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Poésie meurtrière: Policier
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Poésie meurtrière: Policier
Livre électronique448 pages6 heures

Poésie meurtrière: Policier

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À propos de ce livre électronique

Assassinats et enlèvements se succèdent à Charleville-Mézières, Liège, Namur, Londres, Chicago. Chacun des crimes porte une même signature : une balle tirée dans le poignet gauche de la victime après sa mort. La police piétine mais un journaliste, Olivier Garcia, décide de se lancer dans sa propre enquête…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Christian Hardy est originaire des Ardennes. Cultivant sa passion pour la littérature romanesque, dans son roman Poésie meurtrière, au-delà de l’intrigue, il rend hommage à sa terre natale et au poète visionnaire et transgressif qui hante encore la cité de Gonzague.
LangueFrançais
Date de sortie9 août 2021
ISBN9791037732750
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    Aperçu du livre

    Poésie meurtrière - Christian Hardy

    Chapitre 1

    Vendredi 12 avril 2019

    La journée s’annonçait belle, le printemps était là, le soleil avait pris son envol au-dessus des toits ; de quoi se sentir enfin revivre après les frimas des mois passés. J’ignorais que ce jour allait marquer le début de la plus grande aventure journalistique de ma carrière, la plus sanglante aussi.

    Chaque matin, avant de me rendre au travail, j’ai plaisir à venir prendre un café croissant sur la place Drouet-Derlon ; soit au Grand Café le premier à gauche en venant des Promenades, soit aux Trois brasseurs, un peu plus loin, à droite.

    Dans ma jeunesse, avant de me lancer dans une école parisienne de journalisme, j’avais entamé des études de droit, ici à Reims à la fac du quartier de Croix Rouge. Mes adresses préférées au cœur de la ville étaient l’Éclaireur et le Palais de la bière ; un autre temps. Ces établissements ont disparu aujourd’hui ou, tout au moins, ont changé d’enseigne. Bien des années plus tard, mon parcours professionnel m’a conduit à retrouver cette ville et à m’y installer.

    Je vis seul, divorcé, en quadragénaire dont la fille unique est bien loin, terminant ses études à Montréal. Autant dire que mis à part quelques petits loisirs qui meublent la monotonie des jours, le travail occupe l’essentiel de mon existence.

    Si je devais me décrire physiquement, je dirais, cheveux châtains fins et raides, coiffés en arrière, yeux marrons, de taille moyenne, plutôt mince ; bref un physique assez banal, ni très séduisant, ni ingrat, et qui, pour être honnête, mériterait un peu plus d’entretien par le sport. Je porte assez peu d’attention à mes tenues vestimentaires, préférant le côté pratique à l’élégance ; blouson et jean en sont les composants les plus courants.

    J’aime à me placer en observateur de la rue, près de la vitrine du café. L’âme d’une cité est changeante au fil des heures. J’ai même envie de dire que plusieurs villes aux visages bien différents se succèdent au cours d’une journée.

    Aux environs des huit heures qu’indique ma montre, on voit peu de flâneurs dans ce centre de Reims. Ceux qui traversent la place marchent d’un pas pressé pour atteindre un bus ou un train, qui vont les conduire à leur gagne-pain. Ils sont engagés dans leur défi quotidien : un compte à rebours qui débute à la sonnerie du réveil et se poursuit jusqu’à leur lieu de travail. Je suis moi aussi entraîné dans cet engrenage, avec toutefois l’avantage des quelques souplesses de ma profession.

    On voit aussi à cette heure, les camions de livraison qui déversent leurs marchandises, avant la pleine journée. Les véhicules de nettoyage arrosent la chaussée et parfois les pieds des piétons distraits, dans un ballet qui recommence à l’infini, chaque matin. De nombreux magasins ont gardé leurs rideaux baissés. C’est mon moment préféré, quand la ville appartient encore à ceux qui se lèvent tôt et savent précéder la cohue.

    Dans les cafés, autour du bar, se tiennent des conversations que je considère, bien souvent, comme dérisoires, sur les petites affaires de chacun ou la météo. Et puis il y a là, discrets, quelques silencieux dont je fais partie. Je suis bien incapable, en ces petits matins, de me lancer dans une argumentation suivie, quel qu’en soit le sujet. Le simple fait d’entendre d’autres parler sans cesse me donne déjà envie de m’éloigner. Comment font-ils pour avoir le cerveau et la langue en pleine action, dès l’aurore ? À moins qu’ils ne se soient levés bien avant moi ; ceci expliquant peut-être cela. Le bruit du percolateur et du garçon faisant tomber le marc de café en frappant le bord d’une poubelle vient rythmer ces instants précieux.

