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Coup de foudre à l'aveugle
Coup de foudre à l'aveugle
Coup de foudre à l'aveugle
Livre électronique286 pages3 heures

Coup de foudre à l'aveugle

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À propos de ce livre électronique

« C’est la personne parfaite pour toi, je te le promets ! »
Cette phrase, j’ai entendu ma sœur la prononcer des dizaines de fois. Comme je cherche l’amour depuis long-temps, elle s’est proposée pour me venir en aide, et j’ai accepté. Quelle erreur ! J’étais loin de me douter qu’elle m’organiserait des blind dates plus ridicules les unes que les autres. Mais moi, Louis Dupras, dessinateur, mauvais rénovateur et, surtout, éternel romantique, je ne peux me résoudre à abandonner.
C’est pourquoi, quand Gaëlle me fait de nouveau cette promesse, malgré mes appréhensions, je décide de lui faire confiance une dernière fois.
Si j’avais su ! Ce rendez-vous allait tout changer…
LangueFrançais
ÉditeurÉditions de Mortagne
Date de sortie31 janv. 2024
ISBN9782897925789
Coup de foudre à l'aveugle
Auteur

Samuel Champagne

Samuel Champagne est postdoctorant en sciences sociales à l'Université Laval. Il travaille sur le concept inédit du «coming-in» (l'entrée dans le placard). Il s'intéresse notamment aux milieux de vie et structures familiales influençant la construction identitaire des adolescent(e)s homosexuels-les, bisexuels-les et lesbiennes. Sa thèse en recherche-création sur le thème du placard en littérature destinée aux adolescents et jeunes adultes a obtenu le prix de la meilleure thèse. Il est l'auteur de douze romans jeunesse et d'un ouvrage pour adulte, en plus d'avoir publié plusieurs nouvelles et articles. Il a été l’invité d'honneur au Salon du Livre de Montréal en 2018, récipiendaire de la bourse Dorais-Ryan en 2015, du prix AQPF-ANEL en 2015, du prix Relève du CMCC en 2016, d'une bourse de recherche du FRQSC en 2018 et du prix Espiègle en 2019. Auteur au talent d’écriture évident, ses histoires touchent notre sensibilité et permettent à tous de comprendre et d’accepter la complexité de l’humain que nous sommes.

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    Aperçu du livre

    Coup de foudre à l'aveugle - Samuel Champagne

    Louis

    Est-ce que tu penses que je vais devenir l’équivalent d’une vieille dame qui n’a que son chat pour compagnie et qui, même si elle le voulait vraiment, ne vivra jamais de grand amour ?

    Joliane

    Bon, qu’est-ce qui se passe ?

    Louis

    Date désastreuse, hier. Figure-toi donc que la femme que j’ai rencontrée pensait que j’étais là pour une entrevue pour un poste de comptable.

    Mettons que 1 + 1 a pas fait deux.

    Joliane

    Attends que j’arrête de rire.

    Je te réponds tout à l’heure.

    Louis

    C’est pas drôle, Jojo ! Les rendez-vous que Gaëlle m’organise sont de plus en plus ridicules.

    Joliane

    Pourquoi tu te laisses faire, alors ? Tu sais bien que notre sœur a pas toutes les cellules dans son cerveau pour prendre de bonnes décisions. Elle en a dans sa poche gauche, dans son sac à dos, sous son lit…

    Louis

    Elle m’aide à trouver l’amour, c’est ça, le deal  ! Et puis, c’est notre petite sœur, que veux-tu que je fasse ?

    Je peux pas dire non. D’où ma question :

    je vais devenir une vieille dame aux chats ?

    Joliane

    Vieille dame, non, mon Loulou. Je te confirme que non.

    Mais si tu peux pas résister à Gaga, t’es dans la merde.

    Louis

    Voyons, pourquoi c’est si dur de trouver quelqu’un avec qui partager ma vie ? Me semble que je suis un bon gars !

    Joliane

    C’est pas un argument, ça. Même les pas bons gars peuvent être en couple.

    Louis

    Wow, c’est encourageant, ç’a pas de bon sens. En tant que grande sœur qui rassure, laisse-moi te dire que tu fais mal ta job. Selon toi, il me faudrait quoi de plus, alors ?

    Joliane

    Aucune idée. Peut-être que tu cherches pas à la bonne place.

