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Du village alpin à l'événement planétaire: Histoire et géopolitique des Jeux olympiques d'hiver, de 1924 à nos jours
Du village alpin à l'événement planétaire: Histoire et géopolitique des Jeux olympiques d'hiver, de 1924 à nos jours
Du village alpin à l'événement planétaire: Histoire et géopolitique des Jeux olympiques d'hiver, de 1924 à nos jours
Livre électronique553 pages6 heures

Du village alpin à l'événement planétaire: Histoire et géopolitique des Jeux olympiques d'hiver, de 1924 à nos jours

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À propos de ce livre électronique

Longtemps considérés comme une annexe hivernale ou, selon l’expression même de Coubertin, un prélude aux « vrais Jeux », les Jeux olympiques d’hiver ont reçu beaucoup moins d’attention que les Jeux d’été sous prétexte qu’ils attiraient moins d’athlètes, moins de spectateurs et que la compétition réelle ne concernait que quelques pays. Avec l’atteinte récente du seuil de deux milliards de téléspectateurs, les Jeux d’hiver sont en voie de devenir, comme ceux d’été, un « spectacle-monde ». En passant de 16 pays représentés à 88 en moins d’un siècle d’existence, il s’est également produit une indéniable mondialisation des Jeux d’hiver, même s’il y a toujours un certain déséquilibre en faveur des pays du Nord.

Comme les Jeux nordiques qui les ont précédés, on a perçu les Jeux d’hiver comme appartenant « au monde bucolique, d’une simplicité idéalisée, des paysages enneigés des villages alpins isolés, immunisés en quelque sorte des affres de la Realpolitik ». Or rien n’est plus faux. En fait, ils ont souvent servi de vitrine politique à des pays aux ambitions discutables et les menaces de boycottage passées ou présentes ne sont qu’un rappel de cette nature politique. La différence entre les enjeux politiques des Jeux d’hiver et des Jeux d’été « en est une de degré, pas de nature ».

Ce livre vise à soumettre les Jeux d’hiver à la même lecture historique et géo­politique que ceux d’été, aidant ainsi à rétablir l’équilibre dans l’analyse des enjeux politiques des Jeux olympiques. Plus important encore, il s’agira de la synthèse la plus complète des Jeux d’hiver toutes langues confondues. Le présent ouvrage, fruit d’une démarche pluridisciplinaire, comblera une lacune flagrante dans l’étude du sport. Il intéressera autant le grand public que les personnes qui suivent d’assez loin les Jeux d’hiver, celles qui se passionnent pour l’événement ou celles qui sont férues d’histoire du sport.
LangueFrançais
Date de sortie23 févr. 2022
ISBN9782760556348
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    Aperçu du livre

    Du village alpin à l'événement planétaire - Jean Lévesque

    Introduction

    Du village alpin à l’événement planétaire

    Jean Lévesque

    Yann Roche

    Il est probable que le gigantisme des Jeux de Sotchi, tant sur le plan du coût que de l’ambition des travaux d’infrastructures qui les ont accompagnés, vient en quelque sorte effacer la frontière idéologique qui séparait les Jeux d’été, considérés comme véritablement mondiaux, des Jeux d’hiver, les parents pauvres septentrionaux. Il est vrai que durant plusieurs décennies les Jeux d’hiver ont attiré des sportifs de quelques dizaines de nations, bénéficié de droits de télédiffusion beaucoup moins importants que ceux des Jeux d’été et que, comme le disait avec un certain mépris l’un des grands ennemis déclarés des Jeux hivernaux, le président du Comité International Olympique (CIO) de 1952 à 1972, Avery Brundage, il n’y avait sur le plan de la compétition qu’une dizaine de pays qui étaient vraiment dans le coup. À la décharge des Jeux d’hiver, il faut certes mentionner que, durant le premier demi-siècle d’existence des Jeux, l’athlétisme a été l’étalon à partir duquel on jugeait l’essence et le développement du mouvement olympique, ce qui, forcément, donnait aux Jeux d’été un statut supérieur. Les Jeux d’hiver n’ont longtemps été qu’une sorte d’annexe hivernale, selon l’expression même de Coubertin, un prélude aux « vrais Jeux¹ ».

