À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Récent retraité de la fonction publique hospitalière, Joël Torzuoli se consacre désormais pleinement à ses passions : l’écriture et l’histoire du Moyen Âge. Il partage cette dernière avec un groupe de parents et d’amis qui se retrouvent régulièrement, en tenue, autour d’un repas médiéval ou dans quelque manifestation historique. Après sa trilogie Le destin de Thorolf, il revient avec "Snorri".
En savoir plus sur Joël Torzuoli
Le destin de Thorolf Le destin de Thorolf - Tome 3: L’Althing Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à Snorri
Livres électroniques liés
Le Cœur du Viking: Désirée, capturée, réclamée, #3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Désir du Viking: Désirée, capturée, réclamée, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationD'un brasier ne surgissent pas que des cendres: Nouvelle fantastique pour adultes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSnehild – La Voyante de Midgard, Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Enfant Corbeau: L'Enfant Corbeau, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHervor la Tueuse: La Porteuse de Tyrfing, #3 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Orlan & Byggvir: La montagne du pouvoir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe fils de la Voyageuse des neiges: Le fils de la Voyageuse des neiges Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Voyage Du Destin Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLiten Walkyrie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes vikings - Tome 3: Aachen Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHervor la Furieuse: La Porteuse de Tyrfing, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Loyauté du Royaume: Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes enfants de la lune - Tome 2: Hiver sans fin Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe glaive et la plume Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Roman de Tristan et Iseut Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn Frère Perdu: Gareth & Gwen – Enigmes Médiévales, #6 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn billet de loterie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe loup blanc Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHervor la Pillarde: La Porteuse de Tyrfing, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa marchande d'ambre : roman historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn Cri D’ Honneur (Tome N 4 De L’anneau Du Sorcier) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChildéric, Roi des Francs, (tome second) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTristan et Iseult de René Louis (Fiche de lecture): Analyse complète de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Routes Du Conflit: Épées des Hommes et des Anges, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFils de l'Ours - Tome 2: Björn côte de fer Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Chroniques d'Anathorius: Le forgeron Maudit Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Légende du Roi Arthur - Tome 1: Le roman de Merlin - Les enfances de Lancelot Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVeulf Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationComment conquérir le cœur d’un Highlander: Manuels à l'usage des dames et demoiselles, #3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction historique pour vous
Le Comte de Monte-Cristo Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Noble satyre: Une romance historique georgienne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Rougon-Macquart (Série Intégrale): La Collection Intégrale des ROUGON-MACQUART (20 titres) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo - Tome I Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Son Duc, suite de Sa Duchesse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBon anniversaire Molière ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSa Duchesse, suite du Noble satyre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLES SOEURS DEBLOIS, TOME 1: Charlotte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL' Anse-à-Lajoie, tome 3: Clémence Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Madame Chrysanthème: Récit de voyage au Japon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand l'Afrique s'éveille entre le marteau et l'enclume: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelles de Taiwan: Récits de voyage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Biscuiterie Saint-Claude, tome 2: Charles Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le VIOLON D'ADRIEN Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le dernier feu: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMathilde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes folies d'une jeune fille: Le destin d’un voyou, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVingt ans après Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Fille de Joseph, La, édition de luxe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu fil du chapeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Garage Rose, tome 1 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L' Anse-à-Lajoie, tome 2: Simone Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Gouvernante de la Renardière: Un roman historique poignant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTerre des hommes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Snorri
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Snorri - Joël Torzuoli
Déjà parus au Lys Bleu Éditions
À mon éternelle Vighild
1
Decollare et delocare
Vingt-quatre septembre de l’an de grâce 768, le roi des Francs, Pépin le Bref*¹, agonise en l’abbaye de Saint-Denis auprès de son ami l’abbé Fulrad*. Il se confie serein au Tout-Puissant, laissant derrière lui un royaume parfaitement administré et pacifié, après la soumission des derniers rebelles aquitains, obtenue quelques mois auparavant. Toutefois, alors que ses fils s’apprêtent à lui succéder, les raids saxons reprennent aux confins orientaux du territoire, provoquant l’ire de Charles 1er*. L’ambitieux et impétueux jeune homme va dès lors livrer une guerre sans merci aux tribus réfugiées à l’est de la Weser. Quatre ans plus tard, encouragé par le nouveau pape, Adrien 1er*, Charlemagne* ordonne la destruction de l’Irminsul, l’Arbre Monde de la mythologie saxonne. Sous couvert de la papauté qui exigeait la conversion de tous les peuples barbares, le roi franc menait un combat aux multiples intérêts, parallèlement à ceux du souverain pontife. Il souhaitait agrandir son royaume, en vidant de ses forces vives les terres qu’il colonisait. Les pillages perpétrés par ses armées contribuaient, par ailleurs, à fidéliser ses vassaux à qui il attribuait une bonne part du butin.
