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Livia
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Livre électronique311 pages4 heures

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À propos de ce livre électronique

Après s’être parfaitement intégrés à la société aixoise, Judith et Paolo, jeune couple italien, font venir en France, leur petite fille Livia. Dès son entrée à l’école, l’enfant s’est révélé avoir une intelligence hors-norme. Elle voue une véritable passion à la couture et au dessin. L’apprentie couturière deviendra rapidement une des personnalités qui compte dans le club fermé de la haute couture européenne. Sa fidélité en amitié l’aidera à créer un empire de la mode et à se retrouver en paix avec son passé.
LangueFrançais
Date de sortie28 avr. 2020
ISBN9791029010538
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    Aperçu du livre

    Livia - Yves Rossetto

    cover.jpg

    Livia

    Yves Rossetto

    Livia

    Roman

    Les Éditions Chapitre.com

    13, rue du Val de Marne 75013 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2020

    ISBN : 979-10-290-1053-8

    À mes huit de cœur.

    Mais je demande en vain quelques moments

    Le temps m’échappe et fuit ;

    Je dis à cette nuit : sois plus lente ;

    et l’aurore va dissiper la nuit.

    Le lac, Alphonse de Lamartine (1790-1869)

    Chapitre 1

    Dimanche 23 septembre 1928

    En ce mois de septembre, comme tous les week-ends depuis la fin de la guerre, les Aixois aiment flâner sur les bords du lac, cher à Lamartine. Le temps est toujours beau, mais les fortes températures ont disparu avec les derniers jours de l’été.

    Assis sur la grève, Judith et Paolo rêvent en regardant les montagnes se refléter dans l’eau. Les vaguelettes, en un léger clapot, viennent lécher la rive. La douce chaleur de cette fin d’après-midi les invite à la torpeur.

    Paolo se rappelle ce jour d’avril quand sa vie a basculé, il y a maintenant presque six ans, lorsqu’il rencontra Judith.

    C’était un samedi matin, il s’en souvient bien, car chaque semaine, il avait l’habitude d’aller au marché avec sa femme Gloria. Après une dispute, comme à l’accoutumée, il avait décidé de partir seul, faire ses achats. Il se revoit fermer la porte d’entrée en la claquant et en jurant qu’il ne reviendrait pas. Ils habitaient Vérone, la ville de Roméo et Juliette, des Capulet et des Montaigu. Cette belle cité où serpente l’Adige. Il longea les arènes, et se mit à rêver à ces folles années où le peuple se retrouvait là pour assister à toutes sortes de spectacles. Il continua vers la piazza delle erbe, lieu sanctuarisé pour le marché de la ville. Il flânait tranquillement entre les étals qui regorgeaient de fruits bien mûrs et de légumes du terroir. Tout ce mélange de couleurs annonçait le printemps. Il entendit, pas très loin de lui, quelqu’un pousser un cri de douleur. Il s’approcha de l’endroit où il pensait que se situait la source et aperçut une jeune femme en pleurs, étendue à terre. Il alla vers elle et lui demanda gentiment s’il pouvait lui être utile. Elle lui répondit qu’elle venait de se fouler la cheville en glissant sur des feuilles de salade, restées au sol. Il l’aida à se relever et c’est là que tout a commencé…

    Paolo n’avait jamais confié à personne que la relation qu’il avait alors avec son épouse était vraiment très compliquée. À l’origine, c’était sur un pari fait avec ses amis de l’époque qu’il avait séduit Gloria. C’était une très belle fille. Elle était grande, avec un port de tête altier, une silhouette de rêve. Elle comptait parmi les plus jolies femmes de la ville et semblait inatteignable à tout homme dit « normal ». Pierre et François, ses compères, avaient décidé de lui payer deux places de cinéma s’il lui donnait simplement un baiser et cela sous un délai d’un mois maximum. Il avait trouvé l’affaire intéressante, son orgueil aidant, il avait relevé le défi. Il s’était attelé à lui faire une cour sans répit pendant une quinzaine de jours. Chaque fin de matinée, il venait chez elle pour lui offrir des fleurs. Au début, elle n’en voulait pas et ne le regardait même pas, jusqu’au jour où il avait mangé le bouquet devant elle. Elle fut très surprise ce qui lui déclencha un immense fou rire. Elle le fixa et lui demanda s’il n’était pas un peu idiot ; ceci rompit la glace. Il avait alors profité de ce contexte favorable pour l’accompagner lorsqu’elle faisait ses courses, lui porter son cabas, et enfin un soir, il l’avait embrassée. Il avait réussi, mais sa fierté lui intimait de vraiment la conquérir. Les jours qui suivirent, ils se retrouvèrent pour des moments plus intimes. Il avait gagné son pari et ses copains lui avaient payé le cinéma. La suite fut moins gaie pour lui, car cette séance a duré beaucoup plus longtemps que prévu.

