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Une démarche universitaire au mitan de la vie: Une démarche universitaire au mitan de la vie
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Livre électronique382 pages4 heures

Une démarche universitaire au mitan de la vie: Une démarche universitaire au mitan de la vie

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À propos de ce livre électronique

Le programme Sens et projet de vie a été développé afin d’accompagner les personnes de 45 ans et plus dans leur passage au mitan de leur vie. Cet ouvrage traite de ce programme universitaire novateur (historique, approche globale, parcours pédagogique, etc.), tout en abordant la quête de sens comme expérience culturelle et existentielle et en présentant des témoignages d’étudiants à propos de leur cheminement.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2013
ISBN9782760536975
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    Aperçu du livre

    Une démarche universitaire au mitan de la vie - Luis Adolfo Gómez González

    Donner un sens à sa vie ! Il semble bien que ce soit là un désir humain fondamental qui nous pousse à vouloir rendre notre vie intelligible, passionnée et cohérente. Notre volonté de vivre pleinement (souvent, de simplement survivre) est soutenue par des énergies insoupçonnées qui refusent tout relâchement. Confrontés à une finitude à la fois indésirable et inéluctable, nous cherchons à combler ce « manque d’être » et à réduire ce sentiment d’incomplétude en visant des buts que nous savons inatteignables d’ici la fin de notre vie.

    Même si ces démarches nous semblent individuelles et intimes, elles font appel à des conceptions que nous cherchons à partager pour nous rassurer quant à notre place dans le monde et quant à nos liens aux autres pour ainsi nous donner des « bassins » communs de référence et des espaces collectifs d’appartenance. Que ce questionnement nous apparaisse aujourd’hui comme étant personnel est un phénomène relativement récent, né avec le monde moderne. Antérieurement, la religion jouait ce rôle intégrateur de définition et de soutien d’une « vie bonne ». Les temps de la vie étaient ritualisés par des « excès de vie » qui permettaient de dépasser l’ordinaire et l’utilitaire de la vie quotidienne. L’action humaine avait pour toile de fond des solidarités communautaires qui légitimaient des parcours de vie à suivre.

    L’individualisation de la vie en société et l’affaissement des solidarités traditionnelles provoquent des isolements différents selon les grandes étapes de nos vies. Les grands « passages » se font selon des modes très variés et selon les particularités des parcours antérieurs de chacun. La modification des structures de famille et de travail et nos dépendances nouvelles envers les conditions de santé et de vie provoquent des bouleversements majeurs et souvent inattendus de nos trajectoires personnelles. Le mitan de la vie semble devenir un moment charnière de notre vie moderne compte tenu des remises en question provoquées par une vie familiale ou professionnelle active qui est venue à son terme, soit des périodes de vie fort intenses, compte tenu aussi des perspectives de redéploiement du travail ou du départ à la retraite, des responsabilités nouvelles qu’imposent des parents malades ou en perte d’autonomie, des démarches spirituelles à repenser face à la fin de vie… Autant de bouleversements qu’il nous faut traverser d’une manière ou d’une autre, bouleversements qui se vivent pour plusieurs dans une grande solitude.

    Dans un accompagnement rigoureux, sensible et attentif à la situation de chacun, le programme Sens et projet de vie vise précisément à soutenir les personnes lors de ce passage du mitan de la vie. En 2004 s’est développé un partenariat entre la Télé-université (TÉLUQ), l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) pour mettre sur pied ce programme unique au Québec. Dans le premier chapitre du livre, Louise Bourdages, « mère porteuse » du programme comme nous aimons le rappeler, nous raconte cette belle aventure universitaire qui, dans son originalité herméneutique et pédagogique, accompagne les personnes qui traversent ce passage. C’est à partir de cette démarche universitaire innovatrice que s’élabore la suite du livre.

