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Insolite Tome 4: La clairière des sacrifices
Insolite Tome 4: La clairière des sacrifices
Insolite Tome 4: La clairière des sacrifices
Livre électronique341 pages4 heures

Insolite Tome 4: La clairière des sacrifices

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À propos de ce livre électronique

NUL N’APPROCHE DE LA FORÊT INTERDITE PAR CRAINTE DE S’EFFACER DU MONDE DES VIVANTS…

Que signifie cet étrange message que Mégane a entendu dans une de ses visions ? Et pourquoi rêve-t-elle fréquemment d’une clairière des plus lugubres ? Y a-t-il un rapport avec cette nouvelle menace qui plane sur son ami Nicolas ? La jeune fille se retrouve de nouveau face à des mystères angoissants qu’elle n’a pas le choix d’élucider.

En vacances loin de chez elle, Mégane découvre une région peuplée de légendes qui pourraient bien être la clé de l’énigme. Si son voyage s’annonce excitant, Mégane devra affronter des forces aussi obscures que puissantes et percer à tout prix de sombres secrets. La vie de plusieurs personnes en dépend…

Violer certaines frontières peut demander un lourd tribut…
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie16 févr. 2022
ISBN9782897923280
Insolite Tome 4: La clairière des sacrifices
Auteur

Hervé Desbois

Français d’origine, mais Québécois de cœur, Hervé Desbois évolue dans le monde artistique depuis 1998. De fonctionnaire provincial à auteur/comédien, Hervé a effectué tout un saut (sans filet !) et fait maintenant flèche de tout bois afin de ne vivre que de son art. Bénéficiaire d’une bourse du Conseil des arts du Canada en 2014, il a pu se consacrer entièrement à l’écriture de son nouveau roman jeunesse : Insolite, Le spectre du lac. En 2015, Hervé s’est vu attribuer le prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton en littérature, un prix remis annuellement par le Conseil des arts du Canada et « décerné à des artistes canadiens à mi-carrière dont les réalisations ont été exceptionnelles ». Auteur polyvalent, amoureux des mots et poète dans l’âme, Hervé Desbois a prêté sa plume à des artistes bien connus du monde de la chanson, France D’Amour, Bruno Pelletier, Véronic Dicaire, Marc-André Fortin, Marie-Chantal Toupin et plusieurs autres. Au chapitre des livres, Hervé Desbois a fait sa marque dans différents styles littéraires. Du livre d’inspiration à la fiction, en passant par la nouvelle et la poésie, il a plus d’une quinzaine de titres à son actif. L’un d’eux, La bible des Impressionnistes, s’est retrouvé inscrit en tant qu’ouvrage de référence dans l’un des programmes d’étude de l’Université Paris-Sorbonne. En 2009, Hervé Desbois publie La vie entre parenthèses aux Éditions de Mortagne, une première incursion dans le roman « pour adultes » qui lui vaudra quelques bonnes critiques. L’air de rien, ce sont des dizaines de milliers de lecteurs à travers le monde qui savourent le style d’écriture d’Hervé Desbois, tantôt poétique et inspirant, tantôt incisif et direct.

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    Aperçu du livre

    Insolite Tome 4 - Hervé Desbois

    Prologue

    Où que le regard se porte, on ne voit que la lande, une tourbière inhospitalière… Des rochers, des arbrisseaux torturés et une végétation malingre composent ce paysage quasi lunaire. Des plaques d’herbe rase apportent ici et là un peu de couleur à ces étendues désertiques. Un homme marche en titubant sous le soleil. Le vent fouette ses cheveux hirsutes. Ses vêtements et sa peau sont couverts de crasse, et sa barbe de quelques jours lui confère un air inquiétant. Ce sont ses yeux qui frappent le plus. Ils donnent l’impression qu’un vide insondable a remplacé la vie qui avait dû les habiter auparavant.

