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Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo
Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo
Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo
Livre électronique337 pages4 heures

Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo

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À propos de ce livre électronique

Découvrez ou redécouvrez les auteurs les plus représentatifs des courants littéraires coréens !

La littérature de Corée du Sud est entrée de plain-pied dans le concert des littératures mondiales. Elle prend place aujourd’hui aux côtés de ses grandes sœurs, japonaise et chinoise. Cette année 2016,—Année Croisée, marque le 130e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Corée et, à cette occasion, Decrescenzo Éditeurs publie une anthologie de textes, des nouvelles complètes, des extraits de romans, des poèmes ou encore un texte de critique littéraire. Les auteurs qui vous sont présentés dans ce volume sont parmi les plus représentatifs des courants littéraires de Corée. Souvent honorés de Prix littéraires, ils sont parmi les auteurs coréens les plus publiés en France. Pour son plus grand plaisir, le lecteur sera surpris par le dynamisme, la grande variété des styles, l’imagination souvent débridée et l’humour, toujours présent dans cette sélection de textes.

Immergez-vous dans une anthologie de textes emplis d'imagination et d'humour, issus des meilleures plumes coréennes !

EXTRAIT

La mousson atteignit son paroxysme. Le tonnerre et les éclairs se déchaînèrent toute la nuit. Un vent violent faisait claquer la porte d’entrée. Nous nous couchâmes de bonne heure. Tout rentrerait dans l’ordre le lendemain. Si l’Homme n’avait jamais gagné contre la Nature, il n’avait jamais non plus rendu les armes. C’est du moins ce que nous essayions de croire désespérément. Ma mère vint me retrouver dans ma chambre cette nuit-là. Vêtue de sa chemise de nuit, elle tenait une bougie à la main. L’ondulation de la flamme déformait ses traits. Les gouttes de pluie tambourinaient contre les vitres. Debout sur le seuil de la porte, ma mère me demanda d’une voix posée :
– Est-ce que tu as peur ?
Je la regardai, interdit. Elle n’avait pas ouvert la bouche depuis si longtemps. Tandis que je me relevais maladroitement, elle s’empressa de justifier sa présence avec un air anxieux :
– Je suis venue pour toi. Au cas où tu serais effrayé.
Ne sachant quoi dire, je finis par lui répondre que je tenais le coup et qu’elle ferait mieux d’aller dormir. Ma mère me demanda encore si je n’étais pas effrayé. Son visage exprimait un curieux mélange de honte et de déception. Je la rassurai de nouveau. Elle grimaça alors et cria avec véhémence :
– Mais ton père est mort !
… Puis tout s’enchaîna. Ma mère s’était élancée hors de la pièce après avoir jeté la bougie par terre. Bam, Bam… Elle se déplaçait dans le noir d’un pas ferme et rapide. Elle fut de retour en un éclair, avec un couteau à la main. J’eus soudain peur qu’elle ne s’automutile. L’idée qu’elle puisse m’agresser me traversa aussi l’esprit. Bon sang… que faire ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Claude de Crescenzo est un spécialiste reconnu de littérature coréenne. Il a crée la revue de littérature Keulmadang, et cofondé la maison d'édition Decrescenzo pour laquelle il est aujourd'hui conseiller littéraire.
LangueFrançais
ÉditeurDecrescenzo
Date de sortie26 juil. 2019
ISBN9782367270791
Fictions coréennes: Sélection et présentation par Jean-Claude de Crescenzo

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    Aperçu du livre

    Fictions coréennes - Jean-Claude de Crescenzo

    GILLANT.

