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Introduction à l'art de la plaidoirie: L'exemple luxembourgeois
Introduction à l'art de la plaidoirie: L'exemple luxembourgeois
Introduction à l'art de la plaidoirie: L'exemple luxembourgeois
Livre électronique388 pages4 heures

Introduction à l'art de la plaidoirie: L'exemple luxembourgeois

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À propos de ce livre électronique

Plaider est un art. Et un art, cela s’apprend.

Ce livre s’adresse en premier lieu aux avocats désirant approfondir leurs compétences en la matière de même qu’aux avocats-débutants appelés à rédiger leurs premières plaidoiries.
La première partie de cet ouvrage est basée sur des préceptes fondamentaux de maîtres anciens (notamment Aristote, Cicéron et Quintilien) encore valables aujourd’hui et veut donner un cadre théorique à l’éloquence judiciaire.

La deuxième partie comprend, accompagnés d’une brève analyse, des exemples modernes de la plume de Me Gaston Vogel, ténor du Barreau de Luxembourg réputé pour ses dons oratoires : onze plaidoiries couvrant une période de plus de 40 ans, dont certaines font partie intégrante des grands procès que la justice et la société luxembourgeoises ont connus ces dernières décennies, tels le dernier procès d’avortement au Luxembourg, celui de la prise d’otages dans une crèche à Wasserbillig ou encore celui de l’ « Affaire du siècle ».
Ainsi, ce livre retrace certaines pages de l’histoire récente du Grand-Duché.
LangueFrançais
Date de sortie23 avr. 2018
ISBN9782879982809
Introduction à l'art de la plaidoirie: L'exemple luxembourgeois

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    Aperçu du livre

    Introduction à l'art de la plaidoirie - Thierry Hirsch

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    © ELS Belgium s.a.

    Département Promoculture-Larcier, 2018

    7, rue des 3 Cantons

    L-8399 Windhof (via sa filiale DBIT s.a.)

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 978-2-87998-280-9

    ISSN 2305-5642

    À la mémoire de ma grand-mère

    Mathilde Wester-Heinen

    qui, avec ses actes et ses paroles,

    a su toucher tant de cœurs.

    Avant-propos

    Pourquoi ce livre ?

    « L’avocat défend celui qui est seul et contre lequel ils sont tous. C’est la grandeur et la servitude du métier. Le tissu humain sur lequel il travaille est large, si large que Dostoïevski, qui en avait peur, voulait le rétrécir. Il faut pour le faire, une grande culture qui va très au-delà des paragraphes – lire, s’informer et écrire – voilà ce qui fait le quotidien d’un défenseur. Soigner la langue fait partie de ses devoirs fondamentaux. La langue qui est la sienne est romaine et ainsi, on ne comprend pas pourquoi l’avocat ne soit plus assujetti à la culture latine. Le droit après tout est une immense œuvre romaine. Il suffit de lire le Code de Justinien pour s’en convaincre. C’était une erreur monumentale de libérer l’avocat du latin. Sans latin, sa culture reste à l’état de moignon. »

    Me Gaston Vogel

    L’avocat moderne a-t-il encore besoin de la rhétorique ? Oui, car l’art de la parole n’est pas une question de simple ornement dans une salle d’audience comme d’aucuns le pensent : c’est une arme. Savoir plaider signifie savoir rendre claires des affaires parfois très complexes, savoir émouvoir et savoir rappeler à tous ceux présents que nous sommes tous hommes et qu’en chacun de nous le bon et le mal se confrontent. Pour de nombreuses questions – par exemple, comment émouvoir le plus possible les juges dans une affaire grave ? –, la simple connaissance des textes de loi s’avère insuffisante. L’avocat idéal n’est donc pas seulement maître en droit ; il est également maître en l’art de la parole et sait faire des développements sur le plan philosophique. En effet, de nombreux auteurs anciens considéraient la rhétorique et la philosophie comme disciplines jumelles, et bon nombre d’affaires sont étroitement liées aux grandes questions éthiques.