    L’homme s’arrête soudain. Il a aperçu une silhouette qui se dirige vers lui. Arrivé à quelques mètres, l’autre individu interrompt sa marche incertaine. Les deux se dévisagent en silence durant de longues minutes. Un bruit non loin d’eux les fait sursauter. Un troisième homme vient d’apparaître, suivi de près par un quatrième, puis un cinquième. Leur apparence est similaire : des survivants rescapés d’on ne sait quelle tragédie. Ils donnent l’impression d’une réunion de morts-vivants. Les secondes et les minutes s’écoulent silencieusement. L’un d’eux, probablement un peu plus hardi ou curieux que les autres, s’avance au milieu du groupe. Après avoir jeté un regard circulaire sur cette étrange troupe, il tente d’articuler quelques mots qui se perdent dans un murmure inaudible. L’homme s’éclaircit la voix et reprend de plus belle.

    – Qui… qui êtes-vous ?

    Ils se dévisagent tour à tour, tous aussi ahuris les uns que les autres. Seule une bourrasque lui répond…

    Mégane se redresse en sursaut en se frottant les yeux. Une brume légère flotte devant elle tandis que la vision s’estompe. Puis tout redevient clair et bien réel. Le paysage et les hommes ont disparu. « Ouah ! J’étais rendue loin ! » À ses côtés, Nicolas n’a rien remarqué et reste étendu, profitant du soleil.

    – Te rends-tu compte ? Nous arrivons à la dernière semaine d’école ? souffle Nicolas. Ç’a passé tellement vite…

    Mégane demeure silencieuse. Il lui semble que leur dernière aventure s’est produite hier… Elle peine à retenir ses larmes tandis que de douloureux souvenirs remontent à la surface. La maison abandonnée dont une porte donnait sur une autre dimension dans laquelle ils étaient restés piégés, elle et Nicolas… Dimension dont Nicolas n’aurait pas pu se sortir sans le sacrifice ultime de sa grand-mère… Le chagrin que Mégane ressent à la suite de sa disparition se révèle aussi vif que si ces événements s’étaient déroulés la veille. D’ailleurs, elle et Nicolas se sont entendus pour éviter d’en parler. Le sujet est encore trop sensible et plus rien ne sera jamais pareil. Mégane est maintenant seule pour affronter les dangers inconnus que lui réserve son avenir…

    - 1 -

    Son chat Bout d’ficelle et Doudoune, la chatte héritée de sa grand-mère, tous deux roulés en boule à ses pieds, Mégane s’est endormie frustrée. Plus elle approche de la fin du journal des ancêtres de Madeleine, plus elle a l’impression de perdre son temps. Bien sûr, les récits sont intrigants et passionnants, et plusieurs lui ont permis de découvrir certains dons, de comprendre différentes situations ou de résoudre des énigmes auxquelles elle a dû faire face. Mais elle n’a encore lu aucun passage qui puisse l’aider dans sa quête de retrouver Mamie. Car ce qu’elle voudrait surtout, c’est savoir si l’une de ses aïeules est déjà revenue d’un autre univers. Hélas, jusque-là, elle n’a rien trouvé de tel.

    Mégane a repassé des centaines de fois dans sa tête le film des événements qui ont conduit à la disparition de sa grand-mère. Si son sentiment de culpabilité n’a pas diminué, son espoir de découvrir une solution est de plus en plus proche du zéro absolu. Qu’elle le veuille ou non, chaque fois les mêmes interrogations reviennent. « Et si j’avais fait ceci… Et si je n’avais pas fait cela… Et que serait-il arrivé si… Et si… Et si… »

    À court de réponses aux multiples questions qui l’assaillent, Mégane finit par sombrer dans les bras de Morphée… Rapidement, elle se retrouve dans un état second qu’elle sait ne pas être un véritable rêve. Elle continue en effet de réfléchir et de penser, comme si elle était en mesure de séparer sa conscience de son corps. Mégane entend alors une voix. Certainement celle d’un homme, tellement elle est grave et profonde. À cet instant, elle prend conscience de l’environnement au milieu duquel elle évolue. Tout est d’abord flou et imprécis, comme si son esprit devait faire une mise au point. Ce qui l’entoure se clarifie peu à peu et Mégane est intriguée. « On dirait un labyrinthe ! » Son étonnement se transforme en angoisse quand des ouvertures se matérialisent à mesure qu’elle progresse, des ouvertures pour le moins étranges… Elles ont toutes l’apparence de miroirs, mais la jeune fille n’y voit pas son reflet !

