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L’aventure de la recherche qualitative: Du questionnement à la rédaction scientifique
L’aventure de la recherche qualitative: Du questionnement à la rédaction scientifique
L’aventure de la recherche qualitative: Du questionnement à la rédaction scientifique
Livre électronique667 pages7 heures

L’aventure de la recherche qualitative: Du questionnement à la rédaction scientifique

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À propos de ce livre électronique

Dans ce manuel, la recherche qualitative est présentée comme un processus itératif plutôt que linéaire. Il s’agit du compagnon de voyage idéal pour tout chercheur en sciences sociales afin de le guider du début du processus de recherche qualitative jusqu’à sa toute fin, soit à l’étape de rédaction du mémoire, de la thèse ou du rapport de recherche. Les auteures proposent une réflexion sur les étapes conceptuelles, méthodologiques et éthiques du processus de création du savoir pour ensuite se pencher sur l’analyse du matériel empirique. L’ouvrage a d’ailleurs recours à des applications concrètes pour démontrer la manière dont les décisions méthodologiques se traduisent dans la pratique. Malgré l’ouverture et la flexibilité de leur approche, les auteures ne favorisent pas une posture relativiste, mais traitent de l’importance de répondre à des critères de validité explicites et à des écueils à éviter en analyse qualitative. Style engageant, conseils pratiques, illustrations claires, exemples variés et synthèses composent ce manuel qui vise à concrétiser le processus de recherche qualitative, souvent abstrait pour le chercheur novice. Publié en français
LangueFrançais
Date de sortie12 sept. 2018
ISBN9782760327337
L’aventure de la recherche qualitative: Du questionnement à la rédaction scientifique
Auteur

Stéphanie Gaudet

Stéphanie Gaudet est directrice du CIRCEM et professeure titulaire à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa.

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    Aperçu du livre

    L’aventure de la recherche qualitative - Stéphanie Gaudet

    Préface

    De quelle manière certaines personnes deviennent-elles politiquement actives dans leur communauté? Qu’est-ce qui explique la participation de jeunes adultes dans les événements de costumade (cosplay) et dans la culture des mangas? Comment comprendre le fait que les personnes âgées associent l’attention dont fait preuve leur médecin de famille aux prescriptions médicamenteuses qu’il rédige? Quelles raisons motivent les agents correctionnels à recourir à la discipline carcérale? Comment les neurosciences sont-elles mobilisées afin d’offrir une nouvelle légitimité au diagnostic controversé de psychopathie? Quelles sont les similarités dans le parcours de vie des décrocheurs du secondaire? Comment les citoyens produisent-ils et partagent-ils leurs propres savoirs profanes afin de résister à l’industrie de la fracturation hydraulique dans leur région? Votre travail, en tant qu’étudiant du monde dans lequel on vit, est de poser des questions incisives et d’y répondre. Cela est tout particulièrement vrai quand vous entreprenez un projet de recherche qualitative officiel dans le cadre de vos études ou de votre travail.

    La recherche est une aventure excitante. C’est un cadeau que d’avoir le temps (jamais assez de temps…) pour se consacrer à un projet de recherche sur une question importante pour vous. Lire de façon extensive les écrits empiriques et conceptuels sur votre sujet; colliger ou produire votre matériel empirique; analyser le tout et proposer votre interprétation – bref, produire des connaissances – est un privilège.

    Toutefois, on ne le vit pas toujours ainsi. Entreprendre un projet de recherche est un périple difficile, parsemé de détours imprévus, de pauses nécessaires pour réévaluer le chemin accompli et les efforts requis pour la suite, et d’une quantité étonnante de travail sur soi. Notre expérience nous enseigne que l’inconfort est inévitable dans le processus de recherche. Cela dit, il est plus facile d’arriver à destination quand des guides nous épaulent. Au cours des 15 dernières années, nous avons accompagné plusieurs étudiants dans la réalisation de leurs premiers projets de recherche qualitative au baccalauréat, de leur mémoire de maîtrise ainsi que de leur thèse de doctorat. Et c’est dans cet esprit d’accompagnement que nous avons rédigé ce livre.

    Beaucoup de bons manuels prescriptifs ont été écrits sur la façon de mener une recherche qualitative. Il existe aussi plusieurs livres détaillés sur une école de pensée en recherche qualitative ou une autre. Nous apprécions ces deux catégories de documents et nous vous y renverrons tout au long du présent ouvrage. Le livre que vous tenez entre vos mains ne présente pas de recettes toutes faites pour mener votre projet de recherche et ne se veut pas un traité définitif sur la méthodologie qualitative. Nous vous offrons plutôt ici un compagnon qui vous aidera à devenir le chercheur qualitatif autonome, aventureux et rigoureux que vous pouvez être.

    Dans la première partie de ce livre, nous vous communiquons de solides points de référence concernant l’épistémologie, la méthodologie, les approches et les stratégies en recherche qualitative ainsi que les questions d’éthique. Pour ce faire, vous serez exposés à des exemples détaillés d’études déjà réalisées. Connaître ainsi ses options est une condition nécessaire pour devenir un producteur de connaissances libre et inventif. Notre objectif est de vous donner la confiance nécessaire pour tracer votre propre parcours et apprendre à ne pas seulement suivre des sentiers balisés.