    Une littérature en voie de mondialisation

    Rares sont les pays à avoir connu en un peu moins d’un siècle 40 années d’occupation étrangère (par le Japon, de 1905 à 1945), 3 années de guerre fratricide entre le Nord et le Sud (de 1950 à 1953) qui entraîna une division territoriale, idéologique, culturelle et linguistique (au point que les deux Corées oeuvrent à la rédaction commune d’un dictionnaire de la langue coréenne). La guerre de Corée achevée, une dictature militaire allait s’installer pendant près de 30 ans, plongeant le pays dans une situation où la privation des libertés publiques accompagnait la modernisation de l’économie, sur fond de « rénovation idéologique » des consciences. Le pays allait sortir à marche forcée de la grande pauvreté qui l’étreignait. Les Coréens travaillèrent dur pendant cette période de dictature mais ils ne furent pas majoritaires à profiter de l’effort national. Cette époque d’arbitraires multiples allait marquer le pays d’une façon durable.

    Naturellement, la littérature épousa les contours de cette histoire, tantôt en creux, tantôt en relief. Les débats sur le rôle et le statut de la littérature firent rage, témoignant ainsi d’une vitalité peu commune. Dans cette période 1970-1990 des œuvres majeures naquirent, telles Notre héros défiguré, L’hiver cette année-là, de Yi Munyol   (1987),  Ce paradis qui est le vôtre,  de Yi Cheong-jun (1976), La place, de Choe In-hun (1976), ou encore Monsieur Han de Hwang Sok-yong (1970), pour les œuvres traduites en français.

    La démocratie survint dans les années 1990, et dans son sillage, la consommation de masse. De nouvelles mentalités, de nouveaux goûts esthétiques, de nouvelles formes d’expression artistique allaient rapidement suivre, le pays s’ouvrit à son environnement, les Coréens se mirent à voyager et la culture traditionnelle, jusqu’alors confinée aux limites étroites du pays s’en trouva profondément modifiée. Une nouvelle génération d’auteurs apparut et avec elle des œuvres affranchies de la sombre histoire coréenne. Avec ces auteurs, toujours qualifiés de « jeunes », une littérature plus proche des tendances mondiales allait éclore et dans le même temps sonner le glas de la littérature réaliste. Des œuvres d’une grande richesse thématique et stylistique allaient se côtoyer, sans jamais s’affronter, le débat sur le rôle de la littérature faiblissant en Corée comme ailleurs.

    Si la littérature avait subi dans ses thèmes, dans ses débats politiques, dans ses sources d’inspiration la pression des évènements historiques, elle allait rapidement s’affranchir de l’histoire. Autrefois souvent commentatrice des périodes douloureuses, elle n’aura désormais plus qu’une lointaine ressemblance avec sa consoeur des années noires.

    Il est certainement plus facile de réunir que d’unir des auteurs comme Kim Ae-ran, Lee Seung-u, Eun Hee-kyung ou Yi In-seong. C’est la formidable richesse que nous vous présentons dans ce volume. Des nouvelles, genre littéraire dans lequel excellent les auteurs coréens, mais aussi des extraits de romans, des poèmes ou encore un article sur la littérature coréenne vous donneront une belle idée de ce que produisent de mieux les auteurs coréens aujourd’hui. Bien entendu, le présent volume n’a pas la prétention à l’exhaustivité. La littérature classique coréenne est toujours aussi peu traduite, tout comme les œuvres de la période précédant 1960. Il en est de même aujourd’hui : des jeunes auteurs comme Baek Ka-eum, ou Kim Tae-yong ou le poète Kang Jeong ne sont pas encore traduits, et cette absence rend malaisée une représentation exhaustive de la « jeune » littérature coréenne.

