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L'Ode et le Requiem: Prix de littérature 2020 de la Société littéraire de Genève
L'Ode et le Requiem: Prix de littérature 2020 de la Société littéraire de Genève
L'Ode et le Requiem: Prix de littérature 2020 de la Société littéraire de Genève
Livre électronique150 pages2 heures

L'Ode et le Requiem: Prix de littérature 2020 de la Société littéraire de Genève

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À propos de ce livre électronique

Suivez les traces de Kenshi dans un paysage hors du temps...

Kenshi, jeune comédien mû par l’irrépressible désir de dépasser sa propre insignifiance, éprouve une fascination maladive pour la Mort dont il refuse le caractère inéluctable. Dévoré par son arrogance, il s’exile sur les terres quasi désertiques de la région de l’Albe. Dans ce haut lieu de blancheur et de désolation, à deux pas de la montagne éternelle dont les cimes frôlent l’éther, il tente d’apprendre, au fil des saisons, le silence et l’oubli. Son séjour est troublé par l’arrivée d’une violoniste qui lui joue un requiem d’une cruelle beauté. Il se pourrait qu’il trouve, à son contact, une manière de répondre à son insatiable besoin de grandeur.

Découvrez sans tarder le premier ouvrage de Maeva Dubois qui présente avec brio une histoire philosophique sans négliger l'art de l'écriture. Un premier roman qui est aussi un triomphe vu qu'il a remporté en 2020 le prix de la littérature décerné par la Société littéraire de Genève.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"La romancière montre avec brio à quel point cette rencontre imprévue bouleverse le prétentieux comédien. La frontière avec la réalité s'amincit alors, l'auteure imprimant à ce livre une dimension surnaturelle troublante et irrésistible." - Le Courrier, par M.O.P.

"Maeva Dubois publie un premier roman impressionnant de maturité." - La Côte, par S.E.

"Ce livre, publié aux éditions Romann, interpelle par la qualité de sa plume et son sujet dérangeant par sa véracité. À conseiller aux lecteurs ne craignant pas de se reconnaître et se remettre en question." - Daily-Movies, par Yelena Saltini

"Ensorceleur et poétique, violent et mélodieux. Très bel exercice littéraire... vraiment !" - Laure-D, sur Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Maeva Christelle Dubois est née en 1992 sur les bords du Léman. Titulaire d’un Master de l’Université de Genève, son parcours l’a conduite à travailler pour plusieurs institutions culturelles et muséales, notamment l’UNESCO, puis la Fondation Martin Bodmer. Ses intérêts tant philosophiques que sociologiques pour les thématiques de la mort et de la beauté l’ont inspirée à l’écriture de son premier roman.

LangueFrançais
ÉditeurRomann
Date de sortie18 mai 2021
ISBN9782940647163
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    Aperçu du livre

    L'Ode et le Requiem - Maeva Christelle Dubois

    PRINTEMPS

    Àla toute fin de l’hiver, les terres qui bordaient le Hameau étaient d’une beauté innommable. Un royaume de glace et de blancheur, froid jusqu’au plus haut du jour, jusqu’à la pointe des cieux : un pays de neige et de sapins noirs, un chant silencieux de Mort et de désolation. Le vide au sommet de sa splendeur, indécent et somptueux.

    À la pointe nord de cette région désertique et méconnue que l’on nommait l’Albe se trouvait une montagne, haute et blanche, d’une solitude infinie. Les hommes du Hameau se prosternaient devant sa grandeur tant elle semblait toucher le ciel. Il s’agissait du Mont de Nivée ; la Nivéale, l’appelaient-ils parfois, car elle s’abreuvait de l’hiver. À l’image du perce-neige, la Nivéale fleurissait dans le chaos des mois les plus sombres comme fleurirait une rose diaphane aux matins de mai. Si d’autres monts l’entouraient, aucun ne luisait de ce même éclat terrible. À mesure que l’on se rapprochait du centre des terres, tous perdaient de leurs hauteurs prétentieuses pour ne plus devenir que de simples collines de roches insignifiantes.