    Très rapidement, Gloria s’était retrouvée enceinte et il n’eut pas d’autres choix que de l’épouser. Ils se marièrent dans l’église de Maerne, proche de Venise, le village des parents de Gloria. Peu de monde était venu assister à la bénédiction. Sa famille avait refusé, car elle connaissait l’histoire du pari. Seuls les parents de Gloria et deux de ses amis étaient présents.

    Cela a été probablement un des jours les plus tristes de sa vie. La cérémonie n’a pas duré plus d’une demi-heure et l’atmosphère était pesante dans la petite église. Il avait évité d’embrasser la mariée. Ils étaient repartis le soir même pour Vérone, non pas en se câlinant, mais en se disputant. Quelle journée ! Dès ce soir-là, ils se sont couchés chacun de leur côté, elle dans la chambre, lui sur le canapé.

    Les mois ont passé, il travaillait pour un bottier de Vicence et devenait de plus en plus un professionnel confirmé de la cordonnerie, Gloria comme modiste avenue Christophe Collomb à Vérone. Ils vivaient ainsi depuis deux mois quand elle fit une fausse couche. Il aurait pu en profiter pour la quitter, mais en Italie, le divorce était impossible. Il est donc resté prisonnier de son mariage. Tout doucement au fil des jours, il s’est rapproché d’elle jusqu’à faire lit commun. La vie a repris alors son train-train quotidien : de joies, de peines, et surtout de querelles.

    C’est à la suite d’une d’elles qu’il était parti au marché, tout seul.

    Paolo réfléchit à haute voix et dit à Judith :

    – Je bénis cette journée où je t’ai rencontré.

    Cette intervention impromptue dans le calme qui règne au bord de l’eau la surprend :

    – Tu penses que c’est une bénédiction. Vraiment…

    – Oui, je n’aurais pas pu vivre sans toi. Quand ton regard a croisé le mien, j’ai ressenti une attirance immédiate. J’aurais fait n’importe quoi pour rester là !

    – Mais, tu as peut-être fait n’importe quoi !

    Il se remémore cet instant magique.

    Il aida Judith à se remettre sur pieds et lui servit de béquilles jusqu’à la trattoria voisine, où elle travaillait. Ils avançaient en clopinant le long des étals avec beaucoup de difficultés pour se frayer un passage au sein de la foule. Arrivée, elle le remercia, l’embrassa sur la joue et disparut en sautillant entre les tables.

    Ce n’était pas grand-chose, ils n’avaient échangé que quelques mots, mais pour lui c’était évident. Sa vie venait de changer ; ce qu’il attendait depuis des mois était en train de se produire. La rencontre !

    Il était rentré chez lui comme si de rien n’était, le panier chargé de légumes et de fruits. Il s’était mis à l’aise, avait revêtu son grand tablier noir de cuisine, et s’était installé au fourneau. C’était pour lui, la seule échappatoire qu’il avait trouvée pour les week-ends. Pendant qu’il cuisinait, sa femme ne venait pas l’agacer et il avait tout le temps pour penser à cette belle rencontre et comment il ferait pour revoir la jeune fille.

    Gloria n’était pas particulièrement désagréable. Elle s’était habituée à ces disputes qui rythmaient désormais leur vie. Elle savait que celui qu’elle avait épousé ne l’aimait pas autant qu’elle l’aurait souhaité, mais il était un être droit et il la respectait. En ces périodes difficiles que vivait l’Italie, il était important d’avoir un foyer avec un homme qui rapportait une paye à la maison, pour avoir ainsi une existence assez agréable. Son Paolo progressait professionnellement et était en passe de devenir un des meilleurs bottiers de la région. Il lui fabriquait ses propres souliers avec les plus beaux cuirs. Tout ça, pour elle, avait de l’importance et valait bien quelques sacrifices, voir des disputes épisodiques. Le temps ferait son office et ils se rapprocheraient certainement de plus en plus, peut-être en viendraient-ils à s’aimer vraiment.

