, 2023). Le tourisme est au centre de ce nexus, étant à la fois un catalyseur de ces changements (économiques, sociaux et climatiques) et un secteur particulièrement sensible à ces derniers. Il importe donc de « repenser » le développement, possiblement pour aller au-delà et explorer la place du tourisme dans ce contexte.
Depuis les publications de Géraldine Froger (2010) et de Régina Scheyvens (2011) questionnant la relation entre le tourisme et le développement, particulièrement dans les régions périphériques, la plupart des analyses sont restées sectorielles (Veilleux et Sarrasin, 2025 ; Lei, Suntikul et Chen, 2023 ; Bianchi, 2018), s’intéressant à des études de cas (Alsaloum, Romagosa et Alotaibi, 2024 ; Renaud et Sarrasin, 2023) ou proposant de réaliser un développement plus égalitaire (Rastegar, Higgins-Desbiolles et Ruhanen, 2023 ; Scheyvens et Biddulph, 2018) ou plus efficient (Zhang, Xia et Zeng, 2024 ; Streimikiene et al., 2021). La complexité des enjeux et les multiples contradictions associées à cette notion nécessitent cependant d’appréhender le développement dans une démarche plus holistique, de le comprendre dans sa dimension systémique, comme l’ont proposé plusieurs auteurs depuis quatre décennies (Rist, 2022 ; Santos, 2014 ; Escobar, 1995 ; Esteva, 1985). Si l’on se penche sur les présupposés qui sous-tendent les discours et les actions dites de développement, il importe de revisiter certains travaux pionniers et récents – francophones et anglophones – dans ce domaine en reposant les questions posées inlassablement depuis près de 80 ans : le développement, mais dans quel but ? Le développement par qui ? Le développement pour qui et, surtout, le développement, c’est quoi ? Nous pourrions ajouter : la notion de développement a-t-elle significativement changé depuis que la Chine a pris la mesure de son influence internationale et de ses besoins croissants en ressources pour nourrir son économie ? Comme le propose Acosta (2021), il importe maintenant d’aller au-delà du concept de développement, pour sortir du cercle vicieux de rechercher des solutions aux blocages de même nature.
Cette démarche est d’autant plus importante que la multiplication des périodes d’incertitude économique, politique et sanitaire a exacerbé la fragilité du secteur touristique. Par exemple, la pandémie de COVID-19 a montré combien les pays ayant fortement misé sur les marchés touristiques étrangers pouvaient subitement perdre leurs principales sources de devises (Kumar et Ekka, 2024). À cela s’ajoutent la détérioration de la conjoncture économique internationale (inflation, hausse des taux d’intérêt), créant un préjudice aux termes de l’échange pour les pays du Sud non producteurs de pétrole, ainsi que l’accroissement des obstacles politiques (terrorisme, régimes autoritaires, conflits en Europe et au Proche-Orient, protectionnisme, etc.) et environnementaux (canicules extrêmes, sécheresses chroniques, multiplication des incendies, des tremblements de terre et des éruptions volcaniques, etc.), présentant un frein supplémentaire à l’essor du tourisme et aux revenus qui y sont associés. En plus des doutes sur la capacité du secteur à nourrir la croissance du pays d’accueil, ces conditions ont exacerbé certains effets indésirables, qui ont amené des territoires périphériques (pays ou régions) à revoir leurs attentes pour le tourisme et à remettre en cause la notion de croissance économique comme objectif principal de développement (Higgins-Desbiolles et al., 2019 ; Bianchi, 2018 ; Jeannite et Sarrasin, 2018 ; Lapointe, Sarrasin et Guillemard, 2015).
Plus généralement, les dernières décennies ont montré que le tourisme ne représentait plus « […] l’activité économique miracle
ne nécessitant qu’un investissement minime et procurant la plus grande manne possible de devises », comme cela était présenté au cours des premières décennies d’après-guerre (Marcotte et al., 2020, p. 7). Les contraintes qui limitent ou pervertissent les effets du tourisme sur le développement d’un territoire relèvent d’une dépendance excessive vis-à-vis de l’extérieur, que ce soit dans la réalisation d’infrastructures d’accueil, dans la gestion des ressources naturelles, matérielles et humaines, dans la commercialisation du produit hôtelier et touristique ou dans la formation de la main-d’œuvre. Plus que jamais auparavant, le tourisme s’invite au centre des débats à propos de la consommation des ressources, de leur appropriation, de leur accumulation et des flux qui en découlent. La crise climatique actuelle nous invite à accélérer notre réflexion et à transformer nos actions. Comme le suggère Acosta (2021, p. 97) :
En ce moment complexe, alors que l’Ancien Monde est sur le point de s’effondrer, plusieurs voix demandent un changement radical de direction. Il importe de suivre les voies du postdéveloppement, de la postextraction, de la décroissance, de la convivialité et de la bonne cohabitation… Il semble que le temps d’une grande transformation soit venu, dans les termes proposés par Karl Polanyi¹.
