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Ma voie vers la quarantaine
Ma voie vers la quarantaine
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Livre électronique298 pages4 heures

Ma voie vers la quarantaine

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À propos de ce livre électronique

Vous l’avez compris, je débute ma quarantaine ; je parle de mon âge, je suis né en 1980, et nous sommes en 2020. Mais en même temps je me trouve en sorte de quarantaine ; je parle du confinement, d’où le titre à double sens de ce petit essai.
Formidable moment pour réfléchir, se remémorer des souvenirs, se poser des questions. C’est surtout un formidable moment pour la contemplation. La contemplation de ma vie, de la vie des autres, de nos vies en général qui sont très interconnectées.
LangueFrançais
Date de sortie16 déc. 2020
ISBN9782312079097
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    Ma voie vers la quarantaine - Nadim M.

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    Ma voie

    vers la quarantaine

    Nadim M.

    Ma voie

    vers la quarantaine

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07909-7

    I. Mise en scène

    C’est le confinement pour plusieurs habitants de la Terre. Durant cette période, je me retrouve tout seul à Alanya, une petite ville montagneuse et méditerranéenne du sud de la Turquie. Sachant que la crise allait prendre son temps, j’ai loué un appartement un peu en hauteur, avec en face de moi, les montagnes, la mosquée, la ville, les oiseaux. Décor magnifique et environnement idéal pour rester isolé du monde pendant un mois ou deux, ou même pendant une vie entière.

    En effet, ça ne peut pas être mieux je pense. J’ai accès à la montagne où j’habite, et j’ai souvent l’impression qu’elle m’appartient à moi tout seul. De la même façon, j’ai accès à une plage au bord d’un long récif de roches, et là encore, on dirait que la vie a voulu m’offrir pour mes quarante ans une plage à moi tout seul. Chez moi j’ai Internet pour regarder les nouvelles du monde et une cuisine pour me nourrir. Que vouloir de plus ? Je me sens très bien. Je dirais même que je me sens, étrangement, trop bien.

    Vous l’avez compris, je débute ma quarantaine ; je parle de mon âge, je suis né en 1980, et nous sommes en 2020. Mais en même temps je me trouve en sorte de quarantaine ; je parle du confinement, d’où le titre à double sens de ce petit essai. Formidable moment pour réfléchir, se remémorer des souvenirs, se poser des questions. C’est surtout un formidable moment pour la contemplation. La contemplation de ma vie, de la vie des autres, de nos vies en général qui sont très interconnectées.

    C’est donc dans ce décor que je m’apprête à me remémorer mon parcours et à mettre certaines choses en noir sur blanc ; un exercice qui je pense me sera non seulement utile, mais aussi très agréable.

    J’ai l’intention de me concentrer particulièrement sur mon parcours, comment dire, académique, alors que j’en suis sorti avec presque aucun diplôme ni aucune qualification. Et puis sur mon parcours professionnel, alors que je n’ai presque jamais vraiment travaillé de ma vie.

    Si vous ne le saviez pas déjà, vous l’aurez probablement compris : Je suis un personnage plutôt curieux, rebelle, marginal, et peut-être même déséquilibré ou dérangé mentalement.

    Au cas où, par chance ou par malheur, vous ne me connaissez pas du tout, et vous êtes tombé(e) sur ces écrits, laissez-moi juste vous mettre dans la scène : J’ai 40 ans. Je m’appelle Nadim. Je suis né en Tunisie, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 22-23 ans. Je suis ensuite parti au Canada où j’ai vécu pendant 10-12 ans. Depuis 2012, c’est-à-dire depuis 8 ans, je suis devenu nomade sans aucune adresse fixe et sans aucune profession fixe. Je vis entre les pays du monde : Amérique latine, Canada, Tunisie, Europe, Asie. Je ne sais pas dans combien de pays j’ai vécu, des plages tropicales aux montagnes himalayennes, en passant par les pays de l’ancien Empire ottoman.