    Dans les jours qui suivirent, aucune querelle n’eut lieu. Gloria se confortait dans son espoir d’un avenir plus radieux et par contre Paolo cherchait un moyen de rentrer en contact avec la belle jeune fille du marché. Il savait où elle travaillait et c’était déjà un point positif. Elle était cuisinière, donc soumise à deux services, à des horaires contraignants, mais aussi totalement différents des siens. Il restait à organiser son départ de la maison, sans éveiller les soupçons de Gloria, qui bien que n’étant pas très amoureuse, était néanmoins terriblement jalouse.

    Le lundi suivant, il prétexta la livraison urgente d’une paire de bottines pour une personnalité locale. Il lui expliqua qu’elles n’étaient pas terminées et que même s’il fallait travailler toute la nuit, il devait les livrer pour le lendemain impérativement. Elle le comprit, le plaignit, mais ne se douta pas de la supercherie.

    Le soir venu, Paolo ferma la cordonnerie. Il tira le rideau de fer, rangea le matériel, laissa la lumière dans l’arrière-boutique au cas où Gloria viendrait vérifier sa présence et sortit par la porte de derrière. Bien qu’âgé de 21 ans, il avait l’impression d’avoir 15 ans et d’aller rencontrer son premier amour. Quelle drôle de sensation, quel plaisir intense il ressentait.

    Lui plairait-il ? C’est vrai qu’il était beau garçon, toujours soigné, bien habillé et surtout très bien chaussé. Il avait coutume de dire à ses clients, « quand on regarde les pieds des gens, on voit leur caractère et leur façon de vivre. On se trahit toujours par ses chaussures ! » Comme la plupart des hommes de son époque, Paolo n’était pas très grand, mais il portait les vêtements avec élégance et son humour faisait le bonheur de ceux qui le côtoyaient.

    Plus il approchait de la trattoria et plus son cœur battait fort. Il avait l’impression qu’il résonnait aussi fort que les cloches de la basilique. Une rue encore et il y serait. Le bâtiment qui se découvrait devant lui était une petite bâtisse peinte en vert, blanc et rouge comme les couleurs du drapeau national. Il n’avait pas fait attention à la façade quand il l’avait raccompagnée, mais elle était attrayante. Il était 19 h 45, Paolo savait qu’à cette heure Judith était aux fourneaux. Il décida d’entrer et de s’installer pour dîner. Peut-être aurait-il la chance de la croiser, ou au moins de la voir. Il espérait que le service serait lent dans le but de pouvoir attendre la fin de soirée et la retrouver à la sortie de son travail. Le patron était un homme affable, vêtu d’un grand tablier blanc qui faisait ressortir son embonpoint, et d’un chapeau de feutre comme on en portait naguère dans les campagnes. Gianni, c’était son prénom, s’installa à la table de Paolo pour lui faire la conversation. La soirée avançait bon train et Gianni avait tellement de choses à raconter que Paolo ne voyait pas le temps passer. Il commenta la politique ; l’Italie allait très mal et tout le monde en était conscient ; il parla cuisine et là…

    – Gianni est ce que je pourrai voir votre cuisine ? J’aime cuisiner et je me demande ce que je dois acheter pour mieux équiper chez moi.

    – Bien sûr ! Allons-y, en plus c’est la fin du service, on ne les dérangera pas, ils nettoient en ce moment.

    Paolo avait son cœur qui battait la chamade. Il avait sauté sur l’occasion et ça avait marché. Ils se dirigèrent vers les cuisines. Gianni poussa la porte battante. Il le suivit ; elle était là. Elle ne l’avait pas vu, elle lui tournait le dos.

    Il dit : Bonsoir… Elle se retourna, lui sourit, l’avait-elle reconnu ?

    – Quelle surprise, comment allez-vous ? Je ne pensai pas vous voir ici.

    – Comment va votre cheville ?

    Gianni ne comprenait rien à ce qui se passait. Il conduisait un client sympathique dans les cuisines et le voilà qui discutait avec la cuisinière. Mon Dieu !