    Sur le grand écran, à côté des classiques consacrés aux Jeux d’été comme l’Olympia de 1938, de Leni Riefenstahl, traitant des Jeux de Berlin, ou le Tokyo Orinpikku (Olympiades de Tokyo), de Kon Ichikawa, sorti en 1965, considérés comme des classiques du documentaire sportif, les Jeux d’hiver comptent les 13 jours en France, de Claude Lelouch, sur les Jeux de Grenoble de 1968, qui pâtit toutefois de ne pouvoir être présenté à Cannes à cause des troubles de 1968, ou le peu connu White Rock, de Tony Maylam (1977), sur les Jeux d’Innsbruck de 1976.

    Par ailleurs, un peu comme les Jeux nordiques ou scandinaves qui les ont précédés, on a perçu les Jeux d’hiver comme appartenant « au monde bucolique, d’une simplicité idéalisée, des paysages enneigés des villages alpins isolés, immunisés en quelque sorte des affres de la Realpolitik² ». Or, rien n’est plus faux. Les Jeux d’hiver de Garmisch-Partenkirchen de 1936 ont été pour le régime nazi une répétition générale de ce qui allait venir en juillet de la même année, la guerre froide a connu des passions tout aussi intenses en hiver qu’en été, le scandale de l’attribution des Jeux de 2002 à Salt Lake City a eu un effet négatif sur l’image du CIO au même titre que ses malversations estivales, la lutte contre l’activisme aux Jeux de Vancouver a fait exploser les budgets alloués à la sécurité et à la surveillance policière et les Jeux de Sotchi ont été perçus comme les plus « politisés » de l’histoire depuis ceux de Berlin. Comme le dit Jeffrey Seagrave, la différence entre « la politique » des Jeux d’hiver et d’été en est une de degré, pas de nature³. Le premier objectif de ce volume est de soumettre les Jeux d’hiver à la même lecture historique et géopolitique que ceux d’été et d’ainsi offrir une contribution servant à rétablir l’équilibre dans l’analyse politique des Jeux olympiques.

    Avec l’atteinte récente du seuil de plus de deux milliards de téléspectateurs, les Jeux d’hiver sont manifestement en voie de devenir, comme leur pendant estival, un « spectacle-monde », selon l’heureuse expression de Patrick Clastres⁴, même si le monde n’y est pas équitablement représenté. En passant de 16 pays représentés à 93 en moins d’un siècle d’existence, l’indéniable mondialisation des Jeux d’hiver a maintenu un fort déséquilibre en faveur des pays du nord, climat, tradition et participation obligent. À cet égard, si la critique de la vision du CIO du développement du sport mondial est fortement eurocentriste⁵, c’est encore plus vrai des Jeux d’hiver comme en témoigne la carte des villes hôtes de ces Jeux (carte I.1). Et comme la logique politique inhérente à cette vision du CIO y est encore plus présente, cela constitue un argument de plus pour une étude sérieuse des aspects politiques des Jeux. Malgré des efforts marqués pour intégrer des nations du sud, comme la prise en charge par le CIO des frais de certains sportifs venant du sud depuis les années 1960, ou la mise en valeur de sportifs non traditionnels comme le fondeur kenyan Philip Boit, qui est resté essentiellement une créature de l’équipementier Nike, les Jeux d’hiver restent un bon observatoire des rapports sportifs de pouvoir entre les deux hémisphères.

    1. Historiographie

    L’historiographie de la politisation ou de la géopolitique du sport fait en général assez peu de cas des sports d’hiver, et encore moins des Jeux d’hiver, hormis les questions de politisation du hockey sur glace de la guerre froide, dans les cas de la Série du siècle Canada-URSS de 1972 ou du fameux « miracle sur glace » des Jeux de Lake Placid de 1980, qui a vu l’équipe Cendrillon des États-Unis battre la « machine rouge » de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), réputée imbattable sur le plan amateur⁶.

    Le classique de Christopher Hill, Olympic Politics, publié en 1992, et celui plus ancien de Richard Espy traitent essentiellement des questions politiques liées aux Jeux d’été, en général, désignés comme les Jeux tout court quand il n’y a pas de précision supplémentaire⁷. Beaucoup plus récent, l’essai particulièrement rafraîchissant de Pascal Boniface, JO politiques, dont la thèse est tout entière contenue dans les deux mots du titre, ne mentionne que deux fois les Jeux d’hiver, alors que son ouvrage fait pratiquement mention de tous les Jeux d’été, comme si le fait de se pencher sur les Jeux d’hiver risquait de diminuer la portée de la thèse⁸.