    KIM Ae-ran, la première des auteurs de la jeune génération est certainement le prodige de la littérature coréenne. Entrée très tôt dans la carrière, elle remporta un premier Prix qui fit un certain bruit dans le milieu littéraire, bon nombre d’auteurs confirmés estimant qu’elle était trop jeune pour recevoir un prix aussi prestigieux. Depuis, elle accumule prix et distinctions. En France, son œuvre fut introduite en 2012 par son recueil de nouvelles Cours, papa, cours ! qui reçu un bel accueil et son deuxième volume Ma vie dans la supérette reçut le prix de l’Inaperçu en 2014. Dans cette nouvelle éponyme, hilarante, dans la veine des textes de Kim Ae-ran, la tragédie affleure sans cesse en même temps qu’un humour décapant. On retrouve cette même veine narrative avec la nouvelle Les Goliath aquatiques dans laquelle le jeune naufragé dérive sur un radeau de fortune dans un Séoul sous les flots et on ne sait s’il dérive vers sa propre fin ou s’il prend un nouveau départ. Les deux nouvelles que nous vous présentons dans ce volume sont très représentatives de l’oeuvre de Kim Ae-ran : des sujets du quotidien, souvent légers voire dérisoires, —un bas qui file, une ex-copine que l’on veut éviter dans la rue, une chaîne Hi-Fi que l’on emporte en voyage, côtoient des sujets plus graves —l’absence d’un père, l’harassant travail d’une mère ou celui d’une jeunesse sacrifiée. La famille est passée au vitriol avec un humour salvateur, dans un pays où la structure familiale fut la pierre angulaire de la société. Qu’elle choisisse l’espace d’une supérette ouverte 24/24h ou un studio dans un sous-sol, Kim Ae-ran ausculte la société coréenne et les conséquences du capitalisme, non sans tendresse pour les perdants. L’oscillation entre oppression et légèreté marque la façon dont le personnage cherche à se tirer de situations ennuyeuses ou angoissantes par un savant mélange d’humour et d’autodérision, facteurs souvent favorables pour sortir indemne des situations les plus périlleuses.

    KIM Jung-hyuk est un auteur au statut singulier : tour à tour disc-jockey, bibliothécaire, journaliste gastronomique, illustrateur, vidéaste, il collectionne des objets étranges ou des concepts mystérieux comme celui de « concepteur de concepts inutiles ». Il porte sur les scènes de la vie quotidienne un regard très personnel. Ce passionné d’arts, au sens large du terme, tente de transformer toute situation en œuvre d’art. Adepte d’une douce transgression, il lui faut inventer de nouvelles normes. C’est exactement ce qu’il se produit dans La bibliothèque des instruments de musique où chaque instrument se voit attribuer — suprême lubie—, d’un nouveau nom, plus conforme à la pensée du personnage. On l’aura vite compris, dans une société coréenne où le confucianisme, à la fois code de conduites et système de pensée, structure les rapports sociaux et impose à la communauté une façon de vivre ensemble.

    Dans ce contexte, l’émergence du « je » représente un défi autant que, parfois, une provocation. Proposer une différence d’appréciation nécessite une réinvention des normes sociales. Dans la nouvelle D le décalé, un fausset rejeté par ses collègues de la chorale universitaire, réalisera, finalement et contre tous, son rêve. Dans le roman Zombies, la descente aux enfers, Kim Jung-hyuk poussera jusqu’au bout la logique de l’étrange en transformant une contrée imaginaire en village où vivent paisiblement des morts-vivants, dans une ambiance musicale dont est régulièrement empreint son univers littéraire.

    EUN Hee-kyung est une auteure confirmée. Son premier roman paru en France Le cadeau de l’oiseau chez Kailash fut suivi de la parution chez Zulma de Les boîtes de ma femme, le recueil qui la fit connaître en France. Dans le recueil suivant Qui a tendu un piège dans la pinède par une journée fleurie de printemps ? la maîtrise des situations narratives s’offre au premier regard. Les rapports entre êtres humains saisis dans leurs contradictions, assignés dans des statuts insupportables, tentent de trouver une issue individuelle à leurs difficultés. Ici, point de solution dans la communauté. Rejetant toutes les idéologies qui asservissent, Eun Hee-kyung, convaincue que l’issue sera difficile, passe au vitriol les relations dans la famille et dans le couple. Les situations du quotidien, notamment les difficultés de communication dans le couple, l’obligent à disséquer les relations humaines. Si les hommes n’ont pas la partie belle dans ses œuvres, Eun Hee-kyung n’est pas toujours tendre non plus avec le sexe féminin. Mais, si elle rejette l’idéologie communautaire, elle n’en est pas moins dupe des rapports entre individu et société. Tandis, par exemple, qu’il croit voir un couple se débattre dans les filets d’un amour qui n’est plus, ou bien qu’il assiste à une situation singulière, le lecteur découvre en réalité au détour d’une phrase la manière dont la société refait surface et contraint les personnages à un agir qui les dépasse. À ce propos, la nouvelle l’Héritage est sans appel. Tandis que le père se meurt, la famille se délite dans une douce incompréhension. Ou encore dans la nouvelle Qui a tendu un piège dans la pinède par une journée fleurie de printemps ? la jeune fille, obsédée par la réussite que lui impose ses parents, court courageusement d’échec en échec, alors que tout semblait réuni pour que le succès soit.