    Ce livre propose de combiner une introduction à la théorie antique et la pratique moderne de l’éloquence judiciaire, tout en mettant l’accent sur l’art de la plaidoirie. Pourquoi se limiter à une introduction théorique au lieu d’en donner un traitement exhaustif ? Pourquoi l’accent sur la théorie antique et non pas sur la théorie moderne ? Et pourquoi alors des exemples tirés de la pratique moderne ?

    La rhétorique est un sujet assez vaste et complexe. Elle comprend plusieurs grands volets comme la stylistique et la théorie de l’argumentation. Elle a été structurée en une myriade de parties, sous-parties, etc. Rares sont les auteurs qui ont traité de façon détaillée la quasi-totalité de la matière. Le professeur romain de rhétorique Quintilien l’a fait ; pour ce faire, il lui a fallu douze livres. Pour un novice, difficile donc de s’y retrouver rapidement. Voilà pourquoi une introduction à la matière constitue une première étape importante pour qui s’intéresse à la rhétorique. Contrairement à hier, lorsque le latin et le grec occupaient une place beaucoup plus importante dans le syllabus des écoles, même les notions fondamentales de la rhétorique ne sont presque plus enseignées aujourd’hui dans nos écoles ou universités. Il en va ainsi dans des matières pour lesquelles la rhétorique devrait constituer un cours obligatoire, notamment la matière juridique. En effet, le droit est fortement basé sur la parole, de sorte qu’il est important pour les juristes – et surtout pour les avocats du contentieux – de maîtriser l’art de la parole.

    La rhétorique a continué à évoluer au fil des siècles, mais pas autant que d’autres domaines comme par exemple la philosophie. Ainsi, les traités de l’Antiquité gréco-romaine – dont l’autorité régnera suprême pendant presque 2000 ans – restent fondamentaux. En effet, même les théoriciens modernes les prennent très souvent comme point de départ. Aristote a donné de la rhétorique une analyse philosophique, voire (dans la terminologie moderne) psychologique très subtile. À la différence de nombreux rhétoriciens modernes, Cicéron et Quintilien combinaient théorie et pratique : tous les deux non seulement écrivaient sur la théorie de l’éloquence, mais se battaient aussi comme avocats aux côtés de leurs clients dans l’« arène » poussiéreuse des tribunaux qui leur servait également de laboratoire pour expérimenter. Le cadre théorique que ces maîtres anciens ont donné à l’art de la parole reste largement valable pour le plaideur d’aujourd’hui, comme le témoignent non seulement des avocats du Xxe et Xxie siècles ayant écrit sur le sujet, tels les Maurice Garçon ou Alessandro Traversi,¹ mais aussi les plaidoiries de Gaston Vogel incluses dans ce volume. En effet, en 1947 Me Maurice Garçon, ténor du Barreau de Paris, membre de l’Académie française et auteur d’un excellent livre théorique sur l’éloquence judiciaire, écrivait : « Du point de vue du métier, les orateurs les plus précieux à consulter sont incontestablement ceux de l’Antiquité. Jamais l’étude de la rhétorique n’a été poussée aussi loin que par les Anciens. »² Vu que le latin est la langue par excellence du droit, les termes rhétoriques seront généralement indiqués dans ce livre non en grec, mais en latin. Même si la théorie a tendance à être moins attrayante que les exemples pratiques, le lecteur désirant améliorer ses facultés oratoires ne saura se passer de la théorie : « L’avocat ignorerait les procédés oratoires élémentaires, qui s’apprenaient jadis à l’école, demeurerait toujours un apprenti, et ne sortirait pas d’une déplorable médiocrité. Il perdrait trop souvent son temps à imaginer des moyens connus, il croirait inventer ce que tout le monde devrait savoir, et ne saurait pas se garder de défauts graves qu’une longue expérience enseigne à éviter. »³

    Surtout à partir du Xxe siècle, il y a eu des efforts de renouveau et de progrès en matière d’éloquence judiciaire, mais ces efforts se sont concentrés largement sur la théorie de l’argumentation qui dans l’Antiquité faisait partie de la rhétorique. Nous avons cependant décidé de ne pas poursuivre dans le présent livre ces pistes modernes,⁴ car ce serait quitter très rapidement les voies d’une introduction à la rhétorique. Notre but est de donner au lecteur une solide base dans la théorie classique dont il saura rapidement appliquer maints éléments dans la pratique et qui lui permettront de mieux comprendre les travaux des théoriciens modernes se consacrant surtout à la théorie de l’argumentation. Le lecteur intéressé trouvera d’excellents résumés sur les théories modernes de l’argumentation (avec des indications bibliographiques supplémentaires) dans le Handbook of Argumentation Theory édité par van Eemeren et al.⁵ ou dans le Historisches Wörterbuch der Rhetorik s.v. Argumentation et Gerichtsrede.⁶