    Parmi les grandes synthèses du mouvement olympique, l’ouvrage compact de l’Américain Allen Guttmann ne mentionne qu’en passant quelques cas, comme la naissance des Jeux d’hiver et la question du sponsorship des skieurs, qui a pris beaucoup d’ampleur aux Jeux de Grenoble en 1968, mais la trame narrative reste essentiellement articulée autour du développement du mouvement olympique tel qu’affirmé aux Jeux d’été⁹. La très récente synthèse du journaliste anglais David Goldblatt, qui avait réussi il y a quelques années le tour de force de produire une histoire globale du football, est tout aussi globale dans son approche. Il traite en effet de tous les Jeux de l’histoire, mais de façon inégale, son attention se portant sur ceux qui ont eu le plus d’effets internationaux. Malheureusement, dans une synthèse de plus de 400 pages de texte, il ne consacre que cinq courts chapitres aux Jeux d’hiver, comme les premiers à Chamonix et ceux des années 1980, en plus des plus récents de Vancouver et de Sotchi, car malgré une certaine ouverture et une grande justesse de vue, sa trame narrative reste assez centrée sur les Jeux d’été. Toutefois, on ne peut qu’abonder dans le même sens quand il décrit : « As an Arctic flank of the global Cold War, the winter games were a stage for paranoia, conflict and manipulation¹⁰. » L’essai du politologue américain Jules Boykoff, Power Games, traite justement des rapports politiques dans la naissance et le développement du mouvement olympique, mais il s’intéresse surtout aux manifestations ouvertes de conflits politiques, et sa critique porte pour beaucoup sur les Jeux contemporains, qu’il décrit comme les Jeux de l’ère du « Celebration Capitalism » depuis Samaranch et de l’activisme politique qui s’y est manifesté¹¹.

    Il existe peu d’histoires de Jeux se penchant sur une édition précise, comme c’est le cas pour les Jeux de Paris de 1924, des Jeux de Berlin, qui comptent des dizaines d’ouvrages, de ceux de Rome ou des Jeux du boycottage, Moscou et Los Angeles, par exemple. Pour les Jeux d’hiver, on ne compte que sur une histoire des Jeux de Sarajevo, par ailleurs excellente¹², une étude sur les Jeux de Lillehammer dans la culture norvégienne¹³ et une analyse comparée des Jeux d’hiver français, Chamonix 1924 et Grenoble 1968, en attendant d’inclure ceux d’Albertville¹⁴. Peut-être à cause de leur gigantisme et de l’ampleur de la controverse suscitée, les Jeux de Sotchi ont déjà donné lieu à plusieurs articles, à deux numéros spéciaux de revue, à une monographie, à un rapport d’analyse politique et à une autre étude sous presse¹⁵.

    Le présent ouvrage profite donc d’un contexte de regain d’intérêt pour les aspects politiques des Jeux et du mouvement olympique, mais tente de combler le gros des lacunes quant aux Jeux d’hiver et leur rôle dans cette histoire de rapports de pouvoir. Sans viser l’exhaustivité, notre approche met en relief les moments clés de cette politisation et propose une chronologie originale du développement de l’olympisme hivernal en regard des grands bouleversements du monde des XXe et XXIe siècles.

    2. Origines et premiers développements

    La création des Jeux olympiques d’été précède celle des Jeux d’hiver, qui seront de ce fait toujours considérés comme les derniers-nés de la famille olympique. Toutefois, l’inclusion de sports d’hiver dans le programme olympique s’est invitée très tôt dans les débats des instances du CIO. Plusieurs fondateurs, dont Pierre de Coubertin, ne sont pas opposés à l’idée d’une ouverture à l’endroit de certains sports d’hiver. Coubertin lui-même dira « qu’après tout, le mont Olympe est couvert de neige ». Mais il existe déjà à l’époque des Jeux nordiques, qui se déroulent d’abord tous les deux ans puis tous les quatre ans entre 1901 et 1926. Certains membres du CIO impliqués dans leur organisation, dont le Suédois Victor Gustaf Balck, craignent une concurrence entre cet événement et les Jeux olympiques.

