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LA MAISON BLANCHE FACE À DES DICTATURES AMIES EN PERIL
LA MAISON BLANCHE FACE À DES DICTATURES AMIES EN PERIL
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Livre électronique307 pages3 heures

LA MAISON BLANCHE FACE À DES DICTATURES AMIES EN PERIL

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À propos de ce livre électronique

Les États-Unis n’ont jamais hésité à entretenir des relations amicales avec des dictateurs qui, pourtant, contreviennent au modèle démocratique qu’ils tentent – officiellement – de propager. En vertu des intérêts nationaux compatibles entre Washington et un régime dictatorial, cette sorte de rapprochement s’explique aisément par le pragmatisme politique. Comprendre pourquoi la Maison-Blanche décide brusquement d’interrompre une relation de ce type s’avère toutefois plus difficile. Comment un ami peut-il cesser d’être considéré comme tel ? À cause d’un manque « d’obéissance » ? D’un soulèvement populaire dans son État ? Rien n’est moins sûr…

Avec un regard neuf posé sur la politique américaine, l’auteur analyse six cas empiriques : Batista à La Havane en 1959, Pahlavi à Téhéran en 1979, Mobutu à Kinshasa en 1990, Suharto à Jakarta en 1998, Aliyev à Bakou en 2005 et enfin Moubarak au Caire en 2011.
LangueFrançais
Date de sortie2 juin 2020
ISBN9782760641648
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    Aperçu du livre

    LA MAISON BLANCHE FACE À DES DICTATURES AMIES EN PERIL - Victor A. Béliveau

    Chapitre 1

    L’abandon des dictateurs proches

    de Washington

    La disgrâce du général Suharto s’inscrit dans une tradition désormais familière: Mobutu Sese Seko, Saddam Hussein, Ferdinand Marcos, Anastasio Somoza, la famille Duvalier. Les raisons qui expliquent le lâchage américain sont en général la désobéissance ou la perte de contrôle. Dans le cas de M. Suharto, ces deux explications ont convergé: d’abord, son refus d’obéir aux ordres du FMI imposant une nouvelle punition à la population; ensuite, son incapacité à contenir la révolte populaire. Le dictateur avait tout simplement cessé d’être utile.

    Noam Chomsky, Le Monde diplomatique, juin 1998

    Cette lecture des volte-face diplomatiques de Washington soulève une problématique fondamentale: pourquoi les États-Unis en viennent-ils à abandonner des dictateurs amis? Cette interrogation suggère qu’un point de bascule survient parfois dans la politique étrangère américaine qui provoque l’interruption abrupte d’une de ses relations amicales avec des tyrans. Jusque-là pourtant, la Maison-Blanche n’avait cure d’entretenir des liens diplomatiques privilégiés avec un dirigeant illégitime contrevenant en tous points aux vertus universelles de la démocratie et du gouvernement tripartite dont elle vante pourtant les mérites dans sa rhétorique officielle. Or, la raison d’État étant opiniâtre, le boycott des régimes non démocratiques devient un vœu pieux face à l’ascendant que Washington peut exercer sur un autre régime sur le plan militaire, économique ou diplomatique par le truchement de rapports cordiaux avec le dictateur qui le dirige.

    Soulignons que cette relation amicale est intéressante pour Washington du fait qu’elle s’inscrit normalement dans la durée, parce qu’un dictateur digne de ce nom jouit d’un mandat extensible pour autant qu’il réussisse à conserver le pouvoir et la santé. Qui plus est, la centralisation des pouvoirs décisionnels entre les mains d’un seul individu est avantageuse pour la Maison-Blanche sur le plan diplomatique puisqu’elle simplifie l’alignement rapide entre les politiques d’un dictateur et – pour autant qu’elle arrive à les lui faire accepter – les desseins de l’équipe en poste au Bureau ovale. De fait, les États-Unis cultivent ce type de relations diplomatiques depuis leur indépendance. Or, si le bourgeonnement d’une amitié entre la Maison-Blanche et une dictature s’explique facilement en vertu des fruits qu’elles récoltent mutuellement de cette bonne entente, la rupture – généralement à l’initiative de Washington –, elle, est plus absconse.