    – Ce n’est qu’un mauvais souvenir. Le travail a tout réparé en quelques jours. Merci de m’avoir aidée. C’était gentil.

    – Avec plaisir, mais je n’ai pas eu le temps de vous offrir un verre. Peut-être, êtes-vous libre après le service ?

    – Je finis dans 10 minutes, je vous retrouve dehors devant la trattoria.

    Paolo avait réussi son coup. Il discuta du mobilier avec Gianni, cela lui permit de gagner un peu de temps, le remercia, le salua, paya son addition et sortit.

    Maintenant, il était prêt à attendre la nuit s’il le fallait. L’attente ne dura pas longtemps. Judith sortit de la trattoria, très rapidement. On aurait dit qu’elle avait aussi hâte que lui de se rencontrer.

    – Nous pourrions aller manger un gelato. D’accord ?

    – Avec grand plaisir, pour moi c’est toujours un moment délicieux, car je n’en prépare pas au restaurant.

    Très vite, ils se retrouvèrent en tête à tête devant une énorme glace. Paolo la dévisageait, ses yeux d’un bleu profond le troublaient, son petit nez qui remuait quand elle ponctuait ses phrases, son cou si parfait qu’il avait une envie folle d’y déposer un baiser, ses lèvres très légèrement maquillées, qui devaient être si agréables à embrasser. Ses longs cheveux blonds, qu’elle avait dénoués à la fin du service, lui tombaient en cascade sur les épaules… Il ne pouvait pas s’empêcher de la regarder.

    – Tu es d’accord avec moi ?

    – De quoi, excuse-moi, je pensais…

    – Bien, il commence à se faire tard, il faut que je rentre.

    Paolo glissa sa main sur la sienne… elle ne la retira pas.

    – Je te raccompagne.

    – Non, c’est gentil, mais j’habite assez loin et j’ai mon vélo.

    – On se revoit ? Demain ?

    – Non, pas demain, car je vais au cinéma avec ma sœur Elsa.

    – Alors je passe te chercher après ton service après-demain.

    – D’accord !

    Ils se séparèrent rapidement. Un petit baiser sur la joue, elle enfourcha son vélo ; Paolo était enfin heureux !

    C’était en sifflotant qu’il regagna le foyer familial. Il tourna la clé dans la serrure en évitant de faire du bruit, poussa la grande porte de bois, monta doucement les escaliers qui grinçaient à chaque pas, entra silencieusement dans la chambre. Il se déshabilla, éteignit la lumière, et se mit au lit.

    Gloria l’avait entendu rentrer, elle se pelotonna contre lui. Sa peau était soyeuse et chaude, elle soupira, il l’embrassa.

    – Bonne nuit, mon amour !

    Chapitre 2

    Les heures défilent, l’après-midi est très agréable au bord du lac. Paolo somnole toujours ; Judith se demande s’il ne dort pas vraiment. Il a prononcé une seule phrase en deux heures pour lui dire qu’il était très heureux d’être avec elle. Elle se pose la question parfois si toutes les épreuves qu’ils rencontrent les conduisent vraiment au bonheur. Elle se rappelle que lorsqu’il l’avait aidé à se relever, piazza delle erbe, elle ne l’avait pas regardé, tellement sa cheville était douloureuse. C’était quand il lui avait servi de béquille qu’elle s’était rendu compte qu’il était beau comme un dieu. Elle avait flashé sur lui immédiatement. Arrivée à la trattoria, alors qu’elle n’avait rien dit jusque-là, elle n’avait trouvé comme remerciement qu’un petit baiser sur la joue.

    C’était bien après, le soir, quand la douleur s’était atténuée, qu’elle avait pensé avoir manqué le coche. Elle aurait dû lui parler, lui demander son prénom, le remercier, lui donner rendez-vous… Que de choses elle avait ratées !

    Les jours qui suivirent la rencontre lui ont paru interminables. Elle n’avait plus d’entrain et se demandait ce que pouvait bien faire son bel inconnu. Quel étonnement quand Gianni, le patron, avait accompagné un client en cuisine ! Ce n’était pas son habitude, elle fut surprise, mais d’autant plus lorsqu’elle le vit. Elle avait cru que son cœur allait exploser. Elle avait senti son visage s’empourprer et ses jambes flageoler.