    La question du sens de la vie nous conduit au cœur de notre propre expérience de vie. Chacun de nous peut témoigner de la recherche personnelle de sens qui a traversé sa vie et chacun de nous peut tenter de décrire la « continuité » souhaitée en prévoyant le sens qu’il veut donner à son projet de vie. Quels sont donc les sources et les fondements qui soutiennent le sens que nous voulons donner à notre vie ? Il y a une sorte de « déplacement » des socles fondateurs de sens avec la modernité. Ainsi, la « verticalité » ancienne du divin s’est progressivement métamorphosée en une responsabilité toute « horizontale » des humains à donner et à continuer la vie. En réfléchissant sur ce couple transcendance-immanence, Hugues Dionne nous rappelle comment les postures existentielles se modifient au gré des cultures, ces horizons de sens qui tentent d’expliciter notre destinée eu égard à notre insuffisance humaine. Le sens de l’humain évoque précisément cette indéfectible foi anthropologique envers l’autre et envers la vie à continuer coûte que coûte. C’est là un parcours où les croisements marquent les grands « passages » d’une vie. Nicole Bouchard s’intéresse précisément à ces grandes étapes en mettant en valeur les « rites de passage » qui permettent la traversée des grands bouleversements et la renaissance à soi-même. La structure du programme Sens et projet de vie module ses avancées dans cette perspective d’un passage à réaliser pour aboutir dans une sorte d’apaisement et de réintégration dans de nouvelles postures donatrices. Toutes les démarches de reformulation des projets de vie viennent concrétiser ce travail de renaissance et exprimer les perspectives anticipatrices souhaitées par chacun d’une vie sensée. À la lumière de sa propre expérience d’accompagnement de projets, Luis Adolfo Gómez González dégage les idées-forces de ces expériences existentielles telles que vécues dans la définition, la mise en œuvre, la réalisation et l’évaluation des projets de vie.

    C’est tout ce « parcours pédagogique ouvert sur le sens » que le programme Sens et projet de vie tente de réaliser avec chaque participant. La structure du programme vise à faciliter ces passages expérientiels, nous rappellent Thérèse Côté, Hugues Dionne et Huguette Guay. C’est à travers des échanges sur les expériences de sens de chacun que s’amorce le programme avant d’aboutir à une reformulation de ces expériences anticipées pour l’avenir. La trajectoire du programme s’appuie elle-même sur les histoires de vie des participants. L’une des pièces clés du programme est élaborée à partir d’un travail d’écriture du récit de vie de chacun. C’est là un exercice de mémoire important qui permet au participant de repérer la construction de sens qui l’a maintenu en vie et d’identifier les repères de sens qui lui semblent indispensables pour poursuivre sa vie. C’est cette aventure passionnante consistant à « dire oui à sa naissance » que nous racontent Jeanne-Marie Gingras, Lucie Mercier et Cécile Yelle. Notre vie n’est pas pure invention de soi, au contraire. Pour être en mesure de nous identifier comme personne, il importe de voir comment nous sommes essentiellement redevables d’une culture, d’une époque, d’une génération, d’un lieu, d’une circonstance… Nous sommes faits des autres, nous sommes récit collectif. C’est de cet accueil bienveillant de soi et de nos reliances aux autres et au monde qu’émergeront à la fois cette énergie nouvelle de se continuer et cette intelligibilité rassurante d’une trajectoire renouvelée. C’est ce chemin que nous font faire Jeanne-Marie Rugira, Diane Léger, Jean-Philippe Gauthier et Serge Lapointe en nous faisant découvrir de nouveaux repères de sens.

