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Geste migratoire: Réflexions en temps de crise
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Geste migratoire: Réflexions en temps de crise
Livre électronique299 pages3 heures

Geste migratoire: Réflexions en temps de crise

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À propos de ce livre électronique

Migrer est incontestablement un geste de mobilité fondamental qui doit échapper aux interprétations superficiellement et rapidement élaborées.
L’essai va au-delà des regards simplistes en nous conduisant dans la complexité de cette thématique. Inscrivant le geste de migrer dans l’histoire de l’humanité qui se déroule, l’auteur ne manque pas de révéler, via des pistes empruntées à la philosophie et aux sciences humaines, certaines contradictions inhérentes au Réel. En effet, la Raison (Logos), telle qu’elle est appréhendée et instrumentalisée, n’est pas sans conséquence sur le cours de l’histoire humaine. Le texte nous convie à reconsidérer les paradoxes du désir de frontiérisation.
LangueFrançais
Date de sortie7 avr. 2020
ISBN9782312072197
Geste migratoire: Réflexions en temps de crise

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    Geste migratoire - Zachée Betche

    cover.jpg

    Geste migratoire

    Zachée Betche

    Geste migratoire

    Réflexions en temps de crise

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07219-7

    Avant-propos

    Nous sommes logés aux confins de l’histoire qui, de toute évidence, abrite à sa façon des moments fort différents avec ses dynamiques passionnelles et ses exigences plus ou moins profondes. La périodisation de l’histoire ne passe pas par dessus les problèmes fondamentaux qui résistent et qui fondent inévitablement l’humanité. Il est des gestes auxquels même la post-vérité – cette attitude grandissante à laquelle nous semblons nous soumettre – ne saurait faire disparaître.

    Ainsi, sans vouloir forcer, en nous installant dans la postmodernité qui est notre cadre temporel, nous saisissons notre monde dans son sens le plus complexe. Sur quoi devons-nous nous attarder lorsque de toutes parts des problématiques fusent et nous somment, sujet et institutions compris, à la recherche de solutions historiques face à ce qui s’obstine de nous conditionner ? Nous ne ferons plus longtemps le pitre devant la caméra alors qu’aux côtés des thèmes récurrents qui sont associés aux événements de la politique, de l’économie ou de l’écologie, il en est bien d’autres qui revendiquent une pertinence fondamentale.

    La postmodernité parviendra-t-elle à offrir au monde un espace dépouillé des scories d’une modernité redondante qui n’a que trop duré et qui continue d’apprivoiser le commun ? La thématique de la migration des êtres humains, confisquée par l’acharnement extrême-droitiste, par exemple, pourrait se poser comme un sujet dépassant les clivages de quelque nature que ce soit. Elle entre dans une phase de questionnement qui mérite que l’on se pose pour y voir plus clair. Certes, il s’agit, au travers de cet ouvrage qui s’ouvre, de contribuer à une réflexion que de nombreux penseurs de tous horizons et toutes disciplines confondues ont déjà abordée. Mais comment s’y faire ? L’effort d’apporter un regard moins traditionnel, s’il en est, sera de se focaliser sur ce que représente cette réalité en tant que geste. Rien que ce vocable, d’une facilité langagière quotidienne, est porteur de promesses.

    Qu’en est-il du geste migratoire ? Il va de soi que « quitter un monde ne procède jamais d’un simple caprice{1}. » Ce propos marque une part de complexité du projet migratoire à de nombreux niveaux qu’il convient ici de révéler. La pluralité des enjeux dénote de la difficulté inhérente au sujet de cet essai. Autant le signaler d’entrée, il ne s’agit pas, dans cette réflexion et à son issue, d’apporter une réponse qui soit définitive. D’ailleurs, telle n’est pas la destinée de la science, encore moins celle de la philosophie. En réalité, le malheur de la philosophie c’est d’être en dehors des prismes réducteurs que même la bonne conscience a voulu attribuer. Cette dernière a l’inconvénient d’être subversive parce qu’elle tutoie la réalité, la tourne et la retourne. Ici, elle se déploie comme une grille de révolte qui brise l’entropie. Sa fonctionnalité discursive ne vise certainement pas à étouffer le possible en terme d’espérance humaine concrète qui s’effectue dans la trame de l’histoire.