— Grand-père, raconte-nous la bataille du Süntel !
— Snorri, tu sais que ta mère ne veut pas que je vous parle de ces choses-là !
— Elle est avec père au marché de Kaupang et ne reviendra pas avant demain soir. Et puis, j’ai douze ans. L’an prochain, à Litha², le Jarl Brorson me donnera mon bracelet, je serai un homme !
— Et tes sœurs ?
— Je leur ordonnerai de se taire !
Dagmar sourit en pensant que ce petit bonhomme se montrait bien de son sang, et que son avenir ne se limiterait pas au commerce de la stéatite. Il se racla la gorge à la manière d’un scalde et respecta les quelques secondes de silence nécessaires à l’attention de l’auditoire. Puis il se lança dans le récit épique de la bataille du massif du Süntel.
— Comme je vous l’ai déjà dit les enfants, les chrétiens, menés par leur chef suprême qu’ils nomment « pape » ou encore « Saint-Père », cherchent, à tout prix, à convertir à leur foi les peuples qui croient en plusieurs dieux. C’est pour cette raison, en tout cas officiellement, que Charlemagne, le roi des Francs, livre depuis plusieurs années une guerre impitoyable aux Saxons.
— C’est pour cela que tu es venu au Jutland³, grand-père ?
— Oui, ma petite Friga, mais ça, c’est une autre histoire !
Le vieil homme profita de l’intervention de sa petite-fille pour se servir une rasade de bière qu’il but en prenant bien son temps. Il lisait dans les yeux de Snorri une impatience que le garçon n’osait pas exprimer verbalement, de peur de stopper son aïeul dans son élan. De fait, Dagmar reprit le fil de son récit.
— Pour sauver leur tête et profiter de l’appui des Francs, bon nombre de chefs de tribus avaient fait allégeance à Charles 1er et accepté un baptême de circonstance, mais, dans l’ombre, beaucoup continuaient à prier nos dieux. Les conquérants prélevaient de lourdes taxes et asservissaient hommes, femmes et enfants. Pourtant, dans nos profondes et mystérieuses forêts, des guerriers s’entraînaient toujours dans l’espoir de libérer un jour la Saxe du joug carolingien. Notre chef, Widukind*, de retour de son exil danois, reprit la tête de la résistance alors que nos ennemis guerroyaient en Espagne.
Brünhild s’était endormie dans les bras de sa sœur aînée. Dagmar fit signe à Mira, l’ambat⁴ slave, de s’occuper de la fillette. La boisson fraîche qui coula dans la gorge du conteur accompagna le petit intermède. Le soleil commençait à décliner et Snorri pria son grand-père de poursuivre.
— Et toi aussi tu es retourné en Saxe ?
— En effet, Snorri, mais le temps de la révolte n’était pas encore venu et je devais, en outre, aider tes parents ici. Ce ne fut que trois hivers plus tard, dix ans après que nous eûmes vu tomber l’Irminsul, que la confiance réapparut. Dans le plus grand secret et avec une patience incroyable, Widukind avait reconstitué une armée capable de s’opposer aux forces de Charlemagne.
Friga, qui ne se montrait pas moins curieuse que son aîné, coupa la parole à l’ancien.
— Tu es allé faire la guerre alors ?
— Eh oui, mes petits. Cette fois, la plupart de ceux qui avaient accompagné leur chef au Danemark répondirent à son appel et le rejoignirent ! Alors que les Francs tentaient de mettre au pas les Sorabes en pays slave, notre armée avait repris possession de la région des Cattes. Comme prévu, nos adversaires ripostèrent en envoyant un détachement.
— C’est là que tu as participé à la guerre ?
— Laisse parler grand-père, Friga !
— Ne te fâche pas, Snorri, je vais reprendre un peu mon souffle…
Mira servit de la bière à Dagmar et du lait de chèvre aux enfants qui n’eurent pas refusé de partager la boisson de leur aïeul. Le garçon afficha une grimace que l’esclave connaissait bien et qui la fit sourire. Il se garda pourtant de la moindre remontrance. Elle veillait sur eux depuis leur naissance et, malgré son statut, lui et ses sœurs ne lui manquaient jamais de respect. Leurs parents ne l’auraient pas toléré.
