Au poker, on appelle ça faire tapis. Tout miser sur un coup. Emmanuel Macron a placé les Jeux olympiques au coeur de son quinquennat. « Le climax de son mandat », « un événement qui va placer le pays au centre du monde pendant deux mois », « les plus beaux Jeux de l’Histoire », « un événement digne de l’Exposition universelle de 1889 », fanfaronnent ses conseillers. Le risque est calculé, sans doute, mais l’issue ne peut qu’être radicale. La consécration ou le désastre, pas de demi-mesure possible. Le président, le comité d’organisation et Anne Hidalgo ont opté pour l’audace, à chaque étape de cette histoire secrète des Jeux. Une cérémonie d’ouverture sur la Seine, avec ce que cela comporte de risques sécuritaires, géopolitiques, logistiques. Le 28 mai 2022, l’orga nisation piteuse de la finale de la Ligue des champions de football a montré que la fête peut tourner au fiasco.
Les feux sont aujourd’hui à l’orange. Les transports en commun risquent l’embolie, les sociétés de sécurité privée peinent à recruter, de petits grains de sable vien nent sans cesse gripper la dynamique, telle cette tour du scandale à Tahiti. Rien d’inhabituel. A Londres, en 2012, la population a observé l’échéance d’un oeil sceptique jusqu’au dernier moment. Et puis le jour J, la reine fait mine de sauter d’un hélicoptère, elle arrive dans le stade, et tout un peuple est soudain empli de fierté, galvanisé aussi par les performances époustouflantes des sportifs britanniques. C’est peut-être là, d’ailleurs, l’aspect le moins simple à maîtriser pour le chef de l’Etat.
• CHAPITRE 1 Luc Besson et les larmes de Singapour
Quatre voix d’écart. Quatre petites voix, et le cours de l’Histoire aurait pu être différent. Ce 6 juillet 2005, à Singapour, tous ceux qui ont porté la candidature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2012 vivent un Waterloo sportif. Ce ne sera pas Paris, mais Londres. La claque, l’humiliation, la culpabilité d’avoir été à la fois trop sûrs de gagner et trop naïfs face aux Britanniques, maîtres dans l’art martial du lobbying.
Sur le papier, Paris a toutes les cartes en main. Un dossier en béton qui colle à la virgule près aux critères du Comité in ternational olympique (CIO) et deux candidatures avortées. Alors, lorsque Jacques Rogge, le président du CIO, brandit la petite feuille blanche et que le mot « Londres » apparaît en lettres capitales, les larmes coulent sur les joues de Bertrand Delanoë, le maire de Paris, d’Arnaud Lagardère, de Jean-François Lamour, le ministre de la Jeu nesse et des Sports, de Philippe Baudillon, le directeur de Paris 2012… Chirac, lui, est déjà reparti. La faute à qui ? Un projet où les politiques auraient pris trop la lumière, les diktats de Delanoë, le lobbying à la papa d’Armand de Rendinger en charge des relations internationales, la personnalité un peu trop effacée et pas assez polyglotte d’Henri Sérandour, le président du Comité olympique français. Sans parler du président de la République, qui a pris la chose un peu trop à la légère, arrivé au dernier moment, quelques coupes de champagne trinquées avec une poignée de membres du CIO lors d’un cocktail interminable. Et cette décision surprenante, trois mois avant le grand oral de Singapour. « On ne bouge plus une oreille », ne cesse de répéter Delanoë. Sur tout ne pas se montrer trop arrogants. Lors d’une réunion, le 23 avril 2005, un des membres du comité ose poser la question taboue : « Faut-il acheter des voix ? » Rendinger répond : « Je ne suis pas votre homme pour ça, mais je ne connais aucune ville qui l’ait emporté sans le faire ». Delanoë tranche : « On gagnera à la loyale. »
Quand le mot « Londres » apparaît, les larmes coulent sur les joues de Bertrand Delanoë
En face, les Anglais ont tout osé. Tony Blair présent pendant six jours à Singapour avec Sebastian Coe, le champion olympique en charge du dossier londonien. « De la diplomatie de chambre d’hôtel », se rappelle un ponte de la mairie de Paris. Il y a aussi ce film qui doit être diffusé au début du grand oral. Delanoë a imposé Luc Besson contre l’avis des