Cet ouvrage propose de contribuer à cette réflexion.
1 Le développement et ses ambiguïtés
Le développement, tel qu’a pu le définir le président Harry Truman lors de son discours sur l’état de l’Union en 1949, est fondé sur la croissance de la production et de la consommation². Pour plusieurs auteurs sur lesquels nous reviendrons, il est possible de saisir ce projet comme la perpétuation des rapports coloniaux existants sous une forme reconfigurée et difficile, voire impossible, à critiquer depuis l’après-guerre. En effet, comment s’opposer à des solutions visant à remédier aux souffrances humaines engendrées par la famine, la pénurie, les épidémies ou encore d’autres drames et catastrophes (Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge [FISCC], 2023) ? En situant les différents pays sur une échelle au sommet de laquelle se trouve l’Occident et plus précisément les États-Unis et, en bas, les populations dont la « vie économique est primitive et stationnaire », Truman détermine à la fois l’idéal à atteindre pour l’ensemble de l’humanité et définit des écarts entre les pays « de manière à justifier la possibilité – ou la nécessité – d’une intervention, car on ne saurait rester passif face au spectacle de la misère » (Rist, 2022, p. 146). Mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette position apparemment empathique et désintéressée a assuré de nouvelles sources de profit aux entreprises américaines et à celles des pays en position politique et économique dominante. Pour Serge Latouche (2020, p. 42), cet imaginaire du progrès par la consommation, qui s’est imposé mondialement, prend la forme « […] d’une invasion mentale dont nous sommes à la fois les victimes [séduites et consentantes], mais aussi les agents. Il s’agit largement d’une autocolonisation, une servitude en partie volontaire. » Pour les plus critiques comme Ivan Illich (1981), le développement n’est rien de moins qu’un système tentaculaire colonisant l’ensemble des rapports que l’humain entretient avec le monde, système qui le réduit en machine à produire et à consommer. Pourtant, depuis l’établissement de la première décennie pour le développement proclamée par les Nations unies en 1960, le modèle s’appuyant sur la promotion des exportations, l’accueil des investissements directs étrangers, la consolidation des avantages comparatifs, la redéfinition du rôle de l’État au profit du secteur privé et mis en œuvre dans sa forme « orthodoxe » par les institutions financières internationales (IFI) a produit ses dragons (Taiwan, Corée du Sud, Chine, Inde, Brésil, etc.) et s’est raffiné pour intégrer ses plus vives critiques (Azedi et Schofer, 2023 ; Breen et Gillanders, 2015 ; Peet, 2009 ; Head, 2005 ; Sarrasin, 1999). Nous présentons ici une synthèse de cette évolution avant d’explorer des applications au domaine touristique tout au long des chapitres de cet ouvrage.
1.1 Le développement vu comme un perpétuel serpent
Le politologue Gilbert Rist a proposé, à partir des années 1980 – et particulièrement depuis la première édition de sa monographie publiée en 1996 sous le titre Le développement : Histoire d’une croyance occidentale –, une définition de cette notion, en décrivant non pas un idéal à atteindre, mais plutôt le processus de destruction et de transformation des ressources naturelles et des rapports sociaux observables dans un monde monétarisé³. Avec Dominique Perrot (1986, p. 96), il identifie quatre présupposés ayant permis au développement non seulement de passer de l’intention à l’action, mais aussi de résister aux décennies de critiques et à la remise en cause de ses effets : 1) le développement existe ; 2) il est souhaitable, positif ; 3) le développement est universel ; 4) il est connu et connaissable. Dans ces conditions, les multiples tentatives pour faire taire les critiques à travers les propositions de « développement durable » ou de « développement humain » ont aussi contribué à la consolidation des présupposés sous-jacents en suggérant que « davantage de développement » était nécessaire aux « échecs du développement » (Rist, 2022, chapitre 5). Ce raisonnement circulaire offre peu de place à la remise en cause de ses fondements.
