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L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX: Incarcéré à tort dans la pire prison au monde
L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX: Incarcéré à tort dans la pire prison au monde
L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX: Incarcéré à tort dans la pire prison au monde
Livre électronique388 pages5 heures

L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX: Incarcéré à tort dans la pire prison au monde

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À propos de ce livre électronique

En décembre 1994, la vie du Québécois Stéphan G. Zbikowski tourne au drame. Pensant débuter avec sa famille une carrière prometteuse dans le concassage de quartz au Vénézuéla, il est vite arrêté pour avoir chargé des contenants qui, à son insu, avaient été remplis de cocaïne...

Malgré l'absence de preuves, Stéphan est incarcéré à La Maxima de Carabobo, prison surnommée Le Monstre, où les détenus sont confinés dans de minuscules cellules surpeuplées, infectes et insalubres. L'endroit lugubre est infesté de moustiques, de coquerelles et de rats. Les hommes sont sauvagement battus et vivent dans la noirceur quasi totale.

Alors que sa mère tente l'impossible pour le libérer de ce calvaire, personne ne peut avoir la certitude qu'il en sortira vivant…

L'espoir succède au désespoir dans ce témoignage poignant qui nous fait voir notre liberté d'un nouvel œil et apprécier la proximité de ceux qui nous sont chers.
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2017
ISBN9782894315484
L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX: Incarcéré à tort dans la pire prison au monde
Auteur

Stéphan G. Zbikowski

Stéphan G. Zbikowski et sa mère nous livrent ici l’effroyable témoignage de son emprisonnement et des sévices qui lui sont infligés dans la pire prison au monde. Dans un système carcéral corrompu où règne l'injustice, il nous décrit son quotidien insoutenable tandis que Françoise Soucy y relate ses nombreuses tentatives pour délivrer son fils innocent. S’accrochant à sa famille, Stéphan est parvenu à surmonter cette épreuve infernale. Il profite maintenant pleinement de sa liberté aux côtés de ceux qui lui sont chers.

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    Aperçu du livre

    L' ENFER DERRIERE LES BARREAUX - Stéphan G. Zbikowski

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Zbikowski, Stéphan G., 1963-

    L’enfer derrière les barreaux : incarcéré à tort dans la pire prison au monde

    ISBN 978-2-89431-548-4

    1. Zbikowski, Stéphan G., 1963- - Emprisonnement. 2. Erreur judiciaire - Venezuela. 3. Prisonniers - Venezuela - Biographies. I. Soucy, Françoise, 1939- . II. Titre.

    HV9632.5.Z34 2017 365’.6092 C2017-940955-7

    Photo de la couverture : Graphe Studio

    © 2017 Les éditions JCL

    Les éditions JCL bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    ReconnaissanceCanada.tif

    Édition

    LES ÉDITIONS JCL

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    messageries-adp.com

    Distribution en France et autres pays européens

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    asdel.ch

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    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2017

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale de France

    Enfer_derriere_les_barreaux_page_titre.jpg

    Difficile de parler de la joie d’être libre

    sans avoir connu l’amertume de la prison…

    Dans ce témoignage, les noms ont été changés

    pour préserver l’anonymat des personnes.

    1

    Stéphan

    Puerto Ordaz, Vénézuéla

    Je suffoque… Pourtant, les vitres de la camionnette sont ouvertes et je roule à cent kilomètres à l’heure. Nous sommes le vendredi 16 décembre 1994. Il est dix-huit heures. Je suis en route vers notre propriété de Saint-Félix située aux abords de la rivière Caroni dans l’est du Vénézuéla. Le vaste terrain de cette belle demeure est garni de cocotiers, de manguiers et de plusieurs autres arbres fruitiers. Près de la maison, il y en a une autre, plus petite, conçue pour un gardien ou des visiteurs. Un immense garage près de l’entrée et une piscine hors-terre en forme de guitare située dans la cour arrière viennent ajouter du cachet à cette magnifique propriété. Quand mon père l’a achetée, c’était une aubaine : vingt mille dollars.