    Ces buttes souples formaient en réalité un plateau qui célébrait la hauteur céleste du Mont de Nivée : il en offrait un spectacle d’une puissance saisissante. Ce plateau se trouvait à mi-chemin entre la montagne et la limite sud de l’Albe, au loin, aquatique et vivante, d’une altitude plus basse encore que ne l’étaient les océans. En son centre se trouvait le Hameau, si seul que ce mot imprécis suffisait à le nommer. Le haut lieu de l’exil volontaire : des centaines d’âmes rayées de la carte du monde, laissées à elles-mêmes par elles-mêmes, oubliées de tous sauf d’elles-mêmes.

    Du village, il était possible d’observer la plaine danser en contrebas : elle était immense et verte. Des kilomètres de marécages noircis par la tourbe et l’eau, des milliers de chemins de boue qui s’étendaient puis s’étiolaient sans cesse jusque loin, très loin dans les terres : jusqu’à la brume, jusqu’au rêve, jusqu’aux limites sud de la région de l’Albe. Si les hommes ont de tout temps cherché à étendre les leurs, les habitants du Hameau se fichaient des frontières. L’horizon était pour eux un concept vague, un néant déformé aux couleurs qui n’existaient pas : il était l’autre, l’après, le monde des hommes et celui du bruit, celui de l’argent, des cris, de la télévision. Au-delà de la beauté violente et blanche des terres de l’Albe se trouvait la société, et les hommes du Hameau n’aimaient pas beaucoup la société. Ils lui préféraient la méditation, la solitude, l’aura de la montagne et les autels érigés à sa gloire. On contait parfois l’histoire de ces visiteurs, plutôt rares, venus s’offrir à la litanie silencieuse du Mont de Nivée. Certains n’étaient jamais repartis. Ceux-là s’étaient mis à dire, semblerait-il, que la beauté les avait sauvés, qu’ils n’avaient besoin de rien d’autre et qu’elle était la seule vérité.

    Tous les septièmes jours, un grondement puissant faisait trembler la région tout entière. Absorbé par les neiges en hiver et par les feuillus denses en été, il s’atténuait progressivement à mesure qu’il se rapprochait du plateau où se situait le village. Devenu simple bourdonnement, il était alors facile d’en oublier l’existence. C’était un bruit d’un autre monde, un bruit dense, sourd, mécanique : c’était un bruit de locomotive. En y prêtant attention, il était possible, chaque vendredi, à l’aube, d’apercevoir la locomotive depuis les limites sud des terres de l’Albe. Elle sillonnait alors la plaine vert et noir, puis ralentissait jusqu’à devenir parfaitement visible, arrêtée devant une petite maison en ruines en contrebas du plateau.

    Aux premiers vents de l’automne, il y a de cela quelques mois, les villageois avaient eu pour velléité d’étendre le tronçon de la voie ferrée : ils auraient voulu voir le train poursuivre sa course jusqu’au centre du Hameau. Non sans quelques hésitations, ils écrivirent au gouvernement pour réclamer la construction de quatre kilomètres et demi de rails supplémentaires. Pour la première fois en bien longtemps, l’État eut à se souvenir de la région de l’Albe et de son unique village. Dépourvue de tout intérêt économique, elle ne suscitait usuellement pas la moindre attention. On disait d’elle que la vie y était d’un ennui lénifiant, que les jeunes n’y restaient pas et qu’ils prenaient tous les chemins de la ville dans le but d’y poursuivre leurs études. À quoi bon donc se soucier de ces deux, ou peut-être trois mille individus dont l’existence était, pour le gouvernement, presque un fardeau ? Cette fois-ci pourtant, pour une obscure raison, la demande des habitants du Hameau avait engendré un regain de considération pour la région et l’ensemble de la classe politique s’en était mêlée. Plusieurs investisseurs étrangers s’étaient rapidement mis à fréquenter les lieux dans le but de proposer aux villageois divers contrats obscènes de rachat. Tous visaient plus ou moins à faire du Hameau un complexe touristique destiné à quelques cadres en quête de détente illusoire, avec restaurants gastronomiques et programmes de remise en forme. Les propositions de contrats vinrent alimenter un feu allumé à la gloire de leur montagne translucide, et les hommes du Hameau retirèrent leur demande. L’Albe, débarrassée de ses parasites, retomba avec joie dans l’oubli le plus total.