L’avant-propos du livre Il était une fois le développement, auquel Perrot et Rist ont contribué, offre une synthèse francophone de trois décennies de mise en œuvre du modèle proposé par Harry Truman. À partir de l’image d’un serpent, dont la croissance produit plusieurs exuviations, Gilbert Rist (1986) définit le développement comme un discours idéologique à géométrie variable. Au cours de sa première mue, l’objectif implicite de ce concept était associé au progrès par « les masses prolétaires » dès le début du XIXe siècle. Ce regard contribuait à annuler les effets des superstitions liées aux « mentalités arriérées », tout en encourageant la mise en valeur des ressources naturelles et humaines d’un territoire par la notion de force productive, comme l’a présenté Truman en 1949. Mais les échecs successifs de cette proposition ont ensuite conduit la notion de développement sur un chemin autonome, où il effectua sa seconde mue, chemin où les technologies intermédiaires rimeront avec « dissociation sélective du marché international » (Frank, 1970 ; Furtado, 1966).
Entre plusieurs mues, la notion de développement prend la forme d’un serpent qui utilise un liquide pour réaliser son exuviation. Ce dernier facilite le processus et empêche la cécité chez le serpent (lorsque des couches de l’écaille oculaire restent bloquées). Ce liquide exuvial est ici représenté par l’ensemble des moyens de communication de masse souvent employés pour convaincre le public de la nécessité et de l’importance du développement. Les discours issus de ces communications ont des dimensions normatives (ce que le développement doit être) et prescriptives (ce qu’il serait bien de mettre en œuvre) (Rist, 1986). Les moyens de communication soutiennent des images fixées dans le temps et dans l’espace : migrants traversant la Méditerranée et déplacements massifs de réfugiés climatiques ou fuyant des conflits qui, malgré les décennies, sont constamment renouvelés. Pour infléchir ces images, l’importance du développement est rappelée par les acteurs étatiques et interétatiques, mais aussi par les acteurs propres à ce « nouveau secteur » (organisations non gouvernementales [ONG], sociétés privées, experts, etc.), dont la légitimité s’appuiera sur la consolidation des présupposés, sur leur longévité et sur leur circularité (Rana et Sørensen, 2021 ; Tulder et al., 2021 ; Smyth, 2012). Le serpent se mord-il la queue ? Ses multiples mues révèlent que l’exuvie a fait de la planification un des principaux outils de mise en œuvre du développement.
1.2 Les sept mues du serpent nommé « développement »
La planification du développement et ses théories sous-jacentes ont connu plusieurs cycles d’exuviation, que Driss El Ghoufi (2020) qualifie de « révolutions ». La première repose sur la théorie du décollage, où le développement constitue « un processus d’évolution vers une finalité, soit la consommation de masse, qui est présentée comme l’étape ultime du développement » (Tremblay, 1999, p. 19). Cette théorie offre un regard uniformisant qui ne tient pas compte de la diversité structurelle, organisationnelle, socioculturelle et socioéconomique des populations. Viennent ensuite les multiples déclinaisons de la théorie de la croissance. Elle tire parti de la corrélation réflexive entre l’économie du développement et l’économie de la croissance (croissance équilibrée, croissance avec ajustement structurel, croissance redistributive, croissance pour lutter contre la pauvreté, croissance pour protéger l’environnement, etc.) (Kohlscheen et Nakajima, 2021 ; Ostry, Berg et Tsangarides, 2014 ; Agénor, 2004). Par ce courant théorique, « la question du développement a été associée à l’élaboration des théories de la croissance [où cette dernière] affecte les réflexions sur le développement en donnant à celle-ci sa dimension la plus étroite, celle d’un changement quantitatif (El Ghoufi, 2020, p. 67). Les institutions financières internationales (IFI), au premier rang desquelles on trouve le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les banques régionales de développement, mais aussi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), représentent les hérauts de ce paradigme quantitatif sur lequel le diagnostic des problèmes de développement et les solutions s’appuient.
Driss El Ghoufi suggère que la révolution théorique suivante prend la forme de l’approche territoriale du développement. Apparue dans les années 1970, elle représente la naissance d’un paradigme qualifié de « développement par le bas » en s’opposant au modèle orthodoxe fonctionnel ou du « développement par le haut » défendu par les IFI et les agences bilatérales de financement (Campagne et Pecqueur, 2014). En faisant converger la sociologie économique et la géographie socioéconomique (Fontan, Klein et Lévesque, 2003), l’approche territoriale aura une forte incidence sur la théorie du développement en identifiant les acteurs locaux comme principal élément clé, ce qui renforce l’efficacité des politiques publiques (Angeon et Callois, 2005 ; Courlet et Pecqueur, 1992). Cette approche constituera une pierre angulaire des stratégies de développement, où le territoire deviendra l’élément principal sur lequel les IFI appuieront leur financement et l’échelle de leurs actions, faisant de l’ajustement structurel – et de ses déclinaisons comme l’ajustement structurel « vert » – une condition préalable au
