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Plus d'une loi, la guerre des noms: Derrida, Deleuze et Guattari, Foucault
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Plus d'une loi, la guerre des noms: Derrida, Deleuze et Guattari, Foucault
Livre électronique324 pages4 heures

Plus d'une loi, la guerre des noms: Derrida, Deleuze et Guattari, Foucault

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À propos de ce livre électronique

Partout dans le monde, des partis nationalistes prônant la vision d’un État fort prennent de plus en plus d’assaut les scènes locales en mal de souveraineté. Pour combattre cette tendance, la pensée de Jacques Derrida peut aider à refonder nos points de repère politiques. Avec ses deux formules, « plus d’une loi » et « la guerre des noms », cet ouvrage s’inscrit dans cette perspective. La première formalise la loi par une aporie qui s’applique tant à la logique de l’inconscient qu’à la loi au sens juridico-politique, reliant ainsi les champs dissociés de la psychanalyse et de la politique. Quant à la seconde, elle met en exergue la conflictualité de l’économie libidinale et les régimes de domination qui imposent leurs modes de jouissance en reproduisant des systèmes de classification par lesquels certains noms propres assurent la fonction de fétiches. Cet ouvrage confronte également les noms propres de Derrida, de Deleuze et Guattari, et de Foucault en mettant en scène une lutte philosophique entre ces penseurs qui prétendent, chacun à leur manière, redéfinir la ou le politique en introduisant une force qui déborde la représentation. Entre déconstruction, philosophie et psychanalyse, cet essai cherche à élaborer de nouvelles réponses aux maux de notre temps, pour une « démocratie à venir ».
LangueFrançais
Date de sortie15 avr. 2024
ISBN9782760650404
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    Aperçu du livre

    Plus d'une loi, la guerre des noms - Elias Jabre

    Plus d’une loi, la guerre des noms

    (Derrida, Deleuze et Guattari, Foucault)

    Elias Jabre

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Collection «Humanités à venir»

    dirigée par Ginette Michaud et Georges Leroux

    En accueillant des essais brefs et la publication de grandes conférences, cette collection s’engage sur les chemins qu’ouvre aujour­d’hui la pensée de ce qui vient, de ce qui arrive à un monde sans repères. Au confluent de la littérature et de la philosophie,elle inscrit son titre dans la recherche de nouvelles Humanités, libres et plurielles.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Plus d’une loi: la guerre des noms (Derrida, Deleuze et Guattari, Foucault) / Elias Jabre.

    Nom: Jabre, Elias, 1975- auteur.

    Collection: Humanités à venir.

    Description: Mention de collection: Humanités à venir | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20240000501 | Canadiana (livre numérique) 2024000051X | ISBN 9782760650381 | ISBN 9782760650398 (PDF) | ISBN 9782760650404 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Idées politiques. | RVM: Psychologie politique. | RVM: Psychanalyse et philosophie.

    Classification: LCC B65.J33 2024 | CDD 320.01—dc23

    Dépôt légal: 1er trimestre 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2024

    www.pum.umontreal.ca

    LIMINAIRE

    Dix ans après la disparition de Jacques Derrida le 9 octobre 2004, nous avons souhaité inscrire un peu autrement son nom dans l’Université, cette université «sans condition» qu’il appelait de ses vœux, liant étroitement sa vocation non seulement à la littérature et à la philosophie, aux «Humanités de demain1», mais à la démocratie à venir. 

    Nous avons donc créé, avec le concours précieux de plusieurs instances universitaires, un cycle annuel de grandes conférences sous le signe des «Mémoires de Jacques Derrida» afin d’affirmer, de réaffirmer la portée d’une œuvre philosophique qui a profondément marqué de nombreux domaines de la pensée: philosophie, littérature, politique, droit, théologie, esthétique et architecture. Si le travail de Jacques Derrida s’est résolument engagé dès ses commencements dans une relecture minutieuse de tous les grands textes de la tradition philosophique, il ne s’est pas contenté de cette relecture, aussi radicale fût-elle: il a aussi voulu contresigner de la manière la plus forte et la plus audacieuse, pour l’avenir, chacune des œuvres auxquelles il s’est attaché.