    De tractations en négociations, des progrès lents mais irréversibles virent émerger l’option olympique des sports d’hiver. Le patinage artistique fut inclus au programme des Jeux (d’été) de Londres de 1908. Puis c’est le tour du hockey sur glace à Anvers en 1920. En 1922, l’Italien Eugenio Brunetta d’Usseaux propose une semaine de sports d’hiver dans le cadre des Jeux. Ce sera pour 1924, alors que les Jeux se tiennent à Paris. On parle alors d’une « Semaine internationale des sports d’hiver » prévue à Chamonix entre le 25 janvier et le 5 février de la même année. Leurs débuts sont modestes : 258 athlètes de 16 pays, 16 épreuves dans 6 sports. Rétroactivement, ils seront déclarés comme étant les premiers Jeux olympiques d’hiver. Principale opposition, les pays nordiques ont finalement accepté ces Jeux. Ils y participent même avec enthousiasme, puisqu’ils y figureront régulièrement parmi les cinq meilleures nations jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

    3. Étapes marquantes

    Interrompus en 1940 et 1944 pour raison de conflit mondial, les Jeux d’hiver ont été tenus régulièrement tous les quatre ans la même année que les Jeux d’été jusqu’en 1992, alors que, pour intercaler et répartir plus aisément les dépenses des chaînes de télévision qui devaient faire l’acquisition des droits de télé des Jeux d’hiver et d’été la même année, le CIO décide d’organiser les Jeux suivants en 1994. Sur le plan de la localisation, on peut dire jusqu’aux années 1960 que les Jeux d’hiver avaient à peu près toujours lieu dans des villes-stations de ski de petite taille, sauf peut-être la station de Squaw Valley en Californie, qui fut hôte des Jeux de 1960 après à peine une dizaine d’années d’existence. Par contre, en 1964, le nombre de journalistes présents dépassa pour la première fois le nombre d’athlètes (en partie à cause de la retransmission en direct), ce qui amorça une tendance quant à leur organisation dans des centres urbains beaucoup plus importants (Innsbruck, Grenoble, Sapporo) et suscita des problèmes de dispersion des installations, les stations de ski étant plus éloignées du centre-ville. Conséquemment, des problèmes de logistique sont apparus. Cette tendance s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui avec Sarajevo, Calgary, Nagano, Salt Lake City, Turin et Vancouver, pour ne nommer que celles-là. Les exceptions ont surtout été Lake Placid (hôte des Jeux une deuxième fois en 1980, mais dont les installations de 1932 sont désuètes et les capacités hôtelières trop réduites) ou Lillehammer en Norvège, agglomération de moins de 15 000 habitants. En tout, l’Europe accueille les Jeux d’hiver 14 fois (dont 10 fois dans la région des Alpes !), l’Amérique du Nord, 6 fois, et l’Asie, 4 (dont le Japon, 2 fois). Les problèmes climatiques rencontrés à Calgary, à Vancouver ou à Sotchi ne sont pas nouveaux : Saint-Moritz en Suisse en a connu également, et on raconte que des soldats autrichiens ont dû être mobilisés à Innsbruck en 1964 pour transporter de la neige de régions avoisinantes.

    Les logiques d’attribution des Jeux olympiques d’hiver ont subi des transformations successives, mais on peut mettre en évidence quelques tendances lourdes. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la politique du CIO était de tenir les Jeux d’hiver et d’été dans le même pays, à moins que ce ne fût impossible à cause des conditions climatiques. C’est ainsi que, lorsque le CIO accepte de tenir une semaine des sports d’hiver en annexe aux Jeux de Paris en 1924, la course à l’obtention se passe entre trois villes françaises. Quand Saint-Moritz se porte à la rescousse des Pays-Bas qui ne peuvent les tenir en 1928, la compétition a lieu entre trois villes suisses et, en 1932, six villes américaines sont dans la course (avec Montréal et Oslo comme candidatures de « sûreté »). Après la guerre, cette logique est abandonnée et émerge même la volonté de tenir les Jeux d’été et d’hiver sur des continents différents. Les Jeux d’Albertville de 1992 sont les derniers à avoir lieu la même année que les Jeux d’été, pour une meilleure répartition des sommes versées par les télédiffuseurs en vue d’obtenir les droits de transmission sur deux années différentes et non la même année.