    1

    Un échec de plus

    S’il existe bien deux choses qui ne vont pas ensemble, ce sont un marteau et une jointure de pouce. Je le réalise une fois de plus quand le clou que je tenais maladroitement entre mon index et mon pouce glisse de mes doigts et que le marteau que j’essayais de maîtriser de l’autre main vient frapper ladite jointure. Avec un juron qui aurait horrifié ma grand-mère, je laisse tomber l’outil de malheur. Le bout de bois que je devais fixer chute à sa suite… gravité oblige. Ils frappent respectivement mon pied gauche et mon genou droit.

    — C’est une joke ou quoi ? que je grommelle rageusement.

    Je secoue ma main endolorie dans l’espoir d’en chasser l’élancement et je marche à travers le fouillis de planches et d’outils.

    Gaëlle m’avait bien dit que je n’avais aucune aptitude de rénovateur.

    — Tu sais rien fabriquer, Lou ! a-t-elle dit quand je lui ai expliqué mon projet. T’as même jamais aimé les Lego ! T’as autant de talent pour la construction que moi pour te foutre la paix, c’est-à-dire zéro !

    Il est vrai que ma sœur cadette (d’un an et demi seulement) n’a jamais eu la capacité de me laisser faire mes propres choix, me donnant constamment son opinion et ses conseils (opinion inappropriée et conseils ridicules, d’ailleurs). Mais, cette fois, du haut de mes vingt-neuf ans, j’ai décidé de faire fi des recommandations de Gaëlle et d’acheter ce local à moitié en ruine pour en faire un café destiné aux artistes. Joliane, mon autre sœur de six ans mon aînée, la voix de la raison, celle vers qui je me tourne quand j’ai besoin de conseils sérieux, est restée silencieuse un petit moment lorsque je lui ai annoncé mon projet, avant de lâcher : « Ça pourrait marcher. »

    — « Pourrait » ? ai-je répliqué. Le conditionnel veut dire peut-être que oui, peut-être que non, je te rappelle.

    — Je suis pas Jojo Savard, je sais pas si ça va fonctionner. Mais je pense que t’es probablement capable de réaliser ce projet.

    — « Probablement » ! C’est comme un coup de pied au cul, ça. C’est censé t’encourager, mais ça fait plus mal qu’autre chose…

    — Mon Loulou, a ajouté ma sœur en rigolant, j’admire ce que tu fais. T’es un génie, un mâle alpha qui va tout bâtir comme le dieu de la construction que t’étais toujours supposé devenir. Seulement, c’était très, très, très, très bien caché au fond de ton petit cœur d’intello pas manuel pour cinq sous. Mais là, ô homme viril, ça va ressortir en force, je te le promets ! Ça te va comme encouragement ?

    — Mouais, ai-je répondu, peu convaincu, mais assez satisfait malgré tout.

    Cependant, à ce moment précis, alors que je sautille sur un pied en tétant ma jointure comme si ma salive allait engourdir la douleur, j’ai envie de l’appeler et de lui crier : « Pourquoi tu m’as laissé faire ça, maudite folle ? »

    Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir ouvrir un café, alors que je ne connais presque rien au service à la clientèle, à l’entrepreneuriat et même au café tout court ? Pire : pourquoi acheter un endroit où tout est à faire ? Ce sont les questions que je me pose depuis deux semaines, depuis que j’ai pris possession de ce lieu et que je me suis rendu compte que mes rêves romantiques de rénovation ne se réaliseront jamais. Je ne serai pas le genre d’homme en bottes de travail pleines de poussière qui dégaine sa perceuse et la rengaine d’un geste souple du bras, tout en faisant un mouvement sensuel de la tête pour replacer ses cheveux. Si j’essayais, je me perforerais la cuisse à coup sûr.

    Non, je n’ai pas l’instinct du rénovateur.

    « Mais tu as de l’âme », dirait ma mère.

    — Comme si avoir de l’âme allait m’aider avec tout ça, que je marmonne en massant mon genou.

    Et puis, ça veut dire quoi, avoir de l’âme ? Il faudra que je le lui demande parce que là, maintenant, mon âme a besoin de vacances.

    Je me laisse tomber sur une chaise et je regarde ma dernière erreur. Enfin, mon dernier choix. Choix discutable, mais un choix tout de même. J’observe mon local, la structure des murs, les fils et les tuyaux. Les grandes fenêtres de la façade et du côté droit sont couvertes de papier brun, empêchant les passants de voir à l’intérieur. Heureusement, puisque la salle de bain n’a pas de cloisons. On pourrait dire que c’est une toilette moderne à aire ouverte, mais je doute que cela attire les clients.

