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Un chevreuil en chemise d'été: Ou Jimi et autres brèves de vie
Un chevreuil en chemise d'été: Ou Jimi et autres brèves de vie
Un chevreuil en chemise d'été: Ou Jimi et autres brèves de vie
Livre électronique100 pages1 heure

Un chevreuil en chemise d'été: Ou Jimi et autres brèves de vie

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À propos de ce livre électronique

Dans les années cinquante-soixante, Dieu a-t-il participé en personne au développement du quartier des Acacias près de Genève, à l’avènement des supermarchés, du rock psychédélique, de la puberté, du papier bulle et de la chaussette unisexe en polyamide ?

Qu’ont dû inventer les habitants du quartier pour que la vie des uns et des autres s’apparente le plus possible à la réalité ?

Il y a quelque chose de magnétique dans ce livre, de drôle et de poétique. Et comme le dit l’auteur, qui se refusera toute sa vie de prendre à droite à la sortie du supermarché, « quelque chose d’irréversible venu de l’adolescence ».




À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Monney est un artiste genevois qui a usé ses chemises d’été sur scène (Padygros), à la radio (Couleur 3) à la télévision (Carabine FM, les Pique-Meurons), et dans la solitude animale des chemins de campagne. Le présent ouvrage est son troisième recueil de textes courts.
LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2024
ISBN9782970177029
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    Aperçu du livre

    Un chevreuil en chemise d'été - Alain Monney

    Prologue

    Un jour Jimi est passé me voir. Il avait appris que j’étais sur le point de déménager destination rue de la Boulangerie, dans la vieille ville. Il venait me proposer son aide.

    – Et je considère que non n’est pas une réponse, il a rajouté.

    Jimi son vrai nom c’est Claude, c’est mon prof de guitare. On l’appelle Jimi parce qu’il ne s’exprime qu’à l’aide de phrases empruntées à des chansons de Jimi Hendrix: «Considère que non n’est pas une réponse» il l’a grattée dans Voodoo Child, le dernier titre sur le double album Electric Ladyland. Je connaissais déjà, c’est un peu son gimmick. «On rentre ensemble? Tu passes au local? Je te préviens, je considère que non n’est pas une réponse.» Je lui ai demandé de combien de bières il comptait me truander à chaque montée et descente d’escalier, ça l’a fait marrer.

    – T’as raison de quitter le quartier. Ici on tourne en rond, tu peux entendre le bonheur chanceler dans la rue.

    Crosstown Traffic?

    The Wind Cries Mary.

    On a commencé à remplir des cartons, il est allé au moins trois fois aux toilettes, et avant de partir il m’a montré un nouvel accord sur ma guitare en critiquant les cordes en nylon.

    Le surlendemain je passais ma première nuit à la Boulangerie. Jimi avait dû oublier quel jour on était, je m’étais tapé tout seul les allers et retours avec les meubles. J’avais le dos moulu. J’apprendrais plus tard qu’il était mort d’une overdose la veille dans sa chambre. Quand il m’avait dit sur le pas de la porte que dernièrement les choses ne semblaient plus pareilles, je m’étais contenté de répondre «Purple Haze» sans imaginer une seule seconde qu’il pouvait s’agir d’une allusion à peine déguisée au tunnel psychédélique de sa propre existence, à son ambition souvent contrariée de copain universel, de pote jamais avare d’encouragements à pousser votre vie dans un avenir auquel (ce qu’il avait dû deviner dès son entrée en pilotage à vue dans l’adolescence) il n’aurait pas accès. «Si je ne te croise plus dans ce monde je te croiserai dans le prochain.» (Toujours Voodoo Child, là c’est moi qui cite).

    J’ai ressorti ma vénérable platine Lenco du carton «stéréo» et je l’ai branchée sur le secteur. Ensuite j’ai fouillé parmi la vingtaine de vinyles qui avaient survécu à mes précédents déménagements, Led Zep, le Beatles à la pochette blanche, Al Jarreau en public, le premier album de Joni Mitchell à moitié colorié, Hugues Aufray à l’Olympia, et j’ai réécouté Red House assis devant la fenêtre.

    1

    Hiver

    Et là je me suis souvenu qu’un jour, en deux petites heures, on nous avait installé un poêle à mazout en remplacement de notre antique fourneau à charbon pile au milieu de l’appartement. Les premiers lundis des mois d’hiver un livreur approvisionnait le quartier en jerrycans de fuel qu’il allait entreposer dans les caves. C’est nous qui descendions les chercher lorsqu’il s’agissait de réactiver le chauffage, des jerrycans de six ou huit litres, un à chaque bras, qui nous sciaient les articulations des doigts au moment de les poser sur le palier du deuxième étage. Heureusement, on s’arrêtait là.

    L’intervention la plus délicate résidait dans le réglage du débit à la sortie du réservoir: pas assez, la flamme ne s’allumait pas, trop, elle s’emballait. Les fois où le poêle grondait à cause d’un débit trop élevé on s’empressait d’ouvrir le hublot situé à l’avant et de laisser l’engin avaler l’air surchauffé du corridor, sans quoi le métal se mettait à rougir et ça n’augurait rien de bon: le couvercle en fonte commençait à vibrer en claquant sur le fourneau, ce que nous interprétions comme le signe avant-coureur d’une déflagration imminente.

    Qui ne se produisit jamais. Pas la moindre apparition non plus de craquelures dans l’émail du poêle. Rien que des poils du chat tombés par touffes entières sur la moquette.

    – La pauvre bête, elle a dû avoir peur, se désolait ma mère.

    2

    Un vilain sac à main à ferrures dorées

    Certains jours on pouvait voir madame Monsieur descendre la rue. On nous avait appris à faire semblant que tout était normal, sa perruque blond platine, sa jupe au-dessous du genou, ses collants bruns moches. Parfois elle portait un vilain sac à main orné de ferrures dorées que j’imaginais renfermer toutes ses réponses aux grossièretés que lui balançaient les mâles alpha attablés aux terrasses des cafés. Se seraient-ils pris plein d’envolées lyriques dans leurs tronches d’alcoolos si elle l’avait ouvert? Qu’en serait-il sorti? Des gémissements, une complainte? Des mots d’amour?

    En madame Monsieur cohabitaient – secrets, rasés et poudrés – lui-même et sa maman, alors qu’au final elle n’était sans doute ni tout à fait l’un et ni tout à fait l’autre.

    Elle ne montait pas dans le bus. Elle traversait le pont. On ne savait pas où elle allait.

    Au retour d’un séjour à la montagne on nous a expliqué que madame Monsieur n’était plus là, qu’elle était morte d’une secousse au cœur. Paix à son âme. Enterrée avec son silencieux sac à main.

    Je n’exclus pas non plus qu’elle ait déménagé.

    3

    L’homme-eau

    Les adultes l’appelaient l’homme-eau. Une autre célébrité du quartier. Rares étaient les riverains capables de le reconnaître d’un jour sur l’autre.

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