    Au premier abord, deux facteurs semblent expliquer l’abandon prononcé par la Maison-Blanche à l’égard d’un dictateur dont elle est proche. D’une part, un dictateur peut perdre l’estime des États-Unis en sabotant la relation amicale par une incurie diplomatique. Ce fut le cas pour Saddam Hussein qui, faisant fi des avertissements de Washington pour l’en dissuader, décida néanmoins d’envahir le Koweït en 1990. D’autre part, l’apparition d’une vague de protestation dirigée contre un dictateur semble aussi être un facteur capable de précipiter la disgrâce de la Maison-Blanche à son égard. Le désaveu de l’administration Obama à l’égard d’Hosni Moubarak lors du Printemps arabe est un exemple de ce type de pivot diplomatique provoqué par l’éruption d’une crise interne. Mise sous pression par la déroute rapide sur le plan interne du président égyptien au début de l’année 2011, la Maison-Blanche a effectué une cabriole décisionnelle en abandonnant un dictateur qu’elle appuyait pourtant depuis une trentaine d’années.

    Cela dit, la Maison-Blanche ne lâche pas toujours ses amis dictateurs lorsque ceux-ci font face à une vague de déstabilisation interne. Plusieurs cas empiriques attestent que Washington peut réitérer son appui à un dictateur lorsque celui-ci arrive à étouffer un soulèvement. Durant la même période où elle a abandonné Moubarak, la Maison-Blanche a néanmoins continué à soutenir Hamed ben Issa al-Khalifa, le roi du royaume de Bahreïn, qui faisait face lui aussi à des soulèvements populaires. Pour la même administration, confrontées l’une à l’autre, la décision d’abandonner Moubarak et celle de réitérer son soutien au régime monarchique de Bahreïn suggèrent une incohérence dans la politique étrangère des États-Unis. Mais la Maison-Blanche a été confrontée à ce type de crise avant le Printemps arabe, et cette apparente ambivalence décisionnelle n’est pas exclusivement liée à la politique étrangère de l’administration Obama. Durant la guerre froide, les États-Unis – qui préconisaient la doctrine de l’endiguement face à l’URSS – ont tantôt retiré et tantôt réitéré leur soutien à des dictateurs aux prises avec des soulèvements internes. Pour ne citer que deux exemples provenant de cette période, la Maison-Blanche a abandonné le dictateur cubain Fulgencio Batista à la suite de la révolution castriste en 1959, tandis qu’elle a continué à soutenir Ferdinand Marcos aux Philippines durant les révoltes étudiantes connues sous le nom de «Tempête du premier trimestre» en 1970.

    En observant que le désaveu de Batista et celui de Moubarak ont fait suite à une révolution aboutie à l’intérieur de leur régime, d’aucuns pourraient ici avancer que l’incapacité d’un dictateur ami à brider une révolte interne expliquerait la décision d’une administration en poste au Bureau ovale d’opter pour un abandon à son égard. Si cette piste de réflexion semble intéressante à première vue, la compréhension du comportement américain dans ce type de crise se corse davantage lorsqu’on constate que dans des situations semblables, la Maison-Blanche a continué à soutenir des dictateurs amis même après qu’ils se furent fait renverser en interne. Mohammad Reza Pahlavi en Iran en 1953, Rhee Syngman en 1960, puis Lon Lol en 1975 en Corée du Sud et Ferdinand Marcos aux Philippines en 1986 ont tous pu compter sur un soutien pugnace de Washington à la suite de leur renversement effectif. Par conséquent, la capacité d’un dictateur à juguler une révolte ne peut être le seul facteur pouvant expliquer l’avènement du point de bascule à son égard. En somme, bien qu’elle fasse partie du calcul décisionnel, la perte de contrôle d’un dictateur sur son régime ne peut pas être la seule variable invoquée pour expliquer l’avènement de son abandon.

    Ce tour d’horizon succinct du comportement décisionnel de la Maison-Blanche dans ce type de crise externe soulève plusieurs questions. Serait-ce une logique du «deux poids deux mesures» qui sous-tend l’avènement du point de bascule? Ou serait-ce plutôt que celui-ci est tributaire d’un calcul rationnel où la Maison-Blanche tente de sauver la mise dans une crise externe où elle ne veut pas intervenir militairement? Comment expliquer que, dans des situations analogues, parfois la Maison-Blanche retire rapidement son appui à des dictateurs contestés sur le plan intérieur tandis qu’elle proroge son soutien à d’autres pendant et parfois même après leur chute? Ce livre entend donc répondre à une question qui englobe toutes ces interrogations: y a-t-il une stratégie commune – et si oui, laquelle – derrière la décision des administrations américaines d’abandonner ou de continuer à soutenir un dictateur ami lorsque celui-ci fait face à une vague de contestation interne?