    Je termine à peine mon croissant lorsque mon téléphone professionnel se met à vibrer. Je mets toujours mon appareil sur vibreur lorsque je me trouve dans un lieu public. Parmi les nuisances sonores de notre monde, les sonneries de portable et les conversations téléphoniques dont tout l’environnement profite, constituent à mes yeux, de jolis symboles de pollution et d’incivilités.

    Je suis journaliste à l’Union depuis dix ans maintenant et c’est précisément du journal que provient l’appel. Michel Bertholet, le rédacteur en chef est au bout du fil ; je présume donc que c’est important.

    — Olivier, il faudrait que tu partes à Charleville-Mézières tout de suite. Il y a eu un crime en ville, au mont Olympe, mais je n’en sais pas plus. Je n’ai personne sur place pour couvrir l’évènement, à part des pigistes. Et puis comme c’est ta ville d’origine, ça facilitera peut-être les contacts.

    — C’est arrivé quand ?

    — Dans la nuit. C’est Maxime Rivière, du SRPJ de Reims, un pote de longue date, qui vient de me rencarder ; c’est sympa de sa part.

    — D’accord, je fonce.

    Je suis en effet ardennais d’origine, malgré mon nom à consonance espagnole. C’est mon arrière-grand-père originaire de la province de Valence et portant le patronyme de Garcia qui, très jeune, a franchi les Pyrénées, pour venir gagner son pain dans la sidérurgie, et envoyer ce qu’il pouvait économiser, à sa famille restée au pays. Il a rencontré une fille d’ici, l’a épousée. Ils ont eu trois enfants et parmi eux mon grand-père ; la descendance fut assurée et s’enracina petit à petit, dans ce pays du nord où règnent le froid et la brume, mais aussi où abondaient les emplois. Cet arrière-grand-père avait choisi pour ces enfants des prénoms français : Michel, Claude et Suzanne pour la dernière. Il n’avait pas l’illusion, je pense, de trouver l’Eldorado sur les bords de la Meuse. Il voulait juste vivre dignement, s’intégrer au plus vite dans ce pays qui l’accueillait, tout en étant lucide que sa venue et celle de ses concitoyens, pouvaient exaspérer ses collègues ouvriers français, qui sentaient bien que cette présence allait tirer leurs salaires vers le bas. Je me suis rendu à l’occasion de vacances en Espagne, dans le village de mes ancêtres, mais je n’ai plus aucun contact avec ces lointains petits cousins.

    Partir pour Charleville et peut-être y revenir à plusieurs reprises en fonction des évènements me réjouit pleinement. C’est ma ville natale et c’est là où j’ai passé enfance et adolescence, jusqu’au baccalauréat. Je n’ai plus aucune famille résidant dans les Ardennes et donc peu d’occasions d’y séjourner. Bien sûr, habitant à Reims, il m’arrive de m’y rendre pour le travail comme aujourd’hui, mais sans même prendre le temps de flâner dans les endroits que j’affectionnais particulièrement. Si l’enquête m’en laisse le temps, je me promets cette fois de ne pas rater l’occasion. Ce pèlerinage aux sources me fera le plus grand bien, pour retrouver des lieux, des ambiances, des parfums.

    Tout le monde ici nomme séparément Charleville et Mézières, alors qu’il s’agit d’une seule et même ville, depuis la fusion des années soixante. C’est plus court à prononcer et pour les gens du cru, cela précise d’emblée de quelle partie de la ville, on parle.

    Le nord des Ardennes, qui débute à hauteur de Charleville, est à une heure de Reims par l’autoroute, mais c’est un autre univers. La nature a bien marqué cette limite, entre les grandes étendues de la Champagne et les vallonnements du massif ardennais. Les hommes s’y sont adaptés et ont renforcé ces contrastes par l’agriculture au sud et le travail des forges au nord. Aujourd’hui, cette sidérurgie a disparu, faute d’avoir pu se moderniser. Les villages en bord de Meuse ont perdu beaucoup de leurs habitants, mais l’âme ardennaise reste malgré tout bien présente, de même que la fierté d’être des éternels sangliers.