    Quand il lui avait donné rendez-vous devant le restaurant, toute la pression était retombée et son unique but était de sortir au plus vite pour le rejoindre. Elle avait défait son chignon pour laisser vivre ses cheveux d’or et le séduire.

    Après, quand ils étaient allés manger le gelato, elle n’avait pas cessé de parler ; tous les sujets étaient bons, mais lui semblait absent… Judith se demanda alors si elle l’intéressait ou si cette rencontre était le fruit du hasard ou si tout simplement il était bienveillant. C’était quand il lui avait fixé un autre rendez-vous qu’elle avait compris qu’elle ne lui était pas totalement indifférente.

    Leur deuxième rencontre avait été différente. Elle s’était dépêchée de finir son service et de nettoyer la cuisine. Quand elle était sortie, un peu en avance, elle avait été surprise de le voir déjà là qui attendait, adossé au mur de la trattoria. Il fumait paisiblement sa caporale ; il lui avait souri, lui avait fait un baiser sur la joue, qu’elle s’était empressée de lui rendre, l’avait prise par la taille et l’avait emmené manger une glace.

    La soirée avait été beaucoup plus intéressante. Ils n’avaient pas cessé de discuter. Il s’appelait Paolo Fontana et il était bottier. Il avait beaucoup de charme. Ses yeux verts contrastaient avec ses cheveux d’un brun corbeau. Une petite calvitie naissante lui donnait un air intellectuel. Il n’avait que 21 ans. Elle lui avait dit d’un ton sérieux qu’elle était beaucoup plus vieille que lui ; elle affichait allègrement ses 22 ans.

    Elle lui avait raconté sa vie, qu’elle n’avait pas voulu être cuisinière, mais que les circonstances l’y avaient contrainte ! Elles étaient parties, sa sœur Elsa et elle, à Rome, à la demande d’un producteur de cinéma. Elles avaient fait des essais et avaient été retenues. La crise économique étant de plus en plus forte, le film ne s’était pas fait. Elles avaient fait des petits boulots en espérant des jours meilleurs pour recommencer. Malheureusement, rien ne se présenta et elles décidèrent de revenir à Vérone où étaient tous leurs points d’attache. Son père était ami d’enfance de Gianni et comme ce dernier cherchait un commis de cuisine, il l’embaucha. Très vite, elle acquit les bases du métier et au départ du chef, un soir, suite à une dispute avec Gianni, elle prit le poste. Son patron n’eut de cesse de la complimenter pour la qualité de son travail et les idées créatives qu’elle montrait. Son salaire progressa rapidement à sa plus grande satisfaction.

    Toujours dans sa rêverie, Paolo revoit ce deuxième rendez-vous. Il ne lui avait pas beaucoup parlé de lui, car il ne savait pas comment lui annoncer qu’il était marié. Il était sûr que s’il le lui disait, ce serait la fin de la belle histoire et ça, il se refusait à l’admettre. Il attendrait de mieux la connaître afin de saisir le moment opportun. Minuit sonnait au clocher de l’église des Saints Apôtres et il était temps de rentrer. Cette fois également, elle n’accepta pas qu’il l’accompagne et s’était chevauchant son vélo qu’elle disparut dans la nuit.

    Paolo n’avait aucune envie de rentrer. Jouer la comédie de l’homme affectueux qui se blottit dans le lit contre sa femme, ça ne lui plaisait guère. Il le faisait pour éloigner les soupçons d’infidélité que pourrait avoir Gloria. Il marcha longtemps, pensif, dans les rues de Vérone. Les candélabres donnaient un air morose à la ville. Le brouillard qui tombait accentuait encore plus la tristesse. La nuit était fraîche et lui permettait de mettre en place ses idées.

    Ce n’était pas l’adultère qui le tracassait, ni comment l’annoncer à son épouse. C’était la certitude que Judith était la femme de sa vie et qu’il avait peur de ne pas être à la hauteur. Qu’avait-il fait jusqu’alors de bien dans son existence ? Une femme mariée par obligation après un pari stupide, un enfant avorté, le manque de courage pour la quitter, une réconciliation de confort, c’était bien peu. Seul, son métier le passionnait, fort heureusement.