    Ces «Mémoires de Jacques Derrida» se veulent ainsi une relance de sa pensée, une réponse à des appels multiples. Comme il l’avait fait pour tant d’auteurs auxquels il était remarquablement fidèle, nous cherchons ici à répondre (à, de, pour), à parler en direction de, vers Derrida. Car comme il l’écrivait dans «Justices»:

    Répondre de la responsabilité, et de ce qui la lie et l’oblige à la justice, c’est penser la responsabilité en en formulant et en en formalisant la possibilité, autant que l’aporie. Responsabilité éthique (c’est-à-dire aussi juridique et politique) qui s’expose non seulement dans ce qu’on appelle la vie ou l’existence mais dans la tâche de déchiffrement, de lecture et d’écriture2.

    Georges Leroux et Ginette Michaud


    1. Jacques Derrida, L’Université sans condition, Paris, Galilée, coll. «Incises», 2001, p. 11 sq.

    2. Jacques Derrida, «Justices», dans Appels de Jacques Derrida, Danielle Cohen-Levinas et Ginette Michaud (dir.), Paris, Hermann, coll. «Rue de la Sorbonne», 2014, p. 60-61.

    PRÉSENTATION

    Depuis plusieurs années, Elias Jabre s’intéresse à la question de la pulsion de pouvoir, cette Bemächtigungstrieb que Freud évoque dès les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) pour définir une cruauté originaire «qui ne s’accompagne ni de plaisir ni de déplaisir, ni même d’aucune conscience de culpabilité3» et qui, au-delà du principe de plaisir, au-delà donc de la pulsion de vie (Éros) et de la pulsion de mort (Thanatos), peut «arraisonner à son seul service les pulsions sexuelles et les pulsions de destruction4», et ce, sans reconnaissance de la souffrance de l’autre, jusqu’à son anéantissement. Cette pulsion de pouvoir, de domination ou de souveraineté est, comme le dit le psychanalyste René Major, «coextensive de tout le champ pulsionnel qui régit l’être-avec, l’être-ensemble, l’être-en-commun», alors que la psychanalyse entend justement déconstruire «la théorie juridique classique du pouvoir, de la souveraineté, de son droit et de sa morale, de son héritage théologique. Elle ne développe pas pour autant une conception politique qui serait empreinte de métaphysique et de téléologie, mais elle laisse place à une autre pensée du politique […]»5.

    La pulsion de pouvoir exerce son emprise aussi bien sur le sujet que dans le champ social et politique. C’est dans le sillage de cette réflexion, entre psychanalyse et décon­s­truction, que s’inscrit le travail d’Elias Jabre pour penser à nouveaux frais le politique, comme le montrent la thèse de doctorat intitulée La pulsion de pouvoir. Traduire la psychanalyse dans le champ politique entre Deleuze et Derrida qu’il a soutenue en 2019 à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, ainsi que les nombreux articles qu’il a consacrés à cette problématique au cours des dernières années. Le présent essai propose une argumentation réfléchie en nouant deux aspects fondamentaux pour saisir cette pulsion de pouvoir à l’œuvre tant sur le plan individuel que collectif: le nom propre et les guerres auxquelles il donne lieu chez les héritiers qui tentent de se l’approprier et d’assurer leur légitimité.

    S’il est un syntagme marquant dans la réflexion d’Elias Jabre, c’est bien en effet celui d’«à venir» – ce vocable est étroitement associé au nom de la collection qui l’accueille ici –, et partant, ceux de «legs», d’«héritage» et de «filia­tion(s)». Cet «à venir», comment l’entendre dans l’inflexion nouvelle que lui donne l’œuvre de Jacques Derrida? La graphie ainsi incisée indique déjà que ces mots ne sont pas, à l’évidence, réductibles au «futur» ou à l’«avenir» selon une conception courante du temps ou de l’histoire faisant se succéder linéairement passé, présent et futur. Cette graphie inquiète plutôt cette chrono-logique en mettant en avant une autre concordance (ou discordance) des temps, une disjointure de la temporalité, pour rappeler l’expression de Hamlet, «The time is out of joint», que Derrida analyse dans Spectres de Marx lorsqu’il nous enjoint d’apprendre à parler avec les fantômes. Comme l’archive, la revenance est, ainsi que Derrida nous l’a montré, une «question de l’avenir 6», et ce sont ces enjeux touchant à l’héritage, aux héritages plutôt, nécessairement pluriels de la déconstruction et de la psychanalyse, qui sont au cœur de cet essai. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler à ce sujet la dette que Derrida reconnaissait avoir contractée à l’endroit de la psychanalyse: dès 1967, dans «Freud et la scène de l’écriture7», il écrivait que la notion d’après-coup (Nachträglichkeit) constituait une avancée majeure de la psychanalyse, qui, à ses yeux, l’affranchissait de la métaphysique dont elle restait pourtant tributaire pour ses concepts et son appareil théorique.