    Une fois le domaine nettoyé et réorganisé, ce serait un véritable paradis. Le seul inconvénient : son emplacement. Il se trouve dans un ghetto ou barrio comme on dit en espagnol. Ce n’est pas un secteur particulièrement violent ni dangereux mais très pauvre. La structure de la plupart des maisons est montée avec de petits troncs d’arbres. En guise de murs, de la tôle clouée aux troncs. Quelques-unes sont construites en blocs de béton dont l’architecture varie selon l’humeur du jour. Et rien n’est jamais terminé…

    Les égouts se déversent dans les rues où jouent les petits enfants nus et sales. C’est triste, car de l’autre côté de la rivière, à Puerto Ordaz, on ne voit pas ça. Au Vénézuéla, c’est ainsi : on est à l’aise financièrement ou on est pauvre. La classe moyenne n’existe pratiquement pas.

    Mon père effectue des travaux d’amélioration à la propriété de Saint-Félix depuis que je suis retourné au Québec en 1991. En ce moment, il fait agrandir l’entrepôt qui s’y trouve et, comme il est parti pour Montréal hier, il m’a confié la tâche d’effectuer le paiement du salaire de ses employés.

    Ce que je remettrai à chacun d’eux équivaut à moins de cinquante dollars pour une semaine de travail en construction. Mais ils seront heureux, car cette rémunération est bien supérieure à celle que reçoivent la plupart de leurs compatriotes pour le même genre de boulot.

    Les ouvriers ne verront pas mon père pendant quelque temps… Je m’inquiète, car la semaine prochaine, il subira, à Montréal, une intervention chirurgicale majeure consistant à l’ablation d’une tumeur cancéreuse au côlon. Ce diagnostic a été posé par nos médecins du Québec, il y a deux mois, c’est-à-dire en octobre 1994. J’espère que tout se passera bien.

    Le trajet de Puerto Ordaz à Saint-Félix est court. Il s’agit de traverser la rivière Caroni en empruntant le pont du même nom. Je sors à peine de la ville quand mon cellulaire sonne. Luis, le père de la deuxième épouse de mon père, est au bout du fil. C’est lui qui administre le commerce de mon père appelé Lumaca.

    Ledit commerce consiste à acheter à peu près n’importe quoi dans des encans aux États-Unis, c’est-à-dire des moteurs électriques, des compresseurs, des baignoires, des laveuses et des sécheuses industrielles, des moteurs diesels, de la machinerie lourde : bouteurs, grues, etc… Enfin, tout ce qui se présente à bon prix. Le tout est transporté au Vénézuéla, une couche de peinture et… à vendre. De 1987 à 1991, quand je vivais ici, j’étais le responsable de cette entreprise.

    Si je suis revenu au Vénézuéla il y a deux semaines, c’est que mon père m’a communiqué une offre intéressante de la part de M. Alvaro, un des anciens clients de Lumaca. Ce dernier est propriétaire d’un système de concassage de quartz où j’allais effectuer des travaux d’entretien à l’époque, et il veut prendre sa retraite. Nous avions développé une belle amitié et comme il était sans enfants, il me disait souvent que j’étais comme le fils qu’il n’avait jamais eu…

    Il offre de me vendre son entreprise avec un maigre acompte et de lui payer la balance chaque mois avec le rendement jusqu’à ce que le prix de vente soit atteint. Comme les activités de concassage ne peuvent avoir lieu que durant la période de sécheresse (de janvier à avril), nous échapperions aux grands froids de nos hivers québécois et si ça va bien, l’entreprise m’appartiendrait entièrement bientôt. C’est pourquoi cette offre rare a tout de suite plu à mon épouse, qui est Vénézuélienne, et à nos enfants. Alors, j’ai accepté.

    Selon les calculs, à la fin de la saison de concassage, au mois de mai, il me restera plus de cent mille dollars américains. Je pourrai payer la balance de l’achat de l’entreprise et nous pourrons retourner au Québec et y vivre jusqu’au mois de décembre quand la période d’activité recommencera, et ce, pour au moins les dix prochaines années.