    Mégane avance prudemment en s’efforçant de repérer l’origine de ce qui ressemble à une lamentation monotone. Après avoir arpenté plusieurs couloirs et tenté de faire pivoter quelques miroirs, elle entend distinctement la voix qui semble provenir de derrière l’un d’eux. La jeune fille pose une main tremblante sur la surface de celui-ci… qui disparaît sans un bruit ! Elle se fige en découvrant le paysage qui s’offre à elle. Une nature luxuriante qui respire la fraîcheur s’étend à perte de vue. Et là, sur un énorme rocher moussu, un personnage tout de blanc vêtu est assis, lui tournant le dos. Mégane réalise avec stupeur que le labyrinthe s’est volatilisé ! Elle se trouve seule dans cet endroit, les yeux rivés sur l’individu qui tient un discours des plus étranges.

    « Il est un bois sacré, qui, depuis un âge très reculé, n’a jamais été profané. Il entoure de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. Il est parcouru d’inextricables chemins aux destinations inconnues. Des autels sont dressés, dans la nuit d’encre, sur des collines sinistres entourées d’arbres purifiés par le sang humain. Même les oiseaux craignent de se percher sur les branches de ce bois, et les bêtes sauvages, de se coucher dans les repaires. Le vent ne s’abat pas sur la végétation, ni la foudre ne jaillit des sombres nuages. Ces arbres, qui ne présentent leur feuillage à aucune brise, inspirent une frayeur toute particulière. Des incendies y brillent parfois de la lueur du feu purificateur… Nul n’approche de cette forêt interdite par crainte de s’effacer du monde des vivants. Sous l’éclat de la Lune bleue, Tlachtga en a scellé l’issue. Elle veille sur l’invisible horizon… »

    Bien qu’elle ne saisisse rien à ce discours, les mots s’impriment dans l’esprit de Mégane. Et elle sent croître une frayeur en elle, comme si la voix terrifiante de ce personnage s’insinuait au plus profond de ses pensées… Et face à elle, le paysage s’est métamorphosé pour prendre l’apparence de la description qu’elle vient d’entendre ! Mégane comprend qu’elle doit se ressaisir, pour ne pas sombrer dans cette noirceur qui l’enveloppe, et sortir de ce rêve au plus vite ! Mais c’est l’inverse qui se produit. Une force mystérieuse la maintient solidement enracinée dans l’herbe qui semble lui lécher les jambes !

    – Qui… qui êtes-vous ? Et qu’est-ce que…

    L’individu se tourne très lentement vers Mégane en se redressant de toute sa hauteur. Lorsqu’elle croise son regard, la jeune fille est tétanisée par l’horreur qu’elle y découvre. Deux yeux noirs sont ancrés dans un visage décharné dont la peau grisâtre ressemble à un vieux parchemin.

    – Nul ne peut approcher de la forêt interdite, sous peine de ne jamais reparaître aux vivants !

    Aussitôt, les yeux de l’individu se mettent à briller d’une lueur inquiétante. Puis un cri assourdissant emplit l’espace de mots porteurs d’une menace sans équivoque…

    – NUL NE PEUT APPROCHER DE LA FORÊT INTERDITE, SOUS PEINE DE NE JAMAIS REPARAÎTRE AUX VIVANTS !

    Tétanisée, Mégane comprend que sa curiosité l’a une fois de plus conduite là où elle ne devrait pas se trouver… Elle n’aurait jamais dû franchir ce miroir pour se hasarder dans ce monde hostile !