    Suivre un tel programme permet de devenir attentifs aux orientations de sens qui parcourent nos vies et de nous inscrire dans une démarche permanente de quête et d’actions susceptibles de nous assurer un renouvellement continu de sens. En raison de nos approches interprétatives ou herméneutiques, il nous semblait à propos d’être lecteurs d’auteurs qui ont été des acteurs au sein du programme. Ils peuvent témoigner d’une démarche personnelle et pédagogique qu’ils ont vécue ou vivent encore profondément. C’est ainsi que Claude V. Lacasse nous décrit son parcours en insistant sur cette reliance nouvelle qui fut pour elle une grande source d’apprentissages tout en étant révélatrice de ses propres fondements existentiels alors qu’elle ressentait en elle « un consentement à vivre qui résonne dans tout son être ». France Bilodeau et les membres de la cohorte de Montréal 2006-2008 prennent le relais en témoignant, à tour de rôle, de la force de transformation du programme et de la force du groupe comme lieu de partage et d’apprentissage du sens de la vie. Leurs propos, contextualisés par Diane Auger, viennent nous éclairer sur l’altérité au cœur même de la « production » du sens. À travers l’écriture assidue de son journal personnel, Marie-Christine Boulanger exprime avec intensité sa quête profonde alors qu’elle amorce le programme. Sensible et attentive à toutes les perspectives pédagogiques qui s’amorcent, elle progresse, rencontre après rencontre, lecture après lecture, vers la formulation de base qui est la sienne. Elle cherche son point d’appui de départ dans des expressions existentielles premières qui vont la conduire à son propre récit de vie. À la suite de sa traversée du programme, Maurice Gendron raconte plutôt ses dernières démarches préparatoires pour vivre « le dernier bout de sa vie ». Il nous invite dans les chemins qu’il fréquente pour mieux nous faire comprendre la richesse spirituelle de son parcours, son acceptation bienveillante et son goût de vivre de plus en plus ou de « mourir le moins possible », comme lui a chuchoté Baruch de Spinoza.

    C’est cette aventure universitaire que nous voulons simplement vous raconter. « Tout se joue avant six ans », prétendent certains spécialistes de l’enfance… Nous sommes fiers de notre jeune trajectoire et heureux de poursuivre notre aventure dans le cadre du partenariat avec le Département de philosophie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et ne pouvons que nous réjouir de la connivence intellectuelle et « andragogique » de Serge Cantin, qui a été invité à conclure cette première étape avec nous.

    Luis Adolfo Gómez González, Diane Léger,

    Louise Bourdages et Hugues Dionne

    Décembre 2012

    Sens et projet de vie est le titre d’un programme universitaire de deuxième cycle s’adressant aux personnes au mitan de leur vie et dont le but est d’accompagner les étudiants inscrits dans leur démarche pour découvrir un sens à leur vie en vue d’élaborer un projet de vie de nature existentielle. Ce programme a été offert en 2004 après avoir été créé en partenariat avec trois établissements du réseau de l’Université du Québec : la Télé-université (TÉLUQ), l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)¹. Comportant quinze crédits et menant à une attestation d’études, il est pluridisciplinaire et articulé autour de savoirs issus de plusieurs disciplines, dont la philosophie, l’éducation, l’anthropologie, la psychologie, la sociologie, etc., et croisés avec des savoirs expérientiels.

    Fondé sur la recherche et la construction de sens à sa vie, ce programme universitaire, unique au Québec, est innovateur tant par son contenu et son approche pédagogique que par son mode de diffusion. Le sens de la vie est une question universelle qui préoccupe les humains de toutes les époques et de toutes les cultures. Réfléchir à cette question est plus que jamais nécessaire et pertinent dans la société moderne actuelle où le manque de sens de sa propre existence et la perte de repères significatifs au plan des valeurs nous tourmentent tous à divers degrés d’intensité.

    L’approche herméneutique et celle des histoires de vie, sous-jacentes à une vision interprétative de la connaissance, fondent la démarche de ce programme. Cela signifie que nous construisons et produisons de la connaissance à partir de l’expérience et de la subjectivité de chaque individu. Cette production de connaissance sur soi constitue le point de départ de l’élaboration d’un projet de vie prévue à la dernière étape du cheminement de ce programme. La démarche du programme se situe ainsi entre ces deux pôles, celui de sens et celui de projet de vie, d’où son titre. Enfin, la diffusion de ce programme est réalisée grâce à une formule hybride alliant études à distance et rencontres de groupe. Ces rencontres sont non seulement propices à des échanges fructueux entre les étudiants, mais font en outre partie intégrante de la démarche de coformation où le rapport à l’autre est vu comme fondateur d’une pratique réflexive.

    La démarche herméneutique proposée par ce programme vise l’élaboration d’un lieu de dialogue avec soi-même et de partage de sens avec autrui, contribuant ainsi à la création d’un espace public de réflexion pluridisciplinaire sur cette question fondamentale du sens de la vie. Sur le plan pédagogique, ce programme s’appuie sur l’implication personnelle, l’ouverture au dialogue, la coformation et l’accompagnement individuel et collectif, le tout balisé par un cadre et des normes universitaires. Cela signifie que des crédits sont octroyés pour ces cours qui donnent lieu à une supervision pédagogique et à des travaux notés par un professeur.