    Plusieurs choix ont été clairement dictés par des impératifs politiques, le CIO se plaçant dans une position d’arbitre, d’entrepreneur ou de « pacificateur ». Alors que la politique française aux Jeux de 1924 a été d’exclure les athlètes allemands en arguant l’incapacité des pouvoirs français de garantir leur sécurité, le CIO décida que l’entrée de ces athlètes aux Jeux d’hiver serait plus acceptable sur le territoire neutre de la Confédération helvétique en 1928. La seconde attribution des Jeux à Innsbruck en 1976, alors que la ville du Tyrol est venue se porter volontaire pour organiser les Jeux après l’abandon de Denver au Colorado, peut être en partie attribuable à une tentative de racheter l’affront fait au skieur Karl Schranz, disqualifié sur des questions d’amateurisme en 1968. Plus tard, la tenue des Jeux à Sarajevo en 1984 doit être comprise comme une réelle volonté d’expansion en direction du bloc de l’Est, avec l’appui indéfectible de l’OCDE qui y voit une bonne occasion de développer le tourisme hivernal en Yougoslavie, après le fiasco du boycottage des Jeux de Moscou en 1980¹⁶.

    Les cas d’arbitrage menés par le CIO sont nombreux. La neutralité de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale lui vaut une nouvelle attribution en 1948. Cortina d’Ampezzo qui s’était vu attribuer les Jeux de 1944 est compensée en 1956, après une 2e place pour ceux de 1952. Dans la même logique, Sapporo a dû attendre 32 ans pour les tenir. Après avoir soulevé le premier tollé écologiste à cause du site de construction de la piste pour les compétitions de bobsleigh lors de ses Jeux de 1932, Lake Placid dut essuyer cinq revers avant de l’emporter de nouveau pour la tenue des Jeux de 1980, une victoire sans éclat alors que les trois autres finalistes se sont retirés pour différentes raisons. On peut aussi déceler une intention compensatoire dans le cas de l’obtention des Jeux de 1992 par Albertville en Haute-Savoie après que les Jeux d’été furent perdus par Paris au profit de Barcelone. Les luttes politiques se poursuivent à l’intérieur même des pays candidats et les comités olympiques nationaux doivent trancher entre des villes concurrentes, comme ce fut le cas entre Sapporo et Nagano au Japon. Les autorités olympiques canadiennes ont misé deux fois sur Calgary sans succès dans les années 1960, avant de favoriser Banff, puis Vancouver, avant de revenir à Calgary. Parmi les grands perdants de la politique olympique, qui se souvient de Lahti en Finlande, de Falun et d’Ostersund en Suède, de Jaca en Espagne, d’Anchorage en Alaska et de Sofia en Bulgarie ? L’inflation des coûts depuis surtout les années 1990 et 2000 a pour effet de faire fondre la liste des villes candidates comme neige au soleil et de déplacer le centre de gravité des puissances prêtes à investir des sommes colossales plus loin vers l’Est, ce qui peut, à moyen terme, changer fortement la donne géopolitique.

    4. Programme et participation

    Les sports originels (ski de fond, patinage artistique, patinage de vitesse, bobsleigh, hockey et biathlon, anciennement nommé patrouille militaire) subirent peu de changements, sauf pour ce dernier qui disparaît ensuite jusqu’en 1960. Le ski alpin fait son apparition en 1936 et la luge en 1964. Le programme a assez peu changé, sauf pour le nombre d’épreuves, qui est passé de 16 en 1924 à 34 à Innsbruck en 1964 puis à 57 à Albertville en 1992 pour atteindre 109 épreuves regroupées dans 7 sports à Beijing en 2022. C’est néanmoins en 1992 que l’on fait entrer le patinage courte piste, le ski acrobatique et la planche à neige, qui sont vus comme des tentatives d’attirer un public plus jeune, plus enclin à regarder sur les nouveaux médias des sports plus spectaculaires (sauf le curling en 1998, au sobriquet un peu méchant « d’échecs sur glace », qui ne correspond pas à la tendance générale). On n’a qu’à penser au slogan de Sotchi qui se traduit grossièrement en anglais par « Hot. Cool. Yours ».

    Des 16 nations présentes aux premiers Jeux en 1924, on est passé à 32 en 1956, à 57 en 1988 et à 92 en 2018 (voir tableau I.1). Il faut noter que le CIO a, dès les années 1960, encouragé la participation d’athlètes venant de pays aux traditions sportives peu nordiques (comme Fiji ou la Nouvelle-Zélande), allant même jusqu’à financer une partie des coûts de déplacement des athlètes. Tout cela dans le but avoué de désenclaver les Jeux de leurs origines nord-européennes et nord-américaines et d’atteindre un auditoire plus mondialisé. L’illustration parfaite, très médiatisée, de cette volonté est celle de l’équipe jamaïcaine de bobsleigh aux Jeux de Calgary.