    Que veut dire «hériter», dans cette double perspective de la déconstruction et de la psychanalyse? Ce geste – et c’est celui que pose Elias Jabre dans sa lecture qui confronte des penseurs de la différence (Derrida, mais également Deleuze et Guattari, Foucault) – implique le constant remaniement des traces et de l’archive, ainsi qu’une réinterprétation active, selon cette modalité du «futur antérieur» que Derrida aura souvent privilégiée dans ses textes. Hériter, dans cette perspective, ce n’est certes pas tant recueillir ou thésauriser un héritage que lever de nouvelles questions, apercevoir des angles morts et surtout se demander comment on peut augmenter cet héritage en le déplaçant sur un autre terrain.

    «À venir» peut aussi être entendu comme la traduction d’un certain «depuis», marquant tant les legs de Freud que ceux de Lacan ou de Derrida, comme l’écrit celui-ci en analysant les effets de cette préposition qui représente simultanément une localisation et une temporalité, une con­­séquence, un espacement, un point d’appui, un repère, une fin autant qu’une relance. Grâce à cette indispensable équivoque, «depuis» et «à venir» sont donc des vocables qui, entre résistance et désistance, pour emprunter une notion chère à Major, gardent plus que jamais ici un «double «sens», clinique et politique. Dans un autre texte, «Legs de Freud (-Derrida-Major): la pulsion de pouvoir et l’à venir de la psychanalyse», Elias Jabre évoque justement les résistances des psychanalystes qui, trop souvent et de manière étonnante, ne veulent rien «savoir» de la pulsion de pouvoir: ils manquent ainsi de «penser cette logique aporétique plutôt que d’en être le jeu. Et pour y arriver, encore faut-il éclaircir leur résistance tenant au déni de cette pulsion qui les maintient dans une position de pouvoir(-savoir) d’ordre œdipien8». Pourtant, comme il le souligne, la pulsion de pouvoir est indispensable pour repenser «les instances du moi, du sujet, ainsi que toute formation sociale et institution, l’État»: «Nous serions alors en mesure, écrit-il, de lire ces ensembles à travers l’interprétation d’une force qui travaille tant avec le pouvoir en place, qu’elle le fait toujours différer de lui-même, allant jusqu’à le défaire»9. La pulsion de pouvoir permet aussi – ce qui est déterminant pour l’à venir de la psychanalyse – d’interpréter «comment un ensemble se constitue, se transforme et se défend à partir de l’altérité qu’il dénie, suivant un processus qui le pousse à lutter contre ses propres défenses immunitaires10».

    Dans son essai, Elias Jabre montre justement comment, au sujet de la pulsion de pouvoir, la pensée de Derrida se constitue et se transforme en la confrontant aux propositions de ses «contemporains11», au premier chef ici Deleuze-Guattari et Michel Foucault. L’une des forces de cet essai réside en effet dans sa façon de lire les textes de Derrida de manière «synchrone», pourrait-on dire, en les faisant dialoguer avec ceux de ses collègues philosophes, travail de lecture en finesse qui est encore trop rarement tenté: c’est le cas ici pour la question de la compulsion de répétition et celle du fétichisme généralisé dans Glas (1974) relu à l’aune de L’Anti-Œdipe (1972) qui venait alors de paraître, du «différend» au sujet de la et des loi(s) entre le Kafka (1975) de Deleuze-Guattari et le texte de Derrida, «Préjugés – devant la loi» (1985), ou encore de la notion de biopolitique telle qu’elle émerge simultanément dans La volonté de savoir (1975) de Foucault et le séminaire La vie la mort que Derrida donne la même année. Cette manière de lire ne s’en tient pas à la seule comparaison des positions des uns et des autres, mais montre le jeu des différences, voire les différends et rapports de force qui ont cours sur ces problèmes philosophiques abordés de manière très différente par ces penseurs de la différence. Cette façon de lire est en elle-même une façon d’ouvrir l’«à venir» du texte derridien un peu autrement: il nous semble particulièrement pertinent, dans la visée de cette collection, de relancer les propositions de Derrida en les mettant en regard de celles de ces philosophes qui étaient ses interlocuteurs et parfois, plus ou moins ouvertement, ses adversaires.

