Une rose et un balai: Récit de vie
Par Michel Simonet
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À propos de ce livre électronique
Cet homme porte sur lui la joie qui l’habite. Non pas l’hilarité bruyante du rigolo, mais un bonheur paisible que le regard atteste et que vient nuancer une pointe d’ironie – les lunettes à monture orange assortie au costume de travail, par exemple. Une joie profonde et discrète, celle de l’âme et de l’esprit, celle du croyant et du lettré. Pour l’âme, il s’en explique sans forfanterie ni fausse pudeur : «chrétien à l’air libre», avec «la foi du cantonnier», suivant le Christ en souliers à coque renforcée. Pour la gamberge littéraire, il l’assaisonne de clins d’œil potaches, signant «Joachin du Balai» ou pastichant Prévert : «Je vous salis ma rue…» Notre balayeur n’a rien de pédant, mais il est conscient de son capital culturel. Formé au collège Saint-Michel, pour tout dire, sur un modèle classique à l’épreuve du temps. Humaniste, on peut le dire aussi.
Cela se voit bien dans son rapport au travail, intellectuel ou manuel. Je me plais à situer Michel Simonet dans la ligne du formidable savant bâlois de la Renaissance, Thomas Platter, homme de plein air et infatigable marcheur lui aussi, frotté lui aussi de latin, de grec et d’hébreu, qui n’était pas capable seulement d’écrire un livre, mais encore de l’imprimer et de le relier de ses mains. Il n’y a pas, aux yeux de ces gens-là, d’ouvrage noble et d’ouvrage trivial, seulement du travail bien fait ou bâclé. Il n’y a pas non plus de travail facile. Les outils du balayeur sont lourds, ses horaires pénibles, et l’humeur du ciel souvent difficile à supporter. Lui voit le bon côté des choses : passer sa vie en plein air, tenir une belle forme athlétique, et jouir dans son emploi du temps d’appréciables marges de liberté. Humanisme, optimisme, cela va de pair : cherchez le bon côté des hommes et des choses, enseignaient les Anciens, il en existe toujours un.
Et quelle joie de le découvrir, ou de le retrouver ! Notre balayeur me fait penser à l’ouvrier des trams dont Italo Calvino a fait le héros d’un livre de contes : Marcovaldo enchante sa banlieue milanaise comme jadis Merlin la forêt de Brocéliande. Tous deux pourvus d’une famille nombreuse et d’une humble occupation, Marcovaldo et Simonet dénichent en toute saison des merveilles au fil des rues, au rebord des trottoirs, au pied des réverbères… Pauvres touristes, qui arpentez nez en l’air les centres historiques, vous ne connaîtrez jamais que tours de cathédrales et frontons de palais ! Les vrais connaisseurs marchent les yeux au sol, ils regardent à la bonne hauteur. Ils savent que le tissu urbain n’est pas architectural d’abord, mais social, et que sa trame est faite d’indices à interpréter : un mégot, une canette, un préservatif, une fleur séchée, une mitaine d’enfant… Au bout de la piste, un peuple entier, avec mille histoires d’amour, de solitude ou d’amitié. Et comme toujours, la quête est plus belle encore que le but.
Michel Simonet a donc fait ce livre foutraque et plein de santé, qui ne ressemble à rien, sauf à ce dont il traite : un homme, son métier, sa ville.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né à Zurich en 1961, Michel Simonet est arrivé à Fribourg en 1969. Après le Collège Saint-Michel (section commerciale), il a travaillé quatre ans comme comptable dans une radio libre, puis étudié deux ans la théologie catholique. Il est marié et père de sept enfants de 30 à 16 ans. Il est balayeur à Fribourg (Suisse) depuis plus de 30 ans.