    Ma famille et moi sommes installés dans l’un des complexes résidentiels les plus prestigieux de Puerto Ordaz : Los Raudales pour le maigre prix de cinq cent vingt dollars par mois. Notre appartement comprend trois chambres, la climatisation centrale et l’eau chaude (un luxe au Vénézuéla). Du balcon, on a une vue spectaculaire sur la rivière Caroni. De plus, viennent aussi les commodités suivantes : stationnement avec gardiens, club privé avec piscine olympique et pataugeuse, parc pour enfants, terrains de ballon-panier et de tennis, club santé avec poids et haltères, restaurant, bar, etc…

    En ce moment, au septième étage, mes trois fils (cinq ans, sept ans et neuf ans) doivent jouer au Nintendo ou peut-être regarder un film sur vidéocassette. Ma fille (vingt mois) fait probablement de son mieux pour rendre la vie impossible à ses frères ou à sa mère.

    Mes enfants, des créatures si belles, en plein épanouissement, qui veulent tout voir, tout toucher et si on les laisse faire, bien sûr, tout briser ! Comme je les aime…

    Pour réduire les dépenses et augmenter mes profits annuels, mon père m’a recommandé de venir travailler seul au Vénézuéla, mais je ne voulais pas. L’idée de passer cinq ou peut-être six mois loin de ma famille était trop difficile à concevoir. Nous n’avions jamais été séparés pendant de longues périodes et je désirais que ça demeure ainsi.

    Ça m’étonne d’entendre la voix de Luis. Mon cellulaire me suit partout depuis mon arrivée il y a deux semaines et c’est la première fois qu’il m’appelle. Nous nous connaissons bien, mais les problèmes entre la belle-famille de mon père et celle de ma femme font en sorte que nous ne faisons jamais d’efforts pour nous voir.

    — Il se passe quelque chose d’important. Viens me voir à l’entrepôt, me dit Luis.

    — Les employés de mon père attendent leur paye au terrain de Saint-Félix. Je passerai te voir à mon retour.

    — Non, non, non. Les employés peuvent attendre, mais « ceci » ne peut pas attendre.

    — Qu’est-ce qui se passe ?

    — Je n’ai pas le temps d’expliquer, il faut que tu viennes maintenant !

    — Bon, j’arrive.

    Je suis perplexe… Luis est un homme calme. Il ne m’a jamais parlé comme ça et je le connais depuis une dizaine d’années. Que se passe-t-il ?… C’est peut-être un client qui a un problème et Luis veut que ce soit le fils du patron qui vienne le résoudre ? J’arrive environ quinze minutes plus tard et descends de la camionnette pour me diriger vers l’intérieur.

    Le stationnement est de sable tapé. Un mur de blocs de béton de cinq mètres de hauteur et quarante mètres de longueur compose la façade de trois commerces. Lumaca, l’entreprise d’importation de mon père, est celui du centre. Chacun possède une grande porte de fer coulissante d’environ trois mètres et demi de hauteur sur quatre mètres de longueur. La petite enseigne avec lettres noires sur fond blanc installée au-dessus de la porte dit : IMPORTACIONES LUMACA.

    De l’extérieur, par la grande porte, on voit la marchandise entreposée un peu partout sur le plancher de béton. Des moteurs diesels, des machines à sécher industrielles, une machine à souder, ainsi qu’un baril de quarante-cinq gallons servant de poubelle qui déborde…

    Soudainement, un membre de la Guardia nacional, mitraillette braquée sur moi, sort de nulle part et me demande :

    — Vous êtes Tifen Zibouki ? (Mon nom est tellement mal prononcé que je le comprends à peine mais, évidemment, c’est moi qu’il cherche.)

    — Oui, c’est moi.

    — Suivez-moi …

    Il me montre le chemin vers le bureau et je m’aperçois qu’il y a maintenant deux de ses confrères armés jusqu’aux dents derrière moi, qui s’assurent qu’il ne me soit pas possible de m’enfuir. Je m’avance, plus curieux qu’autre chose, mais l’angoisse commence à s’emparer de moi, car je connais ces gens ; je connais bien la Garde nationale…

    * * *

    Quand je suis allé au Vénézuéla pour la première fois, au mois d’août 1983, même si je ne parlais pas la langue espagnole, je comprenais les membres de la Garde nationale qui apparaissaient subitement devant la porte de mon véhicule, surtout dans les postes d’essence où on doit attendre en ligne, et disaient simplement : « Cien bolivares » (cent bolivars) en tendant la main.