    Si les auteurs coréens excellent dans le genre de la nouvelle, genre par lequel ils embrassent la carrière littéraire, ils n’en produisent pas moins chaque année des œuvres qui nous offrent une vision contrastée de la Corée et démontrent —sinon toujours, du moins souvent— que la production littéraire de Corée se porte bien.

    Pour la romancière HAN Kang, les idées socialement acceptées et la condition de l’être humain constituent une violence insupportable. Les personnages de Han Kang sont souvent prisonniers de leur passé et traversent la vie avec douleur et raffinement. Le roman Pars, le vent se lève, Prix de la traduction LTI Korea, s’apparente à un thriller : la meilleure amie du personnage principal s’est-elle suicidée, a-t-elle eu un accident de voiture ou bien a-t-elle été assassinée ? L’enquête qu’elle va mener dans les milieux artistiques de Séoul va la plonger dans une autre en-quête, quête de soi, quête d’un corps en souffrance dans un monde où le temps qui file pèse aussi lourd qu’un regret lancinant. Comme le souvenir de cet oncle, peintre et calligraphe, devenu ambigu au point que la reconstitution du souvenir génère plus d’inquiétude que de clarté. Peut-on changer le passé, quand le vent souffle aussi fort ? Quel répit peut nous offrir l’art dans un monde troublé dans lequel la contemplation esthétique ramène la grandeur à une dimension plus modeste ? Et quand les particules de poussière recouvrent uniformément nos souvenirs comme nos espoirs déçus, seul le vent peut nous aider à réparer nos espérances. L’écriture de Han Kang s’apparente à une pièce d’orfèvrerie patiemment ciselée avec force finesse et détail dans l’émotion qui surgit. Musicienne à ses heures, son écriture frôle régulièrement la construction mélodique.

    L’espérance, LEE Seung-u, —son personnage du moins, la retrouve à l’âge de 30 ans quand il découvre (sic) qu’il n’a pas de père. Le constat de ce père absent, — un père qui l’a abandonné alors qu’il était enfant sans jamais lui manquer, prend soudain une dimension qui opacifie le reste. Le personnage, homme jeune, tuberculeux, part se reposer dans une petite ville proche de la Corée du Nord et va enquêter sur ce père qui l’a abandonné. Homme politique en pleine campagne électorale, le père devient une figure obsédante à qui il faut demander des explications. Les tribulations auxquelles il va être confronté, dans le droit fil d’un roman polar, sont alors prétextes à réévaluer la question de l’absence, de la levée du mystère familial, l’un des thèmes favoris de l’auteur. Le roman commence par une citation de Rainer Maria Rilke tirée de Les Cahiers de Malte Lauridds Bridge et se poursuit dans l’ombre de Kafka, de Romain Gary et de versets de la Bible. La grande force des romans de Lee Seung-u réside dans les traits particuliers d’une situation qu’il sait amener aux dimensions de l’universel, dimensions traversées par les mythologies d’Asie comme d’Europe. Mais point de lourdeur dans cette œuvre. Si l’être humain a perdu le sens du sacré, s’il se débat dans des questions philosophiques, la rédemption est au bout du chemin quand bien même celui-ci serait parsemé d’embûches.