    Une autre raison de ne pas vouloir mettre excessivement l’accent sur la seule théorie de l’argumentation est que l’art de la plaidoirie, d’après nous, ne saurait être réduite à la simple argumentation. Les plaidoiries de l’œuvre de Me Gaston Vogel choisies pour ce volume sont en effet exemplaires sous d’autres aspects, notamment dans leur construction et dans leur style brillant. Pour s’en convaincre, on pourrait les réécrire dans un style très sobre et laisser de côté des éléments qui, à première vue, ne sont pas en relation directe avec l’argumentation, comme l’exordium, les figures de style, etc. On remarquerait alors combien elles perdraient en brillance, en charme et en force. Ici, la plaidoirie commence à re-réclamer le statut d’un genre de prose littéraire qu’elle tenait jadis grâce à des maîtres tels que Démosthène ou Cicéron.

    Une plaidoirie doit être adaptée à ses auditeurs. Voilà pourquoi il y a des variations plus ou moins fortes d’un pays à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre. Si les plaidoiries d’un Cicéron ou d’un Antoine Le Maistre (1608-1658), par exemple, n’ont rien perdu de leur beauté et ingéniosité, il n’en reste pas moins qu’elles ne sauraient donner une idée concrète à un jeune avocat d’aujourd’hui comment on plaide ou peut plaider de nos jours. Voilà pourquoi nous avons décidé de choisir à titre exemplaire des plaidoiries des Xxe et Xxie siècles. Cependant, quand on se met à la recherche de plaidoiries modernes, on se heurte rapidement à un problème majeur : rares sont les avocats qui, d’un côté, prêtent un soin méticuleux, voire littéraire, à leurs plaidoiries de sorte qu’elles puissent servir d’exemples et qui, de l’autre, rédigent (et gardent) leurs notes de plaidoiries en entier et ouvrent leurs archives pour un projet comme le présent.⁷ Un tel avocat est Me Gaston Vogel, avocat au Barreau de Luxembourg depuis 1962. Connu pour ses dons oratoires extraordinaires non seulement dans le milieu des avocats, il porte une attention toute particulière à la parole et à l’étape-résumé du procès qu’est la plaidoirie, et n’hésite pas à affirmer que pour lui chaque plaidoirie doit être un morceau de littérature. Pour citer le commentaire du journaliste juridique belge Philippe Toussaint dans Pourquoi pas (31 janvier 1974, page 38) dans le contexte du dernier procès d’avortement au Luxembourg⁸ : « (...) Me Vogel qui est un personnage étonnant. Brillant, juriste solide, sûr de lui comme le sont seulement ceux qui ont décidé de rester indépendants afin de dire toujours et partout ce qu’ils ont sur le cœur, orateur fougueux, irrévérencieux comme par hygiène, et jouissant de cette impunité que confère l’art de mettre les rieurs de son côté, virtuose un peu hirsute, goguenard un instant, pathétique aussitôt : il faut voir ses confrères se pousser du coude dans la salle, l’air de se dire l’un l’autre : ‘Qu’est-ce qu’il va encore oser leur sortir ?’ Il ‘leur’ en a ‘sorti’ beaucoup... »