    Chaque fois on me pose la même question : Comment fais-tu pour survivre et d’où vient l’argent ? Je me pose la question moi-même. Comment ai-je réussi à arriver jusqu’à l’âge de 40 ans sans jamais travailler presque, et en menant une vie aussi extraordinaire ? C’est vraiment une bonne question. Mais sachez que je n’ai pas de réponse courte et précise à vous donner. Sachez aussi que je ne suis ni l’héritier de riches parents, ni quelqu’un qui a gagné des millions à la loterie. Jusque-là, premièrement j’ai eu de la chance, et deuxièmement j’ai plutôt bien géré ma vie. J’insiste sur le « jusque-là », car à tout moment le vent peut tourner et les choses peuvent changer radicalement.

    Lorsque vous n’avez ni salaire, ni entreprise, ni pension de retraite, ni assurance maladie, vous pouvez être dans une situation plutôt fragile. Vous pourriez même avoir peur. Peur de quoi ? Voilà une autre bonne question. Je connais beaucoup de gens qui ont des salaires, des entreprises, des pensions de retraite et des assurances maladie, et qui ont aussi peur ; peur de souffrir, peur de mourir. Comme si la souffrance et la mort ont vraiment un lien important avec votre compte en banque !

    Lorsque j’avais autour de 15-18 ans, j’ai déclaré ceci à un ami d’enfance : « Moi tu sais, si je vis jusqu’à l’âge de 40 ans, c’est assez. Je pourrais bien mourir à 40 ans et j’aurais quand même vécu ma vie. »

    Maintenant que j’ai atteint cet âge honorable, l’heure est à la réjouissance et à la célébration. Car franchement, que m’importe de mourir demain si aujourd’hui j’ai réussi à bien dormir, à bien manger et à être aussi épanoui et heureux ? Y a-t-il quelque chose que j’aimerais absolument faire et que je n’ai pas faite encore ? Il y a une infinité de choses à faire dans cette vie, mais en soi, franchement : Non. Je suis prêt pour la mort. Et c’est justement le fait de m’être préparé pour la mort régulièrement dès mon très jeune âge qui fait que j’ai toujours aimé la vie, et que je l’ai adorée, contemplée et célébrée religieusement.

    Cette façon de vivre, vous vous en doutez, a dû se développer contre vents et marées. Il a fallu que, très tôt, je commence à me méfier du monde entier, et en particulier des parents, des maître(sse)s d’école, des enseignant(e)s, des professeur(e)s ; en gros de tous les adultes. Depuis, je n’ai pas du tout perdu cette âme de l’enfant curieux, rebelle et insolent. Et je l’écris exactement comme je le pense : J’espère de tout cœur mourir avant de perdre ce joyau de l’âme jeune, rebelle, amoureuse, avide de liberté, de sens, de non-sens, de folie et d’extase.

    II. À l’école primaire

    Je suis allé à l’école primaire autour de l’âge de 5 ans. C’est à ce moment que je commençais à être fasciné par les chiffres. Je me rappelle des représentations d’un certain nombre d’éléments, et il fallait dire si c’était « deux », « trois » ou « quatre », etc. Je trouvais cette abstraction assez intrigante, surtout lorsque venait aussi le moment d’additionner, de soustraire ou de multiplier des chiffres. C’était comme un monde imaginaire. Je pense que pour l’enfant, tout est un monde imaginaire de toute façon, tout est un jeu. Pour moi, les chiffres c’était un jeu. Jusqu’au moment où je réalise, assez rapidement d’ailleurs, que ce n’était pas vraiment juste un jeu…

    J’ai soudainement réalisé que ces chiffres n’étaient pas seulement des choses sans lien avec le monde. Pas du tout. Les chiffres avaient une relation très étroite avec le monde, et parfois même avec des conséquences assez terribles. J’ai fait cette réalisation dès que j’ai compris que les élèves étaient notés par des chiffres. À la fin de chaque trimestre, si je ne me trompe pas, il y avait ce qu’on appelle un bulletin de notes. Pour chaque élève, chaque matière était notée par un chiffre compris entre 0 et 20, il y avait ensuite une moyenne. Bienvenue dans le monde !

    L’affaire est très sérieuse parce qu’un jour, un de mes camarades de classe m’a montré des bleus qu’il avait sur le côté du dos parce que justement son père avait eu connaissance de son bulletin de notes. Ce n’est plus vraiment un jeu tel que je me l’imaginais naïvement, mais c’est plutôt un sale jeu. Toute ma vie a été guidée par cette prise de conscience que nous étions dans un sale jeu. Et toute ma vie, jusqu’à aujourd’hui, j’ai essayé de comprendre les motifs et les règles de ce jeu.