    Durant toute la saison froide qui s’en suivit, rien ne vint plus perturber le rituel hebdomadaire lors duquel le convoi provenant de la capitale réapprovisionnait le village par le rail. Aux premières heures du jour, la machine arrivait, fatiguée. Elle brisait dans son sillage le sceptre lunaire des brumes qui s’élevaient des marécages. Puis elle atteignait la station mal entretenue qui desservait tristement le Hameau. Les bruits mécaniques cessaient et le convoi s’immobilisait. Personne ne descendait et personne ne montait. Un employé, jamais le même, déchargeait plusieurs kilos de marchandises sur le quai sans prêter attention à la puissance astrale du Mont de Nivée érigé devant lui. Il regagnait ensuite la machine qui se remettait en marche. Le train accélérait, sillonnait à nouveau la plaine, puis franchissait les limites du visible. Le bruit s’écorchait alors : l’écho s’éclatait dans un tempo de plus en plus inaudible et les grondements sourds de la machine laissaient place à la mutité caractéristique des terres désertiques de l’Albe.

    Un matin, cependant, le départ de la locomotive s’accompagna d’un événement aussi extraordinaire qu’inattendu. Le silence de ce jour-là, en effet, prit une étonnante couleur pourpre : une minuscule tache rouge, presque immobile, teintait de son reflet inattendu la petite gare en ruine. Il s’agissait presque d’une ombre, en réalité : une ombre tiède qui se mouvait lentement. Une surprenante macule colorée sur le tableau gris pâle qu’était la vallée. Du plateau, il aurait presque été possible de distinguer cette éclaboussure étrange, de l’observer, faire le tour de la maisonnette rongée par le temps, s’immobiliser, puis avancer de quelques pas en direction du nord. Il aurait cependant fallu se rapprocher bien davantage pour remarquer que cette ombre-là avait le visage d’un homme. C’était un visage gracieux et mat : fin, sans manquer de force, fort, sans que ses traits le privent d’une délicatesse certaine. Le faciès était à l’image du corps, et le corps du jeune homme ployait sous le poids de deux bagages. Un visiteur ! Ils étaient si rares en cette période-là ; de tout l’hiver, il avait bien été le seul. L’ensemble cohérent que formait la silhouette du jeune homme soulignait une évidente beauté : le visiteur était beau, d’une beauté presque ancestrale. On aurait pu le croire monarque d’une contrée lointaine ou seigneur de guerre d’un autre temps. Il y avait, dans son allure, quelque chose de raffiné et d’animal à la fois – une sorte de jeunesse parvenue à son paroxysme, presque achevée – un regard de douleur et de passion, d’artiste ou de malade. Les yeux du jeune homme, tirés, étaient rieurs, mais d’un rire sombre. Ils évoquaient à la fois la légèreté et la mélancolie.

    Le visiteur quitta le quai engourdi de neige, découvrant avec une sorte d’étonnement cette froideur-là – celle du Hameau – qu’il n’aurait pas imaginée si agressive. Quelle violence ! Le ciel glacial de février tenait encore à son emprise. Ramenant à lui ses longs cheveux noirs qu’il s’empressa de recouvrir d’une capuche, il tentait tant bien que mal de se protéger de son invisible ennemi. Un panneau désarticulé indiquait la direction du village : le sentier de gravats humides qui l’y conduirait se tortillait en remous sinueux jusqu’au plateau. Il longeait le flanc des roches.