    Dans la seconde partie de ce livre, nous nous concentrons sur l’analyse du matériel qualitatif, une phase trop souvent négligée dans les livres de recherche qualitative. Nous démystifions les couches superposées d’analyse nécessaires à la production des résultats de recherche. Nous vous démontrons le processus pas à pas à l’aide d’un exemple tiré d’un projet de recherche que nous avons mené et d’une analyse détaillée de notre matériel empirique suivant deux stratégies d’analyse distinctes. Nous vous donnons des conseils. Nous vous suggérons des tâches à accomplir pour réaliser votre projet. Nous vous offrons des lignes directrices pour prendre vos décisions. Nous discutons des exemples concrets de défis liés à l’interprétation et nous vous épaulons dans la production de résultats de recherche solides et convaincants. Nous voulons que ce livre devienne votre compagnon du début à la fin de votre projet. Notre souhait est qu’il agisse tel un mentor qui vous questionne, vous inspire, vous suggère des options, vous ralentit au besoin et vous motive. Nous souhaitons être à vos côtés alors que vous vivez l’expérience transformatrice de la recherche qualitative.

    Dans ce chapitre, vous apprendrez à :

    • Définir un projet de recherche qualitative comme un processus itératif de production de connaissances;

    • Cerner les différentes phases d’un processus de recherche itératif;

    • Formuler une question de recherche qualitative;

    • Distinguer les différentes postures épistémologiques dans le cadre d’une recherche qualitative.

    Introduction

    Cet ouvrage ne vous enseignera pas de recette, mais il vous amènera à créer la vôtre. À l’instar des grands chefs, vous devrez savoir choisir, préparer et mélanger vos ingrédients. Vous utiliserez les savoirs transmis au sein de votre discipline afin de créer de nouvelles recettes. Le processus de création est infini et la recherche qualitative, un voyage sans fin. Il y a toujours de nouveaux phénomènes à comprendre, de nouvelles méthodes à inventer et de nouvelles formes de connaissances à créer.

    Le social est notre objet d’étude. En raison de sa complexité et de son caractère changeant et intersubjectif, nous croyons qu’il nécessite l’adoption d’une méthodologie de recherche bien précise. Dans ce premier chapitre, nous vous aiderons à concevoir votre projet de recherche en ayant recours à un processus itératif. Ce genre de travail de recherche vous transportera continuellement du fondement empirique de votre étude vers son interprétation théorique, pour ensuite vous ramener au matériel empirique de base. Bref, le matériel de recherche et les aspects théoriques de votre projet seront continuellement en dialogue.

    Dans ce chapitre, nous aborderons trois éléments importants de votre projet de recherche qualitative : vos postulats ontologiques et épistémologiques, leurs liens avec votre question de recherche et le processus itératif à la base de la production qualitative scientifique. En termes plus épistémologiques, nous vous invitons à découvrir l’épistémologie de la production des connaissances avec laquelle vous êtes le plus à l’aise de travailler. Êtes-vous plutôt de type réaliste, constructionniste ou constructiviste?

    Vous vous demandez peut-être pourquoi nous abordons des questions aussi théoriques dans les premières pages d’un livre sur la méthodologie? C’est que parler de méthodologie, c’est parler de la façon dont nous observons la réalité, de la manière dont nous la décrivons et des moyens que nous employons pour créer et organiser nos descriptions et nos explications de phénomènes sociaux. La méthodologie est une réflexion sur les méthodes qui constituent nos outils d’observation du monde. Elle contribue à la création du savoir, d’où l’importance de comprendre ce que produit l’application de méthodes qualitatives.

    Figure 1.1

    Où en sommes-nous dans le processus de recherche?

    Le processus de production des connaissances

    Créer des connaissances, c’est recréer le social

    En examinant et en expliquant le social, les chercheurs participent à le recréer. Il s’agit là d’une énorme responsabilité et d’une incroyable expérience de pensée créatrice. Puisque nous essayons de décrire, de comprendre et d’expliquer un monde historique et dynamique, il est très difficile – et pas nécessairement souhaitable – de découvrir des lois universelles, c’est-à-dire de formuler des énoncés explicites pour expliquer la production, la régularité et la constance d’un phénomène. Par exemple, en sciences naturelles, on a maintes fois observé que le point d’ébullition de l’eau est de 100 degrés Celsius. Nous pouvons donc maintenant prédire, selon une loi universelle, que l’eau s’évapore à 100 degrés Celsius dans un contexte de pression atmosphérique moyenne de 1013 hPa. Dans le monde social, de telles relations causales universellement valides entre une condition (la température), un élément (l’eau) et une conséquence (l’évaporation) sont presque impossibles à trouver.

    En sciences naturelles, les relations causales sont établies grâce à l’observation de répétitions dans le cadre d’expérimentations.