    Soudain secoué de violentes convulsions, l’homme s’enflamme sous le regard horrifié de Mégane… L’air devient âcre et étouffant, la chaleur, si ardente et insoutenable qu’elle craint de s’embraser elle-même… Puis la forme incandescente explose dans un geyser de flammes et de sang, enveloppant d’un linceul opaque et oppressant Mégane, qui se met à hurler…

    – NOOON !!

    Sophie, qui avait réussi à s’endormir, se redresse d’un bond dans son lit. Même de sa chambre, elle a clairement entendu le cri de Mégane. Ce n’est pas la première fois. Épuisée, elle laisse sa tête retomber sur son oreiller. Avant qu’elle replonge dans le sommeil, une question vient la tarauder : « Est-ce que ma fille retrouvera un jour la paix ? » Sophie aimerait y croire…

    Dans son lit, Mégane étouffe les sanglots qui la secouent à la manière d’un tremblement de terre. C’est au prix d’un formidable effort qu’elle parvient à se calmer. À ce moment, elle réalise que son corps est brûlant.

    - 2 -

    Le lendemain matin, Mégane se réveille tard, les traits tirés. Son sommeil n’a pas été réparateur. Cédric et Sophie qui prenaient leur café sur le balcon rentrent à ce moment-là.

    – Salut, mon petit singe. On se lève à pas d’heure ?

    – Ben quoi, c’est la fin de semaine !

    La remarque de Mégane est sortie plus sèchement qu’elle l’aurait voulu. Sa mère la fixe quelques instants, visiblement inquiète.

    – Mégane… Que se passe-t-il ? Tu fais encore des cauchemars ? Ça t’empêche de dormir ?

    – Non, pourquoi ? réplique l’adolescente en rougissant, bien consciente que son mensonge ne passe pas.

    Sophie soupire en secouant la tête.

    – Me raconte pas d’histoires, je t’ai entendue remuer dans ton lit cette nuit, et même crier.

    « Si tu savais, maman ! » songe Mégane, qui a conscience que sa mère ne laissera pas tomber si facilement.

    – Écoutez, je vais bien, je…

    – Depuis quand tu ne t’es pas regardée dans un miroir ? Tu as une tête de déterrée !

    – Là, ta mère n’a pas tort, hasarde Cédric.

    – Je sais que tu ne veux pas qu’on t’en parle, mais je crois vraiment que ce serait bien que tu consultes un psycho…

    – Maman ! Je vous ai déjà répondu que c’est pas la peine ! J’ai peut-être mauvaise mine, mais c’est à cause de l’école et des examens de fin d’année.

    – Ça ne t’engage à rien de participer à une rencontre, renchérit Cédric. Tu ne sais pas, peut-être qu’un bon psy pourrait te donner des conseils utiles ?

    Mégane fait un gros effort pour ne pas exploser. Elle sait que ce ne serait pas à son avantage. Ce n’est pas la première fois qu’ils ont cette discussion. Que pourrait-elle raconter à un thérapeute ? Qu’elle a des visions et qu’elle voyage dans d’autres réalités ? Qu’elle communique avec des fantômes ? Que sa grand-mère a disparu dans une dimension parallèle en se sacrifiant pour Nicolas ? Mégane sait qu’elle est condamnée au silence. Alors elle décide de jouer la carte de l’ado qui a des parents fatigants.

    – Je m’en vais manger sur le balcon, réplique-t-elle en se levant immédiatement pour mettre fin à la conversation.

    Cédric et Sophie se regardent, impuissants. Que faire ? Forcer Mégane, si tant est que la chose soit possible ? Ils se doutent que ce serait de toute façon de l’énergie gaspillée. Pourtant, Sophie n’est pas prête à baisser les bras. Peut-être qu’un autre jour le timing sera meilleur. Leur fille unique l’inquiète, et il n’est pas question de la laisser angoisser et sombrer un peu plus chaque jour.

    Sur le balcon, Mégane n’a rien perdu du dialogue muet que ses parents se sont échangés. Chose tout aussi nouvelle qu’intrigante pour elle, elle a perçu quelques bribes de leurs pensées !