    Comment faut-il comprendre ce que Elias Jabre présente comme une confrontation entre les pensées de Gilles Deleuze-Félix Guattari et de Jacques Derrida? S’agissant de la problématique de l’intégration de l’inconscient au politique, l’auteur met en avant ce qu’il désigne comme «une autre politologie», capable d’affronter les défis de la démocratie «à venir». N’est-ce pas la proposition même de Derrida? Le premier chapitre de l’essai, intitulé «Plus d’une loi», aborde sans détours l’enjeu qu’aura constitué pour Freud et pour Lacan la difficulté de traduire la psychanalyse en une politique. L’un et l’autre, par leur déconstruction des illusions, et notamment leur analyse de la pulsion de pouvoir, jettent néanmoins les bases pour penser autrement le politique. Arrimée à la notion de compulsion de répétition, cette critique veut mettre en évidence chez Derrida et chez Guattari et Deleuze les ouvertures autant que les impasses manifestes dans leur effort pour penser l’économie libidinale et le fétichisme. Dans son deuxième chapitre, Elias Jabre s’intéresse au différend qui oppose ces auteurs au sujet de la pensée de Kafka, qui agit ici comme un révélateur: alors que Deleuze et Guattari «récusent une loi formelle et transcendante pour lui substituer une justice immanente, Derrida formalise la loi sous forme d’aporie». Comment ne pas entendre ici une critique qui se porte au-devant des apories de la déconstruction elle-même, saisie dans son projet de justice? Ce questionnement conduit à poser directement la question et à chercher une nouvelle formulation des thèses qui séparent des pensées en apparence très proches. Cette formulation n’est accessible que sur la base de leur conception du droit et de la jurisprudence. Intitulé «Croyance et politique: du privilège de la politique sur le droit (Deleuze et Guattari) au Fondement mystique de l’autorité (Derrida)», ce troisième chapitre surprend par la radicalité de la perspective développée autour de l’opposition de la croyance et de l’incroyance, «un rapport impossible», écrit l’auteur. Tel est, en effet, selon Elias Jabre, le «problème politique fondamental». La première partie se clôt donc sur un appui soutenu aux positions de Jacques Derrida.

    Dans la seconde partie de son essai, Elias Jabre entreprend de déconstruire les positions de Freud et de Heidegger, considérés ici comme des penseurs décisifs sur les questions surgissant de la confrontation entre champs de savoir, noms propres et institutions. Dans une lecture principalement fondée sur le séminaire La vie la mort de Derrida, l’auteur revient sur la notion de fort-da, en particulier sur les liens à la pulsion de pouvoir. Ce que signifie cette «guerre des noms», nous sommes amenés à le comprendre mieux dans le chapitre suivant, alors que Elias Jabre dresse un parallèle entre la biopolitique, mise en avant par Michel Foucault, et celle que Derrida a présentée dans le séminaire de 1975-1976, sous le titre La vie la mort. La différence semble s’instaurer d’abord à compter de la différence de leur conception de la psychanalyse. Derrida montre en effet comment la pensée de Foucault «se trouve tributaire de la psychanalyse, alors que Foucault croit pouvoir situer la psychanalyse dans une histoire». Ce que serait cette «autre histoire», Elias Jabre affirme qu’il est impossible de le penser sans une réflexion sur «la guerre des noms», dans toutes ses dimensions politiques et économiques: «Où se font, demande-t-il, les investissements pour tel et tel nom et selon quelles configurations?» On voudrait l’accompagner dans le détail de ces enquêtes tant la question taraude l’actualité, au moment où font rage la guerre en Ukraine et celle entre Israël et Gaza depuis le 7 octobre 2023. En examinant la logique du nom propre, l’auteur montre comment la pensée de Derrida pose autrement les liens de l’économie dominante à une logique immanente de souveraineté. Cette lecture nous ramène à ce que Derrida nomme la mondialatinisation, notamment dans son séminaire Le parjure et le pardon (1997-1999). Derrida y propose une lecture déconstructrice et contemporaine du Contrat social que Elias Jabre analyse dans le septième et dernier chapitre de son essai, «Rousseau-de Man-Derrida: pour un tout autre Contrat social».