    Le présent chapitre fait d’abord un bref historique de ce programme, puis en expose la pertinence sociale et l’évolution. Il présente ensuite la philosophie et les choix épistémologiques ainsi que les fondements philosophiques, dont l’explicitation de la notion de sens. Puis sont exposés les choix méthodologiques, dont les histoires de vie, l’herméneutique et le dialogue, et l’accompagnement pédagogique des parcours de vie. Nous terminons par la présentation du contenu et de l’ensemble de la démarche pédagogique du programme.

    1. L’ORIGINE ET L’HISTOIRE DU PROGRAMME

    Je vous raconterai l’histoire du point de vue d’une « mère porteuse ». Mère porteuse, parce que je ne suis pas la principale conceptrice de ce programme, mais celle qui l’a concrètement mis au monde, qui l’a aidé à grandir, à évoluer et à durer au sein de l’institution universitaire.

    En 2001, le siège social de l’Université du Québec confie le mandat à l’un de ses cadres d’élaborer un projet de programme universitaire pour les aînés. Le projet s’intitule « Programme court d’accompagnement des aînés » et vise à former des aînés qui accompagneront d’autres aînés dans leur démarche de quête de sens et dans la réalisation de projets de réinvestissement personnel et social.

    Le responsable du projet me contacte à l’hiver 2002 pour faire partie du groupe de professeurs qui seront appelés à collaborer à l’élaboration finale et à la diffusion du programme en question. Il est convenu de démarrer le projet dans trois constituantes du réseau de l’UQ, soit la TÉLUQ, l’UQAR et l’UQAC. À l’automne 2002, nous produisons la version finale du programme. C’est à ce moment que s’enclenche le processus académique d’autorisation de diffusion dans chaque établissement. Ce processus se termine à l’été 2003 par l’élaboration et la signature d’un protocole d’entente entre les trois établissements. On ne peut dire qu’il a été facile de convaincre les départements universitaires d’accepter un tel programme, car ce type de cursus a bien peu à voir avec les orientations académiques privilégiées comme les sciences et les technologies ou encore les domaines des sciences humaines reconnus. Pour plusieurs, cela ne faisait pas sérieux… un programme pour les aînés et en plus sur la quête de sens ! Mais avec de la conviction, de la détermination et une solide argumentation, nous avons réussi à faire adopter ce programme. À l’automne 2003, nous recrutions une trentaine d’étudiants et le premier cours a été offert à l’hiver 2004.

    1.1. Évolution du programme et pertinence sociale

    Au départ, le programme était surtout destiné aux candidats de 50 ans et plus qui se préparaient à prendre leur retraite à plus ou moins court terme. La première cohorte était en effet composée en majorité de personnes retraitées ou sur le point de prendre leur retraite. Au fil du temps, nous avons pu constater que plusieurs personnes désireuses de s’inscrire à ce programme sont plus jeunes et ne portent pas nécessairement un questionnement lié au passage à la retraite, mais plutôt une interrogation existentielle sur le sens actuel de leur vie personnelle et professionnelle ainsi qu’une grande curiosité pour l’élaboration d’un projet de vie existentiel dont ils ne sauraient d’emblée esquisser le contour.

    Au fond, cela n’a rien d’étonnant puisqu’il y a actuellement un énorme problème de sens dans les milieux de travail qui se traduit par une détérioration de la santé mentale et physique chez les travailleurs. Il faut observer l’augmentation fulgurante du nombre de personnes en épuisement professionnel, et cela, dans toutes les sociétés. Par exemple, au Japon, il existe un phénomène de mort par « sur-travail » qui porte le nom de karoshi ; la souffrance est telle que l’employé se suicide sur son lieu de travail ou meurt d’un accident cardiaque ou cérébral, à cause de l’énorme stress engendré par son travail. Au Québec et en Amérique du Nord, le phénomène est différent, plus silencieux, mais peut-être plus insidieux. Dans cette perspective, le programme a une pertinence sociale pour des adultes au mitan de la vie et j’ajouterais même pour de jeunes adultes au seuil de leur vie professionnelle. Depuis le début du programme, la majorité des personnes qui s’y inscrivent ont entre 48 et 65 ans. Quelques personnes sont plus jeunes (42 ans) et certaines plus âgées (jusqu’à 78 ans), la majorité se situant entre 52 et 58 ans. Nous admettons environ une cinquantaine de personnes chaque année.

