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Asile zéro: Archi 01 : hôpital général de Limoges
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Asile zéro: Archi 01 : hôpital général de Limoges
Livre électronique180 pages2 heures

Asile zéro: Archi 01 : hôpital général de Limoges

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À propos de ce livre électronique

Une double intrigue où se mêlent fiction et réalité.

Une enquête qui revient sur les origines et l’histoire de la Bibliothèque de Limoges. Cette sombre histoire ne serait vraisemblablement pas remontée en surface si la revue Architextures n’avait pas confié à Cosima Young l’écriture d’un article consacré à l’ancien hôpital général de Limoges. Et sans la revue, Cosima n’aurait jamais rencontré Franz Carole, ex-vagabond reconverti en bouquiniste, ni Lucas Solas, photographe et compositeur de musiques de films. Elle n’aurait pas consacré des jours et des nuits à interroger l’histoire d’un lieu disparu et celles des individus qui y furent accueillis au fil des siècles, pour y être traités, maltraités aussi, et qui y sont souvent morts.
Sans cet article, Cosima aurait sans doute emprunté une autre voie, côtoyé d’autres personnes et fréquenté d’autres lieux. Mais ça ne l’aurait pas empêché de continuer à voler des objets de façon compulsive, ni de devoir affronter sa mère qui vient de remettre en question ses origines et son identité. Sa chair et son sang.

Découvrez une enquête fascinante sur l'histoire de Limoges et, en parallèle, l'histoire personnelle de Cosima, remplie de suspense, de rencontres et de réflexions...

EXTRAIT

Je dois m’immerger dans le passé en me rendant sur place, un plan détaillé en main. Me projeter presque deux siècles en arrière, quand il était question d’installer des latrines dans les chambres de l’hôpital et de construire une morgue. Quand il était question de rafraîchir les façades dégradées, de démolir certains bâtiments déjà fragiles et d’en ériger d’autres afin d’accueillir la population de plus en plus nombreuse de l’hôpital : service d’hydrothérapie, précisent des registres, et baraquements pour phtisiques, pavillon chirurgical pour enfants et pour diphtériques. Surélévations, transferts, agrandissements. D’un siècle à l’autre : pavillon pour agités, aumônerie, buanderie, clinique ophtalmologique. Réfections, réinstallations, remplacements. D’une guerre à l’autre : monument aux victimes du devoir, dispensaire de vénéréologie, service d’urologie, laboratoire de bactériologie, école, nouvelle chapelle, garage pour automobiles, générateur à vapeur, chambre froide.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"J'ai vraiment passé un moment rare avec ce bouquin, il m'a touchée personnellement, à chacun de voir." Arlie Rose sur Babelio.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Cyril Herry est né à Limoges et vit à La Croisille-sur-Briance, en Haute-Vienne. Il découvre la photographie aux arts décoratifs de Limoges et continue de la pratiquer, en particulier quand il découvre des lieux abandonnés.
Son premier roman, Lille aux mortes, est publié en 2008. Il dirige les éditions Ecorce depuis 2009. Paru en 2014 chez Geste éditions, Asile Zéro est la première partie d’une trilogie.
LangueFrançais
Date de sortie2 janv. 2020
ISBN9791035307295
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    Aperçu du livre

    Asile zéro - Herry Cyril

    1

    J’approchais de l’entrée des Archives départementales quand le long bunker a surgi droit devant. Je le savais proche et je le cherchais des yeux. J’ai loupé l’entrée. Au point où j’en étais, j’ai ralenti pour mieux décrire le bâtiment qui s’étirait sur ma gauche. Sous cet angle et dans la brume matinale diluée à la chaleur croissante, son béton brut, ses vitres et ses canalisations lui donnaient l’allure d’un vaisseau futuriste fantôme. Je l’ai trouvé plus imposant que dans mes souvenirs pourtant récents. Plus fade, aussi. Fade et vieilli. Mais sans doute n’a-t-il vieilli qu’à mes yeux, comme une photographie argentique subit les ultraviolets. Sans doute n’a-t-il pas pris l’ombre d’une ride en réalité, contrairement à moi. Une petite ride intérieure. Une encoche. Deux fois rien. J’ai passé cinq années de ma vie à L’École nationale supérieure d’art et je n’étais pas revenue dans le quartier depuis onze mois.