    Jusqu’à présent, aucun chercheur en sciences sociales n’a réussi à établir des lois universelles de ce type, puisque les caractéristiques que nous observons diffèrent grandement de celles du monde naturel. Le social est situé dans l’histoire. C’est un objet complexe, porteur de plusieurs sens et fondé sur des relations subjectives. Cela ne signifie pas qu’il n’existe aucune causalité en sciences sociales, mais plutôt que la causalité a un sens différent. Il ne s’agit pas d’une relation fondée sur les effets constants entre les éléments A et B, comme c’est le cas en sciences naturelles. L’élément A fait plutôt partie du processus par lequel se produit le phénomène.

    En sciences sociales, la cause fait partie de ce qui constitue le phénomène (Van Campenhoudt et Quivy, 2011, p. 95).

    Définir le social constitue la pierre angulaire de tout projet de recherche en sciences sociales. Personne n’arrive à la même acception, mais plusieurs sont d’avis que le social découle des relations entre les êtres humains et non humains. De plus, les phénomènes sociaux sont historiquement situés : ils demeurent donc, pour la plupart, singuliers, et se créent par le biais des relations, au fil du temps. Le legs des générations, des institutions et des organisations propres à nos sociétés les façonne. Par exemple, l’expérience que vit une femme détenue dans un pays donné est formée par l’histoire juridique de ce pays, par les réalités architecturales des prisons, par les politiques sociales et par la formation du personnel qui travaille avec la détenue. Par ailleurs, la perception que les chercheurs ont de cette détenue est influencée par la recherche institutionnelle (universitaire et gouvernementale) et par les connaissances pratiques des membres du personnel.

    La complexité du social n’empêche pas la production de connaissances pertinentes. Plusieurs chercheurs en sciences sociales nous aident à mieux comprendre notre monde. Ils créent un savoir localisé, qui ne vise pas l’universalité, mais qui est situé et contextualisé par son temps. Ces connaissances aident à faire avancer la société en améliorant les politiques, les interventions et les programmes publics. Ce savoir localisé nous permet de recréer le social. En fait, des réalités sociales sont faconnées par le fait même de les nommer, de les décrire et de les interpréter. Créer de nouvelles manières de comprendre les réalités sociales peut parfois contribuer à faire tomber les tabous et à donner plus de pouvoir aux individus. Il arrive que de nouvelles solutions à des problèmes découlent d’une nouvelle interprétation de ceux-ci.

    Parce que nous recréons le social, nous avons la responsabilité d’assurer la validité des connaissances produites et de cerner les limites du savoir créé. Lorsque l’on mène des recherches qualitatives, on doit d’abord reconnaître que les connaissances que l’on produit ne peuvent pas expliquer des phénomènes empiriques universels. Ainsi, la valeur et la force des recherches qualitatives résident dans leur capacité à « fournir une compréhension riche de contextes sociaux complexes et non pas dans leur capacité à fournir une explication causale d’événements » (Pascale, 2011, p. 40, traduction libre).

    Interpréter et expliquer la production de connaissances scientifiques

    Toute production de connaissances scientifiques suppose à la fois l’explication et l’interprétation d’un phénomène donné. Pour Bourdieu, l’interprétation et l’explication sont liées et peuvent même avoir lieu simultanément (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1983). À des fins pédagogiques, nous les définirons toutefois de façon indépendante l’une de l’autre. L’explication peut se concevoir comme une démonstration des relations entre des objets. Les explications sont le plus souvent basées sur un processus hypothético-déductif de production des connaissances. Les explications fondées sur une généralisation statistique sont souvent perçues comme étant mieux adaptées à ce que l’on peut observer dans la nature et moins pertinentes lorsqu’il s’agit d’analyser des phénomènes historiques. Cependant, la réalisation de plusieurs analyses statistiques permet de cerner de forts liens de causalité entre des catégories sociales, comme la classe, le genre et la race. Ce type de connaissances contribue à expliquer des relations de causalité à grande échelle et à nous renseigner sur les tendances sociales profondes des sociétés. Bien que ce genre de recherche vise surtout à expliquer, une interprétation fiable d’une situation sociale tendra vers la généralisation théorique; ainsi, les connaissances produites pourraient expliquer d’autres cas semblables, même si nous ne pouvons pas en tirer des conclusions universelles statistiquement généralisables (Pires, 1997).

    Des sociologues comme Dominique Schnapper (1999) insistent sur l’idée selon laquelle la recherche sociale de qualité est habitée par une tension entre l’explication et l’interprétation, mais qu’il faut savoir à partir duquel des deux pôles nous travaillons. Les objectifs et la question de recherche détermineront si le but de l’étude est de fournir une explication – on privilégiera alors un processus linéaire de production des connaissances – ou plutôt de proposer une interprétation – on optera dans ce cas pour un processus itératif (voir figure 1.2 ci-contre).