    En juin 2006, après deux ans d’expérience, nous changeons le titre et l’orientation fondamentale du programme. Il ne s’agit plus de former des aînés pour accompagner d’autres aînés dans leur quête de sens, mais d’accompagner des étudiants dans une démarche visant à mettre au jour le sens de leur vie afin qu’ils puissent élaborer un projet de vie significatif de nature existentielle. Le programme s’intitule désormais : Sens et projet de vie.

    Le choix d’un programme universitaire axé sur la question du sens est majeur à notre époque, car nous vivons dans un monde où les individus ne savent plus quel sens donner à leur vie. De nombreux auteurs ont écrit sur ce sujet depuis plusieurs décennies (Lipovetsky, Comte-Sponville, Castoriadis, Frankl, Semprun, Cyrulnik, Grand’Maison, Renaud, etc.). Castoriadis (1996, p. 138), dans son ouvrage La montée de l’insignifiance, écrivait : « L’individu moderne vit dans une course éperdue pour oublier à la fois qu’il va mourir et que tout ce qu’il fait n’a strictement pas le moindre sens. » Viktor Frankl, psychiatre autrichien qui a été emprisonné dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale, écrivait à peu près la même chose au début des années 1970 dans son livre Man’s Search for Meaning. Cette vision peut nous sembler pessimiste, mais elle nous incite à nous interroger. Pour Frankl, cette recherche de sens relève précisément du fait d’être humain et est reliée à la capacité d’existence spirituelle de l’homme. Pour Castoriadis (1996), nous sommes en crise de « significations imaginaires » dans notre société moderne. Cela signifie, selon lui, que nous ne savons plus nous représenter dans quelle sorte de société nous voulons vivre. Quels sont nos valeurs, nos idéaux et nos croyances ? Nous avons rejeté les traditions et les mythes qui nous ressemblaient et qui nous rassemblaient, mais nous nous retrouvons isolés et souvent perdus dans ce monde de compétition et de performance. Selon Castoriadis (1996, p. 21), cette crise « de l’effondrement de l’autoreprésentation de la société » nous a conduits à la seule représentation économique du pouvoir de consommer. J’ajouterais que même cette représentation est en train de s’effondrer. Nous sommes non seulement dans « l’ère du vide » (Lipovetsky, 1983), mais aussi au bord d’un gouffre économique et social. Dans la même perspective, Raymond Lemieux (2006) disait lors d’une communication : « on n’a plus de communauté, on est dans une société régulée par une rationalité instrumentale » où les moyens sont considérés comme plus importants que les buts que l’on vise.

    Le besoin de trouver un ou des sens à sa vie est devenu crucial, autant individuellement que collectivement, car « le sens n’est plus donné par la communauté, il est renvoyé à l’individu » (Lemieux, 2006). Ce programme axé sur la question du sens arrive à point nommé pour réfléchir à cette problématique, car il répond à un urgent besoin tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. Ce besoin est fondé sur l’importance de retrouver les valeurs d’être qui arrivent actuellement loin derrière la performance, le prestige et l’acquisition de biens matériels. Qui suis-je et que suis-je ? Pourquoi vit-on ? Où s’en va ma vie ? Y a-t-il quelque chose plutôt que rien après cette vie ? Quelles sont mes valeurs ? Pourquoi tant de souffrances et de désespoir ? Toutes ces questions nous habitent à un moment ou un autre de notre vie et constituent l’essentiel des questions de sens que peut se poser un être humain. Nous tentons, dans un dialogue interdisciplinaire, de travailler en complémentarité et non en compétition autour de cette question fondamentale du sens, où l’objet de notre étude est le sujet humain comme « être de sens ». Cependant, cette recherche de sens ne se limite pas à un questionnement philosophique général sur le sens de la vie ; notre questionnement s’intéresse plutôt au sens de la vie de l’individu à l’intérieur d’une collectivité et d’une temporalité vécue par le sujet qui se raconte. De plus, nous proposons une démarche qui crée un lieu de partage et un espace de confiance envers l’autre dans un groupe. C’est aussi une démarche qui aide à vivre et redonne de l’espoir.