— Le plan de Widukind fonctionnait, reprit le vieil homme. Je devrais dire le piège. À partir des plaines de la Weser, il attira les soldats de Charlemagne vers le massif du Süntel. Persuadés de nous tailler en pièces, leurs responsables y pénétrèrent sans tenir compte des consignes de leur souverain.
— Et c’est là que…
— Silence, Friga !
— Calmez-vous, les enfants ! Oui, c’est là que la bataille débuta dans la fraîcheur d’un matin d’automne. Les Carolingiens étaient un plus nombreux que nous, probablement cinq mille hommes, dont un quart de cavaliers.
— Combien étiez-vous ?
— Guère plus de trois mille. Mais, répartis dans les forêts denses du Süntel⁵, nous paraissions au moins le double. Perchés sur des chênes séculaires, nos archers décimèrent l’avant-garde d’une cavalerie totalement inefficace dans le dédale des arbres gigantesques. Les survivants abandonnèrent leur monture et rejoignirent les fantassins.
— C’est tout ? déplora la fillette.
— Non, cela ne faisait que commencer !
— Vous les avez massacrés ? se réjouit Snorri.
— La guerre est une affaire sérieuse, et il faut respecter ceux qui combattent avec honneur. Nos ennemis se mirent hors de portée des flèches en se dirigeant, ainsi que Widukind l’avait prévu, vers une zone escarpée où les résineux poussaient entre les roches éboulées. Les soldats de Charlemagne étaient bien équipés, trop bien en la circonstance. Si elles les protégeaient dans certaines situations, ici, leurs broignes devenaient un handicap. Alourdis par ces épais manteaux recouverts d’écailles métalliques, ils se trouvaient incapables de se mouvoir rapidement.
— Et toi, grand-père ?
— Avec quelques autres, je faisais partie de la garde de Widukind dont le courage frôlait bien souvent l’inconscience. Son épée fendait têtes, ventres et membres, sans relâche. Nos haches écartaient les lames et les piques qui l’approchaient de trop près. La bataille atteignit son point culminant lorsque notre petit groupe rejoignit ceux qui croisaient le fer avec les dirigeants ennemis.
Dagmar transpirait en revivant ces terribles événements. Mira lui épongea le front et lui fit avaler un gobelet d’eau, lui indiquant, sans ménagement, qu’il avait bu assez d’alcool pour l’instant.
— Que se passa-t-il ensuite ? questionna Friga sans emphase.
— Les chefs carolingiens se défendirent avec ardeur, mais succombèrent les uns après les autres. Adalgis* et Geilo*, les proches de Charlemagne, ainsi que quatre comtes et une vingtaine de nobles rendirent leur âme à leur Dieu. Quelques centaines de rescapés avaient déjà pris la fuite avec Worad*, le dernier envoyé du souverain encore en vie.
— Vous avez gagné la guerre alors ?
— Une bataille n’est pas la guerre, sœurette, philosopha Snorri.
Le garçon permit ainsi à son grand-père de ne répondre pas à cette question embarrassante. L’aïeul lui en fut reconnaissant, d’autant qu’il ne tenait pas à poursuivre en présence de la petite. Le soulagement de Dagmar se renforça avec l’arrivée de sa fille et de son gendre. Le voyage de retour avait été plus rapide que l’aller. La distance entre Arendal et Kaupang⁶ n’était pas très importante, mais, au départ, le poids du chargement des chars à bœufs mettait à mal la force, pourtant considérable, des animaux. Audar maîtrisait le travail de la stéatite. À partir de blocs de pierre tendre, il créait toutes sortes de récipients. Des petits gobelets aux grands chaudrons, en passant par les bols et autres plats, aucun ustensile ne manquait à son étal sur le marché du Sud norvégien. Pour satisfaire ses clients, il proposait aussi des pierres à aiguiser qu’il cherchait lui-même dans la région d’Eidborg.