    L’état des connaissances sur la question

    Bien que la question de l’abandon américain d’un dictateur ami reçoive ponctuellement l’attention des médias lorsqu’une crise interne secoue une dictature amie de Washington, les analyses (ou les prédictions) qu’il suscite demeurent souvent cantonnées à une logique du cas par cas. Même constat du côté de la documentation scientifique où peu de chercheurs ont attaqué de front la question et où les théorisations déjà formulées sont incapables d’y répondre de façon systématique et satisfaisante. Premièrement, la plupart des études, telle celle de Jeane Kirkpatrick en 1982, se penchent davantage sur les causes du rapprochement diplomatique entre la Maison-Blanche et des dictatures, et ce faisant, elles ne traitent pas des causes de rupture de ce type de relation, rupture qui d’ordinaire est aussi asymétrique qu’expéditive. Deuxièmement, bien que Robert Pastor en 1991 ou encore John Owen et Michael Poznansky en 2014 avancent des causes possibles expliquant l’abandon par la Maison-Blanche d’un dictateur ami, en se focalisant seulement sur des révolutions abouties, ces auteurs n’arrivent pas à expliquer la prolongation du soutien à une dictature qui s’accroche au pouvoir ou qui s’est fait renverser. Troisièmement, certains chercheurs comme William I. Robinson en 1996, Mark Peceny en 1999, Will Walldorf en 2008 ou encore Frank Gene en 2009 fournissent des réponses relevant plus du procès d’intention destiné à exposer le machiavélisme de la politique étrangère américaine dans ce type de crise. Quatrièmement, à l’instar de Daniel Pipes et Adam Garfinkle, pour qui, en 1991, l’opinion publique américaine jouait un rôle prépondérant dans la disgrâce éventuelle d’un dictateur ami, certaines thèses accordent une trop grande incidence à des facteurs internes (lobbys ethniques et défaveur de l’opinion publique américaine à l’égard de ceux-ci). L’importance accordée aux facteurs internes fait dès lors fi des pressions systémiques exercées par d’autres États puissants pour changer la hiérarchie et s’arroger l’influence déjà acquise par un autre État puissant; pressions qui à nos yeux pèsent plus lourd dans le calcul décisionnel des administrations en poste à la Maison-Blanche lorsqu’un chef d’État ami est placé en porte-à-faux.

    En abordant le sujet sous un nouvel angle, notre ouvrage propose donc une réponse théorique à cette question de la formulation de la politique étrangère américaine dans ce type de crise, peu traitée dans l’étude des relations internationales et de façon trop partielle.

    Une nouvelle piste théorique

    Les trois règles d’or qu’énonce Lord Palmerston au XIXe siècle1, «Nous [la Grande-Bretagne] n’avons pas d’alliés permanents, nous n’avons pas d’ennemis permanents, nous avons seulement des intérêts permanents2», indiquent qu’un État – aussi versatile soit-il dans la réorientation de sa politique étrangère – demeure rationnel et égoïste dans les relations diplomatiques qu’il contracte, entretient ou rompt. Rapportée à notre problématique, la maxime de ce premier ministre anglais suggère que la Maison-Blanche ne décide pas au hasard qui, parmi ses dictateurs amis en péril, elle abandonne ou continue de soutenir. N’oublions pas qu’une telle décision est lourde de conséquences pour le maintien des intérêts américains à l’étranger. À l’échelle régionale, une rupture prématurée avec un dictateur ami peut entraîner la fin d’une relation diplomatique précieuse pour l’intérêt national américain, tandis qu’à l’échelon supérieur, en morcelant leur influence à l’étranger, les États-Unis pourraient perdre la position dominante qu’ils occupent au sein du système international. En somme, l’aversion pour les conséquences négatives de la perte d’influence nous semble être une piste de réflexion prometteuse pour expliquer la variation de la politique étrangère de la Maison-Blanche dans ce type de crise.