    À cette époque, cent bolivars équivalaient à dix dollars (au moment où j’écris ces lignes, sur le marché noir, ça vaut à peine trois cents). Cette situation se produisait souvent et je croyais comprendre qu’il ne fallait pas refuser mais une journée, j’ai fait semblant de ne pas avoir d’argent à part le billet de vingt bolivars avec lequel j’allais payer l’essence. Je n’étais pas d’humeur à subir encore une fois ce genre d’extorsion.

    Ça m’a couté une révision complète de mes papiers et de mon véhicule. Le garde a trouvé, bien sûr, un problème avec mes papiers. La plupart des membres de la Garde nationale n’ont aucun moyen de communication ni de transport, mais, malchance, un camion remorque est passé tout près de nous. Le garde a sifflé et voilà : un remorquage. J’ai eu beau tenter de savoir quel était le problème et demander ce que je pouvais faire pour le solutionner, l’attitude du garde était celle d’un abruti, je n’ai pas réussi à me faire comprendre et il m’a complètement ignoré.

    Le garde est parti dans la remorque avec mon véhicule, mais moi, il m’a laissé là ! Abasourdi, j’ai couru derrière eux un moment et, heureusement, j’ai aperçu un taxi que j’ai pu arrêter en faisant comme si quelqu’un était mourant. J’ai crié, grimacé, gesticulé. Il a vite compris ce qui m’arrivait et m’a dit : « tranquilo… »

    Quel procès une fois rendu ! J’ai passé la journée à attendre et après avoir été bien humilié, j’ai obtenu le suprême privilège de payer cinq cents bolivars (environ cinquante dollars à l’époque), sans reçu bien sûr, pour pouvoir partir avec mon véhicule. Mystérieusement, il ne semblait plus y avoir de problème avec mes papiers…

    De simples épisodes comme celui-là, je pourrais en raconter plusieurs. Mais un des pires fut la journée où la Garde nationale décida de paralyser ceux qui exploitaient illégalement la rivière Caroni pour en extraire l’or.

    Avant de diriger le commerce d’importation de mon père, je construisais une balsa (petite usine flottante conçue pour extraire l’or du fond de la rivière Caroni) près de Puerto Ordaz. Une entente avait été conclue avec les gens qui avaient fait la demande de concesion (concession minière). Quand le permis leur serait accordé, nous allions effectuer l’extraction de l’or et leur remettre vingt pourcent de notre récolte.

    Tout processus administratif est d’une telle lenteur au Vénézuéla que nous avons passé plusieurs années à attendre l’émission de ce permis. Pendant ce temps, de nombreux mineurs ont installé leurs balsas sur ces concesiones et les ont exploitées illégalement.

    La Garde nationale venait régulièrement à la rivière pour paralyser ces hors-la-loi. Leur technique était de retirer les injecteurs des moteurs diesels qui faisaient fonctionner les balsas et d’arrêter les personnes qui se trouvaient à bord des embarcations. Par contre, ils remettaient facilement les injecteurs à ceux qui leur offraient de l’argent et les détenus étaient libérés le jour même. Alors, ça ne réduisait en rien le nombre de mineurs travaillant de façon illégale. Chose étrange, les gardes n’avaient pas les ressources nécessaires pour effectuer ces opérations. Ils devaient emprunter les outils aux mineurs pour leur enlever leurs propres injecteurs et emprunter leurs bateaux pour les arrêter et les transporter jusqu’à la rive pour être incarcérés !