La destinée de Dagmar l’avait conduit sur ces terres à la suite de Widukind. Ce dernier n’avait pas trouvé qu’un refuge au Danemark, mais également une épouse en la personne de Geva*, la sœur des rois Siegfried le Danois* et Halfdan II* du Vestfold. Aux noces de son chef, le guerrier saxon rencontra Günhild, une séduisante veuve, dame de compagnie de la reine norvégienne. Outre son charme, elle ne se présentait pas sans ressources et se trouvait être la mère d’un talentueux artisan encore célibataire. Le jeune homme plut à Dagmar qui, dans son exil, cherchait un mari pour sa fille Berthilde. L’occasion semblait trop belle. Avec l’entremise de Widukind et de la reine Estrid, on ne célébra donc pas un, mais deux mariages l’année suivante. Toutefois, Günhild passait le plus clair de son temps à la cour. Dagmar avait poursuivi, durant quelques années, sa vie de guerrier, jusqu’à la bataille du Süntel, avant de poser les armes. Désormais, il participait à l’éducation de ses petits-enfants et aidait son gendre quand ses articulations usées lui laissaient un peu de répit.
— Le marché s’est bien passé ?
— Très bien, père ! Audar a vendu tout le stock de vaisselle et j’ai négocié au meilleur prix les pierres à affiler.
— Nous rapportons du vin de Rhénanie, des épices d’Orient et des fourrures ! ajouta l’artisan. L’argent restant nous permettra de reconstituer nos réserves de nourriture pour l’hiver prochain et je pourrai aussi acquérir de beaux blocs de stéatite.
— Mon dos me fait de plus en plus souffrir, bientôt je ne pourrai plus te seconder et Snorri est encore trop jeune pour cela, prévint Dagmar, il serait temps de songer à acheter un nouvel esclave !
Le vieil homme connaissait les positions d’Audar sur la question et n’insista pas. Le tailleur de pierre s’en sortait très bien avec les coups de main ponctuels de son beau-père et pensait, jusque-là, que son fils assurerait le relais. La santé déclinante de l’ancien guerrier ne le permettrait sans doute pas. Ses revenus s’avéraient certes corrects pour offrir une vie confortable à sa famille, mais restaient insuffisants pour envisager d’employer un homme libre. Par ailleurs, si l’entretien d’un thrall⁷ ne se révélait pas très onéreux, l’acquisition d’un captif jeune et robuste entamerait fortement les économies du couple. Son choix devrait se porter sur un prisonnier de guerre scandinave ou sur un Slave que des commerçants suédois achetaient à leurs compatriotes. Quoi qu’il en soit, Audar n’appréciait guère le trafic d’êtres humains. Il n’avait accepté l’arrivée de Mira, à la naissance de Snorri, que pour faire plaisir à Berthilde. Günhild avait tenu à offrir à sa belle-fille cet original cadeau de naissance. Le maître de maison considérait son ambat comme un membre de la famille et ne tolérait pas que quiconque lui manque de respect.
— Nous étudierons cela demain ! Pour l’heure, buvons à notre réussite ! conclut Audar.
— Oui, et si tu es d’accord, nous parlerons de Verden⁸ à Snorri, le moment est venu…
— Nous verrons, la nuit est mère de conseil.
Du sang saxon coulait dans les veines de ses enfants. Audar savait, pour en avoir souvent discuté avec Dagmar, qu’il ne quitterait pas Midgard sans avoir transmis, au moins à son petit-fils, l’histoire récente de son peuple. L’artisan avait réussi à reculer l’échéance, mais Snorri serait bientôt un homme et il voyait que les jours de son beau-père semblaient désormais comptés.
Debout les premiers, le chef de famille et Mira savourèrent leur bol de lait de chèvre en silence. Il aimait ces moments de calme avec cette femme mûre dont la sagesse lui apportait tant. Étrangement, elle affirmait que les dieux avaient fait d’elle une esclave dans ce but, et que sa venue dans ce foyer ne devait rien au hasard. Elle savait que son destin croiserait celui d’un homme important. Audar comprenait bien qu’il n’était pas cet homme-là. Même Hilgard, le simple d’esprit du village, connaissait la complicité qui unissait Snorri et Mira. Alors qu’il était perdu dans ses pensées, l’artisan n’avait pas vu l’ambat se lever et préparer un panier de victuailles. Lisant son étonnement dans ses yeux, elle s’en expliqua :
— Ces quelques provisions ne me semblent pas excessives pour deux hommes et un adolescent plein de vie. Dagmar te l’a dit : vous devez parler à ton fils ! Tu ne peux pas le couper de ses racines, du sang saxon coule dans ses veines et il doit savoir pourquoi les dieux ont choisi de le faire naître ici.
— Comme toujours, tu as raison, Mira ! La journée s’annonce belle et nous irons chercher du bois flotté. Il serait bien surprenant que Snorri ne profite pas de l’occasion pour questionner son grand-père. J’ai cru comprendre qu’il le faisait de plus en plus souvent ces derniers temps.