    L’argument principal avancé dans ce livre est que l’avènement ou non d’un point de bascule dans le soutien à l’égard d’un dictateur ami en péril s’explique d’abord et avant tout par la recherche constante de la conservation maximale de l’influence acquise (CMIA) dans ces crises externes. L’idée est qu’il y a dans la décision un calcul – fondé d’abord et avant tout sur la CMIA – qui transcende les différences liées à l’emplacement géographique, à l’aspect structurel du système international et à l’allégeance politique des administrations en poste à Washington lorsque l’une d’elles est confrontée à ce dilemme. Autrement dit, peu importe le continent où une crise survient, la forme (bipolaire, unipolaire ou multipolaire) du système international à ce moment ou la couleur politique de l’administration en poste au Bureau ovale, la décision d’abandonner ou de continuer à soutenir un despote aux prises avec une révolte interne peut être expliquée par la recherche de la CMIA.

    Les concepts importants à préciser

    Tel un photographe consciencieux qui, pour en améliorer la précision, ajuste la focale de l’objectif avant de prendre un cliché, il est important à ce stade de définir clairement les concepts qui constituent l’ossature de notre argument théorique. Ceux-ci sont: le point de bascule, le dictateur ami, la crise interne, la perte de contrôle et la perte d’influence, la conservation de l’influence et la commutation de l’influence.

    Le concept de «point de bascule» renvoie au moment précis où les États-Unis décident publiquement d’abandonner un dictateur lorsque deux facteurs convergent. D’une part, le dictateur ami doit avoir perdu le contrôle de son régime et d’autre part, Washington doit entrevoir la possibilité de commuter l’influence acquise sur lui avec son ou ses remplaçants. Constituant un changement soudain de la politique étrangère américaine à son égard, la disgrâce se concrétise lorsque la Maison-Blanche condamne officiellement le dictateur en plus de lui refuser l’asile politique aux États-Unis après son départ forcé. Il faut ici noter que cette apostasie diplomatique touche exclusivement la personne du dictateur et qu’elle n’est donc pas prononcée à l’égard de son régime.

    Avant de définir le concept de «dictateur ami», précisons ce qu’est une dictature au sens large. Si, pour le président Georges Clemenceau, une dictature était «un pays dans lequel on n’a pas besoin de passer toute une nuit devant son poste pour apprendre le résultat des élections3», à l’absence d’élections crédibles et de la liberté de la presse s’ajoute l’aspect de la centralisation du pouvoir dans les mains d’un seul acteur décisionnel. Car, peu importe qu’il ait une vêture de militaire, de monarque ou de révolutionnaire, un chef d’État personnifie vraiment le rôle de dictateur à partir du moment où, en plus d’être inamovible dans son régime, il possède la mainmise sur les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Quant au terme de «dictateur ami», celui-ci fait référence à un dictateur proche de la Maison-Blanche. Cette définition s’inspire de celle des «friendly tyrants» proposée par Daniel Pipes et Adam Garfinkle: «les régimes ou les gouvernements qui ont généralement de bonnes relations de travail avec les États-Unis et dont la stabilité compte pour les États-Unis, mais dont les pratiques internes répugnent à de nombreux Américains4». Notons encore que les dictatures en péril qui nous intéressent sont celles qui sont proches de la Maison-Blanche du fait que la théorie entend expliquer le calcul décisionnel dans des situations où celle-ci a beaucoup à perdre. Or, plus l’amitié est forte et consacrée entre Washington et un dictateur, plus la perte d’influence sera coûteuse pour l’intérêt national américain si elle survient.

    Le concept de «crise interne» dans cette analyse désigne une vague de contestations venant menacer la pérennité du règne d’un autocrate. Bien qu’elle signifie parfois le début de la fin pour un dictateur, une crise interne ne lui est pas toujours fatale s’il est en mesure de garder le contrôle de son régime. Mais du fait qu’elle implique potentiellement sa chute et l’arrivée d’un nouveau gouvernement, une crise interne d’une dictature proche des États-Unis a pour effet d’accroître les pressions systémiques exercées par d’autres États puissants pour s’approprier l’ascendant qu’avaient auparavant les États-Unis sur le dictateur et son régime. Notons par ailleurs que le terme passablement large de «crise interne» est ici utilisé parce qu’il englobe plusieurs formes de sédition: les révoltes populaires ou militaires, les grèves massives, les guerres civiles et les manifestations pacifiques pouvant dégénérer en émeutes généralisées. Retenons enfin que pour qu’une crise interne retienne notre attention, elle doit être assez importante pour que Washington s’y intéresse de près.