    Très tôt, j’ai commencé à observer le monde et à m’interroger sur sa nature. Les enfants étaient ainsi séparés on va dire en 3 ou 4 catégories et tout cela se faisaient au moyen de ces chiffres. Ceux qui avaient des notes entre 0 et 7 étaient vraiment considérés comme des ratés, des cancres, et des vauriens. D’ailleurs, on le leur disait, et on les châtiait. Croyez-moi, le système était assez violent. Parmi ces vauriens, il y en avait qu’on envoyait dans le bureau du directeur de l’école, un vieux monsieur à la barbe blanche, qui faisait aussi office d’imam de mosquée. Dans ce bureau, le châtiment consistait à asseoir le vaurien en question sur l’estrade, lui attacher les pieds nus avec une corde de façon à pouvoir les soulever en haut, et ensuite lui infliger des coups avec un bâton en bois. Parfois, on organisait cette scène devant les autres élèves pour, d’une part amplifier l’humiliation subie par le cancre, et d’autre part montrer aux autres élèves le châtiment qu’ils risquent de subir à leur tour.

    C’était très efficace. La peur régnait parmi les enfants, surtout parmi ceux qui n’arrivaient pas à obtenir des notes en dessus de 10 ou 11 sur 20. La deuxième catégorie d’élèves sont ceux qui ont des notes entre 8 et 12. Ceux-là, du moins ceux qui ont entre 10 et 12, on les appelle les « passables ». Ce n’est pas des cancres, mais c’est pas non plus des génies. On ne les frappe pas, mais on ne les félicite pas trop non plus. Ceux qui ont entre 8 et 10 sont encore récupérables. On leur ordonne de travailler plus, de faire plus d’efforts. Les parents les punissent, les maître(sse)s d’école les réprimandent tout en les encourageant à faire mieux.

    La troisième catégorie est celle de ceux qui obtiennent entre 13 et 15 ou 16. Ceux-là sont de bons élèves. On les cajole, on les encourage, et on leur dit bien évidemment qu’ils peuvent faire mieux. D’ailleurs, on leur pointe constamment du doigt la quatrième catégorie d’élèves, ceux qui ont entre 17 et 20 ; les premiers de la classe, ceux qui travaillent sans arrêt, qui ont de l’endurance et ne se fatiguent pas. Ils sont l’excellence même et l’exemple à suivre pour tous. Je me rappelle d’ailleurs qu’une élève qui avait l’habitude d’être la première de la classe a pleuré de chaudes larmes parce qu’elle s’est retrouvée être la troisième de la classe.

    Ceux qui avaient d’excellentes notes, entre 16 et 20, étaient toujours assis aux premiers bancs de la classe, directement en face du maître ou de la maîtresse. Derrière eux se mettaient ceux qui obtenaient des chiffres moins élevés, et ainsi de suite. Vous avez compris que les cancres, les redoublants et les vauriens avaient souvent le mur derrière eux. Cet ordre de la classe se faisait d’une façon étonnamment naturelle, mais pouvait s’expliquer sans doute par plusieurs théories psychologiques. En tout cas, une chose est certaine en ce qui me concerne : Dès les premières années de ma scolarité, ma place a rapidement commencé à reculer vers le fond de la classe, et je resterai toujours assis aux fonds des classes jusqu’à mes dernières années dans les universités. Pourtant, je n’étais pas du tout le pire des cancres. Au contraire, j’avais souvent des notes entre 13 et 16 sur 20 on va dire. Sauf que les redoublants, les mauvais, les non-intelligents, les ratés et tout ce monde-là étaient mes meilleurs amis.

    Au primaire, il y avait une maîtresse d’école et un élève desquels je me rappelle particulièrement bien. Si je m’en rappelle si bien après presque 30 ans, c’est que l’histoire que je vais vous raconter a un sens bien plus profond que ce qu’il n’y paraît à première vue.