    En arrivant dans la ville, je me rends directement au mont Olympe par la petite route longeant la Meuse, à partir du pont de Montcy-Saint-Pierre. C’est aussi la route de la piscine, là où, enfant, j’ai appris à nager. Mais aujourd’hui, la vieille piscine s’est modernisée, semble-t-il, en parc aquatique, si j’en juge par les énormes toboggans qui sortent de sa façade. Je stationne à côté des véhicules de police et grimpe la courte allée conduisant à la passerelle piétonne, enjambant la Meuse. Dans un étroit sentier, un peu au-dessus, j’aperçois des hommes en combinaison blanche ; c’est la Police scientifique, accompagnée d’un photographe de l’identification judiciaire qui illumine le sous-bois de ses éclairs de flash. Le corps a déjà été emporté pour autopsie.

    Je me présente en exhibant ma carte de journaliste, mais ce n’est pas un sésame suffisant pour me permettre de dépasser la banderole qui protège la scène de crime ni pour questionner les gendarmes filtrant les accès. On me répond simplement que le Procureur de la République fera une déclaration à la presse à 12 h précises, sur le parking de la piscine. Rendez-vous est pris, mais je pressens que nous allons obtenir les informations au compte-gouttes et je manque singulièrement d’entrées auprès des inspecteurs rémois ou de la police locale.

    Ayant une heure et demie à attendre, il me prend l’envie de traverser la passerelle et de me promener dans cette petite presqu’île où mon père m’avait montré la statue en métal d’un laboureur et sa charrue. Il m’avait conté, avec toute sa passion, l’histoire de cette sculpture, coulée probablement en fonte, qui comprenait un énorme attelage de six bœufs tirant une charrue. Hélas, durant la Deuxième Guerre mondiale, l’envahisseur allemand a emporté les bœufs pour les fondre. Il reste ce laboureur bien esseulé avec son outil.

    Sortant du petit square, je me dis qu’étant si proche du musée Rimbaud, ce serait l’occasion d’y retourner, plus de vingt ans après mes années de lycée.

    Il a peut-être changé à l’intérieur mais en tous cas, pas en façade. Il s’agit de l’ancien moulin de la ville qui, à l’époque, fonctionnait au moyen de roues à aubes, placées sous les deux voûtes du bâtiment. Les voûtes et le bras d’eau sont toujours là, mais les roues ont disparu depuis bien longtemps. À première vue, ce moulin ne ressemble guère à un moulin ; une architecture massive mélangeant la pierre et la brique. Je suppose qu’il a été érigé par Charles de Gonzague, le fondateur de la cité. Sa façade en impose : quatre colonnes surmontées d’un fronton et pour accéder au musée, un escalier à deux volées, avec un perron devant l’entrée.

    Je m’acquitte du montant, d’ailleurs modique, du billet et parcours les salles d’exposition richement dotées. De nombreux manuscrits, archives diverses et photos retracent la vie du poète, qui occupe une dimension quasi sacrée, ici à Charleville. Son enfance, sa brillante scolarité, sa poésie, puis ses expéditions en Afrique et sa fin à Marseille dans la souffrance ; tout est abondamment documenté. Un panneau indique l’espace consacré à une exposition temporaire sur Rimbaud et la Commune de Paris. Dans la salle du rez-de-chaussée, une guide converse en anglais avec des touristes, qui semblent captivés par l’écrivain. En fait, il s’agit de la directrice et je le comprends lorsque, passant près d’elle, je peux lire le badge qu’elle arbore et qui indique son nom et sa fonction. Les visiteurs sont peu nombreux à cette heure et elle paraît prendre plaisir à échanger avec eux et partager sa visible passion pour l’auteur. Peu après, elle s’approche et m’aborde :

    — Avez-vous vu notre dernière acquisition : le manuscrit du poème « Voyelles » ?

    Je ne suis qu’un profane, mais je ressens ici comme dans d’autres expositions, l’impression de plonger dans une autre époque et de pénétrer dans l’univers de l’artiste.

    — Oui, c’est émouvant de regarder cette page en se disant qu’elle date d’un siècle et demi et qu’il s’agit de l’écriture de Rimbaud. Mais, d’après mes souvenirs de lycée, je crois que la signification de ce poème est assez controversée.

    — C’est le moins que l’on puisse dire. À chaque expert et même à chaque lecteur, son interprétation. Il faudrait des heures pour citer tous les écrits consacrés au sonnet. C’est aussi cela le mystère Rimbaud.

    Je serais bien resté à échanger avec cette responsable, qui se nomme Delphine Martineau. Elle doit avoir entre trente et trente-cinq ans, brune, aimable et souriante ; une jolie femme à mes yeux, mais ce n’est pas le sujet. Je suis là pour visiter le musée et combler l’attente. Le temps passe vite, très vite, au cœur du millier de pièces exposées et il est bientôt l’heure de regagner l’autre rive de la Meuse, pour la conférence de presse.