    Les balsas de ceux qui minent illégalement sont très rudimentaires. La plupart du temps, les flottants sont faits de barils et le toit de tôle ne couvre souvent qu’une partie de l’embarcation. Le moteur diesel dont l’huile coule à flots fait tourner une grosse pompe qui aspire l’eau et le matériau du fond de la rivière avec un boyau guidé par un plongeur. Ce mélange de sable et de roches tombe dans un canal d’environ deux mètres de largeur sur trois ou quatre mètres de longueur au fond duquel a été installé du tapis imperméable vert comme celui qu’on utilise au bord des piscines. Trois ou quatre petits troncs d’arbres placés de travers maintiennent le tapis en place et font de petites cascades qui aident à retenir l’or.

    Par contre, la balsa que nous avions construite était selon eux très sophistiquée. Le moteur faisait tourner une pompe hydraulique et un générateur électrique. Toute la machinerie fonctionnait soit à pression hydraulique soit à l’électricité. Les mineurs curieux n’en croyaient pas leurs yeux. Émerveillés de voir cette petite usine flottante, ils venaient souvent l’admirer et poser des questions sur son fonctionnement. Je n’étais pas intéressé à travailler illégalement donc notre balsa restait ancrée à la rive, mais, plusieurs fois par mois, je mettais la machinerie en marche avec de l’eau seulement pour assurer son bon fonctionnement.

    Souvent, j’effectuais cette opération le soir, car de jour, j’étais occupé à autre chose et de toute façon, la noirceur ne m’incommodait pas, car notre balsa était très bien éclairée. Par contre, je n’avais pas prévu ce que les gens s’imaginaient… Quand, le long de la rivière, ils voyaient de loin cette machine, à leurs yeux futuriste, tout illuminée et fonctionnant le soir, ils pensaient que je faisais secrètement et illégalement l’extraction de ce qu’ils appelaient « des matériaux stratégiques ». J’ai appris ça plus tard.

    J’ai aussi appris qu’ils s’en donnaient à cœur joie avec les noms de ces matériaux soi-disant extraits : de la platine, du titane et, croyez-le ou non, de l’uranium ! Même si j’étais ancré à la rive, ils étaient persuadés que j’utilisais un boyau d’une centaine de mètres installé sous l’eau pour rejoindre le centre de la rivière. Cette ignorance les a poussés à me dénoncer à la Garde nationale et un jour, quand je suis arrivé, j’ai trouvé mon moteur General Motors modèle 6-71 ouvert et sans injecteurs. Ceux qui connaissent ce type de moteur sont au fait du travail que représente la remise en place de ces injecteurs.

    Mes employés m’ont appris que la Garde nationale est venue, car quelqu’un a dit que je travaillais illégalement. Au loin sur la rivière, j’ai aperçu un bateau qui revenait avec les gardes et leur chargement de détenus et d’injecteurs retirés des autres balsas. Ils se sont dirigés vers une plage publique tout près de là et j’ai décidé d’aller essayer de récupérer mes injecteurs. Après tout, ils m’avaient déjà vu à plusieurs reprises durant ces opérations et notre balsa était toujours ancrée à la rive. Je leur ai expliqué que je ne voulais pas de problèmes avec eux et que j’attendais le permis avant de commencer à travailler. Ils m’avaient même souvent emprunté mon bateau pour aller effectuer leurs arrestations. Je connaissais relativement bien le capitaine qui s’occupait de ces interventions. C’était toujours le même et je l’ai rencontré à de nombreuses reprises. Ce jour-là, j’avais la certitude qu’un autre capitaine qui ne me connaissait pas devait diriger l’opération. Il suffirait de lui expliquer la situation et je pourrais récupérer mes injecteurs…

    Le temps que je me rende à la plage en voiture, la chaloupe était déjà arrivée et j’ai vu les hommes interpellés qui en descendaient. Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir sur la rive le capitaine avec qui je faisais affaire à l’occasion ! Pourquoi m’avait-il enlevé mes injecteurs, alors ? Je me suis approché de lui, mais avant que j’aie pu dire quoi que ce soit, il m’a ordonné de monter à l’arrière d’un petit camion Ford 350 où étaient déjà installées une dizaine de personnes. La plupart ne portaient que des bermudas et étaient torse nu et pieds nus. Évidemment, c’étaient tous des travailleurs de balsas illégales. Moi, j’arrivais dans une jeep Wagoneer de l’année, bien habillé et j’avais mon porte-­documents de cuir noir. Il contenait tous mes dossiers au cas où le capitaine voudrait les voir avant de me rendre mes injecteurs. Mais, il m’a dit de monter dans le camion avec les autres ? Je n’ai pas vraiment cru ce que j’entendais alors je suis resté immobile et je le regardais d’un air perplexe. Il m’a donc ordonné encore une fois de monter. Figé sur place, je voyais le camion avec ces prisonniers à l’arrière et j’ai regardé le capitaine en disant :