    Ce livre nous arrive au moment où une cruelle guerre des noms réactive sur le territoire de l’Europe et au Proche-Orient la notion même du meurtre fratricide. Comme au Liban dont Elias Jabre rappelle dans un «Avant-propos» vibrant l’horizon qui fut le sien alors qu’il préparait cet essai, la guerre d’Ukraine et celle qui sévit dans la bande de Gaza mettent à mal, chaque jour de manière plus absurde et meurtrière, «la croyance d’un lien qui assurerait la consistance ontologique du pacte social». «[L]a guerre me porte, écrit-il, comme je porte la guerre en moi.» Beaucoup plus qu’à une relecture des débats intellectuels qui continuent d’agiter la scène philosophique européenne, c’est donc à une indispensable prise de conscience politique qu’Elias Jabre nous convoque ici. L’urgence de cette prise de conscience n’est jamais aussi vive que sur la scène où ces débats trouvaient, et trouvent encore, leur motif fondamental.

    Ginette Michaud et Georges Leroux


    3. René Major et Chantal Talagrand, Freud, Paris, Gallimard, coll. «Biographies», 2006, p. 286.

    4. René Major et Chantal Talagrand, «Freud politique. Un dialogue posthume entre Lou Andreas-Salomé et Sigmund Freud», dans René Major – La psychanalyse à venir, Ginette Michaud et Danielle Cohen-Levinas (dir.), Paris, Hermann, coll. «Rue de la Sorbonne», 2022, p. 152.

    5. René Major, «Politique et psychanalyse. Entretien de Claude Lévesque et de René Major», dans René Major – La psychanalyse à venir, op. cit., p. 181.

    6. «Je crois que le concept d’archive n’est pas tourné vers le passé, contrairement à ce qu’on aurait tendance à penser. La mémoire, c’est la question de l’avenir, et pour l’archive, c’est toujours le futur antérieur qui, en quelque sorte, décide de son sens, de son existence. C’est toujours dans cette temporalité-là que les archives se constituent.» Jacques Derrida, «Le futur antérieur de l’archive», dans Questions d’archives, Nathalie Léger (dir.), s. l., Éditions de l’Imec, coll. «Inventaires», 2002, p. 43.

    7. Jacques Derrida, «Freud et la scène de l’écriture», dans L’écriture et la différence, Paris, Seuil, coll. «Tel Quel», 1967, p. 293-340. «L’irréductibilité du à-retardement, telle est sans doute la découverte de Freud. […] Que le présent en général ne soit pas originaire mais reconstitué, qu’il ne soit pas la forme absolue, pleinement vivante et constituante de l’expérience, qu’il n’y ait pas de pureté du présent vivant, tel est le thème, formidable pour l’histoire de la métaphysique, que Freud nous appelle à penser à travers une conceptualité inégale à la chose même. Cette pensée est sans doute la seule qui ne s’épuise pas dans la métaphysique ou dans la science.» Ibid., p. 303 et p. 314.

    8. Elias Jabre, «Legs de Freud(-Derrida-Major): la pulsion de pouvoir et l’à venir de la psychanalyse», dans René Major – La psychanalyse à venir, op. cit., p. 255.

    9. Ibid., p. 257.

    10. Ibid., p. 259.

    11. Nous utilisons ce terme avec distance, en n’oubliant pas la réserve ironique que Jacques Derrida manifestait à son endroit: «Mais je déteste et conteste l’image qu’on voudrait de plus en plus répandre quand, dans la presse, on essaie ou feint de me prendre pour un survivant, voire le seul survivant d’une génération qui n’était d’ailleurs pas exactement la mienne (Lacan, Althusser, Deleuze, Foucault, Lyotard, la pensée 68, quoi). C’est vrai, en un sens, mais en un autre sens, si vous m’en donniez la place, je démontrerais en quoi c’est faux […].» Jacques Derrida, «Le survivant, le sursis, le sursaut» (2004), dans Penser à ne pas voir. Écrits sur les arts du visible 1979-2004, Ginette Michaud, Joana Masó et Javier Bassas (éds.), Paris, Éditions de la Différence, coll. «Essais», 2013, p. 367-368.