    Il nous faut donc débusquer l’impensé de la migration, ces dires enfouis dans son propre inconscient qu’elle traîne. C’est pour cette raison que la première tâche dans cet essai va consister à faire émerger des clarifications. De quoi parle-t-on au juste ? Qu’est-ce que la migration et qu’en dit-on concrètement ? Le projet consiste à infléchir les assauts répétés d’une épistémologie autoritaire ayant apprivoisé les autres voies d’accès. C’est ce qui permettra d’embrayer sur l’état ou la photographie des mouvements migratoires. Telles qu’elles apparaissent dans le monde, il n’est pas impossible que certaines idées reçues soient recadrées pour espérer qu’elles rendent vraiment compte de ce qui se passe, de ce qu’il en est réellement. Est-il juste, par exemple, que ce qu’il convient finalement de nommer le paradigme de Lampedusa{2} – ce tamis troué au cœur de la surveillance migratoire ouest-européenne – révélant par le fait même la grippe qui endommage un pan du système, cristallise toute la question migratoire ?

    Dans la deuxième partie de cet essai, la place sera donnée à la problématique de crise même si, à la vérité, cette notion traverse les différents axes de ma réflexion. Entendre résonner la thématique migratoire renvoie nécessairement, dans notre contemporanéité, au concept de crise. Ainsi, la démographie, les restes coloniaux, leurs actualisations ou reprises traduiront des préoccupations non moins centrales. Il s’agira aussi, dans la mêlée, de la fuite des cerveaux dont on élaborera les contours en ayant à l’esprit que la problématique migratoire est capable, si tant est que cela ne soit pas encore le cas, de bouleverser le monde dans lequel nous vivons.

    Le troisième moment de l’essai est une évaluation du rôle de la Raison dans l’économie migratoire. En tant que moteur de l’histoire, selon une vision philosophique largement partagée, le Logos doit s’équiper en conséquence pour refuser de se compromettre dans de fausses vérités qui tentent de le désorienter. A ce moment précis du parcours de l’essai, il s’agira de relever les lieux où la Raison amorce sa chute ; là où précisément les déviations se sont manifestées. Il ne s’agit pas de se focaliser dans le confort de l’épiphénomène et sa superficialité maladive, mais de soulever ces thèmes sous-jacents qui ont fait de la migration une histoire de séduction et de convoitise plus qu’une opération proprement humaine sous l’emprise du néolibéralisme envahissant. Le monde est entré dans le consumérisme et ses mirages dont les raccourcis technologiques constituent un des aspects. C’est ce qui entraîne donc un dévoiement inévitable de la Raison.

    Le rôle majeur joué par l’Occident – on celui qu’on lui attribue – dans la partition migrationniste ne sera pas périphérique dans cette réflexion. N’est-ce pas une lapalissade que d’affirmer qu’il est, bon gré mal gré, au cœur même de la problématique contemporaine ? En consacrant la quatrième partie à la seule critique de la raison migratoire, je tenterai de rechercher les fondements de ce geste. Pourquoi migre-t-on fondamentalement et qu’en est-il de son moteur essentiel ? Tel est le risque dans lequel j’invite le lecteur à se lancer. Risque de se faufiler dans les méandres d’une réflexion dont les ressorts se veulent quelque peu atypiques.

    La dernière partie de cette réflexion oscillera entre poétique et réalité concrète. C’est dans ces lieux que tentent de surgir des caractéristiques de notre dimension humaine que nous devons valoriser. Car quel est finalement l’enjeu, au cœur de la mobilité humaine, qui nous concerne tous ? A quoi s’attendre lorsque l’homme est nerveusement posé comme finalité ?

    A l’orée de cet essai, je voudrais tout particulièrement remercier Pascal-Blaise Beboua, Jean Koulagna, Lucie Essomba, Claudia Pellegrini, Hamadou Hassan Mossi, Badiadji Horretowdo et Christian Hamidou Hassana qui ont contribué à sa relecture. Qu’ils trouvent ici toute ma gratitude.

    PARTIE 1 :

    Délimitations des spectres migratoires

    « Après cela, je vis quatre anges ; ils se tenaient debout aux quatre coins de la terre. Ils retenaient les quatre vents de la terre pour qu’aucun vent ne souffle ni sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre. » Apocalypse 7:1 (La Bible)