    Lune qui indique une ellipse, un saut dans le temps

    Une semaine plus tard, les autobus jaunes ont cessé de sillonner les rues de Montréal. L’été vient à peine d’arriver au calendrier et il fait soudain très chaud dans la métropole. La nuit a répandu un peu de fraîcheur sur la ville assoupie. Dans une rue tranquille de Verdun, la plupart des habitants dorment depuis longtemps. Une faible lueur illumine la fenêtre d’un des appartements.

    Couchée dans son lit, Mégane est plongée dans un volume qu’on croirait tout droit sorti de chez un antiquaire tellement la couverture de cuir est élimée. Malgré ses frustrations, et même si le faisceau de sa lampe frontale a parfois des ratés, la jeune fille s’entête à poursuivre sa lecture. Les yeux rougis et bouffis par la fatigue, elle s’efforce de déchiffrer l’écriture fine et penchée de son aïeule Elmire. En voilà une qu’elle avait mise de côté en se promettant d’y revenir, car trop difficile à lire.

    Notre monde côtoie d’autres univers sans que nous en ayons conscience. Madeleine nous a enseigné cette leçon et nous devons développer notre sensibilité à ces réalités. Enfant, je pouvais arpenter l’un de ceux-là durant mon sommeil. C’est ainsi que j’ai découvert mes dons. Mère m’avait alors appris qu’il s’agissait des limbes. Si j’ai vite compris que, grâce à eux, je pouvais communiquer avec les vivants, ce n’est que plus tard que j’ai entrevu leur véritable étendue. Les limbes représentent une sorte de voie d’accès vers d’autres dimensions. Ainsi, toutes mes visions et tous ces songes étranges me sont accessibles grâce aux limbes. S’ils peuvent être inoffensifs, ils peuvent également receler des ouvertures vers des mondes dont on ne revient pas ou devenir un labyrinthe inextricable dans lequel il est facile de s’égarer.

    « C’est exactement ça ! Et ça explique aussi bien des choses ! »

    Consciente de ce que cela signifie, j’aime m’en servir pour communiquer avec des gens durant leur sommeil. Dans quel dessein ? Pour les aider, ainsi que Madeleine nous l’a demandé. Je relate ici ma dernière expérience. Alors que je rentrais du marché par la rue des Commissionnaires, arrivée au coin d’un de ces passages qui parsèment la cité, je fus frappée par une vision du futur des plus violentes. À l’endroit même où je me trouvais, un homme allait se faire agresser par des malfaiteurs en quête d’argent. Je le reconnus. Il s’agissait de Pierre du Calvet, un marchand honnête rentrant d’une célébration à l’Auberge des voyageurs. Roué de coups, l’infortuné allait rendre son dernier soupir après avoir lourdement chuté sur le pavé.

    Je ne pouvais cependant lui relater ce que j’avais vu. Comme toutes les descendantes de Madeleine, je suis tenue au secret le plus strict. Aussi, dès que je fus revenue à la maison, je me mis en devoir de communiquer avec lui au moyen des limbes. La chose n’est pas nécessairement aisée, mais il suffit d’orienter notre pensée vers l’image de la personne recherchée, et des couloirs semblent s’ouvrir devant nous. Je pus ainsi m’introduire dans la pensée de monsieur du Calvet en imprimant la scène des vauriens lui faisant un mauvais parti dans cette ruelle.

    Dans les jours suivants, je me rendis à son échoppe et je sus qu’il avait « écouté son instinct » puisqu’il était encore de ce monde.

    Bien entendu, il revient à l’individu d’obéir à l’avertissement qui lui est insufflé, ce qui n’est, hélas, pas toujours le cas. Mais cela signifie que plusieurs futurs possibles peuvent coexister, et que notre chemin ici-bas peut donc être modelé et modifié selon nos décisions.