    Malgré cette ouverture et cette participation toujours élargie, il reste que le sport d’élite crée des inégalités criantes à l’échelle internationale. Dans son essai sur le sport dans le monde capitaliste, l’historien anglais Tony Collins rappelle que plusieurs sports ont une diffusion limitée à des facteurs historiques et géographiques contraignants et que même pour le sport le plus pratiqué de la planète, en l’occurrence le football, seules 8 nations ont remporté la Coupe du Monde de la FIFA en 21 éditions (3 sud-américaines et 5 européennes, et encore : l’Angleterre et l’Espagne n’ont gagné qu’une fois). Quant aux Jeux, le tiers des nations participantes n’ont jamais remporté de médaille olympique¹⁷. Pour les Jeux d’hiver, le constat est encore plus criant : des 206 comités olympiques nationaux membres de l’organisation, 96 n’ont jamais participé aux Jeux d’hiver et parmi ceux qui se sont présentés, 62 n’ont jamais remporté de médaille.

    Tableau I.1

    Participation aux Jeux d’hiver et proportion de femmes depuis 1924

    Source : CIO.

    D’un festival nordique et presque entièrement masculin à leurs débuts, les Jeux d’hiver ont lentement évolué, on vient de le voir, en ce qui a trait à la représentation internationale, mais aussi en ce qui concerne le nombre d’athlètes et le ratio d’athlètes féminines. S’il n’y avait que 258 engagés (dont 4,3 % de femmes) à Chamonix en 1924, ce chiffre est passé de 646 en 1936 (dont 12,4 % de femmes) à 1 091 (18,2 % de femmes) en 1964. Ces dernières représentaient 30 % des 1 737 athlètes de Lillehammer en 1994 et un peu plus de 43 % des 2 833 participants à PyeongChang en 2018. La quête de reconnaissance du sport féminin a été lente, mais constante.

    S’il faut retenir des tendances générales de cette évolution, outre l’ouverture internationale, la lente progression de la représentation féminine et l’enrichissement du programme olympique par l’inclusion de nouveaux sports plus spectaculaires depuis les années 1990, il faut aussi souligner la forte croissance des droits de télévision depuis les années 1980, qui ont fait miroiter auprès des potentiels pays hôtes la perspective de couvrir des frais d’organisation toujours plus élevés, mais qui ont mené à des déficits dans la plupart des cas (voir tableau I.2).

    En réponse à ces défis, le CIO a procédé à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la Révolution Samaranch, liée à la présidence du sixième président du CIO, l’Espagnol Juan Antonio Samaranch entre 1980-2001, qui comprit deux grandes composantes : l’ouverture faite aux commandites (sponsorship) mondiales – pensons au programme TOP mis de l’avant par Horst Dassler dans les années 1980 – et l’inclusion progressive des professionnels dans les compétitions, chaque à fédération sportive étant autonome dans ses règles et selon son propre calendrier (pensons à l’équipe canadienne de hockey à Nagano en 1998, bien après les basketteurs et les skieurs). Cette révolution aurait, selon ses chantres, sauvé le mouvement olympique du déclin entraîné par une perte de contrôle de la politisation du mouvement olympique¹⁸. Alors que les Jeux d’hiver étaient traditionnellement beaucoup moins coûteux à tenir que ceux d’été, l’influx d’argent venant des commanditaires et les nouveaux droits de télé négociés à la hausse ont provoqué une explosion des coûts d’organisation et d’infrastructure. Les investissements se font maintenant dans les agglomérations urbaines d’importance (Calgary, Vancouver, Nagano, Turin) et les petites villes stations de sports hivernaux aux images de cartes postales ne sont plus dans le jeu. L’évolution des Jeux d’hiver sur ces questions n’est pas différente de celle qu’on a observée pour les Jeux d’été, quoique les olympiades d’hiver étaient globalement moins coûteuses que celles d’été. Sotchi est peut-être venue changer la donne sur ce point. L’avenir nous le dira.

    Tableau I.2

    Coûts et dépassements de coûts des Jeux d’hiver contemporains

    Source : Bent Flyvberg et Allison Stewart, « Olympic proportions : Cost and cost overrun at the Olympics 1960-2012 », Saïd Business School Working Papers, University of Oxford, juin 2012, p. 10, 12, 13 ; Martin Müller, « After Sochi 2014 : Cost and impacts of Russia’s Olympic Games », Eurasian Geography and Economics, vol. 55, no 6 (2014), p. 628-655.

