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Guaporé: Journal de bord d’une pirogue
Guaporé: Journal de bord d’une pirogue
Guaporé: Journal de bord d’une pirogue
Livre électronique297 pages4 heures

Guaporé: Journal de bord d’une pirogue

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À propos de ce livre électronique

En cette fin 1967, ses études de médecine terminée, Paul part soigner les lépreux durant l’année sabbatique qu’il s’octroie. Engagé à Paris par le père Sylvain, il part rejoindre la mission au Brésil en descendant le fleuve Guaporé.
C’est par ces eaux au 17e siècle que les portugais faisaient transiter l’or trouvé en forêt. Sur ces rives il découvre ports et fortins en ruine qui avaient été construit pour sécuriser les convois du précieux métal. Ces pierres taillées sont autant de repères du grand jeu de piste que Paul s’est fixé.
Cependant parti en période d’étiage, sa pirogue va s’égarer dans ce labyrinthe fait d’arbres et de marécages. Il se croit dès lors perdu à tout jamais.
Arrivant à point nommé, les grandes pluies de l’hiver apportent le courant salvateur. Cette forêt enchanteresse n’aura pas eu le temps de l’avaler tout à fait. Au cours de son périple dans ce milieux hostile il fera des rencontres extraordinaires.
En survivant dans cet autre monde, il finit par être séduit par la beauté des lieux et la gentillesse des gens qu’il côtoie. Plus surprenant encore, il fait cette rencontre improbable d’où naîtra l’intrigue qui changera le cours de sa vie.
Ira-t-il jusqu’à choisir de se faire indien ?
LangueFrançais
Date de sortie24 oct. 2017
ISBN9782312055190
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    Aperçu du livre

    Guaporé - José Castan

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    Guaporé

    José Castan

    Guaporé

    Journal de bord d’une pirogue

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2017

    ISBN : 978-2-312-05519-0

    Étais-je trop présomptueux, trop sûr de moi en m’engageant seul dans ce labyrinthe infini d’eau et d’arbres ?… Une chose est certaine, je suis parti pour me retrouver. Alors Inch’Allah !

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    Préface

    Je raconte dans cet ouvrage ma rencontre avec ce peuple de la forêt que l’on ne visite que rarement tant il est isolé. Au cours de la traversée de cette partie d’Amazonie brésilienne, j’ai bien cru ma dernière heure arrivée car cette forêt enchanteresse et terrorisante à la fois a manqué m’avaler.

    Les souvenirs me reviennent comme dans une brume se dissipant peu à peu. Est-ce par l’écriture que je les retrouve ? Ou est-ce en rêvant que j’accède à ce « grenier » des idées et des mots ?

    Fouiller, débusquer, m’amuse. Si je n’y prenais plaisir, je cesserais d’écrire bien sûr.

    Ce qu’il y a de difficile dans cet exercice, c’est la solitude. Mon seul compagnon de travail est le crayon. Je n’ai jamais eu de Remington comme les grands et je ne me suis pas mis à l’ordinateur comme les modernes pour saisir mes textes.

    Les prémices

    Mon père m’a toujours dit : « Il faut apprendre à se faire homme, trouver sa voie ». « Réussir » était son maître mot.

    Donc, après avoir fait médecine et prêté le serment d’Hippocrate il ne me restait plus, au terme des études qu’il m’avait payées, que ouvrir un cabinet, me marier, avoir des enfants, faire carrière comme l’on dit. J’allais donc passer ma vie à travailler la semaine avec bien sûr un repos dominical, en famille.

    Tous ces « calculs domestiques » ne m’intéressaient pas. Est-ce être un fils indigne que de raisonner différemment, s’opposer à son père ?

    Mon père disait aussi, faisant référence à sa période militaire, que pour devenir un homme, il fallait passer la nuit dans les bois, les pieds dans l’eau et dans la boue.

    Eh bien voilà, monsieur mon père, aujourd’hui ton vœu est exaucé. En Amazonie, je vais devenir un vrai homme. Certes toi, après de brillantes études, tu avais fait la guerre, avais été fait prisonnier durant quatre années. De ce fait toute ma petite enfance je ne fus entouré que de femmes, tes sœurs, ma mère qui me gardait au moindre rhume sous son aile.