    Épuisée, et malgré tout satisfaite d’avoir appris quelque chose, Mégane referme le journal de ses ancêtres et va le replacer dans sa cachette. « Au moins, l’école est finie. Je pourrai faire la grasse matinée. » Puis elle s’endort comme une masse. Les images du dernier récit d’Elmire dansent dans son esprit tandis que son sommeil devient de plus en plus profond.

    L’aurore est encore loin quand Mégane pénètre dans un autre de ses songes inquiétants. Elle survole un paysage sauvage ; des vallons désolés, des à-pics rocheux, puis une forêt à perte de vue. Si la sensation de voler est enivrante, Mégane sait que cette vision risque de se transformer en un cauchemar épouvantable.

    Des voix attirent son attention. Aussitôt, elle se retrouve en train de planer au-dessus d’une clairière où a lieu une bien curieuse assemblée. Des individus tout de blanc vêtus se tiennent debout autour d’un grand feu en psalmodiant dans une langue inconnue de Mégane. « Wow ! C’est quoi, ça ?! » La scène se poursuit quelques minutes avant que le silence se fasse. Mégane remarque soudain que l’un des participants ressort du lot. Elle a l’impression qu’il est plus imposant et plus… lumineux que les autres. Totalement hypnotisée par cette vision, Mégane est stupéfaite lorsqu’elle ressent de puissantes ondes émanant de cet individu, quelque chose qui ressemble aux battements d’un cœur. Puis tout s’efface dans une gerbe d’étincelles, comme si le feu avait explosé !

    L’instant d’après, Mégane se tient au milieu de la clairière. Seule. Bien qu’il fasse toujours nuit, la pénombre est moins dense. Sous ses pieds, l’herbe est drue et douce au toucher. La jeune fille repère un chêne à l’écorce torturée à l’orée d’un boisé impénétrable. Sans se l’expliquer, elle se sent attirée vers cet arbre. Alors qu’elle s’avance dans sa direction, Mégane remarque une chose bizarre : le silence est total, absolu. Pas le moindre frémissement dans les feuilles, pas le moindre bourdonnement d’insectes, pas le moindre murmure de la nature omniprésente, comme si cet endroit ne recelait aucune vie. La jeune fille est soudain envahie par une peur qui grandit à chacun de ses pas. Tout à coup, un chuchotement se fait entendre dans l’espace, un écho lointain qu’on croirait sorti des profondeurs de la forêt…

    Gwad an inosanted a walc’ho torfedoù an dibater !

    En scrutant l’obscurité, Mégane distingue une vague silhouette lumineuse à travers les branchages. Le visage qu’elle perçoit est flou, et pourtant elle peut sentir son regard dirigé vers elle. Aussitôt, Mégane est secouée de tremblements alors qu’une angoisse grandissante s’infiltre en elle jusqu’à devenir étouffante. Elle a l’impression que ses pieds s’enracinent dans la terre tandis que le même marmonnement parvient à ses oreilles encore et encore. Et puis le sol se dérobe brusquement sous elle…

    L’effet de plonger dans les entrailles de la Terre est atroce. Mégane suffoque et cherche son air… Puis elle se réveille en panique dans son lit. Le goût de la terre est toujours présent dans sa bouche… et une odeur d’humus flotte encore dans ses narines.

    - 3 -

    Sur un banc de parc à l’ombre d’un arbre, Nicolas est rivé à sa tablette électronique. De temps à autre, il essuie quelques gouttes de sueur qui perlent sur son front plissé par l’effort. Concentré sur son appareil, Nicolas poursuit inlassablement ses recherches. Univers parallèles, téléportation, physique quantique… C’est à peine s’il entend les cris des enfants qui jouent dans l’eau de la plage urbaine de Verdun, au pied de l’auditorium fraîchement rénové.

    – Salut, Nic.

    Le jeune homme sursaute et se tourne vivement vers celle qui vient de s’adresser à lui.

    – Meg ! Tu m’as fait peur !

    – Désolée. Qu’est-ce que tu fabriques avec ta tablette ?

    – Une chance que je l’ai apportée ! Ça fait une demi-heure que je t’attends.