    Lorsque j’arrive au point de rendez-vous, ce n’est pas l’affluence journalistique. Il y a France 3 la télé régionale, mon confrère du journal l’Ardennais qui fait partie du même groupe que l’Union, tout comme l’Est républicain également présent.

    Un crime dans cette ville assez tranquille, c’est la garantie de plusieurs jours d’articles, qui accrocheront le lecteur ; il faut bien vivre. Le Procureur, arrive et à l’expression de son visage, il donne plutôt l’impression de se débarrasser d’une corvée, que de vouloir collaborer avec les médias. Sa déclaration dure à peine cinq minutes et si on ajoute les questions qui lui sont adressées, le tout est bouclé en tout juste vingt minutes ; vite fait, bien fait.

    Nous avons à nous mettre sous la dent que la victime, un homme d’une trentaine d’années, a été abattue par une arme à feu non retrouvée, vraisemblablement une arme de poing. L’expertise balistique en dira plus sur l’arme et peut être sa provenance. Deux impacts de balles ont été relevés sur le corps : l’un au poignet gauche et l’autre en plein cœur, qui a certainement entraîné une mort instantanée. Son identité n’est pas connue pour l’instant mais les recherches en cours, devraient permettre d’éclaircir ce point, selon la formule du Procureur. L’enquête est confiée au SRPJ de Reims. Le magistrat conclut par un appel à témoin de toute personne susceptible de s’être trouvée hier aux abords du mont Olympe, en fin de soirée.

    Je regagne ma voiture, constatant que je n’ai rien de bien solide ni d’original pour remplir mon papier. Dans notre métier, il est toujours frustrant d’avoir comme unique source, les déclarations officielles, que tous les collègues découvrent en même temps. L’idéal est de trouver des informateurs officieux, proches de l’affaire, qui donneront du grain à moudre. En pensant à cela, je souris, en me disant que du grain à moudre, c’est assez cohérent avec l’ancien moulin au bout de la passerelle. Parfois, un rien m’amuse.

    Où trouver des infos ? Je suis dans ma ville de naissance et de cœur, mais je n’y ai conservé aucune relation. Soudain, je pense à mon boss qui m’a parlé tout à l’heure de l’officier de police Rivière du SRPJ. Cela se tente.

    J’appelle le service, à Reims et demande à parler au dénommé Rivière. Je me présente à lui en tant que journaliste à l’Union et pour appuyer, je précise que j’appelle de la part du rédacteur en chef du journal. Je suppose qu’il est très occupé, car il écourte la conversation en notant mon numéro, pour me rappeler dans quelques minutes.

    Les rapports police-presse sont très variables en fonction des personnalités en présence. Toutefois, il est clair que la police se sert parfois de la presse pour lancer des appels ou même pour appâter des suspects. Les journalistes quant à eux, attendent des enquêteurs, et souvent en vain, la petite indiscrétion qui fera la différence.

    Mon téléphone vibre ; c’est Rivière.

    — Bonjour, lieutenant Rivière à l’appareil, qu’est-ce que vous voulez ?

    J’avance avec prudence

    — Bonjour, je me présente : Olivier Garcia journaliste à l’Union. Je sais que vous connaissez monsieur Bertholet, mon rédacteur en chef. Alors, je me permets de vous contacter de sa part, pour avoir quelques précisions complémentaires sur le crime de Charleville, car la déclaration du Procureur ne nous a pas apporté grand-chose. Il donnait l’impression de ne pas vouloir tout dire.

    — C’est normal, dans une enquête. Moi non plus, je ne tiens pas à trop en dire.

    — A-t-on une idée du mobile ?

    — Nous venons de rentrer de Charleville. Je n’ai rien pour l’instant. Le mode opératoire ferait penser à un règlement de compte, mais rien n’est sûr.

    — La victime est-elle originaire de Charleville ?

    — On l’ignore pour le moment. On attend le rapport balistique, celui du médecin légiste et celui du FNAEG¹.

    — Me serait-il possible de reprendre contact avec vous quand ces résultats seront connus ?

    — Vous semblez aussi têtu que Bertholet, vous. Essayez, mais je ne vous garantis rien.

    — Merci beaucoup, lieutenant.

    Rien de plus, en fait. La police n’est, elle-même, pas très avancée pour l’instant. Sympa tout de même ce Maxime Rivière chez lequel j’ai cru percevoir un accent chantant des îles.