    Enfant sage, dès que je sus lire, je fus intéressé par les contes, les légendes, les récits d’explorateurs. Adolescent j’avais récupéré une vieille malle au grenier de mon grand-père que je garnissais au fil des jours de choses que j’emporterai bien sûr le moment venu. J’avais déjà une attirance toute particulière pour ces verts territoires inexplorés d’Amazonie, ces immenses rivières dont je pensais que personne n’avait remonté le cours ni osé rencontrer ces habitants de la forêt aux mœurs bien différentes.

    Voyant mon intérêt pour cette connaissance du monde, mon père m’accompagnait dans les musées comme le Musée de l’Homme au Trocadéro à Paris.

    Lorsque je prétendais devenir explorateur, alors là ça n’allait plus. Il s’indignait : « Mon petit Paul, c’est pas un métier ça ! Tu vois Jules Verne l’a bien compris. Tout ce que tu as lu de lui, il l’a écrit dans son salon, sans jamais sortir de chez lui ».

    Peine perdue que ses mises en garde ! Je continuais à rêver à ma grande aventure fréquentant expositions et conférences pour mieux appréhender cet autre monde. J’en connaissais déjà plusieurs facettes tels ces arcs en bois de fer, ces flèches en os, ces calebasses qui servaient à conserver le curare ou à boire et à manger. Dans une hutte de palme reconstituée grandeur nature, j’avais même vu un chaman en cire soigner un malade avec ses colliers de graines odoriférantes.

    Alors à quoi bon aller chercher là-bas, comme le disait mon père, ce qui m’était offert dans les vitrines des musées ? Simplement je poursuivais mon rêve d’enfant contre vents et marées. Et puis, je voulais être maître de ma destinée, la contrôler.

    Grand-père qui ne mâchait pas ses mots me le disait :

    – Moi j’ai toujours considéré qu’il y a deux sortes d’hommes, ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Pour ma part, sans toutefois refuser ou mépriser les lois, je suis resté en marge de la société, j’ai dissimulé ma vie. D’ailleurs, ton père m’a toujours traité de vieil anar… Il n’a pas tout à fait tort.

    Figure-toi, que le maire du village au prétexte que j’habitais une voie sans issue, refusait de faire enlever mes ordures ménagères. Devine ce qui arriva ? Je quittais mon cul-de-sac, me rendis à son hôtel de ville et déversais les ordures du sac, sur son bureau ministre, juste à côté du ballon de rugby dont il prétendait avoir été la vedette de l’équipe locale à une époque… Cette fois-là, j’étais peut-être allé trop loin car dans l’heure qui suivit les képis me rendirent visite et le procureur de la République me sanctionna d’une amende dont je m’acquittais avec grand plaisir.

    Je l’aimais bien grand-père, il m’a transmis son brin de folie.

    Passée l’adolescence, ma préparation fut plus sérieuse. Je m’informais sur ces pays d’Amérique du sud. Je lus « Tristes tropiques » de Lévi Strauss. Mais ce qui fut déterminant, c’est la lecture d’un petit journal intitulé « Lettres d’Amazonie » qu’éditait un vieux curé. C’est ainsi qu’il finançait ses œuvres d’une mission là-bas en pleine forêt. Mon projet prit forme après cette rencontre. Cet homme de Dieu me proposait de jeter les bases d’une léproserie sur le fleuve Guaporé entre Brésil et Bolivie où ce mal sévissait particulièrement. Bien entendu cela n’imposait pas que je prenne la soutane, un simple service civique de quelques mois, une petite année au plus.

    Mon internat terminé, il fallut d’abord convaincre Brigitte ma fiancée que j’avais besoin d’une année sabbatique avant de m’établir, de me « ranger ». Elle dût penser que je n’irais pas au bout de mon idée. Elle ne prit pas la chose au sérieux. C’était sans compter sur ce vieux sorcier de curé qui avait tout fait pour m’attirer dans ce fond de forêt où se situait la mission.