    – Excuse-moi, je…

    Mégane suspend sa phrase et pousse un long soupir en s’assoyant à côté de son ami fidèle. Nicolas remarque son visage fatigué et les cernes sombres sous ses yeux. Il a l’impression que ces traces sont plus prononcées que jamais.

    – Meg… tu es cernée jusqu’au nombril ! D’autres cauchemars ?

    – Ouais… je me couche trop tard, aussi. Je tiens à terminer la lecture du journal de mes ancêtres. Je suis rendue aux récits que je ne parvenais pas à lire et que j’avais mis de côté. T’as pas idée ! J’ignore si je vais y arriver ! Et puis…

    Mégane laisse tomber le silence entre eux avant de poursuivre d’une voix hésitante.

    – Chaque fois que j’ai une vision ou un rêve que je comprends pas, je… je ne peux m’empêcher de penser à Mamie. Je crois que je me ferai jamais à l’idée de sa disparition. Savais-tu qu’elle a rien écrit dans le journal ?

    Nicolas détourne le regard. Lui-même a été profondément attristé par la disparition de la grand-mère de son amie. Bien qu’ils se soient entendus pour ne pas en discuter, Nicolas perçoit que Mégane vient d’entrouvrir une porte.

    – Elle était comme ma grand-mère à moi aussi, tu sais. Et je… je lui dois la vie. Sans elle… C’est à cause de moi si…

    – Je sais, Nic. C’est terrible. Mais t’as pas à t’en vouloir. Mamie a fait le choix de se sacrifier pour toi.

    – Tu… tu l’as revue ? Je veux dire en rêve ou autrement ?

    Nicolas se met à rougir. Bien que les événements remontent à plusieurs mois, c’est la première fois qu’il s’avance à poser la question sans détour. Mégane réfléchit quelques instants avant de hausser les épaules.

    – J’aimerais me convaincre que oui, mais… non. Je fais juste des rêves tordus, comme d’habitude.

    Mégane allonge ses jambes et s’appuie sur le dossier du banc. Elle ferme les yeux et inspire profondément.

    – Puisqu’on parlait de Mamie… Euh… Je peux ?

    – Je t’écoute.

    – Ç’a pas été facile à dénicher, parce que des bozos qui disent n’importe quoi sur les univers parallèles, c’est pas ce qui manque ! J’ai fini par découvrir que des scientifiques se sont intéressés au phénomène en 1957. J’ai sauvegardé l’article pour lire les résultats de leurs recherches plus tard. Même le physicien Stephen Hawking pensait que c’était possible.

    – J’ai pas besoin d’eux pour le savoir, on y était !

    – Ben oui, je sais. Je voudrais pas remuer de mauvais souvenirs, mais je cherche… OK, ça va te paraître vraiment dingue. Voilà. J’essaie de savoir s’il y a une chance, même microscopique, que ta grand-mère revienne.

    – C’est gentil, Nicolas. Je crois pas qu’on trouvera la solution sur Internet. Ces univers parallèles et tous les phénomènes auxquels on doit faire face… c’est pas très « scientifique ».

    – On peut toujours espérer, hein ?

    – Tu as raison.

    Le visage de Mégane s’assombrit un peu plus, ce que Nicolas remarque aussitôt.

    – Désolé, j’aurais pas dû…

    – Non, c’est pas ça. J’ai peur que mes parents découvrent quelque chose. Ils m’ont encore relancée avec leur histoire de psy. Je pensais qu’ils avaient laissé tomber. Mais c’est pire depuis que j’ai recommencé à faire des cauchemars, genre pas d’allure.

    – Meg, faut les comprendre. Tu disparais pendant des jours, ta grand-mère aussi. Mais contrairement à toi, elle, elle revient pas. Et t’es inconsolable… il y a de quoi être bouleversée, non ?

    – OK, OK… Parlant de disparition, tu pars quand, au fait ?

    – Euh… Pour mon boot camp ? Je rentre le 10 ou le 11 juillet, je sais plus.

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