    J’essaie d’imaginer de quoi aura l’air le Café des Rêveurs une fois que j’aurai terminé les rénovations (si je survis jusque-là). L’emplacement de la boutique, au coin de la rue, permettra à n’importe qui d’admirer les œuvres qui seront exposées sur le grand mur du fond. Des chandeliers électriques au plafond et les tuyaux apparents donneront un air industriel et chic à l’endroit. Je pense offrir des sandwichs, des muffins, des viennoiseries et, bien sûr, du café, mais je n’ai pas l’intention d’avoir un menu très élaboré. Il s’agira davantage d’un espace où tout artiste pourra venir travailler, un lieu où la créativité sera reine, où les idées les plus farfelues et idiotes seront célébrées.

    — Comme celle d’ouvrir un café alors que mon emploi, c’est de dessiner des personnages pour des albums jeunesse… Très logique.

    Depuis la fin de mes études, je suis dessiNateur pigiste et je travaille avec plusieurs maisons d’édition ainsi que des magazines. J’adore mon boulot, qui me permet de mettre des couleurs sur les mots des auteurs. J’ai collaboré à beaucoup de livres ; ma bibliothèque est tellement remplie d’ouvrages pour les enfants qu’on croirait que je vais ouvrir une garderie. Mon travail n’est pas glamour, je ne suis pas une tête d’affiche, je ne vais pas dans les salons du livre et tout ça, mais il me convient.

    Je tiens cette fibre artistique de mon père, qui était caricaturiste, comme on en voit au Vieux-Port de Montréal ou à la Place des Arts. Il était la figure même de l’artiste qui meurt de faim, incapable de vivre de son art. Il aurait voulu dessiner dans les journaux, créer des BD, mais la carrière dont il rêvait n’a jamais pris son envol et est restée les deux pieds plantés au sol. Il souhaitait que tous les artistes aient un endroit à eux ; les bons, les moins bons, les célèbres et les inconnus. Surtout les inconnus. Ce café, c’était son idée. Mon père avait toujours tout plein d’idées, mais peu de moyens pour les réaliser.

    Ce qu’il avait, par contre, c’était une excellente assurance vie. À son décès, il y a quinze ans, il a tout légué à Gaëlle, Joliane et moi. C’est avec cet argent que je me suis finalement lancé dans ce désastre… Pardon, dans ce projet. J’ai bien l’intention de le concrétiser, d’ouvrir ce café en l’honneur de mon père parti trop tôt, même si, pour ce faire, je dois ensuite avoir recours à une greffe de rotules, de pieds, de doigts et de santé mentale.

    Je retourne vers le marteau allergique aux clous, mais amoureux des jointures, pour enfin terminer la construction du cadre de la porte menant à l’arrière-boutique. Je viens tout juste de reculer pour admirer le travail lorsque mon téléphone sonne, à l’avant du magasin. La sonnerie, un extrait de Radio Ga Ga, une chanson de Queen, a eu le temps de jouer quatre fois quand je décroche. On dirait qu’un Home Depot a explosé sur mon plancher.

    — T’étais loin ! s’exclame Gaëlle. J’allais abandonner.

    — Je crois me souvenir que t’as déjà laissé sonner pendant une heure pour commander une poutine. Une heure !

    — J’étais jeune, dans ce temps-là.

    — C’était l’an passé.

    — Un détail, réplique ma sœur. Alors, t’es prêt pour ton rendez-vous ?

    Rendez ?… J’éloigne le téléphone de mon oreille pour regarder l’heure. Merde !

    — T’avais encore oublié ? Voyons, Lou !

    Je mets l’appel sur haut-parleur, puis je retire mon chandail et mon pantalon. En boxeur, je me dirige vers mon sac à dos, dans lequel j’ai rangé des vêtements propres.

    — J’avais pas oublié, c’est juste…

    — Que t’avais oublié.

    — Pourquoi t’es aussi chiante, hein ? que je demande en enfilant un polo.

    — Parce que j’ai toujours raison. L’autre jour, tu t’es pointé avec un chandail plein de poussière et du sang sur le front !

    Je marmonne un truc à propos d’un tuyau trop bas qui m’aurait attaqué, mais Gaëlle ne m’écoute pas. Rien de nouveau sous le soleil.

    — Et la fois d’avant, insiste-t-elle, t’y es tout simplement pas allé !

    — Bon, que je soupire en attachant les boutons de mon pantalon, je suis vraiment dans le jus. Désolé d’avoir la tête ailleurs, OK ?