    La maîtresse en question enseignait le français, et j’étais comme par hasard excellent en français. Cela vient du fait que, comme les chiffres, les lettres et les mots me fascinaient aussi, et j’avais donc pour habitude de lire le dictionnaire comme si c’était un livre à lire comme tous les livres. Dans le Petit Robert que nous avions à la maison, dictionnaire très dense et pas du tout réservé à l’usage des petits écoliers, j’avais l’habitude de lire toutes les longues pages d’introduction avant même d’arriver au premier mot commençant par la lettre A. Les lettres et les mots, comme les chiffres, c’était aussi un jeu. La maîtresse en question était connue pour sa vaste connaissance de la langue et la littérature française. Un jour, elle s’est rendue compte que j’utilisais le même dictionnaire qu’elle avait chez elle. C’était parce que nous avons croisé le mot « alezan », et elle nous a demandé de chercher ce que ce mot voulait dire. Le lendemain, j’étais le seul à avoir la réponse vu que le mot était d’usage trop littéraire pour se retrouver dans les petits dictionnaires des écoliers. Ce n’est pas important, mais juste au cas où votre curiosité vous pousse à vous poser des questions : Un alezan est un cheval dont la robe est brun rougeâtre. On dit « une jument alezane ». Joli mot dont les origines étymologiques remontent à l’espagnol et puis à l’arabe.

    Elle était aussi connue pour un autre aspect de sa personnalité. Elle piquait des crises de colère contre ceux qui mettaient du désordre dans la classe ou qui tout simplement donnaient des mauvaises réponses à des questions qu’elle posait. Elle était munie de deux armes. La première est une longue règle en plastique. Les mauvais élèves, comme on dit, devaient coller leurs cinq doigts ensemble et les présenter vers le haut en forme de pyramide. Avec sa fameuse règle, elle les frappait de façon à ce que la partie sensible du bout des ongles fasse mal. Pour que l’humiliation ait plus d’impact, elle demandait souvent à l’élève puni de venir se mettre debout devant tous les autres pour recevoir sa punition. Voilà ce qu’il en est en ce qui concerne sa première arme.

    Sa deuxième arme est encore plus sournoise, car elle agissait de manière soudaine et brutale sans qu’on s’y soit préparé. Il s’agit tout simplement de ses chaussures à talons hauts, et plus précisément des pointes de ses talons. La méthode est simple : Pendant qu’elle faisait de longs va-et-vient entre les bancs des écoliers, elle pouvait soudainement attaquer l’un d’eux en enfonçant brutalement la pointe de ses talons dans l’un de ses pieds. C’était vraiment le type d’attaque-éclair, et un excellent moyen pour prévenir la décadence et pour punir les cancres et les mauvais.

    En ce qui me concerne, je me sentais en parfaite sécurité. J’éprouvais peut-être même un certain plaisir d’aller à ses cours : le plaisir d’être bon, en sécurité, et supérieur aux autres. Est-ce après tout plus ou moins le même plaisir qu’éprouvent les riches lorsqu’ils se comparent aux classes sociales défavorisées ? À vous de voir. En ce qui me concerne, j’étais avantagé dans le système qu’elle déployait, et par conséquent, je ne voyais pas trop qu’il y avait là un problème quelconque. En plus, j’étais secrètement amoureux de sa fille qui étudiait avec moi dans la même classe. C’est une raison de plus de vouloir plaire à la maîtresse autant que possible. D’ailleurs, je ne m’asseyais pas complètement au fond de la classe, car j’aurais mauvaise presse. Mais je ne me mettais pas non plus dans les premiers rangs, car j’aurais probablement l’air trop lèche-cul. De plus, pour avoir une vue parfaite sur la fille de la maîtresse en question, les bancs du milieu étaient excellents, de telle façon que je pouvais voir la maîtresse en face, et sa fille en diagonale. Car, ai-je besoin vraiment de vous le préciser, la fille de la maîtresse était bien évidemment assise parmi les meilleurs des meilleurs ; ce n’était pas du tout une racaille. Loin de là. Sauf que l’histoire ne finit pas là. C’est au contraire là que l’histoire qui compte le plus commence.