    Perturbée par la convergence des lieux, j’ai repris la direction du périphérique et la rue de la Conque. Au deuxième tour, j’ai franchi une triste grille blanche et me suis garée sur un parking ombragé. L’ENSA était désormais invisible. J’ai coupé le moteur, mais pas le lecteur mp3. J’ai attendu la fin de La Ruelle des morts, de Thiéfaine, pour sortir et me présenter à l’accueil des Archives.

    J’ai à présent sous les yeux un répertoire à la reliure de tissu marron et aux pages jaunies. Certaines sont lézardées, d’autres ­déchirées.

    Département de la Haute-Vienne

    Ville de Limoges

    Inventaire sommaire des archives hospitalières antérieures à 1790.

    Nous sommes le 19 juin. Ma carte d’adhésion porte le numéro 552. Je me suis inscrite sous mon nom, et non celui de la revue pour laquelle je travaille depuis vingt-quatre heures.

    On entend dans la salle de lecture le bruit de vieilles pages qu’on tourne. Registres, parchemins, cahiers, plans qu’on déplie et replie. À vue d’œil, l’espace peut accueillir une cinquantaine de personnes, mais nous ne sommes que quatre ce matin, plongés dans les strates du passé. On n’échange aucun regard. On se déplace sans bruit dans les allées. On chuchote. On tousse. Dans une salle voisine, une photocopieuse produit des saccades hypnotiques étouffées.

    Je parcours en diagonale les colonnes du répertoire rédigé en vieux français. Je ne sais pas par où commencer. Je laisse des mots et des chiffres accrocher mon regard, comme des saillies ou des épines semées dans les pages.

    Il y a cette date : novembre 1661.

    Et ces mots :

    On fait à savoir à tous en général que la closture et renfermement des pauvres se fera de demain en huict jours, qu’on comptera le quatriesme jour de décembre, et à ces fins que tous les pauvres natifs ou habitués despuis trois ans dans la présant ville, citté, faux-bourgs, etc., de quelque quallité et condition qu’ils soyent, qui voudront se retirer dans le dict hospital général y seront receus pour y demeurer, estre nouris suivant les lettres patantes de Sa Majesté. Enjoinct à tous les estrangers et non compris dans le dénombrement cy-dessus, qui mandient dans les endroicts susdits, de se retirer dans troys jours, à payne d’estre chastiés suivant les rigueurs portées par lesdites lettres.

    L’année suivante, à la requête de l’hôpital de Limoges, un arrêté du parlement de Bordeaux portera défense de donner l’aumône aux mendiants en public, sous peine d’amende.

    En 1727, les mendiants seront au nombre de 350 dans l’hôpital : 107 hommes, dont 27 valides, 133 femmes, dont 43 valides, et 110 enfants.

    En 1789, ils seront 1 150. Enfants, adultes et vieillards des deux sexes, enfermés dans des conditions quasi carcérales, indique un d­ocument.

    Il est presque 11 heures.

    Mon bunker est tout proche, je l’ai sans cesse à l’esprit. Il est juste derrière ce mur, en face de moi. Cette proximité n’est pas étrangère à mon trouble dans ces instants. Une part de moi procède à un état des lieux. Un état de moi-même. Mon passé contenu dans cette architecture froide et mon présent dans cette salle de lecture où je n’aurais jamais pensé pénétrer un jour. Des bribes qui remontent à des mois et des années tout juste écoulées me reviennent en mémoire, sans queue ni tête ; des échantillons prélevés de façon aléatoire dans mon histoire, cousus les uns aux autres sans cohérence. Des situations, des visages, des discours. Des bandes-annonces de mon vécu. Pendant cinq années, je me suis initiée à l’art contemporain, à l’étude de formes et de théories issues de mon époque, et ce matin me voilà projetée plus de trois siècles en arrière, téléportée de l’ère du numérique à celle du Caravage, de Rembrandt, Descartes, Spinoza, Pascal, Racine, Molière, Louis XIV, Mazarin.

    Chaque paragraphe du répertoire est doté d’une référence qui renvoie à un document complet, conservé quelque part dans les étages du bâtiment, parmi des dizaines de milliers d’autres documents témoins de l’histoire du département.

    J’en ai pour des années. Peut-être un siècle.