    Pour l’université, ce programme est inusité, audacieux et pertinent, car il propose une démarche pédagogique à la fois sensible et rationnelle, individuelle et collective, où la cohérence, la vraisemblance et la rigueur sont des critères fondamentaux d’une réflexion approfondie à partir de savoirs existentiels et subjectifs, qui sont aussi des savoirs qui contribuent au développement des individus et des sociétés. Voici maintenant l’explicitation des choix épistémologiques et philosophiques sous-jacents au programme.

    2. LA PHILOSOPHIE DU PROGRAMME : CHOIX ÉPISTÉMOLOGIQUES

    Ce programme s’inspire de la tradition phénoménologique existentielle qui a pour objet la compréhension de phénomènes et la signification des expériences et des comportements humains (Bachelor et Joshi, 1986). Pour atteindre ces finalités, nous privilégions une approche épistémologique qui permet l’élaboration de connaissances à partir de la compréhension des savoirs expérientiels et existentiels. Cette approche renvoie à une vision interprétative de la connaissance. Nous travaillons avec les récits de vie et avec la notion de praxis réflexive qui consiste à réfléchir à partir de ses propres expériences de vie. Barbier (2005, p. 11) soutenait que « les savoirs n’ont de sens que s’ils ouvrent sur la connaissance de soi au sein du monde ». Cela signifie que nous construisons et produisons des connaissances à partir de l’expérience et de la subjectivité de chaque individu. Cette production de connaissances sur soi constitue le point de départ d’un dialogue avec l’autre puisque la connaissance ne peut se construire seul dans notre tour d’ivoire. D’ailleurs, comme le souligne Nicole Bouchard (2006), Lemieux (2001) fait de l’altérité inscrite dans la communication humaine l’enjeu anthropologique fondateur de la vie humaine. Nous verrons plus loin comment cela se concrétise dans la démarche méthodologique.

    Selon Nicole Bouchard², s’il y a un concept qui traverse ce programme, c’est bien la question du sens et de sa construction. Le sens n’est pas en soi une discipline, mais c’est une « méta-question qui traverse toutes les disciplines³ ». Ainsi, le travail d’interdisciplinarité met à contribution toutes les ressources afin de travailler en complémentarité et non en compétition autour de cette question fondamentale du sens, à une étape de la vie où l’on est confronté au vieillissement graduel et à la mort inéluctable.

    Construire le sens signifie prendre conscience de nos valeurs, de nos sensibilités et de notre direction. Les valeurs renvoient aux significations qui nous ont été transmises à travers notre éducation, notre langue, notre culture et que nous avons intégrées à notre personnalité et à notre manière d’être au monde. La notion de sensibilité touche l’aspect affectif et émotif des événements de notre parcours de vie. Nous ne sommes pas que des êtres cognitifs et rationnels. La sensibilité et la sensualité sont des aspects qui nous permettent d’élargir notre connaissance du monde. Enfin, la direction renvoie à l’intentionnalité dans son acception de conscience d’être orienté vers un but à atteindre. C’est une sorte de fil conducteur qui relie le passé au présent et au futur. La recherche de direction permet d’établir d’où l’on vient et où l’on va. C’est dans cette perspective que notre programme propose une démarche non seulement de construction de sens mais aussi d’élaboration et de mise en œuvre d’un projet de vie en cohérence avec ce qui fait sens pour soi. Examinons maintenant l’origine de la notion de sens et quelques définitions.

    2.1. La question du sens au cœur du programme : origine et définitions

    Le concept de sens est inspiré de la phénoménologie existentielle, particulièrement celle de Schutz (1987). Il a introduit la dimension temporelle de la notion de sens. Pour lui, la conscience est un courant continu d’expériences de vie

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