    Dans le registre du thriller, JEONG You-jeong est sans doute la nouvelle prêtresse. Ses romans, régulièrement adaptés au cinéma —un cinéma coréen dont la réputation n’est plus à faire. Elle nous offre avec Les nuits de sept ans un polar d’un veine exceptionnelle : Choi Hyeon-su souffre du syndrome de « la main étrangère ». Sa main gauche agit indépendamment de sa volonté. Un soir qu’il rentre chez lui ivre, il renverse une enfant qu’il, bien qu’elle soit encore vivante, va assassiner avec cette main gauche récalcitrante. La littérature policière n’a pas encore trouvé ses lettres de noblesse en Corée. Toujours considérée comme une littérature de seconde zone, quelques œuvres, dont certaines traduites en français traduisent insuffisamment l’engouement de certains jeunes auteurs pour le genre. Avec Les nuits de sept ans, Decrescenzo éditeurs ouvre sa collection Polar.

    Avec YI In-seong, c’est un autre univers que nous découvrons. Chef de file d’un courant littéraire, influençant par son style et par sa vision intransigeante de la littérature comme du statut de l’auteur, il est incontestablement un auteur à part. Il suffit de lire ses ouvrages pour s’en rendre compte. Yi In-seong débute sa carrière dans les années 70 en pleine dictature militaire. Son œuvre s’en trouvera bien entendu marquée, mais à la marge. Loin des lois du marché littéraire, exigeant quant à sa posture d’écrivain, n’adhérant à aucun courant, il va se démarquer par une exploration continue de l’insondable âme humaine (pour ne pas avoir à dire de l’inconscient), en explorant les structures multiples de la personnalité, cette incursion tour à tour marquée par les pronoms je, tu, il, désignant un même locuteur, tantôt lui tantôt autre, exprimant la multiplicité et la fragilité d’une voix singulière.

    La recherche stylistique menée par YI in-seong dans la fiction peut se rapprocher de celle qu’effectue en poésie KIM Hyesoon. Docteur en littérature coréenne, poétesse, elle n’a cessé de combattre pour la reconnaissance du statut de l’auteure féminin dans un monde littéraire, et dans l’espace public, largement dominé par les hommes. Dans sa poésie expérimentale, —une langue souvent difficile, parfois violente, toujours surprenante, il n’y a nul faux-semblant, nul débat sur le genre. Elle revendique une écriture de femme en lutte contre l’ordre dominant réduisant les espaces assignés à la femme, en règle générale la cuisine, au profit d’un éclatement des frontières séparant les hommes des femmes. Poétesse d’avant-garde, elle renvoie dans sa poésie la violence qu’elle perçoit.

    Avec Un désir de littérature coréenne, JEONG Myeong-kyo met fin à la disette qui sévit en France en matière de critique de la littérature coréenne. S’il existe plusieurs ouvrages traitant de l’histoire de la littérature coréenne, peu d’ouvrages de critique littéraire, mis à part Le roman coréen, de Kim U-chang, (Maisonneuve et Larose, 1998) sont publiés en France. Professeur de littérature français et de littérature coréenne, critique littéraire aussi renommé que redouté, Jeong Myeong-kyo tente de penser la mondialisation de la littérature coréenne. Autrefois confinée aux limites étroites du pays, la littérature coréenne associée aux efforts entrepris par les fondations littéraires frappe aujourd’hui à la porte des littératures mondiales. Souvent dominée (bien injustement) par ses voisines japonaise et chinoise, la littérature coréenne souffre d’un déficit de reconnaissance. Il n’entrait pas dans le cadre de cette présentation d’en débattre. Le faible nombre d’ouvrages classiques parus en porte certainement témoignage. Il en va autrement avec la présence en constante progression des auteurs de la nouvelle génération. Désormais, et non sans humour, les jeunes écrivains abordent des thèmes mondialisés, même si pour beaucoup d’entre eux, la Corée sert toujours de champ d’expériences et d’expérimentations. Dans Un désir de littérature coréenne, Jeong Myeong-kyo se livre à quelques analyses et propositions. Particulièrement, sur les points névralgiques qui traversent une littérature dont la langue est si éloignée de la nôtre. Parlée par un faible nombre de locuteurs, elle pose des questions importantes de traduction.