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Avis sur Une rose et un balai
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Aperçu du livre
Une rose et un balai - Michel Simonet
Une rose et un balai
Michel Simonet
La vie des gens
Éditions Faim de Siècle
6e édition
Ouvrage publié avec le soutien de
HISTOIRE D’ICI
Association pour la collecte et
la mise en valeur de
la mémoire fribourgeoise
Table des matières
Avant-propros
Itinéraire
Balayeur de rue
Debout début
Caverne d’Ali Babalai
Il est cinq heures, Fribourg s’éveille
Dimanche d’été
Intermède syndical
Alcools
Marché du matin
Ecrits de façade
Au soleil
Mitan-Acmé-Ponant
Le Triangle des Bermudes
Littering et lieux saints
Recyclage
Poubelles de jour et de nuit
Trouvailles que vaille
Ce que le corps dit à l’âme
Quand bise vente…
La Geste des Saisons
Révolution solaire
Janvier
La glissade détendue
Février
Carnaval Bolze
Avril
Χρίστος ανεστή! Christ est ressuscité!
Juin
Euro-Mundial
Juillet
Valete
Effets secondaires des fêtes gymnasiales
Août folklorique
Festa sunt mihi infesta
Octobre
Tonneau Verlan
Novembre
C’est quoi ce cirque?
Décembre
Cortège et revendication
Caractères
Site cité
Béatitudes de rue
Au cœur
T’as pas une thune?
Prière de ne pas fumer
Fonctionnaire indépendant
Plusieurs métiers en un
Écolo tête d’ampoule
Un peu de tenue!
Traits d’union
Péripatétisons
Escargot
Relents
Sentiments
Casting et castes
L’important…
Il est une fois
La vie en rose
Félix
Sur le sol comme au ciel
L’Évangile du Cantonnier
Évangile selon Saint Luc
Bon appétit!
Florilège d’anthologie
Vecteurs
Fin du bal…?
Arrête ton char!
Postface
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Aux Miens,
bouquet d’inspirations jamais fané.
À Fleur André et Hertig Fleurs, leur générosité successive,
fidèle et quotidienne.
Avant-propros
Je me retourne.
Un dernier coup d’œil à la rue propre en ordre comme on dit chez nous. Rue propre en ordre à la même heure depuis de nombreuses années. Propre en ordre pour peu de temps il est vrai. Rue parcourue au pas et à l’huile de coude. Parcours de vie.
Je me retourne.
De ce parcours, écrire le quotidien. En traduire le vu, le fait, l’entendu, le pensé. L’expérience du dehors et du dedans. Des amis m’ont incité à faire le pas en me suggérant qu’il y a peut-être un petit livre orange à trouver et à partager, caché sous le tas de feuilles ou de déchets.
Écrire non pour exprimer une satisfaction replète sur un cursus accompli, mais pour témoigner d’un métier méconnu, enclin aux stéréotypes et qui est actuellement en train de se modifier de manière significative.
Même si la fin d’un monde n’est pas la fin du monde, celui des balayeurs de pure souche appellation contrôlée est crépusculaire. Il évolue technologiquement et d’un autre côté se dévalue.
Certes, l’alchimie du souvenir rend bien souvent tout début et passé idylliques, mais comme je l’ai une fois entendu dans la rue: «l’avenir nous dira ce que le futur nous réserve» avec le gain et la perte liés à tout changement.
Je me retourne aussi grâce au vieux Smartphone déjà démodé mais encore bien utile qu’une de mes filles m’a transmis et qui fut l’étincelle technologique qui mit en marche mon moteur interne de recherche.
Il était difficile, vu la nature de ce travail toujours pratiqué à l’air libre et les mains occupées, de fixer tout de suite sur papier et de manière lisible ce qui m’avait marqué dans une journée et méritait d’être retenu. Une idée, une pensée, c’est comme une glace qui fond au soleil si on ne s’en empare pas rapidement pour la sauvegarder sur un quelconque support.
Des applications de ce même Iphone, comme les notes ou l’enregistrement vocal m’ont alors permis de cerner, d’éclaircir, de rassembler et de synthétiser plus aisément cette récolte de données vécues à même le terrain, gravitante nébuleuse de poèmes, récits, dissertations et aphorismes qui vont suivre.
Pour ce faire, je concède avoir dû lâcher occasionnellement mon balai, afin de me consacrer à leur saisie et perdre ainsi un peu du temps habituellement dévolu à la propreté de mon quartier. J’espère que les habitants de ce même quartier qui voudront bien me lire auront gagné au change…
«Peindre, c’est penser avec un pinceau» dit Cézanne. Je vais, en ce qui me concerne, tâcher – tâcheronner correspondrait mieux – de vous dépeindre en jouant sur plusieurs tableaux et dans un cadre urbain plutôt que campagnard, une composition instantanée et hors cadre que je nommerai: penser avec un balai, invitant par là même, en réflexion philosophale, l’ordure sur la page blanche de l’écriture.