    — Mais, mon capitaine…

    — Silence ! Tu ne te rends pas compte qu’un membre de la Garde nationale te parle ? Tu vas monter dans ce camion ou c’est moi qui te fais monter !

    J’ai dû obéir… Il était environ onze heures. Durant les deux heures qui ont suivi, en plein soleil vénézuélien, debout à l’arrière de ce camion (car il nous défendait de nous asseoir), j’ai vu arriver quatre ou cinq fois le bateau chargé des mineurs travaillant illégalement. Dans la dernière embarcation, j’ai aperçu un de mes beaux-frères ! Je l’ai appelé et étrangement, ils l’ont laissé monter avec moi à l’arrière du camion sans rien dire. Les autres détenus étaient debout, regroupés près du véhicule.

    Soudainement, nous avons vu arriver un autobus militaire pour prisonniers et les membres de la Garde nationale y ont fait monter tous les hommes qui n’étaient pas encore dans un véhicule. Nous avions extrêmement chaud à l’arrière du camion, mais étions soulagés de ne pas être à bord de cet autobus stationné en plein soleil. Ça devait être comme dans un four là-dedans. Les personnes qui se trouvaient à l’intérieur ont commencé à demander en vain qu’on les laisse sortir en attendant le départ vers la prison, mais les gardes les ont obligés à y rester. Pourtant, il y avait de gros arbres tout près. Ils auraient facilement pu stationner l’autobus à l’ombre. C’était triste de voir la Garde nationale, supposément protectrice du peuple, prendre plaisir à faire souffrir son peuple…

    Nous étions environ quarante-cinq personnes appréhendées et ils nous ont transportés au destacamento (la base). Nous avons passé la journée sans manger, à nous faire humilier. « Tout le monde debout ! Assis ! Couchés ! … » À un certain moment, on m’a informé que ma femme était là, mais que je ne pouvais pas la voir. Autant rien me dire, salauds ! Ils ont quand même accepté que je lui fasse parvenir mon porte-documents. Il était environ dix-neuf heures. Nous espérions être bientôt libérés quand ils nous ont informés que nous allions passer la nuit à la prison locale ! Tout le monde était surpris, car les mineurs illégaux arrêtés sont habituellement libérés la journée même.

    L’autobus est arrivé… Conscients de l’horreur des conditions carcérales des prisons de leur pays, les détenus se sont révoltés et criaient :

    — Nous ne sommes pas des délinquants mais des travailleurs. Vous ne pouvez pas nous lancer aux fauves de cette manière !

    Les gardes ont commandé à des soldats armés d’épées de se mettre en rangs et ils ont menacé de nous battre afin de nous faire monter par la force dans l’autobus. Leur cruauté est bien connue. Ils mettraient certainement leur menace à exécution. Personne n’en doutait. Alors, à contrecœur, nous avons accepté notre sort. Une fois rendus à la réception de la prison, ils nous ont entassés comme des sardines dans une petite cellule et nous ont appelés un par un. Un des premiers convoqués a été mon beau-frère. Moi, presque le dernier. Je n’oublierai jamais cette porte de fer affreuse qui s’ouvrait et où on m’a fait signe d’entrer…

    Lorsque je suis passé à l’intérieur à partir du couloir illuminé, ce fut le noir complet. J’ai pensé à l’enfer. Je suis entré juste assez loin pour permettre à la porte de se refermer. Ce bruit de fer sur fer et l’obscurité mêlés à l’incertitude face à ce qui m’attendait, tout ça m’a donné une sensation horrible au ventre. J’ai senti la sueur sur mon visage et mes mains sont devenues glacées. J’ai reculé pour m’appuyer sur la porte le temps que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Je me suis alors aperçu que les autres aussi étaient là, près de la porte, dans un large couloir au bout duquel émanait une faible lumière. Je ne voyais pas mon beau-frère. Plutôt que de rester là avec des inconnus, lentement, j’ai avancé vers l’intérieur à sa recherche. C’était assez grand : environ dix mètres sur dix mètres. Je voyais, le long des murs, de petites divisions toutes en béton et à l’intérieur, des lits (toujours en béton) superposés et perpendiculaires aux murs. Je dirais qu’il y avait une quinzaine de ces quasi-cellules.