    Je ne possède pour le moment que les grandes lignes de l’histoire qu’Internet a su me procurer dans la nuit. À savoir que l’hôpital général a été bâti en 1660 à l’initiative des consuls et de plusieurs notables de Limoges. Les cinq petits hôpitaux existant jusqu’alors étaient mal en point, mal dotés et mal dirigés. À l’instar de Paris quelques années auparavant, il s’agissait de regrouper en un unique faisceau toutes les « forces » dispersées : les hôpitaux Saint-Martial, Saint-Gérald, celui des Arènes, dit hôpital de Saint-Jacques, la Maison-Dieu, l’Aumônerie de la salle épiscopale et plusieurs confréries dissoutes pour l’occasion, ainsi que les hôpitaux de Bellac et de Magnac-Laval.

    L’évêque, soutenu par dix administrateurs, allait présider le bureau du nouvel hôpital. Les visites et les soins seraient assurés par un médecin et un chirurgien. La communauté des Sœurs de Saint-Alexis, fondée à la même période, s’occuperait des malades, des invalides, des mendiants et des filles de mauvaise vie ; dans un premier temps au sein même de l’hôpital et, à partir de 1683, dans une annexe baptisée « le Refuge », réservée aux filles perdues, qu’on doterait d’une chapelle et d’un cimetière.

    L’hôpital général se trouvait à proximité de l’ancien hôpital Saint-Gérald, lui-même construit en 1158 sur le périmètre du jardin de l’actuel Hôtel de Ville et sur les ruines d’­Augustoritum, l’une des villes les plus importantes de la Gaule aquitaine, fondée peu avant l’an zéro de notre ère, puis délaissée et lentement dépecée jusqu’au Moyen âge. Mais j’ai relevé que bien avant encore, à l’Antiquité, on pense que le nom primitif de Limoges était Rith, Ritu ou Rita. Cependant, M. Desjardins, un éminent géographe de la Gaule, estimait que le mot était précédé d’un autre et donnait Ausrith ou Ausrita. À l’aube de l’ère chrétienne, l’empereur Auguste y accola son nom et la cité devint Augustoritum.

    Selon une carte datée de 1676, l’hôpital général était environné à l’ouest et au sud, jusqu’à la Vienne, de maisons isolées ou de hameaux reliés par des petites routes, quand ce n’était pas des chemins à travers les prés, les champs, les vignes et les nombreux jardins.

    Trois siècles plus tard, en 1976, l’hôpital fut à son tour désaffecté, et ce jusqu’à la construction de la Bibliothèque francophone multimédia, inaugurée en 1998. C’est dans ce dernier laps de temps que des fouilles archéologiques furent entreprises, qui révélèrent les vestiges gallo-romains, dont une grande mosaïque qui figure aujourd’hui au cœur de la bibliothèque, ornée d’une lionne.

    Voilà la raison de ma présence ici et l’objet de mon tout premier article pour la revue Architextures.

    Cette consonne incongrue en forme de croix incrustée dans le nom, c’est l’humain, mais aussi la croix qu’on trace pour désigner un emplacement sur une carte et celle qu’on dresse à la tête des sépultures. L’œuvre architecturale que l’homme a conçue et dédiée le dépasse et lui survit.

    « Vous disposez de huit pages pour nous parler de l’hôpital général, m’a indiqué ­Charlotte Revers, la rédactrice en chef de la revue. Situez-le dans le temps et dans l’espace, mais concentrez-vous davantage sur ce qui s’est passé dans le lieu, que sur le lieu lui-même et son fonctionnement. L’édifice et son administration forment un squelette, et c’est sa chair qui nous importe. N’abusez pas de vocabulaire pointu, de descriptions techniques, de références bibliographiques ; ce n’est pas ce que nous voulons offrir au public. Livrez-lui de la matière humaine. Soyez limpide et passionnante. Prenez le lecteur aux tripes. »

    Cet article est un essai. Si je le réussis, on me confiera d’autres sujets dans le futur. D’autres architectures à explorer, d’autres lieux à décrypter en interrogeant la mémoire. Je dois rendre passionnante l’histoire d’un hôpital disparu.

    « Qu’est-ce qui prend les gens aux tripes aujourd’hui ? » m’a ensuite demandé Charlotte.

    J’ai réfléchi un moment en regardant ­ailleurs. Elle ne me quittait pas des yeux. Elle me testait. Je crois que ça l’amusait de m’observer pendant que je cherchais une réponse à sa question dans les éléments de décor encore peu nombreux de son bureau : des affiches et des photos encadrées au mur à ma gauche, toutes en lien avec l’architecture. Des monuments classés, des constructions contemporaines, des sites que je connaissais pour la plupart, mais que je regardais sans les voir. Je me répétais : Qu’est-ce qui prend les gens aux tripes ?