    Figure 1.2

    Interpréter et expliquer

    Si vous souhaitez observer un phénomène complexe, comme la culture, la méthodologie de votre recherche devrait se rapprocher du pôle de l’interprétation et adopter une structure itérative. Par exemple, dans toutes les sociétés, des frontières culturelles existent pour déterminer qui fait partie du « nous » (notre communauté d’identification) et qui fait partie des « autres ». Dans une société profondément divisée par l’identité raciale, comme les États-Unis, les groupes culturels peuvent se former en fonction de la minorité historique noire, de la majorité historique blanche et d’autres groupes (personnes d’origine hispanique, asiatique, arabe, etc.). On peut déterminer où se situent de telles frontières en menant des entretiens et des analyses historiques. Aucune loi universelle ne peut toutefois expliquer les frontières culturelles changeantes parmi ces groupes. Le tableau 1.1 (ci-contre) présente les différents buts de l’observation et de la description selon les modèles de recherche itératif et linéaire. Nous parlons ici d’observation de manière générale. Elle comprend tous les outils qui permettent de recueillir ou de produire du matériel empirique. Nous aborderons l’observation en son sens plus strict au chapitre 4.

    Méthodologie et épistémologie

    Comme nous l’avons expliqué précédemment, la production de connaissances est fondée sur l’explication et l’interprétation, mais les méthodes qualitatives cherchent surtout à produire des interprétations de divers phénomènes. La validité d’un ensemble de connaissances ne repose pas simplement sur le choix des méthodes et des types de sources empiriques. Elle dépend aussi de la cohérence, de la rigueur et de la transparence d’une série de décisions scientifiques qui touchent à plusieurs éléments : l’objet d’étude, la problématique connexe, la question de recherche, les réponses possibles, les méthodes de production de matériel empirique et d’analyse, et la conclusion. La réflexion qui s’effectue au cours du processus de prise de décision constitue la méthodologie. Autrement dit, la méthodologie est l’étude systématique, par observation de la pratique scientifique, des principes qui la fondent et des méthodes de recherche utilisées. Dans cet ouvrage, nous nous pencherons sur la méthodologie qualitative en tant que processus itératif de production de connaissances. Notre définition de la méthodologie qualitative ne dépend pas du type de sources utilisées, qu’il s’agisse de textes ou de statistiques, ni d’un choix de méthodes comme l’observation ou le questionnaire. Elle découle plutôt d’un processus décisionnel qui nous aidera à définir notre posture épistémologique et notre méthodologie de recherche.

    Il faut d’abord décider, en fonction du type de problème à étudier, s’il est plus approprié d’opter pour une méthodologie quantitative ou qualitative. Cette décision est liée à une posture épistémologique et ontologique. L’ontologie est une discussion ou une réflexion sur la nature de l’état d’être ou sur les sortes d’objets qui ont une existence, tandis que l’épistémologie est l’étude de la nature et des fondements du savoir, particulièrement en ce qui concerne ses limites et sa validité. Cette dernière est une discipline qui prend la connaissance comme objet d’étude.

    En tant que chercheurs, ce que nous percevons comme la réalité et ce que nous jugeons possible de connaître repose sur des postulats non démontrables. Guba et Lincoln (2004) expliquent très bien comment les chercheurs universitaires peuvent convaincre les autres de l’importance de leur posture ontologique et épistémologique tout en précisant que personne ne sait si l’une des postures est meilleure que les autres. Tout au plus, nous pouvons affirmer qu’une certaine posture peut être plus pertinente pour étudier une problématique donnée que pour en examiner une autre. Par exemple, si une chercheuse veut évaluer l’efficacité d’un vaccin contre la tuberculose, elle adoptera probablement une ontologie réaliste. Cela signifie qu’elle croit que les molécules, les atomes et les fluides sont objectivement réels, c’est-à-dire qu’ils existent en dehors de sa perception et de ses croyances. Elle adoptera aussi une épistémologie positiviste, ce qui veut dire qu’elle croit que le rôle de la science est de comprendre les lois organisationnelles de la nature qui régissent la réalité qu’elle définit comme étant vraie. Pour ce faire, elle doit observer le monde empirique sans y exercer d’influence et analyser les relations de causalité de manière hypothético-déductive. Les personnes atteintes d’un cancer, par exemple, préféreront probablement recevoir un traitement testé dans le cadre de l’épistémologie positiviste.

    Toutefois, si nous voulions comprendre les manières dont ces personnes vivent leur rétablissement, nous pourrions analyser leur expérience de diverses formes de thérapies, comme la méditation, le yoga, l’acupuncture ou les pratiques spirituelles. Nous pourrions aussi enquêter sur l’appui qu’elles ont reçu de leurs proches, sur le rôle qu’elles attribuent aux pensées positives par rapport à leur santé physique, etc. Ce type de question de recherche repose sur un postulat selon lequel la réalité est construite par nos perceptions et nos expériences, et nous nous intéresserons à l’expérience vécue du traitement et du rétablissement. Les personnes atteintes d’un cancer préféreront probablement être traitées par des professionnels qui sont ouverts à l’épistémologie et à l’ontologie constructivistes afin d’améliorer leur expérience de traitement et de rétablissement.