Il y a certes des couleurs qui ne passent pas aisément de la rue à un livre, n’est pas Rabelais qui veut. Mais j’aurai au moins essayé au sens où l’entendait mon homonyme Michel de Montaigne «un pêle-mêle où se confondent comme à plaisir les choses importantes et les futilités, les côtés vite surannés et l’éternel.»
Cet ouvrage sur le métier, dualité laborieuse, sera court comme une pause d’ouvrier motivé, avec de quoi boire et manger, et de l’air entre les mots comme une journée venteuse; sans prétention littéraire, même si ce mot rime avec prolétaire; introspectif et rétrospectif, local et cantonné en un secteur qui peut, comme tout endroit du monde que l’on habite pleinement, devenir univers en expansion.
Itinéraire
Heureux qui, balayeur, fait d’utiles voyages De trottoir en trottoir et rose pour Toison, Et qui a peu besoin de monter en avion Pour saisir au global le monde et son usage.
Plutôt l’observation que le kilométrage, Plutôt s’imprégner de routinières visions Et transformer ma rue en lointain horizon
Tenant pour familiers toute race et tout âge.
Plus me plaît de servir comme ont fait mes aïeux, Par temps clair, par temps gris, torride ou rigoureux, La Terre de Fribourg, germanique-latine.
Plus que longues soirées vivre au petit matin, Plus que l’ordinateur la vue d’êtres humains
Et plus mon char poussif que moderne machine.
Joachim du Balai
Balayeur de rue
Ou cantonnier, opérateur écologique, homme de ménage en plein air, concierge de quartier, hygiéniste du trottoir, péripatéticien du char, pommeau d’un petit boulot de prolo, nettoyeur à l’aise-Blaise du balai balèze, propreur, déchétarien ordurier, mégoïste philanthrope, et pour finir le valorisant «technicien de surface» forment la liste non exhaustive des termes centraux ou excentriques utilisés pour qualifier ce métier souvent admiré, peu convoité, qui n’attire pas mais qui retient et j’en suis une preuve, parfois dénigré, mais reconnu par tous d’utilité publique.
«Il fait quoi le monsieur idiot?» demandait ingénument à son papa rougissant un petit garçon me regardant travailler. Ce papa avait probablement dû lui enseigner que seules les personnes modérément intelligentes et forcément limitées dans leurs choix professionnels pouvaient pratiquer ce genre de gagne-pain.
Ce petit garçon n’a pas tout faux.
Idiot signifie littéralement «particulier» et il est certain que la caste des balayeurs constitue parmi les travailleurs manuels un mouvement à part, une situation à la fois en plein carrefour et en marge, une marge qui est dans ce cas précis un espace qui ne bascule pas dans la marginalité, un quart-monde ouvrier, une aristocratie inversée, mais avec particule.
C’est un travail ingrat, mais d’où la grâce n’est pas absente, qui y affleure même à tout instant. Un métier certes sale, non un sale métier, qui privilégie l’intériorité. Éthique et cosmique au sens universel contrairement à l’esthétique et au cosmétique mondain.
Un travail nécessaire qui comme tout ce qui est nécessaire n’est jamais ridicule et encore moins méprisable, qui nous «place» face à la nature et aux individus en nous apprenant à acquérir l’intelligence des situations, la déontologie de la rue et ses comportements adéquats.
Un sot métier? D’aimables personnes bien intentionnées me certifient qu’il n’y en a pas. Il y en a peut-être quand même. Mais j’ignore s’ils en méritent réellement l’appellation. Je sais seulement que balayeur de rue en est un vrai, sans CFC, mais eFFiCaCe, qui avec son char et ses outils véhicule une riche et séculaire tradition, aux résultats immédiats et toutefois de longue haleine. Un travail solitaire, mais pas isolé, où il faut bien s’entendre avec soi-même, qui autorise la méditation, pourquoi pas le rêve, à ne pas confondre avec la distraction ou l’étourderie qui peuvent alors vous mener dans la lune,