    Introduction

    Dans ce livre, deux thématiques se suivent et s’entrecroisent, «plus d’une loi» et «la guerre des noms», «la guerre des noms» mettant en exergue la conflictualité à «plus d’une loi». L’une et l’autre formules ont été élaborées à partir de la «pulsion de pouvoir» que Jacques Derrida emprunte à Freud12 et développe en se dotant d’une notion qui circule entre psychanalyse et politique pour déconstruire la souveraineté. «Plus d’une loi» a surgi de la confrontation que je mets en scène entre les pensées de Gilles Deleuze et Félix Guattari, d’une part, et de Jacques Derrida, d’autre part, qui intègrent toutes deux la problématique de l’inconscient au politique. Or selon moi, Derrida répond plus justement à cet enjeu, de même qu’il répond mieux au malaise de nos démocraties démunies face aux poussées nationalistes. Il formalise une loi fonctionnant de façon aporétique qui s’applique tant à la logique de l’inconscient qu’à la loi au sens juridico-politique, enjoignant, sinon à une refonte, du moins à une mise en relation entre ces champs en général dissociés. Quant à ma seconde thématique, elle est venue de mon interrogation sur la façon dont certaines lois s’imposent et instituent des régimes de domination à travers une «guerre des noms» par laquelle des classes liées à des modes de jouissance se livrent/sont livrées à des rapports de force dans une économie libidinale qui relève, comme l’aura annoncé Sarah Kofman avec Derrida, d’un «fétichisme généralisé13». Entre déconstruction, philosophie et psychanalyse, j’engage, à travers chacun de ces textes, à penser une autre politologie en mesure de répondre aux maux de notre temps, pour une «démocratie à venir».

    L’ouvrage débute par un court «Avant-propos» autobiographique, «Déterritorialiser la guerre – du Liban», dans lequel je livre quelques fragments d’une histoire qui m’aura constitué et qui aura motivé en partie ma recherche.

    J’aborde alors la première partie de cet ouvrage qui explore la thématique «plus d’une loi» et qui couvre les trois premiers chapitres. Je commence par rappeler que selon Deleuze-Guattari et Derrida, le savoir inspiré par Freud et Lacan n’a pas su traduire la psychanalyse en une politique. Dans le premier chapitre intitulé «Plus d’une loi: lire la compulsion de répétition et le fétichisme généralisé avec Deleuze-Guattari et Derrida», j’examine comment cette critique s’attache à la notion de compulsion de répétition. Chez Freud comme chez Lacan, celle-ci est conçue comme une force insistante qui détermine la place du sujet en relation avec une scène œdipienne. Or, chacun à leur manière, Deleuze-Guattari et Derrida font voler en éclats ce schéma en propulsant l’économie libidinale au cœur du politique à travers une réélaboration de la répétition compulsionnelle et du fétichisme. Pour Derrida, la compulsion de répétition obéit à un fétichisme généralisé sans contraire qui transforme la notion même du fétichisme: d’une part, le fétichisme est irréductible parce qu’on ne peut dénoncer le fétiche au nom de la chose en soi, qu’il s’agisse d’une loi œdipienne transcendante ou d’un désir immanent; d’autre part, le choix d’une position ou d’une autre s’avère indécidable. J’ai adopté l’expression «plus d’une loi» en référence à la structure indécidable que Derrida formalise à travers la pulsion de pouvoir de Freud pour pointer l’auto-hétéronomie de la loi, une loi en différance14.

    «Plus d’une loi» porte un à venir tant pour la psychanalyse que pour le politique en rejouant ses concepts fondamentaux. Pour traduire cette loi de l’inconscient avec la loi au sens de la normativité, je me suis intéressé dans le deuxième chapitre, «Différend Kafka: entre les lignes de Deleuze-Guattari et Derrida. Penser la normativité au-delà de la représentation», à la discussion entre ces mêmes auteurs qui eut lieu à travers leur différend sur Kafka. La loi est-elle juste? Quelle différence entre justice et loi? Comment penser les normes en tenant compte d’une force au-delà de la représentation? Alors que Deleuze et Guattari récusent une loi formelle et transcendante pour lui substituer une justice immanente, Derrida formalise la loi sous forme d’aporie. Si les premiers se coupent en partie de l’ordre juridico-politique au nom d’un anarchisme supérieur et s’embarrassent des contradictions d’une loi qui fait retour, le second pense la normativité à plus d’une loi, avec et contre tout ordre institué, la justice étant également l’autre nom de la déconstruction.

    Je prolonge ces lectures en explicitant leurs portées politiques dans

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