    — Ouais, grommelle Gaëlle. En tout cas, grouille ! Tu vas la faire attendre, et ça part mal une grande histoire d’amour quand un des deux vit dans un autre espace-temps !

    — Je me dépêche, je me dépêche !

    — Allez, petite gazelle sauvage, cours vers…

    Je n’entends pas vers quoi je devrais gambader. J’ai raccroché. Gaëlle a raison sur un point : il y a longtemps que j’ai perdu espoir de trouver l’âme sœur lors de ses rendez-vous arrangés, donc je n’y accorde pas autant d’énergie que je le devrais.

    Je m’observe dans le petit miroir carré que j’ai collé près de l’entrée pour éviter de répéter l’épisode « sang sur le front ». J’aurais aimé prendre une douche, mais si je ne me dépêche pas, je vais vraiment être en retard. Je ne veux pas gâcher mes chances avant même d’avoir mis un pied dans le restaurant. En refermant la porte du local derrière moi, je songe que, comme d’habitude, ce rendez-vous ne mènera sûrement nulle part. Comme les vingt-deux précédents. Cela dit, bien que l’espoir que cette rencontre fonctionne soit quasi inexistant, il y a une toute petite part de moi, grosse comme un microbe, qui me souffle que, peut-être…

    Jamais je ne l’avouerai à ma sœur, mais j’en ai plus qu’assez d’essayer de trouver l’amour à coups de dates et de sorties au cinéma. Gaëlle ne voudrait rien entendre, elle est aussi bornée qu’un enfant qui fait une crise de bacon pour avoir des bonbons à huit heures du matin. J’ai parfois l’impression que ma vie sentimentale est le truc le plus important de son existence. Pourtant, elle est une célibataire endurcie et ne cesse d’affirmer qu’elle n’a pas besoin de partenaire pour être épanouie. Mais elle veut me caser à tout prix. C’est à n’y rien comprendre.

    Ce n’est pas que ma sœur n’a pas de goût, loin de là. Elle a une quantité incroyable d’amies, de collègues et autres femmes célibataires qu’elle tient à me présenter, convaincue que dans le lot se trouve l’élue. J’en suis moins certain ; il me semble que l’amour ne se force pas.

    J’ai bien essayé les sites de rencontres, mais j’estime le tout vraiment artificiel, comme les médias sociaux. On n’y montre souvent que le joli ou l’un peu moins beau, jamais les gros échecs ou les doutes. Enfin, selon mon expérience.

    Mon téléphone vibre dans ma poche et produit un petit bruit de bouteille qu’on débouche. Un texto. Sûrement Gaëlle qui veut s’assurer que je suis en chemin… Mais non, c’est mon meilleur ami Nathan. Il me demande si je souhaite passer la soirée chez lui. Plutôt que de texter en marchant et de me casser le nez sur un poteau de signalisation ou de me faire aplatir par un autobus de la STM, je décide de l’appeler.

    — J’ai une date, que je lâche avant même de le saluer.

    — T’as l’air aussi enthousiaste qu’un croque-mort sans caféine.

    — Ça veut dire quoi, ça ?

    Nathan utilise toujours des expressions ridicules et des comparaisons qui n’ont aucun sens. Ça fait partie de son charme, je suppose. Et du charme, il en a à revendre. Je crois que, objectivement, je suis assez attirant. Je suis grand et j’ai les cheveux couleur chocolat au lait, les yeux bleus, un nez fin au bout un peu rond ainsi que des traits carrés. Pourtant, je passe pour un vilain petit canard à côté de Nathan. Diminutif : Nate, c’est bien plus viril. Comme s’il avait besoin d’un prénom sexy ! Avec ses épaules larges et sa peau basanée, il a quelque chose qui attire irrémédiablement toutes les femmes dans un rayon de dix kilomètres. Si Nate cherchait l’amour, il l’aurait trouvé. Mais il ne cherche pas. Il préfère les histoires sans lendemain. Entre Gaëlle, Nate et moi, je suis le seul qui aimerait construire quelque chose de sérieux avec quelqu’un. Et puis, il y a Joliane, en couple depuis plus de dix ans, mariée même. Elle est la preuve que tout n’est pas perdu.

    — Que ç’a pas l’air de te tenter, c’est tout, répond Nathan. Viens ici, Gertrude.

    Gertrude est sa chienne, un minuscule carlin aux gros yeux qui, si elle était relâchée dans la nature, ne survivrait pas deux secondes. Un animal qui mange des bouts de lacets a quelques problèmes avec son instinct de conservation, selon moi. Sans détester les chiens, je préfère de loin les chats.