    Quand il sortit de la rue Alberto Mario, et qu’il déboucha sur l’arrière des arènes, il vit un couple d’amoureux s’enlacer tendrement. Il ressentit une douleur profonde, celle d’un amour inassouvi. Deux heures sonnaient à la pendule de l’entrée lorsqu’il ouvrit la porte. Cette fois Gloria n’était pas couchée, elle l’attendait dans la cuisine.

    – Tu rentres bien tard, c’est le travail qui t’a retenu aussi longtemps.

    Il ne répondit pas, lui sourit et la prit dans ses bras.

    – Je suis fatigué et je n’ai qu’une envie c’est d’aller me coucher. Tu viens.

    Ils se retrouvèrent au lit, blottis l’un contre l’autre, comme des amoureux…

    Paolo ne ferma presque pas l’œil de la nuit. Il ne pouvait plus continuer ainsi avec Gloria, il fallait qu’il se décide.

    Une bonne semaine se déroula avant qu’il revoie Judith. Le travail les avait accaparés et les rendez-vous du soir méritaient de s’espacer afin que Gloria ne se doute de rien.

    C’était par un bel après-midi que Paolo passa prendre Judith à la trattoria. Il était guilleret, tout lui semblait beau. Gloria était partie à Maerne voir ses parents, car sa mère était alitée et son père lui avait demandé un peu d’aide.

    Il proposa à Judith de faire une promenade le long de l’Adige et ensuite d’aller se restaurer quelque part.

    C’est enlacé qu’ils marchèrent le long du fleuve. Ceux qui les voyaient auraient pu croire à des amoureux de longue date. Paolo passait et repassait ses doigts dans les cheveux blonds de Judith. Elle lui caressait le torse pour sentir contre elle, sa chaleur animale. Lorsqu’il l’embrassa pour la première fois, elle lui rendit son baiser avec fougue. Les suivants furent très nombreux et passionnés. Ils n’avaient aucune envie de se séparer. Le regard des passants ne les gênait guère et ils restèrent collés l’un à l’autre pendant toute la promenade. L’après-midi allait bon train. Le soir, ils prirent une petite collation dans un bar devant les arènes avant que Judith ne retourne à ses fourneaux pour le service. Elle en avait assez d’habiter dans la banlieue de Vérone et de devoir prendre son vélo, matin et soir pour aller au travail. Non seulement ce n’était pas agréable par temps de pluie, mais maintenant elle était obligée de quitter son amoureux assez tôt parce qu’il fallait rentrer. Sa situation financière s’améliorait rapidement, et elle décida de louer un petit appartement proche de la trattoria.

    Cette décision n’était pas pour déplaire à Paolo.

    Gloria devait faire pas mal d’allers-retours chez ses parents afin d’aider son père. Chaque fois, c’était du pain béni pour Paolo, car il avait quartier libre et il en profitait pour se rendre chez Judith, l’après-midi, entre les deux services. Leur rapprochement n’était désormais plus platonique. La première fois qu’il la prit dans ses bras, il ne pouvait pas s’arrêter de caresser son corps. Elle était belle et il l’aimait, il n’avait qu’une envie c’était de se fondre en elle et d’oublier les nuits de tristesse au côté de Gloria.

    Pendant toute cette période, ils se retrouvaient tous les après-midi, s’aimaient sans jamais se lasser. Judith éprouvait un réel amour pour Paolo et lui le lui rendait bien. La question qu’il se posait sans cesse maintenant qu’ils étaient de vrais amants, c’était : « Comment lui dire que je suis marié ! »

    Il ne se l’est pas posée bien longtemps. Un samedi matin, alors qu’il faisait le marché piazza delle erbe avec Gloria, il croisa sans la voir, Judith.

    Lorsqu’il retourna l’après-midi suivant à l’appartement de sa maîtresse, elle lui claqua la porte au nez et il fut reçu avec une bordée d’injures dignes d’un vieux matelot. Le langage des cuisines est quelques fois très pimenté.

    Il a eu beau expliquer, tergiverser, lui déclarer sa flamme, elle ne décolérait pas ; il décida alors de rentrer chez lui et de tout avouer à sa femme, comme ça il pourrait revenir en homme libre voir Judith.

    Sa décision était maintenant prise, il monta quatre à quatre les escaliers, ouvrit la porte d’un geste ample et resta stupéfait. Gloria, assise à même le sol, pleurait à en perdre le souffle.

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