    La théorie et la pratique de l’éloquence judiciaire ont très souvent été séparées tant au niveau des publications qu’au niveau des experts eux-mêmes. Ce livre propose de combiner les deux pour servir de guide notamment aux avocats désirant développer leurs capacités oratoires. Alors que d’autres ouvrages traitant du même sujet proposent des extraits assez courts de plaidoiries modernes ou, assez souvent, antiques (comme celles de Cicéron) voire d’œuvres littéraires – par exemple ne citant que l’exordium de telle plaidoirie et une partie de l’argumentatio de telle autre ou un vers de Molière pour illustrer une figure de style –, le présent volume renferme les notes intégrales de onze plaidoiries, desquelles sont aussi tirés de nombreux exemples dans la partie consacrée à la théorie, montrant que la théorie antique de la rhétorique judiciaire conserve tout son intérêt pour l’avocat d’aujourd’hui. La seule lecture de ces plaidoiries ne suffira cependant pas pour assimiler tout ce qu’on pourra y apprendre : il faut les analyser en détail, les décortiquer. Il faut s’arrêter après chaque phrase et se demander : « Pourquoi l’avocat a-t-il choisi telle stratégie et non pas telle autre ? Comment aurait-on pu rendre cette conclusio différemment ? », etc.

    Encore un mot sur le choix des plaidoiries incluses dans ce volume : elles relèvent toutes du domaine du droit pénal. En effet, c’est souvent dans ce domaine qu’ont lieu les plus graves atteintes au sort d’une personne, qu’elle se trouve ébranlée dans son for intérieur et que certaines des questions existentielles et éthiques les plus difficiles et angoissantes se posent. C’est là où l’avocat pourra briller avec toutes ses connaissances non seulement en matière juridique, mais aussi en philosophie et rhétorique, afin d’élever ces questions sur un plan qui sort du quotidien pour leur donner tout le poids, tout le sérieux et tout le respect du traitement qui leur revient.

    *

    Je voudrais exprimer mes remerciements très chaleureux à Me Gaston Vogel pour son enthousiasme dès la première minute pour ce projet, pour les discussions passionnantes que nous avions et pour la gentillesse et confiance avec lesquelles non seulement il m’accueillait à moult reprises dans son étude, mais aussi m’ouvrait les portes de ses archives : pour un chercheur en rhétorique et passionné de littérature, ce fut un vrai plaisir de fin gourmet.

    D’autre part, ma vive reconnaissance va à mon ami Maxime Cormier, doctorant et enseignant à l’Université Panthéon-Assas (Paris Ii), ainsi qu’à mes parents, qui ont assuré la relecture du présent volume en partie ou en entier. Les erreurs qui subsistent sont mea culpa.

    Luxembourg, en février 2018

    TH

    1. Garçon, M. (1947), Essai sur l’éloquence judiciaire (Paris : Corréa) ; malheureusement ce livre n’est actuellement plus disponible.

    Traversi, A.

    (⁴2014), La défense pénale. Techniques de l’argumentation et de l’art oratoire (Bruxelles : Bruylant ; traduction française :

    Wiskemann, C.

    ).

    2.

    Garçon

    (1947), 56-57.

    3.

    Garçon

    (1947), 265-266.

    4. Voir Bibliographie sub Iii.

    5.

    Van

    Eemeren, F.

    H. /

    Garssen, B.

    /

    Krabbe

    E.C.W. /

    Snoeck

    Henkemanns, A.

    F. /

    Verheij

    , B. /

    Wagemans

    J.H.M. (édd. ; 2014), Handbook of Argumentation Theory (Dordrecht : Springer).

    6.

    Ueding, G.

    (éd. ; 1992-2014), Historisches Wörterbuch der Rhetorik (Tuebingen : Niemeyer).

    7. Comme on verra plus loin, il y a d’importants avantages pour le plaideur débutant ou désirant améliorer ses facultés oratoires à mettre par écrit ses plaidoiries pendant un certain temps.