    Au fil des visites que je lui rendais, cet historien de l’Amérique latine me conta que déjà en l’an 1500, les portugais poussés par un vent porteur débarquèrent au Brésil et y découvrirent dans la région du Mato Grosso et du bassin du Rondônia beaucoup d’or et de diamants. Afin de protéger les convois qui rapatriaient ces trésors, ils construisirent des fortifications le long du fleuve Guaporé. De cette façon ils évitaient la grande piraterie qui sévissait de l’autre côté à l’embouchure de l’Amazone. Ainsi le précieux métal descendait alors le fleuve Paraguay pour être chargé sur des galions à Buenos Aires. Je restais bouche bée devant cette page d’histoire méconnue.

    Comme si cela ne suffisait pas à me convaincre, il me précisa aussi que dans la forêt poussait l’hévéa, cet arbre miraculeux qui pleurait. Ses larmes n’étaient autres que le latex qui avait permis aux premières automobiles de rouler en douceur. Plus fantastique encore, ces lieux où était récoltée la gomme étaient tellement inaccessibles qu’à l’avènement de la vapeur, on installa sur le bas du fleuve au départ du rio Madeira, une voie de chemin de fer longeant les rapides du bas Mamoré sur plus de trois cents kilomètres. Vous trouverez encore des machines à vapeur fantomatiques dans la forêt ! J’en restais pantois.

    Ce ne serait pour moi, disait-il, qu’une promenade de santé. Je n’eus donc qu’une idée : revivre cette aventure 500 ans après.

    En cette année 1967, ma décision est prise, je vais rejoindre mon poste au Brésil. Mais au lieu de remonter l’Amazone qui est la voie la plus directe, pour me donner un côté aventurier, je décide comme me l’a suggéré le prêtre, de remonter depuis Buenos Aires jusqu’à Guajará-Mirim en suivant la trace des portugais.

    La première partie se ferait en bateau de ligne par le rio de la Plata tant que les eaux profondes le permettent, puis en bateau à fond plat pour traverser les marécages du grand Pantanal pour finir, en pirogue jusqu’au Mato Grosso, château d’eau des grands fleuves amazoniens puisque le Xingu, le Paraguay et le Guaporé y ont leur source.

    Il me suffira d’arriver aux résurgences de la sierra Santa Barbara, pour ensuite passer d’un fleuve à l’autre en une dizaine de kilomètres. C’est donc au port fluvial de Vila Bela que commencera la véritable expédition sur le Guaporé après quelques jours de préparation.

    Mais n’allons pas si vite.

    C’est vraiment mal embouché

    Revenons un peu en arrière ! Les choses projetées ne se passent pas tout à fait comme prévu.

    En effet, pour rejoindre le nouveau Monde, la mode n’est plus aux caravelles de Cristophe Colomb. Je confie donc ma destinée au Boeing 727 d’une nouvelle compagnie aérienne qui a acheté la veille à sa grande sœur Air France, un appareil réformé. Grâce à cette « trapanelle » achetée à bas coût, un voyagiste de Mulhouse proposait des billets à un prix défiant toute concurrence. Mon projet n’ayant pas convaincu ma famille, il fallait bien que je resserre les cordons de la bourse en limitant mes dépenses au maximum ! Mais à trop spéculer, j’allais en faire les frais. L’envol ne se faisait pas de l’aéroport prestigieux de Paris mais de Bâle en Suisse et à destination de Buenos Aires en Argentine. C’est justement sur cette ligne droite que les difficultés aériennes commencèrent précisément au beau milieu de la baignoire, à l’endroit où les rives sont trop éloignées pour les rejoindre à la nage.

    Réveillé à la pointe du jour, je vois que nous tournons autour d’une île sans discontinuer. Cela me paraît bizarre. Soudain, la cabine s’éclaire et le commandant de bord annonce brutalement qu’il vide les réservoirs pour limiter les risques car à la suite d’un incident, il doit poser le Boeing sur la courte piste des Açores.

    Les hôtesses interrogées sont aussi inquiètes que nous car nouvelles dans le métier. Elles donnent les informations que le poste de pilotage leur confie :

    – Nous avons une perte de lookeed du système de freinage. Cela ne posera pas de problème car nous sommes dotés d’un nouveau ralentisseur, un bouclier d’inversion de poussée des réacteurs.

    Charabia que tout ça. La piste commence et se termine en bord de mer !