    L’une d’elles, tout au fond, était différente et la faible lumière venait de là. Contrairement aux autres, elle était munie d’une porte et c’est devant cette cellule que j’ai aperçu mon beau-frère qui parlait avec un prisonnier. D’après son allure, j’ai compris qu’il était le chef ici et que la cellule éclairée (la meilleure) était la sienne. Je me suis dirigé vers eux. Le prisonnier fut le premier à m’apercevoir et en me montrant du doigt il a dit :

    — Regarde-moi le blond ! Celui-là, c’est moi qui le baise.

    Mon beau-frère lui a chuchoté quelque chose et après une courte conversation entre eux, le détenu nous a indiqué une des divisions de deux lits à côté de sa cellule et a décidé que nous dormirions là. Je suis monté sur le lit supérieur et me suis étendu sur le dos en regardant le plafond. S’allonger directement sur le béton devrait être pénible, mais après cette journée, c’était étrangement confortable. J’ai fermé les yeux et les ai couverts avec mon bras. Le problème, c’est que nous nous trouvions face à l’entrée de ce qui semblait être la salle de bain. Elle mesurait environ deux mètres sur trois mètres et elle comprenait quatre murs, un tuyau au plafond duquel jaillissait un peu d’eau et un trou dans le plancher. L’odeur de merde qui en émanait était horrible, mais le bruit de l’eau qui coulait produisait un effet tranquillisant pour moi. Comme si, venant de l’extérieur, elle m’apportait le calme et l’espoir. J’ai ressenti un besoin irrésistible de me déshabiller et de me placer sous ce petit ruisseau d’eau de vie. En entrant, j’ai aperçu des amas d’excréments un peu partout. Ça pouvait bien puer…

    J’ai vu alors un balai qui traînait par terre dans un coin. Il était presque chauve le pauvre, mais si quelqu’un avait un produit quelconque de nettoyage, je pourrais m’en servir pour récurer le sol et prendre un semblant de douche. Miracle ! Le chef prisonnier avait du détergent en poudre. S’il y avait un balai et du détergent, je ne comprenais pas pourquoi la salle de bain avait pu se retrouver dans un tel état, mais l’espoir d’une douche m’a vite fait oublier toutes mes réflexions. Les odeurs du détergent et des excréments ont lutté jusqu’à ce que tout soit relativement propre. L’eau fraîche fut une bénédiction. J’y suis resté jusqu’à ce que, malgré la chaleur intense, j’aie froid. Je me suis recouché nu, le temps de sécher et je me suis rhabillé. J’avais drôlement faim, alors je suis retourné boire de cette eau. J’ai pensé qu’elle aurait certainement un effet néfaste sur ma santé, mais, dans les circonstances, il me semblait que je n’avais pas d’autre choix. Je me suis étendu à nouveau sur le lit. En peu de temps, j’ai ressenti le désespoir s’emparer de moi. Je suis retourné sous l’eau, j’en ai bu et après quelques minutes, je me suis senti assez calme pour retourner m’allonger dans le confort du lit en béton armé. De loin, j’entendais mon beau-frère parler avec les autres… Il s’est soudain approché de moi.

    — Ça va ?

    — Ça va, mais comprends-moi, je ne veux parler à personne.

    — Bon, je te laisse. Courage, on s’en sortira.

    — Merci !