    En observant le décor de cette curieuse scène de théâtre que paraissait être l’Albe, l’étranger eut comme une sorte de vertige : il était comme inexistant, perdu quelque part au milieu d’une étendue de champs de glace et de boue qui se moquaient bien de ses peines. Il haïssait âprement ce sentiment d’impuissance qu’il connaissait si bien. Il soupira longuement. Il se frotta les mains, demeura immobile quelques secondes, puis il leva les yeux. Il aperçut la montagne.

    Il s’arrêta un temps, puis deux. Longtemps. Il observa longtemps la montagne dont il ignorait encore le nom. Elle lui apparaissait si puissante qu’il aurait pu croire qu’elle soutenait le ciel ; qu’elle l’empêchait à elle seule de fracasser la terre. Il eut le sentiment éprouvant qu’elle était une personne à part entière et qu’elle l’observait. Elle veillait sur lui avec des intentions dont il ne parvenait pas encore à déchiffrer le sens. Sa stature magistrale le captivait au-delà de toutes ses attentes. Quelque chose en lui s’accordait si bien avec l’hostilité mystique de sa présence qu’il en tombât presque amoureux. Presque, car il s’agissait de toute évidence d’un amour malsain. Il ne songea plus à la solitude, ni à la route escarpée, ni même à la fatigue qu’il avait accumulée depuis son départ de la capitale. Il ne pensait qu’à la montagne et à ses cimes éternelles. En réalité, il la jalousait : à côté d’elle, il n’était rien.

    Le touriste s’empressa de gravir les pentes escarpées qui le séparaient toujours du centre du Hameau dans le seul espoir de voir la montagne plus imposante encore. À chacun de ses pas haletants, cette dernière se révélait un peu plus à lui, comme un dernier acte grandiose dont l’apothéose aurait valu tous les sacrifices du monde. Au moment où, enfin, il atteignit l’altitude du plateau, elle était d’une noblesse intemporelle. Elle était d’un bleu d’acier et de glace, haute jusqu’à la galaxie. Elle était de ces beautés-là, qui possèdent, obnubilent, envahissent. Elle donnait à présent ce sentiment d’être une maîtresse cruelle, l’une de celles qui vous happent et vous capturent, et vous ne pouvez jamais oublier : vous ne pouvez jamais vous en défaire.

    À quelques centaines de mètres, un bal macabre se dansait : un renard, grièvement blessé, courait vite. Il fuyait, mais son rival le rattrapait toujours. Il finit par le saisir à la gorge. Les bêtes glapirent de douleur et d’exaltation. Les crocs instinctifs et barbares voulaient répandre la Mort, mais les deux prédateurs se confondaient si bien qu’à la fin, tous deux furent recouverts de sang. C’était la première image vivante du lieu. La première de toutes les images était celle de la sauvagerie animale, de l’instinct fébrile et de la Mort, celle du sang chaud et rouge au contact glacial de la neige. Pendant un très court instant – quelques secondes, tout au plus –, le jeune homme ressentit, jusqu’au creux de ses entrailles, une certaine excitation pour cette hideuse manifestation. Ne la comprenant pas, il la fit aussitôt taire. Il se souvint de la montagne. Avant même les renards, elle avait eu quelque chose de vivant. Elle était la première image, la vraie. Déjà il ne pouvait plus l’oublier ; déjà il ne pouvait plus y en avoir d’autres.

    L’étranger franchit les portes du Hameau à neuf heures. Son manteau usé était humide de neige fondue. Par un singulier hasard, le vêtement était de la même couleur rouge sombre que le pelage entaché des mammifères dont il venait d’observer la valse morbide. Sous sa veste entrouverte, le voyageur portait un habit de soie noir, noué à la taille par une ceinture large qui serrait un pantalon de toile ample.

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