    En regardant par les hublots tous les passagers sont frénétiques. Certains sont même hystériques devant ces annonces. Ce qui retient mon attention se sont ces véhicules rouges qui répandent de la mousse blanche sur la piste.

    Vous allez prendre la position de sécurité car ça va secouer. Enfilez vos gilets, vous les gonflerez à la sortie. Serrez vos ceintures et protégez votre tête avec coussins et couvertures.

    Le brouhaha collectif se transforme alors en une inquiétude muette car malencontreusement, le commandant de bord a laissé le micro ouvert et l’on entend les échanges avec la tour de contrôle.

    – J’amorce la descente… Dernier virage. Longue finale.

    – OK bien compris… J’affiche le QFE.

    Puis s’égrènent les altitudes :

    – 300 pieds, 200 pieds, 100 pieds… 50… Touch…

    On rebondit légèrement une première fois puis l’avion se plaque au sol, roule, roule jusqu’à l’autre bout de la piste… Alors qu’on va plonger dans la mer, in extremis, le pilote dévie sa trajectoire et s’enfonce dans une terre meuble où il s’immobilise. Par mon hublot je vois un grillage… Pendant quelques secondes, plus rien ne bouge à l’intérieur, la mer est là juste en dessous… Les passagers qui avaient poussé des cris de frayeur, se sentant tirés d’affaire applaudissent et rient de soulagement.

    Un passager me prend à témoin :

    – Moi qui ne sais pas nager, ça tombe bien…

    Le pilote reprend alors le micro et intime l’ordre de rester assis.

    – N’ayez crainte, l’appareil, bien qu’incliné, est stable. Les secours arrivent, vous allez sortir par les toboggans sans affolement.

    Les hôtesses ouvrent les portes. Dans une bousculade effrénée, nous sautons dans les toboggans et nous nous retrouvons sur la piste. Le pilote qui a pris lui aussi les jambes à son cou est là, juste à côté de moi.

    – On est sauvés, clame une hôtesse qui n’en croit pas ses yeux. Chacun y va de son commentaire.

    – Est-ce prudent de rester là sur la piste ? Un avion peut nous rentrer dedans !

    – Aucun danger, cette piste ne sert qu’aux avions en détresse et ne reçoit quotidiennement qu’un à deux moyen-courriers, dit le pilote.

    – Ah ! Cette escale n’était pas prévue ? questionne un passager tombé des nues.

    – Non on a simplement une panne hydraulique. Ne vous inquiétez pas, un autre avion va venir nous chercher.

    – Avec cette trapanelle embourbée on ne redécollera jamais d’ici, facile à comprendre.

    – Oh, ne vous inquiétez pas, me susurre le commandant. Cet aéroport doit avoir un moyen de levage et de réparation mais vous avez raison, vu d’en haut ça a plutôt l’air d’un cimetière pour avions.

    – Ce n’est pas demain qu’on reprendra l’air surtout si la compagnie n’a pas les moyens de nous sortir de là. A-t-elle seulement un deuxième avion ?

    Pour toute réponse, le pilote hausse les épaules.

    – Ils seront bien obligé d’affréter quelque chose pour vous tirer de là. Par petits groupes, des minibus nous rapatrient à l’aérogare. Les passagers qui en ont les moyens ne demandent pas leur reste, ils se réservent un siège sur le premier avion du soir qui n’est pas complet.

    Étant donné mes finances, j’attendrai que la compagnie assure la suite du vol pour continuer mon voyage.

    Durant la semaine que je passe là, j’ai largement le temps d’écrire à mes parents. Je suppose que ma missive a dû arracher à mon père un gros sourire et il a dû conclure « Ça lui fait les pieds ! On va pas tarder à le revoir, le grand aventurier ».

    J’ai du mal à occuper mes journées dans cet aéroport de malheur où j’épie le moindre mouvement d’avion sur le terrain. A quelques jours de là, la compagnie envoie un appareil de substitution, le nôtre restera inexorablement planté faute de grue suffisamment puissante pour le tirer de là. J’ignore s’il fait toujours partie du décor, ou s’il a fini en pièces détachées et la carcasse découpée en fines tranches.

    Malgré cette frayeur, je continue l’aventure ne vous en déplaise, mon père.