    Je tourne le coin de la rue et j’aperçois, au loin, l’enseigne brillante du restaurant.

    — C’est pas que ça me tente pas, que je réplique. C’est que je connais pas cette fille.

    — Tu connais aucune des filles que ta sœur te présente.

    — Bon point.

    — Elle ressemble à quoi ? me questionne Nate.

    — Aucune idée.

    — T’as même pas demandé ?

    Sa voix scandalisée me fait rire. Oui, l’apparence est importante, et je mentirais en affirmant que je n’ai pas certaines préférences physiques, mais s’il y a un truc que j’ai appris de toutes ces blind dates ratées, c’est que, parfois, une personnalité attachante et intéressante vaut tous les critères de beauté du monde. J’ai rencontré des femmes à qui je n’aurais peut-être jamais adressé la parole, soit parce que je ne les désirais pas au premier coup d’œil, soit parce que je les trouvais trop belles pour moi. Certaines m’ont donné le goût de me lancer, et bien que ces relations n’aient pas fonctionné, je suis resté en contact avec plusieurs. À défaut de dénicher le grand amour, j’ai hérité de quelques amies.

    — Qu’est-ce que ç’aurait changé que je demande ? Gaëlle m’aurait obligé à y aller quand même.

    — Ta sœur est badass, réplique Nathan. Elle me fait peur.

    Cette fois, je ris franchement. Gaëlle fait peur à beaucoup de gens. Moi inclus.

    — Je te laisse, je suis arrivé.

    — Have fun, Lou ! Tu me raconteras. C’est peut-être elle, la bonne !

    Je raccroche en levant les yeux au ciel, qui est rempli de nuages gris. La bonne ? J’en doute. Nathan tente de se montrer encourageant, même s’il ne désire pas la même chose que moi. C’est la marque d’un véritable ami. Après tout, on se connaît depuis plus de vingt ans. Nous deux, c’est pour la vie.

    Ma marche rapide jusqu’au restaurant et le vent d’automne m’ont affreusement dépeigné. Les cheveux ébouriffés, j’entre dans l’établissement avec dix minutes de retard.

    Je scanne les tables du regard. Je cherche une femme seule et en colère parce qu’on l’a fait attendre, ou qui semble anxieuse à l’idée qu’on lui a posé un lapin. Poser un lapin… Voilà une expression digne de Nathan ; elle n’a aucune logique, quand on y pense.

    Depuis le temps que je me rends à des blind dates, j’aurais dû établir un système de reconnaissance, comme dans les films. Une rose ou un livre, n’importe quoi ! Au lieu de ça, je me retrouve toujours à chercher l’inconnue qui m’attend.

    Je m’approche finalement, en souriant, de l’unique femme seule que j’ai remarquée. Elle est assise près de la fenêtre et pianote sur son cellulaire.

    — Bianca ? que je demande, incertain.

    Le mystère est résolu quand elle se lève et m’ouvre les bras pour une embrassade. Je n’amorce jamais ce geste. Grandir avec une mère célibataire, une sœur psychologue et une sœur bulldozer m’a appris un truc ou deux…

    J’embrasse Bianca sur les joues quand elle tend son visage vers moi. Elle est jolie, assez jeune, mais plus vieille que moi, de toute évidence. De courts cheveux blonds, un peu trop de maquillage, mais rien d’aussi dramatique que l’amie d’une amie d’une amie de ma sœur avec qui je suis sorti l’an dernier. Sa peau en était tellement couverte que son fard s’est fissuré lorsqu’elle a ri à l’une de mes blagues. Elle s’est sauvée en courant, honteuse, le fond de teint craquelé s’effritant à chaque pas. La pauvre… Moi, j’aime la beauté naturelle des choses. Rien n’est parfait, et c’est ce qui me plaît.

    — Pardon du retard…

    — Pas de problème, dit-elle, j’ai répondu à quelques courriels professionnels.

    — Tu travailles dans quel domaine ?

    Question habituelle, sécuritaire, la première qu’on pose quand on apprend à connaître quelqu’un. Parfois, je me demande pourquoi on ne s’intéresse pas tout de suite à la philosophie de vie de l’autre personne. C’est le plus révélateur, non ? Plus qu’un métier, il me semble. Mais bon, qu’est-ce que j’en sais ? Je suis encore célibataire, après tout.

    — Je suis juriste,

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