    ***

    Le capitaine Taillandier et son adjoint, le lieutenant Rivière ont été chargés de mener l’enquête.

    Roger Taillandier, la cinquantaine, avait postulé, sur l’insistance de son épouse, afin d’être muté à Reims. Madame Taillandier est originaire de Châlons-en-Champagne, tout proche. Lui n’était pas très emballé par ce rapprochement avec sa belle-famille, mais du fait de son accession au grade de capitaine, Reims représentait une promotion par rapport à son poste précédent, au SRPJ d’Angers.

    Peu de temps après son arrivée dans la ville des Sacres, un nouveau lieutenant, venant de la région parisienne a fait son entrée dans le service. Il s’appelle Maxime Rivière, célibataire endurci de près de quarante ans, d’origine réunionnaise et qui s’était tourné d’abord vers le journalisme.

    Afin de reconstituer un binôme après le départ en retraite de son ancien collègue, Taillandier se plia à la décision de sa hiérarchie, de travailler en équipe avec Rivière.

    Les débuts ont été difficiles et parfois tendus. Le capitaine a besoin d’action et de rigueur d’organisation. Il déteste la routine, les enquêtes qui tournent en rond ainsi que les tâches administratives. Rivière lui, semble pouvoir se satisfaire d’une inactivité, qui lui préserve ses week-ends et ses nuits. Petit à petit, les deux hommes ont appris à se connaître et à évoluer l’un vers l’autre ; le capitaine se montrant un peu plus souple et le lieutenant plus réactif, lorsque les évènements l’exigent. Ce binôme des extrêmes fonctionne ainsi, efficacement, depuis près de cinq ans, dans un respect et une considération, mutuels.

    ***

    Ce même jour, à quelques centaines de kilomètres de là, Jessica Mallory, une jeune étudiante américaine, sort de son immeuble au cœur du quartier de Westminster, à Londres. Elle habite un petit appartement chic au troisième étage, à quelques rues de Buckingham Palace. Il s’agit du type d’appartement, dont le prix est bien entendu inabordable pour le commun des Londoniens ; mais elle ne se sent guère concernée par ce genre de contrainte. Son père est un homme d’affaires dont les activités s’étendent de Chicago jusqu’en Chine et dans toute l’Asie. C’est un passionné, on pourrait même dire un fou de littérature et de poésie. Il parle couramment la langue de Molière et affectionne particulièrement nos auteurs français. Une fondation qu’il a mise sur pied vient d’ailleurs en aide à certains musées de l’hexagone. Il est aussi collectionneur averti de tout ce qui est en rapport avec ses auteurs préférés, parfois presque adulés.

    Ce père est particulièrement fier de sa fille Jessica, qui poursuit ses études universitaires au King’s Collège de Londres. Elle aussi maîtrise parfaitement le français et se rend assez régulièrement à Paris. Hier, elle a joint son père au téléphone et ils ont planifié ensemble son retour à Chicago dans une quinzaine de jours, pour les vacances.

    Aujourd’hui comme chaque jour de la semaine, elle se rend à pied jusqu’à l’arrêt du bus qui la déposera au Collège. Mais à peine s’est-elle avancée de quelques pas sur le trottoir de cette rue paisible, que deux hommes surgissent et l’un d’eux presse dans ses côtes, ce qu’elle suppose être le canon d’un pistolet.

    — Suivez-nous sans faire d’histoire, mademoiselle Mallory.

    La jeune fille a juste le temps de dire : « que me voulez-vous ? » que les deux agresseurs, aux visages masqués, la poussent à l’arrière d’une grosse voiture, qui part à vive allure.

    Une demi-heure plus tard dans la banlieue londonienne, le véhicule s’arrête devant une maison tout à fait banale d’un quartier pauvre. Ici, les trafics vont bon train ; la drogue circule au grand jour et la prostitution est un commerce courant. Dans cet univers, nul ne va se poser de questions sur une voiture qui s’arrête devant une maison de briques ni sur les deux hommes qui en descendent et soutiennent une jeune fille pour l’aider à marcher. On pourrait penser qu’il s’agit d’une virée bien arrosée, dont la demoiselle n’est pas remise.

    À l’intérieur, les ravisseurs emmènent directement leur otage dans une cave très sommairement aménagée. Une porte en haut de l’escalier donne sur la pièce principale. En bas de ce même escalier, une autre porte a été installée, peut-être pour mieux isoler cette cave, au cas où il prendrait à l’occupante l’envie d’appeler au secours. Il est d’ailleurs possible que cet endroit ait déjà été utilisé pour cacher quelqu’un ou le retenir prisonnier.