    Notons ici que les auteurs ne prennent en compte que le coût des infrastructures sportives, car ils considèrent que les données sur les coûts totaux des Jeux sont tellement aléatoires, difficiles d’accès et peu fiables, qu’elles ne peuvent conduire à une analyse scientifique sérieuse et dépassent le cadre de leur analyse. Cela explique que, par exemple, on attribue souvent dans la presse ou ailleurs une facture totale aux Jeux de Vancouver de près de 7 milliards de dollars (incluant un budget pour la sécurité de près de 1 milliard) alors que le coût des dépenses liées aux sports en tant que tels est de l’ordre du 2,3 milliards. On avance aussi que le coût réel des Jeux de Nagano ne sera jamais vraiment connu alors que des soupçons planent sur le Comité organisateur, qui aurait détruit des séries entières de documents financiers après leur tenue.

    5. Politisation

    Peut-être parce qu’il n’y a pas eu de boycottage spectaculaire et d’événements comme le « Black Power Salute », ou de prise d’otages, on a tendance à penser que les Jeux d’hiver furent moins matière à instrumentalisation politique que les Jeux d’été. On peut certes nuancer cette opinion. Si l’Allemagne (et les pays défaits de la Première Guerre mondiale) fut bannie des Jeux d’été de 1920 et 1924, elle le fut aussi aux Jeux d’hiver de Chamonix (1924) ; quant à sa présence quatre ans plus tard à Saint-Moritz, elle fut largement décriée. Aux Jeux allemands de Garmisch-Partenkirchen de 1936, la mise en scène nazie fut peut-être moins élaborée que celle de Berlin l’été suivant, parce que le comité organisateur allemand voulait éviter tout remous qui nuirait à la tenue des Jeux d’été de Berlin, aussi les signes de propagande antijuive furent-ils soigneusement remisés, mais les athlètes juifs subirent la discrimination nazie et, sauf exception, ne purent participer. Fait anecdotique, en faisant le salut olympique (bras droit tendu vers le haut) lors du défilé d’ouverture, les athlètes britanniques, français et canadiens furent applaudis par les spectateurs allemands, qui les croyaient faire le salut nazi.

    Malgré des budgets généralement beaucoup plus modestes que ceux des Jeux d’été, les Jeux d’hiver ont quand même souvent servi de vitrine politique aux pays organisateurs, comme ce fut le cas pour le gouvernement De Gaulle, qui souhaitait faire la promotion d’une France troisième voie entre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et le Bloc de l’Est via ses Jeux de Grenoble en 1968. Il ira même jusqu’à défier l’OTAN et à accorder des visas aux athlètes est-allemands, pour qui ce furent les premiers Jeux d’hiver en équipe séparée. Malgré plusieurs couches de controverse, le message des Jeux de Sotchi n’était-il pas celui du retour de la Russie au statut de grande puissance ?

    Si on peut affirmer sans ambages que pour Coubertin les Jeux d’hiver étaient très secondaires par rapport aux Jeux d’été, ils étaient pour Avery Brundage, président du CIO entre 1952 et 1972, ni plus ni moins qu’une écharde au pied. Pour ce président très à cheval sur les questions d’amateurisme et méchamment surnommé « l’abominable homme des neiges », les « Frostbite Follies » étaient surtout détestables pour la place que prenaient les équipementiers, entre autres, dans les compétitions de ski alpin, du passage facile des patineurs artistiques chez les professionnels, et des débats sur le caractère amateur des hockeyeurs. La question du caractère « professionnel » des entraîneurs de ski et leur disqualification comme compétiteurs était déjà assez vieille, depuis les années 1930, mais Brundage y a mis une ardeur et une abrasivité particulières. Il a d’ailleurs eu ses bêtes noires en ski alpin, comme l’Autrichien Karl Schranz qu’il a disqualifié deux fois et le Français Jean-Claude Killy trop proche des équipementiers. Brundage a d’ailleurs tenté d’imposer des règlements barrant la visibilité des marques d’équipement (des mesures qui ne lui survécurent pas) et a regardé avec beaucoup de dédain le recrutement de Walt Disney comme directeur des cérémonies aux Jeux de Squaw Valley (1960) qu’il voyait comme le début d’une « disneyification » des jeux. Toutefois, une décennie après la retraite de Brundage, le président du CIO Juan Antonio Samaranch commençait à assouplir progressivement les restrictions sur les professionnels, tout d’abord à Sarajevo en 1984, quand les fédérations se virent donner le pouvoir de définir les balises pour leur sport, puis à Calgary, pour culminer à Nagano avec la présence de professionnels de la Ligue nationale de hockey. Cette évolution n’est pas si différente dans son essence ni sur le plan chronologique de ce qui s’est passé aux Jeux d’été. Notons en passant que les Jeux de Calgary de 1988 furent rentabilisés (une affirmation encore un peu controversée) en partie à cause des droits de télé les plus élevés à ce jour, Jeux d’hiver et d’été confondus. Toutefois, ces mêmes Jeux marquent une rupture dans la stratégie des pays hôtes selon laquelle le développement économique général remplace l’argument traditionnel de développement du tourisme lié aux sports d’hiver.