    J’ai trouvé une petite routine et je m’y suis enfermé complètement durant la nuit. Je m’étendais jusqu’à ce que mes nerfs commencent à lâcher, je prenais une douche, je buvais de l’eau puis je recommençais. J’ai même réussi à dormir un peu, mais je n’avais pas mangé depuis notre détention et j’avais un gros mal de tête. La nuit m’a paru interminable… Le lendemain matin, la porte s’est ouverte et on m’a appelé. Il était environ dix heures trente. Le gardien m’a tendu un petit sac de plastique. À l’intérieur, il y avait un mot de ma femme et une arepa (mets typique vénézuélien en forme de beigne sans trou fait de farine de maïs avec une incision sur le côté pour y insérer, dans mon cas, du jambon et du fromage ; mais elles peuvent être garnies de différents aliments : œufs, poulet, bœuf, porc, salades, etc…). Je suis monté sur mon lit et pour la première fois depuis le début de cette histoire, j’ai pleuré. J’ai lu la note écrite par ma femme et j’ai pleuré à chaudes larmes.

    Elle était sur place depuis huit heures et elle a finalement pu convaincre un gardien (avec 100 bolivars) de m’apporter ce sac. Elle me demandait de lui écrire un mot pour lui dire si j’avais tout reçu, mais le gardien était parti. J’ai échoué dans ma tentative de le rappeler et de toute façon, personne n’avait de quoi écrire alors je me suis résigné au fait que je ne pourrais pas lui répondre. Les jours ont passé, on ne sortait jamais. Ma femme a trouvé de plus en plus de gardiens qui m’ont fait passer de la nourriture, du papier et un crayon pour que je puisse lui écrire. Un avocat connu de sa famille et ami du gouverneur de l’État, s’occupait de mon cas. Après cinq jours, l’intervention de cet avocat ainsi que celle du gouverneur, sans oublier la modeste somme de cent mille bolivars (environ trois mille trois cents dollars à l’époque) les ont convaincus de me libérer ainsi que tous ceux qui étaient avec moi.

    Cette mésaventure m’a fait comprendre jusqu’à quel point les membres de la garde nationale font ce qu’ils veulent. Pour eux, les droits de la personne n’existent pas. J’allais formuler une plainte, mais mon avocat m’en a dissuadé. J’avais une femme, un bébé et un commerce à gérer en ville. Il m’expliqua que les membres de la Garde nationale pouvaient me causer beaucoup plus d’ennuis que moi je pouvais leur en causer. Je me suis donc efforcé d’oublier cet incident et de continuer ma vie…

    * * *

    Un garde national m’ouvre la porte du petit bureau de Lumaca et j’entre. Un lieutenant est assis dans la chaise capitaine derrière le bureau et me fixe. Devant le bureau, deux petites chaises. Luis est assis dans l’une d’elles, mais ne me regarde pas. Il fixe le sol. Derrière le lieutenant, un soldat debout, armé comme ceux qui m’ont escorté jusqu’ici. Le lieutenant m’invite à m’asseoir sur une chaise placée à côté de Luis. Nous ne sommes que cinq dans le bureau, mais nous sommes quand même tassés, car il y a beaucoup d’articles empilés le long des murs. De nombreux sacs à ordures remplis de vêtements usagés pour les clients et clientes d’Amanda (la femme de Luis), une étagère remplie d’écrous et de boulons, des boîtes de rétroviseurs de camionnettes, etc…

    Le garde qui m’a accompagné à l’intérieur est à ma droite dans l’entrée, le lieutenant lui dit d’attendre dehors. Il fait demi-tour et referme la porte derrière lui. La climatisation fonctionne et mes mains sont froides. Je suis nerveux. Je fais un effort pour me montrer calme en allumant une cigarette, mais avec autant de mauvais souvenirs de la Garde nationale, l’inquiétude commence à s’emparer de moi.

    — Qu’est-ce qui se passe, lieutenant ?

    — C’est moi qui pose les questions. Tu as connaissance d’un chargement de sables noirs qui a été transporté dans un conteneur jusqu’à Puerto Cabello pour être ensuite livré au Québec ?

    — Oui, pourquoi ?

    Je fais un peu le naïf, mais je crois que j’ai compris et ça me rassure. Le permis temporaire d’exportation de mon père est expiré.

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