    Ces exemples montrent qu’on ne peut affirmer qu’une épistémologie ou une méthodologie est universellement supérieure à une autre. Il existe divers types de problématiques, qui exigent différentes épistémologies et méthodologies. En d’autres mots, certains choix méthodologiques sont mieux adaptés à certains types de problématiques.

    Dans cet ouvrage, nous nous pencherons sur une méthodologie qualitative, qui porte sur la compréhension et l’interprétation des sens, plutôt que de nous attarder à la méthodologie quantitative, qui porte sur les relations de causalité. Il est important de le préciser, puisque certaines méthodes qualitatives sont aussi utilisées dans le contexte d’une posture plus positiviste. Ici, nous mettrons l’accent sur la recherche itérative et inductive.

    Toutefois, il est important pour des chercheurs de comprendre le type de culture scientifique dans laquelle nous évoluons, puisqu’elle influe sur l’opinion que nous avons de la science et du savoir. Il est dangereux de tenir nos connaissances pour acquises – il en est de même pour nos paradigmes scientifiques – puisque cela peut entraver la production de nouvelles connaissances. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, nous ne savons pas si une épistémologie est meilleure qu’une autre et il est impossible de le prouver. De même, aucune méthodologie n’est supérieure à une autre. Une méthodologie peut cependant être mieux adaptée et plus propice à un certain type de connaissances. Cela étant dit, nous vivons dans une société guidée par des technologies (liées à la croissance économique) produites dans le cadre d’une épistémologie positiviste et d’une ontologie réaliste. Ainsi, nous naviguons quotidiennement dans une culture positiviste qui influence notre compréhension du savoir. C’est pourquoi nous devons être particulièrement vigilants lorsqu’il s’agit de produire des connaissances. Il est important de tracer les limites de la culture scientifique, de la méthodologie de recherche et de la production scientifique.

    Déconstruire la culture scientifique positiviste

    Le positivisme étant la première forme du scientisme, il est souvent défini comme une forme d’empirisme naïf. Bien que très peu de personnes y adhèrent, même en sciences naturelles, cette épistémologie est si profondément ancrée dans nos croyances et dans notre culture moderne qu’elle influence notre perception de ce qui peut être connu. C’est pour cette raison que nous commençons ce chapitre en déconstruisant le positivisme en tant que culture scientifique et en affirmant qu’il ne s’agit pas d’une épistémologie à proprement parler. Dans la prochaine partie de ce chapitre, nous présenterons diverses épistémologies de la méthodologie qualitative. Pour l’instant, nous discuterons du positivisme comme élément de culture de la modernité qui repose sur une conception du monde technoscientifique.

    Le positivisme a été conçu pour contrebalancer la métaphysique et les grandes théories. Dans ce paradigme, la réalité obéit aux lois et le rôle du savoir scientifique est de corréler les observations objectives à des lois universelles. Ainsi, le but de la science est de valider ou d’invalider les énoncés théoriques. Bien que le positivisme soit mal adapté aux types de questions et de problématiques de recherche abordées dans ce livre, nous sommes d’accord avec l’idée que la science doit se confronter aux faits empiriques. Les phénomènes impossibles à observer (comme les dieux!), c’est-à-dire qui ne peuvent être appréhendés d’une manière quelconque, même à l’aide d’indicateurs partiels, ne peuvent pas être des objets de savoir scientifique.

    Au sein du paradigme positiviste, la relation entre l’objet observé et la personne qui l’observe doit être aussi neutre que possible afin d’éviter les biais. L’objectivité est un critère impératif dans la validation de toute analyse empirique positiviste. En général, les sciences naturelles partagent cette posture qui, historiquement, a dominé les recherches sociales quantitatives. On peut aisément parler d’un discours hégémonique lorsqu’il s’agit de compréhension populaire et universitaire du savoir. Même les étudiants de premier cycle universitaire adoptent souvent par défaut cette façon de voir les choses dans le cadre de leurs cours de méthodologie qualitative. On leur a appris que la science est fondée sur l’objectivité et sur le processus de production des connaissances hypothético-déductif ou linéaire (voir figure 1.3 p. 8). Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, de telles façons de concevoir la production des connaissances vont souvent à l’encontre des questions de recherche qui les intéressent le plus.

    Figure 1.3

    Le processus de recherche linéaire du positivisme

    En sciences sociales, le positivisme domine même s’il est incessamment remis en cause. La naissance des sciences sociales, et particulièrement celle de la sociologie, a été facilitée par des approches positivistes comme celles d’Auguste Comte et d’Émile Durkheim, qui voulaient formuler une compréhension scientifique des phénomènes sociaux. À l’instar des chercheurs en sciences naturelles, ils souhaitaient découvrir des lois universelles à partir d’observations. Pour Durkheim (1897/2013), les sociétés fonctionnent selon des lois universelles, comme le fait la nature, et le rôle de la sociologie est de suivre un processus inductif pour formuler des lois de causalité basées sur la comparaison de phénomènes sociaux concomitants. Merton (1968) a réintroduit cette idée sous la forme de l’application limitée de l’universalité, connue comme la théorie de moyenne portée, qui convient mieux aux objectifs des sciences sociales.