    La jeune femme, allongée sur un lit, finit péniblement par se réveiller avec un mal de tête horrible. Elle ouvre les yeux et bien sûr ne comprend pas où elle se trouve. La première sensation qu’elle éprouve est olfactive. Il règne ici une odeur d’humidité et de moisissure absolument immonde, qui la prend à la gorge. Elle regarde le plafond, qui n’est pas lisse et peint comme dans un appartement, mais garni de vieilles poutres en bois grossièrement taillées. Entre ces poutres, une sorte de plâtre devenu gris, orné d’une multitude de toiles d’araignée. Au centre de la pièce pend un vieux fil électrique torsadé, auquel est suspendue une simple ampoule de verre supposé transparent, mais couvert de poussière.

    Jessica se redresse péniblement jusqu’à la position assise. Ses paupières sont lourdes, très lourdes mais elle doit pourtant s’efforcer de se réveiller. Ainsi, elle découvre les murs faits de torchis et l’ameublement sommaire : le vieux lit métallique sur lequel elle est assise, une table en bois couverte de poussière, ayant gardé quelques traces de sa peinture bleu clair d’origine et une petite étagère en planches, accrochée au mur et tout aussi poussiéreuse. La jeune femme sent aussi dans sa bouche un curieux mélange de goût et d’odeur, lui faisant penser à l’éther ou à un médicament infect. Évoluant encore dans un demi-sommeil, elle prend conscience peu à peu de l’horreur de son univers carcéral.

    Ce qui la frappe ensuite est l’absence de fenêtre ; le jour ne pénètre pas ici. En haut d’un mur, à l’angle du plafond, une petite ouverture, probablement un soupirail, a été obstruée au ciment.

    Mieux réveillée désormais, Jessica réalise, terrifiée, qu’elle est enfermée dans une cave, un immonde cachot.

    Enfin, les premières images de ce qu’elle vient de vivre lui reviennent : ces individus cagoulés qui surgissent, au sortir de chez elle, le départ en trombe à l’arrière d’une voiture, puis presque aussitôt, un tampon chargé d’une odeur horrible, que l’homme appuie très fortement sur son nez et sa bouche. Elle a eu l’impression d’étouffer, avant de sombrer dans le néant absolu. Elle est incapable d’évaluer durant combien de temps elle a pu dormir. Ils ne lui ont laissé ni montre, ni bijoux, ni sac à main, ni téléphone portable. Son premier réflexe est de vérifier qu’elle porte toujours une culotte sous sa robe, redoutant un viol durant son sommeil. Au moins, la présence du morceau de tissu la rassure sur ce point.

    Face à l’inconcevable situation dans laquelle elle est plongée, elle fond en larmes et se trouve prise de tremblements.

    Ayant retrouvé pleinement ses esprits désormais, elle cherche à comprendre. Pourquoi des hommes qu’elle ne connaît pas s’en prennent à elle, une étudiante sans histoire ?

    Puis elle croit en percevoir la raison. Son père, Andrew Mallory, représente une des plus grosses fortunes de Chicago et de l’Illinois. Le but de cet enlèvement pourrait être de lui réclamer une rançon. Tel est, en tous cas, le scénario que la jeune femme retient comme le plus plausible.

    Soudain, la lumière de la cave s’éteint, la faisant sursauter, puis elle entend des pas dans l’escalier ; ce qui la terrorise littéralement.

    Deux hommes ouvrent la porte et se présentent devant elle. L’un d’eux tient une lampe torche qu’il oriente vers son visage. Elle comprend qu’il s’agit de l’éblouir pour quelle ne puisse les reconnaître. D’ailleurs, ils se montrent particulièrement prudents puisqu’ils portent des gants et des cagoules qu’elle devine, au fil des mouvements de la lampe. Il s’agit à les entendre parler, d’un anglais et peut être d’un français, qui maîtrise assez bien l’anglais mais avec un fort accent. Ils lui apportent une assiette de pâtes, des fruits et un pack de bouteilles d’eau qu’ils déposent dans la poussière de la petite table.

    — Nous sommes désolés pour le désagrément, mademoiselle Mallory, dit l’anglais dans un excès de courtoisie. Mais je suis sûr que votre retenue ici ne durera pas très longtemps. Votre père sera raisonnable. D’ailleurs, nous allons l’appeler ?

    À cette annonce, Jessica a l’impression furtive de revenir à la vie : un contact avec son père.