    8. Plaidoirie I du présent volume.

    I

    Partie théorique

    Chapitre 1. Les sources : les traités de rhétorique de l’Antiquité gréco-romaine

    Chapitre 2. Tria genera orationis – Les trois genres de discours

    Chapitre 3. Status / Constitutiones – Les états de la cause

    Chapitre 4. Partes artis – Les parties de l’art

    4.1. Inventio – L’invention

    4.2. Dispositio – L’arrangement

    4.3. Memoria – La mémoire, l’apprentissage par cœur

    4.4. Pronuntiatio/actio – L’action oratoire

    4.5. Elocutio – Le style

    Chapitre 5. Partes orationis – Les parties du discours

    5.1. Exordium – L’exorde

    5.2. Narratio – La narration

    5.3. Partitio/Divisio – La division

    5.4. Argumentatio – L’argumentation :

    confirmatio et reprehensio/refutatio

    5.5. Conclusio – La conclusion

    5.6. Digressio – La digression

    Chapitre 1

    Les sources : les traités de rhétorique de l’Antiquité gréco-romaine

    Le présent volume est conçu comme un guide de théorie rhétorique et de pratique oratoire. Il ne saurait comprendre une partie détaillée dédiée à l’histoire de l’art de la parole : c’est un sujet trop vaste. Le lecteur intéressé est renvoyé par exemple aux ouvrages de L. Pernot,¹ M. Fuhrmann,² G. Kennedy³ ainsi qu’aux volumes édités par I. Worthington⁴ et par W. Dominik et J. Hall,⁵ qui forment d’excellents points de départ pour l’histoire de la rhétorique. Nous proposons de donner seulement un bref aperçu des sources anciennes de la théorie de la rhétorique ayant survécu jusqu’à nos jours.

    Une distinction importante à faire à ce point est celle entre les adjectifs « rhétorique » et « oratoire » : dans le sens étroit, le premier renvoie en général à la théorie, le second à la pratique. Le « rhéteur » (rhetor) est celui qui enseigne la rhétorique, l’« orateur » (orator) est celui qui prononce un discours.

    Les deux traités de rhétorique les plus anciens qui nous soient parvenus sont d’origine grecque et datent du Ive siècle av. J.-C. Le premier porte le nom de Rhétorique à Alexandre⁶ et a longtemps été attribué à Aristote. Aujourd’hui, il est certain qu’Aristote n’en est pas l’auteur : le traité est maintenant attribué à Anaximène de Lampsaque (ca. 380-320 av. J.-C.). Il s’agit plutôt d’un recueil de « bonnes pratiques » que d’une analyse perçante du sujet : en effet, le traité d’Aristote (384-322 av. J.-C.) est le premier à présenter une telle analyse. Mais c’est une analyse de style assez philosophique ou scientifique : ce traité d’Aristote n’est pas un manuel « pratique » pour l’orateur in spe – loin de là.

    Après ces deux traités il faudra attendre quelque 250 ans jusqu’aux prochains traités de rhétorique transmis dans leur intégralité. Ces 250 ans forment un trou considérable dans l’histoire de la rhétorique : de nombreux et importants changements et innovations (comme la théorie des états de la cause) datent de cette époque-là. D’après l’impression que nous donnent nos sources, les deux traités les plus importants datant de ces 250 ans et aujourd’hui perdus sont celui de Théophraste (élève d’Aristote) sur le style et celui d’Hermagoras de Temnos (ca. 140-130 av. J.-C.) qui comprenait notamment la théorie des états de la cause. Les nombreuses références à ce dernier texte dans les traités composés au cours des siècles suivants permettent néanmoins d’en reconstruire une partie du contenu.

    Après ces 250 ans de « silence », deux traités écrits à Rome en latin sortent comme du néant : la Rhetorica ad Herennium (Rhétorique à Herennius, longtemps faussement attribuée à Cicéron ; son auteur n’a pu être identifié avec certitude) et le De Inventione du jeune Cicéron (Marcus Tullius Cicero, 106-43 av. J.-C.). Ces deux traités, qui datent probablement des années 80 av. J.-C., montrent des similarités si grandes et si nombreuses qu’elles suggèrent des sources communes aux deux traités. Ceux-ci se présentent sous forme de manuels pratiques et pourraient avoir un lien assez étroit avec le contenu des cours offerts par les écoles de rhétorique à Rome.