Quelques minutes plus tard, Dagmar apparut. En l’absence de Günhild, Geri, le chien, occupait sa place dans le lit conjugal auprès de son maître. Il lui offrait des réveils bien moins tendres, mais très efficaces. Pas question de lambiner ; un rai de lumière ou le premier chant d’un coq s’accompagnait d’un appel du ventre qui ne pouvait attendre. L’animal devait son nom à la voracité dont il avait toujours fait preuve. Devant l’appétit du chiot et ses faux airs de loup, Dagmar avait choisi de lui donner le nom d’un des protecteurs d’Odin. De pure race Jämthund, ce chasseur de gros gibier lui avait été offert par le roi Halfdan en personne, cinq ans auparavant. Sa corpulence et sa robe lupine lui valaient la crainte de tous ceux qui ne le connaissaient pas. En vérité, sa férocité à la chasse n’avait d’égale que sa douceur envers les humains. C’était sans doute là le résultat d’une ancestrale reproduction sélective. De génération en génération naquit ce singulier caractère qui alliait la puissance du traqueur d’ours à la tendresse de l’animal de compagnie. Geri illustrait parfaitement ce phénomène.
Après avoir englouti la carcasse d’une oie sauvage, reliquat du repas de la veille, le chien se dirigea vers le banc qui servait de couche à Snorri. D’un coup de truffe bien ajusté, il souleva l’épaisse couverture de laine et gratifia la joue de l’adolescent d’un baveux léchage. S’en suivit un aboiement qui indiquait, sans équivoque, au jeune homme que l’heure du lever avait sonné. Les cheveux en bataille, le garçon se redressa.
— Tais-toi, sale bête, et lâche cette couverture ou je te botte le derrière !
Les témoins de la scène éclatèrent de rire.
— Au pied, Geri ! ordonna Dagmar.
Docile, le chien obéit, manifestement à regret. Lorsqu’il fut sorti des brumes du sommeil, Snorri rejoignit les adultes pour prendre le dagverdr⁹, le traditionnel repas du matin. Audar informa alors son fils du programme de la journée.
— Les dieux nous offrent un beau soleil, fiston. Ton grand-père et moi irons chercher du bois flotté au bord de la mer. Tu nous accompagneras, ainsi que la « sale bête ».
Le rouge aux joues, le garçon acquiesça alors que ses mains se noyaient dans l’épaisse fourrure de l’animal qui ne semblait pas très rancunier.
— Je pourrai apporter mon arc pour m’entraîner ?
— Tu peux même nous rapporter le repas du soir, glissa malicieusement Berthilde.
— Une grue me conviendrait, précisa Mira.
— D’accord pour l’arc, Snorri, quant à la grue, rien n’est moins sûr. Peut-être rencontrerons-nous plutôt quelques eiders bien dodus ?
Dès lors, les trois hommes réunirent leurs affaires et, précédés de Geri, prirent la direction de la plage. Laissant l’embarcadère sur leur gauche, ils empruntèrent le chemin côtier jusqu’aux premiers rochers. Coincés entre les grosses pierres, ils trouvèrent une belle quantité de bois blanchis par le sel marin. Au fur et à mesure de leur progression, ils abandonnaient derrière eux les tas de branchages qu’ils récupéreraient au retour. Au comble de l’excitation, Geri alternait les courses effrénées sur la plage et les bains dans lesquels il aurait bien voulu entraîner ses maîtres. Dagmar avait toutes les peines du monde à l’en dissuader.
— L’eau est trop froide pour nous, tu devras attendre l’été prochain pour que l’on nage avec toi.
— Viens avec moi, nous allons débusquer les canards !
Snorri avait trouvé comment canaliser l’énergie du chien de chasse. Certes, les volatiles ne représentaient pas son gibier de prédilection, mais il devinait que le jeune humain avait besoin de lui. Il commença à renifler l’air. Ses oreilles tendues étaient à l’affût du moindre son évocateur. Il se mit en quête presque aussitôt. Bien que les effluves iodés de la mer perturbent quelque peu son odorat, il se dirigea vers les berges de la petite rivière qui se jetait dans les flots, quelques centaines de mètres plus loin. Il stoppa net. Le museau pointé droit devant, l’antérieur gauche levé, il indiquait à Snorri qu’il avait effectué sa part du travail. L’adolescent avança alors à contrevent, comme son grand-père le lui avait enseigné, vers le gros buisson que le chien lui désignait de la truffe. Derrière le muret végétal, un couple de grandes aigrettes se pensait à l’abri avant d’entamer sa migration. Le garçon savait que, sans Geri, il ne les aurait sans doute pas débusquées. Il chassa ces idées de son esprit pour se concentrer sur sa cible. Il visa le plus gros des deux oiseaux à la base du cou afin que sa flèche transperce le thorax. Deux secondes après, le sang rougit la robe immaculée de l’animal. Tout à sa joie, Snorri ne vit pas la deuxième aigrette tomber du ciel, mortellement touchée par le tir de fronde de son père.