    Avec ces textes, le lecteur se fera sans doute une idée plus précise de la littérature de ce pays qui ne cesse de surprendre. Autrefois, « pays ermite » coupée du monde, d’une extrême pauvreté, la Corée prend place aujourd’hui dans le groupe des nations influentes. Bien que ne jouissant pas des effets de l’habile soft power coréen, la littérature coréenne prend le chemin, elle aussi, de la littérature mondiale.

    Jean-Claude de Crescenzo

    Directeur de la revue de littérature coréenne Keulmadang

    NOUVELLES

    KIM Ae-ran

    Née en 1980 à Incheon, Kim Ae-ran a 22 ans lorsqu’elle reçoit son premier prix littéraire et devient la plus jeune lauréate de Corée. Kim Ae-ran a passé la grande majorité de son enfance dans le village de Seosan et n’a découvert la vie à Séoul qu’à l’âge de vingt ans. Elle poursuit des études de mise en scène et d’écriture créative à l’université nationale des Arts de Corée. Elle a fait son entrée dans le milieu littéraire avec une nouvelle intitulée La Porte du Silence, remportant le Prix littéraire Daesan pour Étudiants, en 2002. Elle publie cette même nouvelle dans une revue trimestrielle Quarterly Changbi et devient rapidement la figure de proue de la jeune génération d’auteurs. Le succès des œuvres de Kim Ae-ran tient au nonsense, à la psychologie d’individus comiques à force d’être en échec, au dévoilement de secrets de jeunes gens ordinaires.

    Romans et recueils de nouvelles

    Cours Papa, cours !, Decrescenzo Éditeurs, 2012, traduit par Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo

    Ma Vie dans la supérette, Decrescenzo Éditeurs, 2013, traduit par Kim Hye-gyeong et jean-Claude de Crescenzo

    Ma Vie palpitante, Picquier, 2014, traduit par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel

    Comment se passe ton été, Decrescenzo Éditeurs, 2015, traduit par Kette Amoruso et Lucie Angheben

    Chanson d’ailleurs, Decrescenzo Éditeurs, 2016, traduit par Kette Amoruso et Lucie Angheben

    Prix et distinctions

    2002 : Prix Daesan

    2005 : Prix Hankuk Ilbo

    2008 : Prix du Jeune artiste d’aujourd’hui (littérature)

    2008 : Prix Lee Hyo-seok

    2010 : Prix Kim Yu-jeong

    2011 : Prix du Jeune auteur

    2013 : Prix Han Mu-sook

    2013 : Prix Yi Sang

    2014 : Prix de l’Inaperçu (France)

    Cours Papa, cours

    Lorsque j’étais foetus, mon propre utérus plus petit qu’une graine, je pleurais souvent par peur de l’obscurité autour de moi. À cette époque, j’étais minuscule avec un corps fripé et un tout petit coeur qui battait la chamade. Un temps où, privée du langage, je n’avais ni passé ni futur.

    Ma mère avait alors annoncé qu’une carcasse qui ne savait parler était venue au monde comme une lettre à la poste. Elle avait accouchée sans l’aide de personne, dans un étroit studio à l’entresol d’un immeuble. C’était un jour d’été et le soleil, brillant comme du papier de verre, s’infiltrait sans retenue dans la pièce. Le haut du corps seul vêtu, ma mère gigotait, couchée à même le sol de la chambre, serrant une paire de ciseaux au lieu d’une main secourable à ses côtés. Par la fenêtre, on apercevait les jambes des badauds aller et venir dans la rue, et lorsque l’idée de mourir la prenait, elle labourait le sol à coups de ciseaux. Quelques heures plus tard, plutôt que de mettre fin à ses jours, elle coupa le cordon ombilical avec ces mêmes ciseaux. Ainsi lâchée dans le monde, je n’entendis plus les battements du coeur de maman et, dans le silence qui suivit, je me crus devenue sourde.