    Ces types d’ontologie et d’épistémologie découlent du positivisme et des sciences expérimentales. Il est important de comprendre cela pour pouvoir établir un dialogue entre les chercheurs et pour savoir que ce discours hégémonique sur la production de connaissances n’est pas forcément valable en sciences sociales. Nous sommes d’avis que les sciences sociales ont leur propre ontologie et leur propre épistémologie en raison de la nature unique du social, qui est complexe, multidimensionnel, historiquement situé et fondé sur des liens subjectifs.

    La recherche qualitative est définie par :

    • Un processus itératif de production des connaissances;

    • La nature de son objet de recherche, le social, qui est :

    • complexe;

    • multidimensionnel;

    • historiquement situé;

    • fondé sur des liens subjectifs.

    Par conséquent, les questions de recherche qui visent à comprendre des phénomènes sociaux seront quelque peu différentes de celles qui tentent d’expliquer des liens naturels de causalité. Elles mèneront à des recherches fondées sur un processus itératif et à l’emploi de méthodes qualitatives.

    La recherche qualitative

    La recherche qualitative permet de saisir plus facilement l’historicité et la complexité du social ainsi que son caractère subjectif.

    Chaque fois que nous défendons notre question de recherche et que nous justifions nos choix méthodologiques, nous passons par plusieurs interprétations. Nous créons des mystères, pour ensuite les résoudre. C’est pourquoi il est si important de préserver la cohérence de notre méthodologie de recherche. Les objectifs de recherche, le cadre théorique, la posture épistémologique, la question et les méthodes de recherche doivent toujours être interreliés.

    La question de recherche constitue le cœur de votre méthodologie qualitative. Afin de maintenir la cohérence épistémologique d’une recherche qualitative, il faut se demander si l’on veut vraiment travailler à partir d’un processus itératif de production des connaissances axé sur l’interprétation. La tentation d’élaborer un plan hypothético-déductif est toujours très forte. Souvent, les étudiants et les étudiantes dont nous supervisons les recherches utilisent des sources empiriques et des méthodes qualitatives, mais nous constatons qu’ils ont appris à poser des questions déductives et à décrire des schémas sociaux universels. Afin d’éviter ce piège, il faut d’abord formuler une question qui favorise un processus itératif de recherche. La formulation de la question de recherche est cruciale pour créer une bonne proposition de recherche et pour clarifier sa méthodologie.

    Déduction

    Opération par laquelle on établit, au moyen de prémisses, une conclusion en vertu de règles d’inférence logiques (McGraw-Hill Dictionary of Scientific & Technical Terms, 2003, traduction libre).

    Induction

    Raisonnement utilisé surtout en sciences et qui se propose de chercher des lois générales à partir de l’observation de faits particuliers. La conclusion va au-delà des prémisses dont elle est tirée (Collins Discovery Encyclopedia, 2005, traduction libre).

    Comme l’illustre le tableau 1.2 ci-dessus, les pronoms interrogatifs sont essentiels pour formuler la question et la méthodologie de recherche. La plupart du temps, la recherche qualitative se construit à partir d’une question qui débute par un « comment » : comment peut-on définir les expériences des jeunes adultes? Comment pouvons-nous comprendre le processus d’implication politique? Comment les chercheurs construisent-ils l’ignorance? Comment l’art de la costumade (cosplay) nous renseigne-t-il sur la culture populaire japonaise? Les questions qui commencent par un « comment » favorisent des interprétations à la fois riches et ancrées dans leurs contextes, tout en menant à une compréhension des processus sociaux. Ce type de savoir est impossible à obtenir en posant des questions de type déductif. Certaines questions de recherche n’emploient pas le mot « comment », mais font tout de même référence à l’idée d’un processus complexe (p. ex., « Pourquoi les jeunes adultes s’engagent-ils dans des activités délinquantes? »).

    La cohérence

    La base de la méthodologie de recherche qualitative réside dans la cohérence de la posture épistémologique, du problème de recherche, de la question et de la méthode. En tant que chercheurs en sciences sociales, nous sommes en quelque sorte des médiateurs de la réalité sociale, puisque nous transmettons notre expérience d’un phénomène. Les chercheurs en sciences sociales observent, décrivent, interprètent et expliquent. Comme en sciences naturelles, ils doivent faire preuve de rigueur et valider les connaissances qu’ils produisent.

    Le processus itératif

    L’abduction

    Selon Charles Sanders Peirce, un pionnier de la philosophie des sciences et des méthodes de recherche, tout processus d’enquête commence par l’abduction, qui signifie l’« inférence vers la meilleure explication » (Dumez, 2012, p. 3). Lorsque l’on rédige une proposition de recherche, il faut imaginer les résultats potentiels en matière de production des connaissances. Il faut aussi supposer les raisons qui font que le phénomène en question a besoin d’être expliqué.