    Parmi les performances remarquables de l’histoire des Jeux d’hiver, on peut noter la première grande vedette, la patineuse artistique norvégienne Sonja Henie, qui termine dernière de la compétition à ses premiers Jeux en 1924, mais qui raflera l’or trois olympiades de suite (1928, 1932, 1936) et entreprendra par la suite une carrière de patineuse professionnelle et d’actrice qui l’amènera à Hollywood. Fait beaucoup moins connu, le skieur de fond et biathlète norvégien Ole Einar Bjørndalen récolta 13 médailles dont 8 d’or en 5 Jeux olympiques entre 1998 et 2014.

    Tableau I.3

    Pays ayant obtenu le plus de médailles depuis le début des Jeux d’hiver

    * Inclut toutes les médailles gagnées par l’Allemagne et l’équipe d’Allemagne unifiée, sauf celles de la République démocratique allemande (RDA) (1968-1988).

    Source : CIO.

    Performance aussi spectaculaire des sœurs françaises Goitschel, Marielle et Christine, qui se sont partagé l’or et l’argent en slalom et en slalom géant à Innsbruck en 1964 (réminiscence de la performance des sœurs Dufour-Lapointe à Sotchi). Leur compatriote et roi des Jeux de Grenoble en 1968, Jean-Claude Killy, a raflé 3 médailles d’or en ski alpin (slalom, slalom géant et descente) avant d’entreprendre une carrière dans le CIO et de devenir, entre autres, vice-président du comité d’organisation des Jeux d’Albertville. Sa performance répétait celle de l’Autrichien Toni Sailer en 1956, qui fut beaucoup moins publicisée. L’Allemande Rosi Mittermaier faillit accomplir le même exploit chez les femmes en 1976, mais manqua l’or au slalom géant où elle remporta tout de même l’argent.

    En 1980 à Lake Placid, les supporteurs américains ont pu se réjouir de la performance inouïe du patineur de vitesse américain Eric Heiden, qui rafla 5 médailles d’or en plus de battre 4 records olympiques et 1 record du monde, une performance qui éclipse presque celle de 3 médailles d’or du patineur norvégien Johann Olaf Koss à Lillehammer en 1994 dans le même sport. L’exploit de Heiden survint la même année que le fameux « miracle sur glace » au hockey où une équipe de joueurs universitaires formés par Herb Brooks remporta contre toute attente la médaille d’or, après avoir battu en demi-finales la puissante « machine rouge » soviétique qui était au faîte de sa gloire et de sa domination technique à cette époque. L’intervention soviétique en Afghanistan, la menace de boycottage des Jeux d’été de Moscou et la hausse générale de la tension internationale ont participé à grossir la portée de l’événement. Comment passer sous silence la performance incroyable de la Soviétique Irina Rodnina, qui remporta 3 médailles d’or de patinage artistique en couple (avec deux partenaires différents) aux Jeux de 1972, de 1976 et de 1980 ?

    Toutefois, il faut se rappeler que, malgré l’irrésistible mondialisation du sport en général et des Jeux d’hiver en particulier, ces grands médaillés restent des représentants des nations d’Europe et d’Amérique du Nord. Comme il a été mentionné plus haut, une grande majorité de comités nationaux du CIO n’a soit ni participé ni gagné une médaille aux Jeux d’hiver, les récipiendaires ne provenant que d’une cinquantaine de pays. Les rapports géopolitiques de pouvoir favorisent nettement le Nord. Qui plus est, parmi les dix nations ayant récolté le plus de médailles (voir tableau I.3), les Scandinaves figurent

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