    1. Notifications et clarifications sous-jacentes

    Cette réflexion préalable consiste à effectuer une tâche constituante. Autrement dit, il faut partir de ce qui est. Il s’agit de considérer la réalité ou le réel. Or, le tissu du réel – souvent traumatique – subit des transgressions ou des mutations quelquefois voulues dans l’histoire. Des notions, par idéologie, passivité ou ignorance, se perdent ou s’étiolent dans des séries de galvaudages et de récupérations de tout genre. Il faudra tenter sans compromission et, malgré tout, de toutes ses forces, de rester dans la quête permanente du vrai, à s’activer résolument à dire non seulement ce qui est, mais ce qui doit être. Partir d’une telle exigence à la fois philosophique et scientifique instaure le premier pas qui ouvre à la thématique du geste migratoire aussi bien dans sa diversité que dans ses méandres. Il apparaît donc important de procéder, via un jet de lumières crues, à la clarification de certaines notions anthropologiques, sociologiques et historiques qui tendent à appartenir à des grammaires subtilement ou grossièrement univoques. Car, définir le plus ordinairement c’est délimiter. On ne peut raisonnablement sortir de cette réalité qui s’impose, comme une foudre de l’évidence, en minimisant les sublimations ou les aliénations possibles.

    1. QUEST-CE QUUN MIGRANT ?

    Partons donc de ce qui paraît, par le fait même, revêtir une certaine trivialité : l’immigré et l’émigré. Ces deux termes énoncés appartiennent à l’économie de la notion de migrant. Celle-ci s’écrit au pluriel. Elle offre les deux facettes qui traduisent à la fois l’intériorité et l’extériorité d’une réalité unique. Autrement dit, ce sont les deux dimensions majeures qui caractérisent le visage même des sujets humains dans les subtilités du geste migratoire. Considérons qu’il y a d’abord un lieu ou une territorialité prédéfinie. Celui qui se situe à l’intérieur définit l’être qui y pénètre, dans le but de s’établir, comme un im-migré (ici le préfixe im renvoie à un mouvement précis). Ce dernier, parti de son lieu, est en immersion dans l’ailleurs souhaité, voulu ou subi. Tandis qu’à partir d’un lieu, l’on désigne celui qui s'en va pour des raisons similaires, quasi-semblables ou totalement différentes à celles qui motivent le geste de l’immigré. On le nommera comme suit : émigré.

    Mais revenons un tant soit peu au concept de « migrant » dont la compréhension semble satisfaire. Remarquons qu’il s’agit ici d’un participe présent substantivé. Si le migrant est à la fois l’immigré et l’émigré, l’on n’use pourtant pas du terme de « migré » pour évoquer l’un ou l’autre. Or, les notions d’émigré et d’immigré sont au participe passé. Un immigrant et un migrant sont dans l’action présente alors que les deux notions ci-haut citées traduisent un geste déjà « accompli ». Cependant l’usage du mot « migré » serait malvenu tant il ne désigne qu’exclusivement un participe passé. Le terme « migré » n’entre pas dans le registre des substantifs tandis qu’il n’en est pas de même des autres concepts.

    Cependant, au-delà de toutes spécificités, l’immigré et l’émigré ont quelque chose en/de commun : l’un et l’autre situent le sujet humain dans le dehors de son propre monde. L’extériorité est par le fait même une constante des deux réalités conceptuelles. Evidemment, l’on ne saurait circonscrire le lieu à la seule géographie physique. Il cristallise de nombreuses facettes, significations et symboles. Le sentiment d’être relégué, oublié ou absent dans le même périmètre géographique ne façonne-t-il pas, à l’usure, un visage d’émigré ? Un lieu de migration est fondamentalement défini comme extériorité par rapport à l’être. Car tout être paraît d’abord dans un lieu qui est sien ou devrait, en principe, l’être. Aussi, ne pas être ou se détacher de ce qui est soi, définit une forme de migration. D’où la complexité du geste migratoire. Son appréhension commune tend à le circonscrire au seul cadre de l’espace. Pour de nombreux individus, la « terre de ses ancêtres » constituerait une prison à ciel ouvert même si le principe de réalité et le ressentiment peuvent apparaître en nette opposition. Le phénomène migratoire n’est pas étranger aux contextes quelquefois artificiels et subrepticement imposés.

    Ici, entre en jeu la notion de temporalité et/ou de l’histoire. Car l’espace monde est tributaire de ce qui s’y déroule, ce qui le travaille intérieurement. Il faut se rendre à l’évidence qu’il existe une réelle dépendance du passé en tant que passé, c’est-à-dire de ce qui nous a précédés sans que nous ne le voulions ou le désirions, à ce que nous sommes. En d’autres termes nous sommes ce que nous sommes parce que le passé est ce qu’il a été. En réalité, le passé n’est pas passé ou abandonné, il reste présent non pas dans sa forme mais dans ce qu’il propose : c’est-à-dire son contenu. Fondamentalement, nous vivons dans la logique d’une présence totale{3} et ne pouvons nous démarquer radicalement de ce que nous sommes, même si nous nous inscrivons de facto dans le changement. Objectivement, ce que nous rejetons existe tant dans la réalité physique, palpable, que dans la réalité immatérielle de la mémoire{4}. Il existe en tant que porteur de l’estampillé (déjà vu) ou du rejeté. Notre vie passée reste cette vie passée que le présent s’approprie, définit ou transforme.