    En parlant de cancres et de racailles, il s’est avéré que la maîtresse de français enseignait à une classe qui était supérieure à la nôtre d’une année. Il y avait en tout 6 années au primaire. J’étais probablement en 4e et l’autre classe en question était celle de 5e. Madame la maîtresse était donc en train d’enseigner à cette classe de 5e, lorsqu’elle s’est aperçue qu’un des mauvais élèves, un cancre notoire, ne savait pas écrire le mot « éléphant » ou qu’il ne savait pas conjuguer correctement un certain verbe. Je ne me rappelle plus très bien de la difficulté en question. Mais ce dont je me rappelle avec certitude, c’est qu’elle a eu une idée novatrice pour punir et humilier ce jeune écolier. Voici comment elle a fait.

    Ce jour-là, il s’est avéré que j’étais en même temps, presque à côté, dans une classe de sciences naturelles ou quelque chose du genre. La maîtresse a donc eu l’idée d’envoyer quelqu’un de sa classe pour me faire venir immédiatement. Elle a ainsi dépêché une des jeunes écolières qui étaient assises au premier rang devant elle pour aller me chercher. Bien évidemment, de mon côté, j’ignorais tout de ce qui se mijotait dans une autre salle de classe. J’étais assis comme tous les écoliers pendant la salle de cours, lorsqu’une écolière vient interrompre notre cours en frappant timidement sur la porte. Notre maître d’école lui a alors demandé de bien vouloir présenter sa requête. Timidement, la petite fille lui dit : Madame Une telle m’a envoyée pour vous demander si vous pouvez me prêter Nadim pour deux minutes. Un peu confus, et d’ailleurs moi aussi, le maître me regarde et me fait signe pour me lever. J’y vais donc comme un petit agneau obéissant et docile. Arrivé à la classe en question, celle des gens qui ont une année de scolarité de plus que moi, je trouve ma très chère maîtresse de français qui m’attend avec un mystérieux sourire. Debout à côté d’elle, et la tête baissée, se tenait le cancre, ou si vous voulez la racaille, qui attendait sa punition. De manière assez expéditive, la maîtresse me donne un petit bout de craie, me montre le tableau noir, et me demande d’écrire ma réponse à la question de français. Que faire ? J’écris ma réponse qui est la bonne réponse. La maîtresse se retourne vers le cancre, enragée, et lui dit devant tout le monde dans la classe : Tu vois ! Il vient de 4e et il connaît la bonne réponse que toi tu ne connais pas.

    Ensuite, elle se tourne vers moi, et d’un ton très ferme et sévère, m’ordonne : « Nadim ! Tire-lui les oreilles devant tout le monde ». Vu que je n’avais pas réagi assez vite d’après elle, elle me prend la main et me la met sur son oreille gauche, et elle répète presqu’en criant : « Tire-lui l’oreille pour qu’il réalise qu’il est vraiment un âne. Tire plus fort ! » Ensuite, pendant qu’il se laissait faire et après lui avoir tiré l’oreille : « C’est très bien Nadim, tu peux repartir à ta classe maintenant ». Et je suis reparti.

    J’avais autour de 9 ans, et lui 11 ans. J’ai presque toujours été plus jeune que mes camarades de classe, car j’ai commencé l’école primaire à 5 ans alors que normalement l’âge d’admission est à 6 ans. En tout cas, l’année d’après, je me suis retrouvé à être le camarade de classe de cet âne à qui j’ai tiré l’oreille un an plus tôt. Vous comprenez qu’il a redoublé cette année-là et que nous nous sommes retrouvés à être assis l’un à côté de l’autre au fin fond de la classe. Il était d’ailleurs devenu un de mes meilleurs amis. Il avait un tempérament très calme, c’était un enfant très doux, sensible, et socialement très intelligent. Mais vu que tout le monde lui a dit et prouvé par les chiffres qu’il était un cancre et un âne, il s’est persuadé que c’était vrai. Dans son regard, on pouvait voir une âme complètement cassée. Aucune lueur d’espoir. Il a redoublé cette année là aussi, et ensuite, pendant que je passais à l’école secondaire, il a vraisemblablement été renvoyé de l’école tout simplement. Voilà qui met en place le décor dans lequel les questions les plus profondes commenceront à germer en moi : Qu’est-ce que cela veut-il dire d’être bon à l’école et de réussir sa vie ? À quoi sert l’école au juste ?