    Le concept de «perte de contrôle» se rapporte au moment où la déroute d’un dictateur ami dans son régime est manifeste après l’aggravation d’une crise interne. Pour arriver à reconnaître concrètement une telle situation, nous allons nous inspirer de la théorie de la survie politique des chefs d’État de Bruce Bueno de Mesquita et ses collègues. D’après leur diagnostic, pour se maintenir au pouvoir, un dictateur doit s’appuyer sur certaines élites formant une petite «coalition gagnante5» sur laquelle son régime repose. Autrement dit, le règne d’un dictateur s’achève à partir du moment où on observe la défection d’institutions névralgiques qui sont sous la tutelle de proches collaborateurs qu’il a pourtant nommés. Ainsi, à la suite de l’aggravation d’une crise interne, la perte de contrôle est repérable lorsque les quatre facteurs suivants surviennent de manière non mutuellement exclusive: (1) une généralisation des protestations visant la destitution d’un dictateur, (2) une défection avérée ou imminente de l’armée, (3) des forces de police et (4) des médias. À ces facteurs peut s’ajouter celui de (5) l’exil du dictateur, qui pour sauver sa peau in extremis doit fuir prestement. Lorsque la perte de contrôle se produit, Washington est alors forcé de reconsidérer ses options pour la conservation maximale de son influence acquise. Précisons aussi que la perte de contrôle peut prendre du temps à se concrétiser après le début d’une crise interne, car avant de péricliter, un dictateur pugnace peut arriver à étouffer cette dernière pendant des mois, voire des années.

    Le terme d’«influence acquise» renvoie à l’ascendant militaire, économique et diplomatique qu’exerce la Maison-Blanche sur un régime par le biais des rapports amicaux qu’elle entretient avec son gouvernement – lequel, dans une dictature, se réduit à une seule tête dirigeante. Rarement théorisé dans l’étude des relations internationales, le concept d’influence sera ici observé sous un angle nouveau, à savoir celui de sa perte possible. D’emblée, notre définition s’inspire de la distinction que R. J. Mokken et F. N. Stokman faisaient entre le pouvoir et l’influence, plus partielle. Ils définissaient ainsi cette dernière comme «la capacité d’acteurs à déterminer (en partie) les actions ou les choix d’autres acteurs parmi l’ensemble d’actions ou de choix possibles pour ces acteurs6». En concédant une forme de latitude décisionnelle à l’entité qui est placée sous l’influence d’une tierce partie, cette distinction vient remettre en question l’idée défendue par Robert A. Dahl en 1957 selon laquelle, dans ce type de relation asymétrique, un État B est entièrement inféodé à un État A. Cette nuance est importante puisqu’elle introduit l’éventualité d’une perte d’influence lorsque le statu quo de la bonne entente n’est plus possible. Gardons en tête que la Maison-Blanche possède de l’influence sur un régime par l’intermédiaire du maintien en poste d’un gouvernement. Or, une perte d’influence survient lorsque celui-ci fait peau neuve après une révolution aboutie et lorsque le ou les nouveaux dirigeants en poste choisissent de se rapprocher d’une puissance rivale de Washington.

    Cela étant dit, la Maison-Blanche arrive parfois aussi à conserver son influence dans ce type de crise. De par la nature indirecte du pouvoir qu’elle présuppose, la conservation de l’influence est un objet d’étude difficile à circonscrire. Pour surmonter cet obstacle, notre conceptualisation de l’influence s’inspire également de David A. Baldwin qui définit dans son livre de 2016 quatre leviers (symbolique, économique, militaire et diplomatique) par lesquels un État peut influencer un autre État. En laissant de côté l’aspect symbolique que nous jugeons trop vaste, les trois autres canaux d’influence nous semblent être un point d’ancrage approprié pour évaluer les chances de conserver l’influence acquise. En substance, lorsqu’un dictateur ami est renversé, la conservation de l’influence acquise américaine est possible si les trois critères suivants sont respectés: (1) le maintien des traités militaires et (2) des accords économiques existants avec l’ancien gouvernement, et (3) l’absence d’antiaméricanisme dans le laïus officiel du ou des nouveaux acteurs au pouvoir. En revanche, on diagnostiquera une perte d’influence acquise par la Maison-Blanche lorsque l’inverse se produit pour chacun de ces trois indicateurs.

    Enfin, lorsqu’un dictateur ami tombe, la conservation de l’influence acquise ne peut être atteinte que par la commutation de cette dernière. À l’instar de la commutation possible dans un circuit électrique où le courant peut être permuté d’un pôle récepteur à un autre lorsque le premier s’obstrue et que

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