    ***

    Dans un immeuble du quartier d’affaire de Chicago, le portable personnel d’Andrew Mallory sonne.

    — Monsieur Mallory, nous détenons votre fille en otage.

    — Qu’est-ce que vous racontez, ma fille n’est pas ici.

    — Nous le savons, elle est à Londres et nous l’avons, disons, empruntée ce matin. Si vous en doutez, je peux vous la passer.

    Le ravisseur tend le portable à Jessica en l’avertissant à voix basse :

    — Attention à ce que vous allez dire. Je ne veux aucune indication ni aucun commentaire superflu.

    La jeune femme sent bien que les hommes, qu’elle a en face d’elle, sont aguerris et ne se laisseront pas berner. D’ailleurs, elle n’aurait rien de précis à indiquer à son père.

    — Papa, au secours ! Viens me délivrer ! J’ai peur de mourir, papa, je t’aime !

    Le mystérieux interlocuteur reprend l’échange.

    — Monsieur Mallory, nous allons donc discuter affaires. Vous détenez des documents de grande valeur qui nous intéressent énormément.

    — Je ne sais pas de quoi vous parlez mais je suis prêt à vous verser une somme d’argent si vous libérez Jessica.

    — Vous ne m’avez pas bien compris. Nous ne parlons pas d’argent, mais tout simplement de la vie de votre fille contre ces documents. Nous savons que vous en possédez de nombreux, dont un, paraît-il, exceptionnel. Nous exigeons la remise de la totalité de ces documents, je dis bien la totalité. Suis-je clair ?

    — Si vous touchez à un cheveu de ma fille, je vous massacrerai.

    — Soyez raisonnable, monsieur Mallory, vous comprenez bien que vous n’avez pas les cartes en main ; mais faites vite, un accident est si vite arrivé.

    — Je n’ai pas ce que vous cherchez. Vous m’avez déjà cambriolé, forcé mon coffre et vous n’avez rien trouvé. J’ignore de quels documents vous parlez. Relâchez ma fille !

    Il y a un instant de silence, puis :

    — Décidez-vous vite, monsieur Mallory. Nous vous recontacterons très prochainement et bien entendu, pas un mot de tout cela à la police. Ah j’oubliais, le portable, sur lequel je vous appelle, est indétectable par les services de renseignements. Inutile d’espérer nous localiser.

    Sitôt cette conversation terminée, les deux hommes quittent cette cave sans un mot. Jessica depuis son réveil est prise d’une pressante envie d’uriner. Elle doit s’abaisser à leur demander de la laisser aller aux toilettes. L’Anglais, ou peut être ressortissant d’un autre pays du Royaume uni, lui répond :

    — On va vous apporter ce qu’il faut.

    Puis, ils referment la porte à clé et rallument. L’interrupteur est situé à l’extérieur de la cave, ce qui crée une dépendance de plus pour Jessica ; à tout moment, ils pourraient, s’ils le voulaient, la plonger dans l’obscurité permanente. Elle les entend gravir les marches puis refermer une autre porte, plus haut.

    La jeune fille est perplexe. L’homme a parlé d’un document exceptionnel, puis de beaucoup d’autres que son père posséderait. Quelle est la nature de ces documents dont elle servirait de monnaie d’échange et dont il ne lui a jamais parlé ? Elle se souvient aussi que son père lui a fait part, le mois précédent, du cambriolage de leur villa, malgré le système d’alarme et les caméras de surveillance. Y a-t-il un lien entre les deux évènements ?

    Son envie d’uriner devenant intenable, elle décide de se lever pour oser frapper à cette porte. Quelques instants plus tard, des pas se font entendre dans l’escalier. Même protocole : extinction de la lumière puis ouverture de la porte, éblouissement par la lampe torche. Celui qui est descendu, le francophone, dépose un vulgaire seau en plastique sans couvercle près du lit, ainsi qu’un rouleau de papier hygiénique, puis repart en lui rendant la lumière.

    Elle utilise le seau avec dégoût et en se hâtant, de crainte qu’ils ne descendent à nouveau. Elle n’a aucune envie de manger ce qu’ils lui ont apporté. L’odeur de moisissure la prend toujours à la gorge et la ferait vomir, si elle absorbait un quelconque aliment. Elle renonce aussi à envisager comment elle pourra faire un minimum de toilette. Allongée sur le lit, Jessica réfléchit et prend peur, lorsqu’elle songe à un possible assaut par la police. Elle se dit également que s’ils obtiennent ce qu’ils recherchent, il n’est pas pour autant certain qu’ils la relâcheront. Au contraire, ils pourraient la supprimer par crainte de son témoignage. Cette noire pensée est aussitôt atténuée par le constat qu’ils ne se présentent pas à elle, à visage découvert. Ils ont donc, pour l’instant du moins, l’intention de la libérer quand tout sera fini. La jeune femme se sent fatiguée, ignore si c’est le jour ou la nuit, ferme les yeux et finit par s’endormir malgré la lumière.