    La déformation ontologique du concept de migrant et sa double variante interne et externe (immigrant et émigrant) procède d’un projet d’imposture et de disqualification. Ce qui est fondamental dans cette observation, c’est l’absence de différenciation dont l’outillage (ou l’usage) aurait pourtant permis de circonscrire les notions. Il faut absolument dépasser ce regard souvent stéréotypé sur la migration, la considérant comme acte de délit, même si ladite migration est en soi délitement au sens premier du terme. A cause de l’extériorisation, un déchaussement existe et montre cette prise de distance voulue ou subie. Il existe là une sortie des sentiers battus, une dérobade par rapport à ce qui paraît normé. Dès que la thématique migratoire est soulevée dans notre contemporanéité, elle suscite maints soupçons alors que des contrées entières portent fièrement la marque inédite de « terre d’immigration ». Comment alors définir un migrant ? La proposition suivante me paraît fort concluante : « Un migrant est une personne amenée à quitter sa terre natale pour rejoindre, provisoirement ou à long terme, un autre pays{5}. » Ce propos a-t-il le mérite d’incarner une totale objectivité ? Certainement que oui. Bien qu’il suscite un débat plus large lorsque l’on lorgne, à l’excès, la réalité avec des lunettes de notre modernité au sens le plus large.

    2. LA PROBLÉMATIQUE DE L’EXPATRIATION ET SES REJAILLISSEMENTS

    Partout à travers le monde, la pluralité des identités est devenue une réalité pertinente qui cache mal certains travestissements du regard. L’histoire récente, ou celle qui est en plein déroulement, établit des distinctions franches entre les individus suivant leur lieu de surgissement au monde. Le déterminisme territorial marque une frontiérisation rigide des mots. Nous pénétrons ainsi au cœur de la réalité de la vérité idéologisée. Un sujet lambda peut être considéré comme expatrié plutôt que comme un immigré/émigré suivant le lieu où il se trouve, malgré les services{6} de contrôle imposés par des États qui sont tous dotés d’une souveraineté en la matière. Cela va sans dire. Puisque ces dits services sont constitutifs de l’État de droit. L’expatriation signifie la sortie de (ex) sa propre patrie (patria) ou territorialité « originaire ». Mis entre guillemets, le terme pourrait revêtir moultes significations en fonction du droit de chaque territorialité. Les règles diffèrent suivant ces États qui pratiquent, selon leur propre principe, le droit du sol ou celui de sang.

    Il y a, à la fois, deux temporalités dans cette notion d’ex-patriation : celle de l’avant et celle de l’après. Tout dépend donc de cet avant et de cet après. A priori, une telle notion risque de laisser sous-entendre que les individus qui vivent ce phénomène y sont contraints. Car, si l’on considère que chaque être humain se définit par son cadre de vie initial, comment comprendre qu’il s’établisse ailleurs que dans ce lieu-là ? L’expatriation fait, à certains égards, écho à la notion de l’exil dont l’appropriation lexicale est sans ambiguïté. Pourtant, l’expatriation revêt toute sa vérité ; c’est-à-dire ses caractéristiques positives, neutres ou négatives. Les habitudes de langage solidement ancrées viennent néanmoins travestir sa quintessence. Elles ne font retentir qu’une lecture héritée de lointains rapports de subalternation propres au lexique colonial. Cependant ce prisme déformant est bien étranger aux puristes de la langue et n’est forcément pas en vigueur dans certains milieux, notamment scientifiques, qui ne peuvent qu’en saisir le sens primitif (premier).