— Bravo, les enfants ! s’écria Dagmar, Snorri, je n’ai plus rien à t’apprendre dans ce domaine. Quant à toi, Audar, tu m’étonneras toujours avec ce drôle d’outil.
— Tu sais bien qu’en dehors de mes marteaux et de mes ciseaux, c’est la seule arme qui me convienne. Les dieux m’ont préservé de la guerre et mon travail ne me laisse que peu de loisirs pour m’entraîner au maniement d’autres instruments.
— Mère et Mira seront contentes et mes sœurs pourront se montrer fières de moi.
— Tout à fait, mon garçon ! Maintenant, nous allons manger et nous reposer. Après, ton grand-père nous racontera la suite de la bataille du Süntel.
Snorri savait que ce jour approchait depuis qu’il avait fêté ses douze printemps. À présent, il ne lui restait plus que quelques minutes à attendre, les plus longues de sa jeune existence. En avalant machinalement quelques bouchées de pain et de viande séchée, il réalisa que la collecte de bois flotté n’était qu’un prétexte pour l’isoler de ses sœurs. Berthilde avait consenti à ce que son garçon soit instruit de l’histoire saxonne, mais s’y opposait fermement concernant les filles. Elle souhaitait qu’à son image elles intègrent sans retenue la société scandinave.
— Tu manges trop, grand-père, tu risques de t’endormir dans quelques minutes !
— Ne sois pas impertinent, le coupa Audar en réprimant un sourire.
— Encore une rasade de cette bonne bière et je serai tout à toi, mon impatient petit-fils.
Bien que la température de cette belle journée automnale s’avérait très douce, Dagmar avait allumé un petit feu, en bordure de la plage, pour se mettre dans l’ambiance. Snorri, assis en tailleur, attendait maintenant en silence. Geri avait compris que le temps n’était plus aux jeux et s’était endormi, la tête bien posée sur la cuisse du jeune maître.
— Comme tu l’as si bien dit à ta sœur : une bataille n’est pas la guerre ! Au soir de la victoire, l’euphorie régnait dans nos rangs. Widukind s’employa à raisonner les chefs de tribus qui souhaitaient attendre sur place l’arrivée de Charlemagne. Pourtant, si nous avions vaincu cette avant-garde de l’armée ennemie, c’était plus par stratégie que par la force. De plus, nous ne déplorions, certes, que peu de morts, mais beaucoup de blessés ne seraient plus en mesure de combattre avant de longues semaines. Après une interminable journée de palabres, nos responsables décidèrent de dissoudre nos troupes. Widukind demanda à chacun de rester discret, de se soigner et de se reposer en attendant la prochaine opportunité d’infliger des pertes aux Francs. Selon lui, seule une guerre d’usure pourrait libérer un jour la Saxe du joug carolingien.
— Et tu es rentré au Danemark ?
— Pas immédiatement. Mon chef souhaitait reprendre quelques forces dans son village d’origine et y entraîna sa garde personnelle. Sans le savoir, il nous sauva la vie.
— Comment cela ?
— Le roi franc avait été prévenu bien avant que tous nos combattants ne fussent arrivés en lieu sûr. Le souverain connaissait la plupart des dirigeants qui s’étaient révoltés. Ils lui avaient tous prêté allégeance dans les années passées, après avoir reçu le baptême chrétien. Charlemagne cria au parjure, légitimant de la sorte les actes de vengeance qu’il projetait.
— Tu me fais peur, grand-père !
— Tu peux, Snorri. Dans un premier temps, le despote fit arrêter ceux qu’il tenait pour responsables de la rébellion et après un simulacre de procès religieux, tous furent exécutés.
— Sans pouvoir se défendre, c’est ignoble !
— Au-delà de leur participation à la bataille du Süntel, c’est leur retour à nos croyances qui leur valut de perdre