    Chapitre 2

    Samedi 13 avril 2019

    Les deux officiers de police reprennent la route des Ardennes et vont établir leur base au commissariat central de Charleville, dans l’avenue Jean-Jaurès. Leurs supérieurs ont décidé qu’ils resteraient sur place, le temps du développement de l’enquête. À peine installé, le capitaine Taillandier demande à un policier :

    — Y a-t-il une vidéo surveillance sur la petite route au pied du mont Olympe ?

    — Non, capitaine, pas sur la voie publique ; mais il y en a peut-être devant la piscine, la base nautique ou le restaurant. On va vérifier.

    Quelques minutes suffisent pour apprendre que la seule caméra qui pourrait être exploitable est celle du restaurant, tout simplement dénommé Le mont Olympe.

    — Foncez-y et visionnez tout depuis le début de soirée jusque dans la nuit. Tant que le médecin légiste ne nous précise pas l’heure de la mort, il faut ratisser large. Il ne doit pas y avoir beaucoup de passages de voitures en soirée, dans ce coin isolé.

    Des informations leur parviennent enfin ; décevantes pour les premières et surprenantes pour les autres. Tout d’abord, la balistique : une arme assez courante dans le grand banditisme ; un Makarov, d’un modèle assez ancien. Il existe de nombreux pistolets de contrebande de ce type qui circulent, y compris en France ; une arme non identifiable.

    Autre attente, la recherche d’ADN n’a pas encore rendu son verdict et cela peut prendre du temps. Les analyses devraient concourir à mettre un nom sur la victime et peut-être à trouver des traces laissées par les auteurs, bien qu’en général, dans ce genre d’exécution, il n’y a aucune lutte physique, donc pas d’indice. Et ici, tout laisse à penser qu’il s’agit d’un travail de professionnels.

    Rien n’a été retrouvé dans les poches du mort, ni téléphone, ni papiers, ni argent. Une poche retournée de son pantalon peut laisser à penser que les assassins l’ont fouillé avant de partir, mais ils devaient porter des gants.

    Enfin, le rapport du médecin légiste confirme une mort instantanée provoquée par la balle en plein cœur. L’autre balle dans le poignet gauche a été tirée avec la même arme. Il n’y a aucune trace de coups sur le corps. L’horaire du crime est estimé entre vingt-trois heures et une heure du matin. Rien de bien original jusque-là, mais la dernière partie du rapport va sortir les policiers des constats de routine et aiguiser leur curiosité : la balle tirée dans le poignet l’a été post mortem.

    — Quoi, s’écrit Taillandier, qu’est-ce que c’est que cette histoire. Pourquoi auraient-ils tiré une balle dans le poignet après l’avoir tué ? S’ils voulaient être sûrs de sa mort, ils auraient visé la tête.

    Mais Rivière avance sa version :

    — Ou bien, le coup est parti accidentellement alors qu’ils vérifiaient s’il était bien mort.

    Roger Taillandier retourne dans sa tête, les éléments qui viennent de lui parvenir et les reprend à haute voix. C’est sa manière de faire et le lieutenant s’y est progressivement accoutumé. Dans les multiples enquêtes qu’ils ont eu à traiter ensemble, le capitaine a toujours éprouvé ce besoin de mener des monologues, souvent appuyés d’ailleurs par des tableaux, des schémas, des ratures. Il doit entendre et voir pour avancer. Pour l’instant, aucun indice ne permet d’identifier les agresseurs, aucun mobile n’apparaît pour expliquer le crime.

    Les enquêteurs balancent entre deux hypothèses. La première est que la victime s’est rendue d’elle-même à ce rendez-vous dans un lieu retiré, en toute confiance. Il ne craignait pas ceux qu’il devait rencontrer et ne se doutait de rien. La seconde possibilité est qu’il a été amené là après un enlèvement, pour être exécuté.

    Les policiers, missionnés pour contrôler la vidéosurveillance du restaurant, rentrent bredouille. Seule l’entrée de l’établissement est visible ; le faisceau de la caméra ne portant pas sur la voie publique. Rivière suggère alors de s’intéresser aux

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