    Plusieurs décennies après son De Inventione, lorsqu’il doit se retirer temporairement de la politique, Cicéron écrira encore d’autres traités de rhétorique : son magistral De Oratore (« De l’orateur [idéal] », un dialogue dans le style de certains traités philosophiques de Platon ; 55 av. J.-C.), le Brutus (une discussion sur les grandes figures de l’art oratoire en Grèce et à Rome ; 46 av. J.-C.), l’Orator (« L’Orateur », un débat sur deux styles oratoires très influents à l’époque, l’Asianisme et l’Atticisme ; 46 av. J.-C.), le De Optimo Genere Oratorum (« Du meilleur genre d’orateurs », une préface à la traduction que Cicéron voulait faire de deux discours des orateurs grecs Démosthène et Eschine ; 46 av. J.-C.), les Topica (« Topiques », un traité où Cicéron essaie de combiner le droit civil romain et un concept d’argumentation introduit par Aristote ; 44 av. J.-C.) et les Partitiones Oratoriae (« Divisions de la rhétorique », un manuel à l’usage de son fils, écrit sous forme de dialogue ; date inconnue). De tous les orateurs-avocats de la Rome antique, Cicéron est le seul dont nous possédons encore des plaidoiries entières.

    Après la mort de Cicéron en 43 av. J.-C., il faudra attendre quelques 140 ans jusqu’au prochain traité de théorie rhétorique que nous possédons, à savoir l’Institutio Oratoria (« L’éducation oratoire ») de Quintilien (Marcus Fabius Quintilianus ; ca. 40-97 ap. J.-C.). Comme Cicéron, et à la différence d’Aristote par exemple, Quintilien avait une longue carrière d’avocat qui lui donnait une expertise en la matière au-delà de la pure théorie. Mais contrairement à Cicéron, Quintilien enseignait la rhétorique également dans une école. En fait, Quintilien devint le premier titulaire de la première chaire publique financée par un État en Occident. En d’autres termes : Quintilien devint le premier professeur dans l’histoire de l’Europe, et la première chaire de l’Europe fut une chaire de rhétorique. C’est à son départ en retraite comme professeur qu’un ami lui demande (du moins si l’on en croit Quintilien) de mettre par écrit ses connaissances et son expérience personnelle en la matière, ce qui résultera dans l’Institutio Oratoria. Avec ses douze livres, c’est le plus vaste traité de rhétorique qui nous est parvenu non seulement de l’Antiquité, mais également des époques suivantes.

    Une dizaine d’années après suivra encore le Dialogus De Oratoribus (« Dialogue sur les orateurs ») de Tacite (Publius ou Caius Cornelius Tacitus ; ca. 55-120 ap. J.-C.), clôturant la liste des grands traités de rhétorique romains ayant survécu. On notera toutefois qu’un certain nombre de traités de rhétorique en langue latine existent encore des siècles suivants, traités dont les auteurs sont regroupés sous le terme collectif de rhetores latini minores (« rhéteurs latins mineurs »). Du côté grec, il y a encore plusieurs traités d’auteurs regroupés sous le terme collectif de rhetores graeci (« rhéteurs grecs »), dont le plus important est Hermogène de Tarsos (ca. 160-230 ap. J.-C.) qui nous a laissé e. a. un traité influent sur les états de la cause.

    Jusqu’au Xixe siècle, les traités d’Anaximène, d’Aristote, d’Hermogène et surtout de Cicéron (avant tout son De Inventione), de Quintilien et de l’auteur anonyme de la Rhetorica ad Herennium ainsi que les discours de Cicéron et de Démosthène forment la base de l’enseignement rhétorique dans les écoles et universités d’Europe et ont une influence majeure sur les traités de rhétorique écrits depuis l’Antiquité. Ces maîtres grecs et romains de l’éloquence ont adapté l’art de la parole si étroitement à la nature et à l’esprit humains – qui n’ont pas fondamentalement changé depuis – que la plupart des conseils qu’ils donnent restent valables aujourd’hui. C’est pourquoi le présent volume propose de les prendre pour guides dans l’art de la plaidoirie. En effet, il y a eu maints changements ces dernières décennies concernant les conditions dans lesquelles les femmes et hommes politiques prononcent leurs discours (utilisation de microphones et de téléprompteurs ; des publics comprenant des dizaines ou centaines de milliers de personnes ; discours prononcés à huis clos devant une caméra ; discours enregistrés et diffusés mondialement etc.). En revanche, les conditions pour les discours judiciaires sont restées beaucoup plus proches de celles dans lesquelles un Cicéron ou un Quintilien ont prononcé leurs plaidoiries.