    Dans un processus itératif, la période d’abduction est particulièrement importante. Comme l’expliquent Alvesson et Kärreman (2011), le chercheur crée un mystère lorsqu’il présente l’objet d’étude. En sciences expérimentales, l’originalité est souvent jugée à partir des résultats de recherche, comme la production de nouveau matériel empirique sur le cancer du sein. Dans le cas d’un processus itératif, la construction de l’objet de recherche est aussi importante que le sont les nouveaux résultats. L’abduction est cruciale, parce qu’il s’agit du processus mental qui permet de construire l’objet de recherche et la problématique.

    En se fondant sur cette construction, on pourrait être en mesure de proposer de nouvelles interprétations de la réalité. Dans sa discussion sur l’imagination sociale, Wright Mills (1959) décrivait certains éléments de ce processus, sans toutefois nommer l’abduction. Il était très critique au sujet des grandes théories et des recherches axées sur les grosses enquêtes quantitatives. Pour lui, les chercheurs en sciences sociales devaient plutôt mettre de l’avant de nouvelles interprétations ou des synthèses de ce que nous connaissons déjà au lieu de produire du matériel empirique sans proposer de nouvelles interprétations du problème.

    L’abduction est la première étape de toute enquête scientifique, mais lorsqu’il s’agit de méthodes qualitatives, le processus d’abduction revient souvent au cours de l’interprétation des sources.

    L’induction

    « Induire » signifie formuler une explication fondée sur des observations. Il s’agit d’un processus du bas vers le haut (de l’empirie vers la théorie). Mener une recherche inductive signifie observer et décrire des tendances et tenter d’établir des interprétations qui pourraient s’appliquer à des cas semblables. L’objectif est de comprendre et d’interpréter pour ensuite expliquer une réalité localisée, ce qui veut dire que l’interprétation produira un sens et permettra de mieux comprendre des situations, des processus ou des discours semblables.

    Les méthodes qualitatives sont surtout basées sur l’induction, ce qui ne veut pas dire que l’abduction ou la déduction que nous abordons ci-dessous sont mises de côté. Plutôt, c’est l’opération inductive, et plus précisément l’opération mentale d’abduction-induction, qui oriente le processus dans son ensemble. Cette opération s’oppose à l’approche plus positiviste de la science, selon laquelle le savoir est fondé sur la validation ou l’invalidation d’affirmations découlant principalement d’opérations mentales déductives.

    La déduction

    La déduction est une opération logique basée sur des prémisses universelles à partir desquelles nous tirons des conclusions précises. Il s’agit d’un processus du haut vers le bas (de la théorie vers l’empirie). Dans un tel processus, nous validons ou invalidons notre explication en posant des questions comme : cette explication a-t-elle du sens? S’applique-t-elle à des cas différents ou semblables? Voici un exemple classique utilisé par Aristote dans une leçon sur la logique : 1) Les humains sont mortels (loi ou théorie universelle à vérifier); 2) Socrate est un humain (observation empirique); 3) nous pouvons donc conclure, à partir de cette loi universelle, que Socrate est mortel (énoncé de connaissances).

    La production d’affirmations scientifiques établies par un processus déductif commence par la formulation d’une hypothèse basée sur la théorie. On vérifie ensuite la validité de l’hypothèse par l’observation. La validation et l’invalidation peuvent généralement être appuyées par des méthodes statistiques appliquées à des échantillons représentatifs. Nous appellons « généralisations statistiques » les énoncés de connaissances produits par ce type d’explication, ce qui signifie qu’il existe une régularité dans l’échantillon et que cette régularité s’applique à toute population présentant les mêmes caractéristiques que l’échantillon. Par exemple, les observations recueillies sur les symptômes du cancer de la prostate chez un petit groupe d’hommes blancs en Amérique du Nord peuvent être généralisées à l’ensemble de la population d’hommes blancs au Canada et aux États-Unis.

    En somme, le processus de recherche qualitative commence par l’abduction. Le raisonnement abductif « commence par un mystère, une surprise ou une tension, puis cherche à l’expliciter en déterminant les conditions qui peuvent rendre ce mystère moins troublant et plus normal » (Schwartz-Shea et Yanow, 2012, p. 27, traduction libre). Il faut imaginer comment répondre aux questions de recherche à partir de lectures et d’expériences empiriques. Ensuite, il faut essayer d’interpréter la signification des sources empiriques grâce au processus inductif. Ces interprétations sont ensuite vérifiées selon un processus déductif. Mais le processus ne s’arrête pas là, comme le montre la figure 1.4 (p. 12). Il faut retourner au matériel empirique, imaginer de nouvelles réponses et recommencer le cycle d’abduction-induction.

    Figure 1.4

    Le processus de recherche inductive

    Les épistémologies qualitatives

    La question de recherche et sa formulation itérative sont au cœur de la méthodologie de recherche qualitative. Comme mentionné plus haut, la cohérence est un indicateur de qualité incontournable. Elle est essentielle lorsqu’on cherche à expliquer comment on se positionne par rapport à la production de connaissances, à l’ontologie et à l’épistémologie. Avant d’entamer une recherche, il est rare qu’un chercheur se pose des questions épistémologiques ou existentielles comme : « Suis-je réaliste critique, constructionniste ou constructiviste? »

    Il faut cependant comprendre la diversité des épistémologies qualitatives afin d’être en mesure de positionner son projet de recherche. En général, les chercheurs expérimentés construisent leurs questions de recherche et leurs méthodologies dans les mêmes paradigmes ontologiques et épistémologiques. C’est parce que la validité d’une analyse dépend souvent de la cohérence du paradigme épistémologique, de la méthode et de l’interprétation qui résultent du processus de recherche.