    Au petit matin de je ne sais plus quel jour, je pose finalement les pieds à Buenos Aires. J’ai froid, je suis ensommeillé, de mauvaise humeur et une barbe de huit jours que je décide de ne plus tailler à l’avenir. Je profite des toilettes de l’aéroport pour endosser ma tenue de brousse toute neuve et les pataugas achetés avant mon départ au Vieux Campeur du Quartier Latin. Ici je n’ai pas l’impression d’être ridicule. Pour rien au monde, je n’aurais revêtu cela devant ma fiancée qui se serait moquée.

    Je vois au loin la silhouette des buildings de la capitale. Je ne verrais rien d’autre de Buenos Aires. Autour de moi, de hauts gradés militaires s’apprêtent à prendre des vols intérieurs. Une multitude de taxis m’assaillent. Directo porto, dis-je dans mon espagnol approximatif.

    Bon c’est pas tout, dare-dare je négocie mon passage sur un navire qui assure le service sur le rio de la Plata. Le séjour à bord est des plus agréables, c’est une véritable croisière. On peut baguenauder de la proue à la poupe, on y est nourri somptueusement. J’ai pu obtenir une mini cabine sans l’avoir réservée.

    Sur le grand Pantanal, immense marécage en période sèche, un coche d’eau me prend à bord. On peut déambuler sur le pont. Nous passons la journée à admirer la flore, à épier ce monde animal qui vaque à ses affaires. J’ai vu là mon premier jaguar sur les arbres de la berge. Longtemps il nous a suivi sautant d’un arbre à l’autre, attendant l’occasion de nous bondir dessus.

    Sur cette nef on y est nourri de poissons blancs et de patates. Le soir chacun tend son hamac, j’en achète un sur place à un marin. Vu son prix, les fils doivent être en or.

    La fin de cette remonté de quelques trois mille kilomètres se fait avec une pirogue collective, sorte d’omnibus, car les rives se resserrent de plus en plus. On est assis sur des bancs de bois desquels on ne peut se lever. C’est là que j’ai connu mes premiers phlébotomes, entendez par là ces moustiques super costauds qui arrivent à percer ma vareuse. J’ignorais que durant mon expédition, ce serait mes ennemis numéro un et que je me gratterais à m’en arracher la peau durant tout mon séjour. Je vais apprendre à mes dépens que l’Amazonie dévore, vampirise.

    Pour le moment, nous longeons la rive. Le soleil ne brûle pas encore, il filtre à travers la voûte des arbres procurant même une ombre agréable. En fait, je viens de terminer la partie la plus facile de mon voyage consistant à remonter jusqu’à ce château d’eau des grands fleuves amazoniens qu’est la sierra Santa Barbara.

    Fraîchement débarqué, je donne l’impression d’être perdu. Je reste là les bras ballants.

    Je regarde les hommes brûler un tronc couché. Je remarque qu’il a été évidé et qu’il commence à ressembler à une pirogue.

    L’un des passagers qui voyageait avec un oiseau en cage, voyant mon air éberlué, m’explique qu’après avoir taillé et creusé la pirogue dans un arbre gigantesque, ils la durcissent et l’élargissent en la chauffant. Dans quelques jours, après qu’on lui aura rajouté des rehausses pour avoir plus de contenance, celle-ci sortira du chantier pour assurer un service sur le fleuve. Un moteur hors-bord la poussera à contre-courant et la freinera au retour.

    L’homme à qui j’ai indiqué le but de mon voyage, Vila Bela, me dit qu’après quelques kilomètres sur la piste Rondon il faut tourner à gauche à la bifurcation. Là, je trouverais bien un camion de transport de grumes pour aller à ce village d’où je vais descendre du Guaporé.

    Intrigué par le couple qu’il forme avec l’oiseau, je lui pose la question :

    – Vous voyagez toujours avec lui ?

    – Oui, c’est un grand chanteur. Je le fais concourir, il est très médaillé. C’est moi qui l’entraîne en lui faisant faire des vocalises à longueur de journée. Nous allons peut-être gagner le premier prix au concours de trille à Cuiaba.