    La première lumière que je découvris dans ma vie occupait l’exacte surface du soupirail. Je compris alors que la lumière nous vient de l’extérieur.

    Je ne me souviens pas où était mon père lorsque je naquis. Il était toujours quelque part, mais ce quelque part n’était jamais chez nous. D’ordinaire, il rentrait tard ou bien ne rentrait pas. Coeur palpitant contre coeur palpitant, maman et moi restions dans les bras l’une de l’autre. De sa grande main, elle frictionnait régulièrement mon visage et bien que je fusse toute nue, je gardais l’air sérieux. Ignorant comment lui prouver mon amour, je grimaçais à tout bout de champ. Je découvris rapidement que plus je fronçais mon visage tout plissé, plus maman riait. Je compris que s’aimer, ce n’était sans doute pas rire ensemble mais rire aux dépens de l’autre.

    Ma mère endormie, je me sentais seule. Dans ce monde devenu désert, un rayon de soleil semblait posé à l’autre bout de la pièce comme la lettre reçue d’un ancien amant resté courtois. La courtoisie, c’était la première forme de désagrément que je ressentais à l’égard de ce monde. À défaut de poches où y fourrer mes mains, je serrais les poings.

    *

    Chaque fois que j’imagine papa, la même scène, obsédante, me revient à l’esprit. Mon père court avec fougue en direction de nulle part. Vêtu d’un bermuda rose fluo, il a les jambes maigres et poilues. Le buste droit, les genoux haut levés, il a cet air grotesque d’un fonctionnaire respectant à la lettre un règlement tombé dans l’oubli. Tel que je me le représente, ce père court depuis une dizaine d’années avec la même constance et la même expression sur le visage. Il rit et découvre des dents jaunies, dans une trogne rougeaude sur laquelle il lui a été collé, à dessein on dirait, un portrait raté.

    À l’instar des sportifs, mon père a parfois l’air grotesque. J’éprouve toujours une vive honte dans un jardin public quand un homme, sans motif apparent, cogne son ventre contre le tronc d’un pin ou quand une femme marche en battant des mains. Enthousiastes et appliqués, ils paient du ridicule le maintien de leur bonne santé.

    Je n’ai jamais vu mon père courir. En réalité, dans mon esprit il court encore et encore. Sans doute, ai-je été influencée par une anecdote racontée jadis par maman. La première fois que j’entendis cette histoire, maman frottait avec fougue un linge encore plein de mousse sur une planche à laver tenue entre ses cuisses. Tandis qu’elle faisait la lessive, elle respirait bruyamment, comme si elle avait été suffoquée par la colère.

    Maman m’avait confié que papa n’a jamais couru pour elle. Ni le jour où elle lui avait proposé de se séparer, ni le jour où elle avait avoué avoir besoin de lui ; pas plus qu’il n’avait accouru le jour de ma naissance. Les gens considéraient mon père comme un homme raffiné tandis que ma mère le tenait pour un imbécile. Si elle se proposait de l’attendre à telle date, à coup sûr, il arrivait le lendemain. Et dans son retard, il se présentait à maman, l’air amaigri. La mine contrite de cet incorrigible retardataire amenait, sans jamais y déroger, ma mère à plaisanter pour le détendre. Son mari ne donnait aucune excuse, mais ne fanfaronnait pas non plus. Candide, il réapparaissait, les lèvres desséchées et le visage tanné. J’avais dans l’idée qu’il devait craindre de se faire houspiller. Il était si chagriné, si désireux de se faire pardonner qu’il s’empêtrait dans des situations au sortir desquelles, il n’en était que plus désolé encore. Puis, abandonnant l’emploi de mari navré, il optait pour le rôle du méchant plutôt que pour le rôle du nigaud. Je ne pense pas que mon père au coeur si plein de bonté voulait faire preuve de méchanceté. Mais bien qu’il fût coupable, c’est lui qui rendait

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