    Il y avait un autre maître d’école qui au début de l’année scolaire est arrivé avec un long bâton en bois avec les bouts parfaitement carrés et la surface bien polie et lustrée. À la première séance de classe, un cours d’arabe, il nous a fièrement montré son nouveau jouet, nous faisant entendre le son qu’il faisait lorsqu’il le tapait lentement sur la paume de sa main. Ensuite, il a posé ostensiblement le bâton sur son bureau et il nous a dit : « J’ai fait préparer ce nouveau bâton spécialement pour vous. » Merci, c’est gentil !

    À la fin de chaque année scolaire, les parents des élèves se réunissaient à l’école. Je voyais notamment comment plusieurs parents léchaient le cul de cet enseignant au nouveau bâton, ou encore du directeur qui frappait les enfants sur la plante des pieds. Il y avait même des cérémonies de distribution de prix pour ceux qui ont évidemment obtenu les chiffres les plus élevés. On félicitait leurs parents en prédisant à leurs enfants un brillant avenir. Les parents de ces enfants choisis arboraient de beaux habits et de larges sourires fiers. Il m’est même arrivé une fois ou deux, ou trois, de recevoir des soi-disant récompenses. Je ne me rappelle plus quelles merdes exactement. Je les ai tout simplement mis aux oubliettes. En fait j’avais mis tout le monde aux oubliettes : maîtres, maîtresses, directeur et parents. Je ne veux pas dire que je les ai oubliés, mais plutôt que leurs opinions n’avaient plus de valeur pour moi. Ensuite, c’est plus ou moins avec cet esprit rempli de doutes et de soupçons que je suis allé vers l’école secondaire.

    III. À l’école secondaire

    Quand j’ai commencé l’école secondaire, qu’on appelait surtout « le lycée », j’avais autour de 11 ans. C’était en 1991. Il y avait en tout 7 ans à faire si on ne redouble pas bien évidemment. La dernière année s’appelle l’année du bac. C’est un concours national, calqué sur celui de la France, à l’issue duquel les élèves de 7e année des lycées de tout le pays seront passés au tamis. Comme d’habitude, je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il y aura les excellents élèves, ceux qu’on appelle les prodiges et les surdoués, et puis ensuite les bons, les moins bons, les mauvais, les très mauvais, et enfin la racaille de la racaille, c’est-à-dire les éternels redoublants, les délinquants, les indomptables, les idiots, les bêtes, les merdeux, nommez-les comme vous voulez.

    J’ai donc passé 7 ans au lycée de l’âge de 11 ans à l’âge de 18 ans, en fréquentant plus souvent ceux qui étaient plus âgés que moi. Ce seront des années de très grande effervescence intellectuelle ; les années du grand génie de l’enfance et de l’adolescence qu’on retrouve chez tous les enfants du monde. Car il ne faut pas vous tromper à m’entendre parler en termes si disgracieux de l’école et de l’éducation ; j’ai appris énormément de choses au primaire, et encore plus de choses au secondaire. En fait, et paradoxalement, plus ma méfiance et ma suspicion envers l’école, les enseignants et les parents grandissait, plus ma curiosité augmentait pour essayer de savoir et comprendre comment et pourquoi tout ce théâtre avait-il lieu. Avec l’augmentation de la curiosité, je dévorais naturellement le savoir qui s’offrait à moi que ce soit à l’école ou à l’extérieur de l’école. Mais avec l’accumulation de ce savoir, non seulement ma curiosité ne se trouvait jamais satisfaite, mais en plus, ma méfiance et ma suspicion de l’enfance se transformaient lentement en haine, dégoût et révolte.

    Les choses me semblaient de plus en plus évidentes. Il y avait véritablement un système sciemment mis en place pour mettre les élèves au pas, casser leurs volontés et mettre un terme à leurs folles ambitions. Les matières devenaient de plus en plus difficiles. Il fallait de plus en plus se lever tôt, transporter des livres et cahiers, passer des heures à étudier au lycée, mais encore à la maison. Tout le monde était obligé de porter un tablier. Le matin, il fallait se mettre en rang pour saluer le drapeau. Il y avait partout des surveillants mandatés à faire respecter l’ordre et punir les récalcitrants, les retardataires, les indisciplinés, les fauteurs de trouble. Les systèmes de punitions sont devenus plus variés et plus sophistiqués que les méthodes primitives de l’école primaire. Ça pouvait

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