    En sciences sociales, où l’on recourt au processus itératif, on compte de nombreuses ontologies, épistémologies et méthodologies. Les ontologies font référence à ce que l’on croit être réel, tandis que les épistémologies sont ce que nous croyons pouvoir savoir au sujet de notre monde. Les méthodologies comprennent notre construction du problème de recherche ainsi que les outils et les analyses connexes qui sont utilisés pour appréhender l’objet de recherche.

    Dans le but de préciser les différences entre diverses épistémologies, la figure 1.5 propose une cartographie arborescente par posture ontologique. De manière très simple, on parle de deux ontologies de base : le réalisme et le constructivisme. La thèse réaliste est fondée sur le postulat selon lequel la réalité existe en dehors de notre perception de celle-ci. En revanche, l’argument constructiviste maintient que la réalité est construite, au moins partiellement, à partir de nos perceptions de celle-ci. Diverses épistémologies (croyances au sujet de ce qu’il est possible de savoir) sont proposées à partir de ces ontologies. Bien que plusieurs épistémologies soient étroitement liées à des théories particulières (p. ex., épistémologie poststructuraliste ou féministe), nous présenterons celles qui sont le plus souvent utilisées dans les salles de classe et les recherches en sciences sociales, afin que les apprentis chercheurs puissent développer leur propre perspective critique à leur égard.

    Figure 1.5

    L’univers des épistémologies en recherche qualitative

    L’ontologie réaliste

    Les chercheurs qui adhèrent à une ontologie réaliste croient que la réalité existe en dehors de l’individu qui l’observe. Cette posture est fondée sur la philosophie cartésienne, qui différencie l’objet du sujet. Il s’agit d’une perspective ontologique qui domine le monde occidental depuis le Siècle des lumières. Le réalisme englobe des épistémologies très variées, allant du positivisme au réalisme critique. Nous nous intéressons au positivisme en tant que culture scientifique davantage qu’en tant que moyen de comprendre ce que l’on peut savoir du monde. Nous ne le présenterons donc pas en tant qu’épistémologie. Nous présenterons par contre l’épistémologie postpositiviste, car elle joue un rôle important dans l’élaboration d’une méthodologie qualitative. Nous ne nous y attarderons toutefois pas davantage dans cet ouvrage.

    LE POSTPOSITIVISME

    Le postpositivisme est une vision modérée du positivisme qui reconnaît que, si la réalité existe, les manières de l’observer et de la décrire sont imparfaites. Les postpositivistes peuvent utiliser des méthodologies à la fois qualitatives et quantitatives. Ce paradigme est souvent utilisé dans les sciences naturelles et de la santé. Tout en croyant que la réalité peut être connue, les adeptes de ce paradigme font appel aux probabilités pour expliquer les relations entre les variables (corrélations) et pour rendre compte de l’imperfection des connaissances. Par exemple, les recherches sur le tabagisme et le cancer du sein peuvent mener à l’énoncé de connaissances suivant : le risque de cancer du sein, plus tard dans la vie, est plus élevé chez les personnes qui fument que chez celles qui ne fument pas. Cet énoncé de connaissances n’est pas universel, contrairement aux affirmations des positivistes, qui voudraient plutôt promouvoir une loi universelle selon laquelle le tabagisme causerait le cancer.

    En sciences sociales, les fondements de la recherche qualitative jetés par Glaser et Strauss (1967) sont fortement influencés par l’épistémologie postpositiviste. Les personnes qui y adhèrent croient en l’existence d’une réalité objective et multiplient leurs observations en employant des outils, comme les entretiens, pour tester continuellement leurs analyses et leurs explications théoriques. Elles ont développé un processus de recherche inductif à partir de méthodes d’induction analytique établies par l’École de sociologie de Chicago. Leurs processus inductifs permettent de formuler une généralisation théorique à partir d’observations.

    LE RÉALISME CRITIQUE

    Du point de vue ontologique, les réalistes critiques croient qu’une réalité objective existe en dehors du chercheur, mais que les différentes manières d’appréhender la réalité par nos sens, nos schèmes cognitifs et nos connaissances sont socialement construites. Du point de vue épistémologique, les réalistes critiques se rapprochent grandement des constructionnistes.

    Les réalistes critiques, dont les matérialistes, défendent l’idée que le monde existe grâce aux relations causales et que la tâche des sciences sociales est d’explorer cette idée. Leur conception des relations causales, cependant, est très différente de celle des positivistes ou des postpositivistes. Pour eux, les relations causales sont inhérentes aux objets mêmes; elles n’existent pas entre les objets. Dans le monde social, les objets sont

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