    Avant d’en venir à la théorie proprement dite, il faut encore envisager une catégorie de textes rhétoriques anciens dont il n’a pas encore été question. En Grèce et à Rome se développait peu à peu (probablement d’abord en Grèce à partir de la fin du Iie siècle / début du Ier siècle av. J.-C.) une pratique de discours fictifs. L’orateur y imitait des plaidoiries (ces discours fictifs sont alors appelés « controversiae ») et des discours de conseil à une personne mythique ou historique (appelés « suasoriae »). Cette pratique et un tel discours fictif portent tous les deux le nom de « declamatio » (« déclamation »). Du côté latin, nous possédons des collections de déclamations éditées par Sénèque le Rhéteur (père du célèbre philosophe Sénèque), des déclamations d’un certain Calpurnius Flaccus ainsi que deux collections transmises sous le nom de Quintilien : les Declamationes Minores (« Déclamations mineures », qui pourraient en effet provenir de l’école de Quintilien) et les Declamationes Maiores (« Déclamations majeures », écrites plusieurs siècles après Quintilien). Les déclamations servaient d’exercice d’école aux jeunes étudiants de rhétorique, mais aussi d’amusement et de passe-temps, souvent sous forme de compétition amicale, aux orateurs adultes. Les thèmes et personnages de ces déclamations relèvent d’un monde plutôt fantasque, rappelant le genre de la Nouvelle Comédie grecque ou de son pendant romain : nombreux sont les tueurs de tyrans, les pirates, les jeunes débauchés, les pères fous, les prostituées...

    Tableau synoptique des traités et auteurs de traités de rhétorique les plus importants de l’Antiquité gréco-romaine :

    1.

    Pernot, L.

    (2000), La rhétorique dans l’Antiquité (Paris : Livre de poche).

    2.

    Fuhrmann, M.

    (⁵2003), Die antike Rhetorik (Dusseldorf : Patmos).

    3.

    Kennedy, G.

    (1963), The Art of Persuasion in Greece (Princeton : Princeton University Press) ; id. (1972), The Art of Rhetoric in the Roman World 300 B.C. – A.D. 300 (Princeton : Princeton University Press) ; id. (1983), Greek Rhetoric under Christian Emperors (Princeton : Princeton University Press) ; id. (1994), A New History of Classical Rhetoric (Princeton : Princeton University Press).

    4.

    Worthington, I.

    (éd.) (2007), A Companion to Greek Rhetoric (Malden, Mass. / Oxford : Wiley-Blackwell).

    5.

    Dominik, W.

    /

    Hall, J.

    (éds.) (2007), A Companion to Roman Rhetoric (Malden, Mass. / Oxford : Wiley-Blackwell).

    6. Il est nommé d’après une fausse lettre adressée à Alexandre le Grand qui ouvre ce traité.

    7. Voir

    Matthes, D.

    (1958), ’Hermagoras von Temnos 1904-1955’, Lustrum 3, 58-214 ; id. (éd. ; 1962), Hermagorae Temnitae Testimonia et fragmenta (Leipzig : Teubner) ;

    Woerther, F.

    (éd. ; 2012), Hermagoras. Fragments et témoignages (Paris : Les Belles Lettres).

    8. Le système scolaire à Rome, qui aux temps de Cicéron était exclusivement privé, comprenait trois étapes majeures qu’on pourrait qualifier d’enseignement primaire (chez le litterator les garçons et les filles âgés d’environ 7 à 11 ans apprenaient à lire, à écrire et à calculer ; la plupart des Romains semblent avoir suivi ce niveau d’éducation au moins), d’enseignement secondaire (chez le grammaticus les garçons et filles âgés d’environ 11 à 15 ans étudiaient surtout les poètes, la « grammaire » et les débuts de la rhétorique ; ce niveau était déjà davantage réservé à l’élite de la population) et d’enseignement tertiaire (chez le rhetor les garçons étudiaient les auteurs de prose, surtout les historiens et les orateurs, et toute la théorie rhétorique ; ce niveau était accessible presqu’exclusivement à l’élite sociale). Le lecteur intéressé trouvera plus d’informations dans le traitement classique de

    Marrou, H.

    -I. (1948), Histoire de l’éducation dans l’Antiquité :

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