    Historiquement, le vocabulaire autant du dominant que celui du dominé, selon une vision dialectique du monde, réduit l’appellation d’« expatrié » aux seuls Occidentaux, ces peuples dits « blancs ». C’est ce qui vient adouber cette sorte de déréalisation insistante. Est souvent considéré comme expatrié, le sujet qui recèle un contenu ontologique supérieur ou dominant par rapport aux autres. C’est le cas du coopérant militaire, économique, culturel, politique ou simplement de celui qui, du dehors, vient habiter l’hémisphère sud du globe. Aussi, l’Afrique du Sud post-apartheid a révélé l’existence d’« expatriés mentaux{7} », ces citoyens blancs qui ne savent plus où ils en sont après ces « années obscènes{8}. »

    Indubitablement, la notion d’expatriation, se voulant prépondérante vis-à-vis de celle de l’étranger et ses multiples variantes, questionne singulièrement. Car l’usage courant du terme, voire la banalisation, occulte sa pleine réalité conceptuelle. Or, l’on devrait attribuer le titre d’expatriés aux jeunes gens maliens, péruviens ou sénégalais qui exposent et vendent des souvenirs aux abords de la Tour Eiffel ou à n’importe quel trafiquant chinois, algérien qui vit et gagne – pour certains très péniblement – sa vie dans une quelconque cité occidentale.

    Une vision erronée, voire démagogique, de la notion d’expatriation ouvre la voie à toutes sortes de catalogages hiérarchisants. Cet élitisme du regard nourrit de facto maintes dérives. Ainsi, selon l’imaginaire dominant, est considéré comme étranger, l’immigré exclusivement. Si l’expatrié est considéré comme étranger là où il vit, sa posture ne manque pas moins d’incarner l’étranger et les avantages inhérents à cette posture. Dans de nombreuses cultures de pays africains, par exemple, la notion d’étranger cristallise une indubitable ambivalence. Les droits de l’expatrié sont souvent supérieurs à ceux de l’autochtone. L’étranger-expatrié (ce qui est totalement absurde) n’entre pas, en général, dans la logique concurrentielle victimaire. Il est considéré comme plus important que d’autres étrangers venus des pays voisins ou d’autres territoires africains lointains. Ce refus d’amalgamer les ressortissants occidentaux n’est pas sans rappeler que dans les pays européens, les migrants nord-américains ou ceux d’Australie, bénéficient d’un accueil fort différent. Autrement dit, ils jouissent d’un statut lié à une certaine proximité qui se décline prioritairement en couleur de peau, en culture, en niveau économique, etc. Tout paraît relatif à la construction idéologique de l’histoire. Pourtant, les ressortissants des pays de l’Est, qu’il s’agisse des Polonais{9} ou de ces infatigables Roms itinérants, ou encore des citoyens de l’ex-Yougoslavie avec leurs variantes, cristallisent une diversité de prismes dont la culture seule semble, à première vue, en fournir l’explication. L’appartenance aux frontières de l’Union européenne ne garantit pas pour autant une meilleure acceptation à l’interne. Car de nombreux non-dits sous-tendent, nourrissent ces relations et en façonnent le regard.

    Aussi, des sans-papiers français aux États-Unis sont susceptibles d’être refoulés à tout moment vers l’Hexagone. Ces derniers figurent aussi dans le registre victimologique ambiant. Le statut d’expatriés qui leur colle à la peau lorsqu’ils vivent en Afrique, en Amérique latine ou en Asie vole en éclat pour laisser place à celui d’une catégorie de population migrante « normale ». Il leur sera tout simplement demandé de justifier administrativement leur présence au pays de l’Oncle Sam.

    La situation des migrants américains en Europe est nettement différente de celle des pays ci-haut cités. Or, ce chèque en blanc pourrait bien revêtir d’autres non-dits ou contentieux beaucoup plus feutrés. Car les visions du monde que porte chacun ne sont pas forcément univoques. Le sentiment anti-américain n’est pas si étranger à l’Europe, suivant les pays et les circonstances militaires et politico-économiques qui ne leur paraissent pas moins dévastatrices. L’ère Bush dite « va-t-en-guerre », l’« arrogance » trumpiste, etc. ont coagulé maintes supputations négatives dans le reste de l’Occident dont une partie s’enlise dans des amalgames tatillons, parfois radicaux et irréversibles. Mais l’Europe reste encore prisonnière de la globalisation culturelle américaine et semble peu se permettre, même consciemment, des correctifs désobligeants en profondeur. De même, en territoire européen, les migrants d’ailleurs (Tiers-mondistes) doivent encore subir des confusions dénigrantes : requérants d’asile tant politiques qu’économiques sont mis à la même enseigne que de nombreux cadres ou cerveaux issus du « monde d’en bas », soumis aux mêmes contrôles, autorisant parfois un délit de faciès ostensible dans et en dehors des lieux publics. Dans la réalité de tous les jours, celui qui a su ou pu se forger le statut tant envié et/ou détesté de citoyen diasporique n’est pas moins soumis à ce geste de subalternation.

    Et si, dans un pays dit du Tiers-Monde, selon cette même imagerie, il n’est de migrant que celui qui cède à la tentation de

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