    Je lui serre la main, il me souhaite un bon voyage avec un sourire énigmatique. Je ne saurais jamais s’il plaisantait ou s’il disait vrai car nous n’avons que le temps de nous jeter à l’abri chacun de notre côté. Un déluge d’eau nous tombe dessus subitement. Des éclairs laissent supposer que ce n’est pas fini et que le ciel va ouvrir encore plus grand ses vannes.

    Une heure après, tout redevient normal, le fleuve a pris une couleur d’étain, un ibis noir pousse son cri, un morpho bleu passe dans un vol désordonné, l’oiseau dans sa cage s’ébroue et se remet à siffler, le soleil brûlant réapparaît. Je n’ai plus qu’à attendre ce que l’autochtone a appelé « la mobilité » dans ce bistrot-épicerie buvant à la paille le contenu d’une noix de coco.

    C’est alors qu’apparaît un camion jouant les autobus sans carrosserie. Il est bardé de banquettes, une simple chaîne tenant lieu de portière. Par une piste défoncée, j’arrive au fameux port de Vila Bela.

    Vila Bela

    Cette fois, me voilà véritablement « au pied du mur ». Entendez par là que cette petite bourgade est l’extrémité de la terre. Seule la rivière Guaporé permet d’aller au-delà. Impensable de partir à pied par la forêt d’un côté ni de l’autre car une montagne abrupte forme la frontière avec la Bolivie.

    Au temps de la conquête, en Amazonie, on comptait quelques cinq mille tribus disséminées dans cette forêt brésilienne seize fois grande comme la France, m’avait précisé Sylvain mon curé recruteur.

    Des légendes restent attachées à cette nature merveilleuse, par exemple celle des fières amazones qui auraient été vues par les conquistadors. Ils les comparaient à celles de la mythologie grecque, guerrières nues avec un simple arc et des flèches, d’où le nom du plus grand fleuve du monde. Cette Amazonie que j’imaginais comme un puzzle liquide, une terre spongieuse, démarre comme un ruisseau. Pourtant l’Amazone à son embouchure, en déverse chaque jour des millions de litres d’eau dans l’Atlantique. Mille affluents lui apportent leur contribution.

    La petite cité de Vila Bela semble sommeiller encore en cette fin de matinée. Seul un cantonnier nettoie les pierres de grès rose de l’embarcadère en papotant avec les lavandières qui y battent leur linge. Quelques pirogues à l’abandon ont été tirées au sec. Derrière nous, de gros murs en ruine sont mangés par la végétation. Je trouve bizarre que le fameux explorateur, le colonel Fawcett qui avait en charge la topographie des lieux, n’ait pas mentionné cette cité bâtie par les portugais au 17ème siècle. Lui qui cherchait des cités de légendes perdues dans la forêt… serait passé à côté.

    L’homme que je questionne au sujet de l’achat éventuel d’une pirogue m’indique son propriétaire. Midi sonne lorsque je frappe à la porte de celui-ci.

    La négociation est rapide. Je le vois fasciné par ma montre. Dès lors l’affaire est dans le sac. L’échange montre-pirogue coule de source. J’oublie simplement le rôle que joue l’heure dans tous les moments de la vie. Sans que je le lui demande, il m’accorde un bonus : celui de m’accompagner durant quelques jours pour m’initier. En fait cette course est l’opportunité pour lui de visiter sa famille plus bas sur le fleuve. Ensuite il remontera par ses propres moyens car il est impératif qu’il revienne vite chez lui, son épouse doit accoucher à la fin du mois et il tient à être là.

    Le rôle du père, me dit-il, est d’attendre allongé dans son hamac avec le nouveau-né dans les bras afin que parents et amis viennent le féliciter. On appelle cela la couvade.

    En ce début de ce projet, il est important que je prenne de grandes résolutions entre autres, celle de tenir un journal. Cela me semble important car j’y traiterai de ma progression dans le temps, des habitants rencontrés, d’anecdotes, de faits divers, du temps qu’il fait, de la nourriture, de ma santé, de cette fameuse gastro-entérite qui m’épuise depuis quelques jours. Ce journal me permettra plus tard de laisser une trace de mon odyssée peut-être même dans tirer une thèse sur les maladies tropicales ou sur les plantes pourquoi pas.

    Mais ne nous emballons pas. Je me rends compte très vite que la forêt n’est pas la même que

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