    J’ai répondu en me tournant vers Ch­arlotte : « Les événements qui les touchent personnellement. »

    Elle a acquiescé en disant : « Les histoires qui les regardent et les touchent intimement. L’individu a besoin de se sentir concerné pour accorder de l’intérêt à un sujet. Et l’hôpital général est un cadre propice. Nombre d’individus natifs du département y ont séjourné ou s’y sont rendus pour visiter un proche, pour le soutenir ou pour le voir une dernière fois. Une partie de l’histoire de la ville était contenue dans ses murs. C’est un témoin fidèle d’époques successives, du xvie au xxe siècle. Aujourd’hui, c’est un lieu consacré à la culture où des milliers de personnes se rendent régulièrement. Et les racines de Limoges reposent sous ses fondations. Le site est extrêmement chargé, mais ce n’est pas l’histoire des bâtiments qu’il faut raconter à nos lecteurs, c’est la leur. C’est arrivé près de chez eux, mais il y a longtemps. »

    Message reçu.

    J’ai eu connaissance de la création de la revue par hasard. Deux personnes en parlaient près de moi au vernissage d’une exposition. On recrutait des rédacteurs et des photographes. J’ai capté l’information et déniché un contact téléphonique à partir du peu d’éléments en ma possession. J’ai rencontré Charlotte la semaine suivante et on a papoté presque deux heures ensemble. Mon parcours, mes compétences et mes centres d’intérêt ont éveillé sa curiosité. Je pense aussi que je lui ai plu tout de suite. On sent ces choses-là dans l’éclat des yeux, dans les sourires, dans les touches et la forme d’humour qui nourrissent un dialogue.

    Je lui ai parlé de l’ENSA, de ma pratique photographique et des critiques de films que je rédige de temps en temps pour un site Internet. Je lui ai parlé de mes lectures et de mes auteurs favoris, et même de mes goûts musicaux. Elle ignorait qui était Ron Mueck, Anselm Kiefer et Chiharu Shiota, mais elle avait vu quasiment tous les films de Michael Haneke, Olivier Assayas et Jacques Audiard ; elle n’avait jamais entendu parler de Sonic Youth, Trent Reznor et Mogwai, mais elle possédait l’intégrale d’Alain Bashung, PJ Harvey et Noir Désir.

    *

    Nombreux étaient les mendiants atteints de maladies, dont certaines contagieuses, et beaucoup d’autres symptômes encore : aliénés, aveugles, innocents, estropiés, cancéreux, vénériens, idiots, épileptiques, teigneux, sourds-muets, paralytiques, mordus, brûlés, fatigués, blessés, galeux. Beaucoup étaient invalides, mais on donnait un emploi à certains d’entre eux dans l’hôpital : tailleurs, menuisiers, charpentiers, sabotiers, porteurs d’eau, lingères, nourrices, fileuses, couturières, dentellières… La mise en place de différentes manufactures au sein de l’hôpital, notamment la fabrication d’étoffes, permit peu à peu d’accroître les revenus de l’établissement par le biais de marchands et de commerces de la ville, mais aussi de vêtir la presque totalité des pensionnaires de l’hôpital.

    Il arrivait que certains s’évadent.

    Je relève un exemple, en 1724 :

    Marie Jeandaise, âgée de 70 ans, mendiante de profession, presque aveugle, amenée par les archers des pauvres, s’est évadée de l’hôpital le jour même de son entrée, à la faveur de sa fille qui était entrée sous prétexte de voir sa mère. Seront toutes deux dénoncées au prévôt général.

    Du siècle de l’euro, de l’attentat du 11 Septembre, de la guerre en Irak, des massacres en Syrie, de Fukushima, de Lady Gaga et de Bienvenue chez les Ch’tis, les circonstances me confrontent à celui des Lumières, de Bach et de Mozart, de Kant et de Sade, de la prise de la Bastille et de la Révolution.

    Je m’appelle Cosima. Je suis née à Limoges en 1988 et y ai toujours vécu. Je connais cette ville comme ma poche. Je m’y déplacerais les yeux fermés sans m’y égarer. Ma propre histoire est inscrite en filigrane dans des quartiers, dans des rues, dans des maisons. C’est mon itinéraire à moi, comparable à nul autre. C’est mon histoire.

    Mais aujourd’hui, je suis amenée à raconter celle de la ville elle-même. J’en sais déjà beaucoup, mais pas autant qu’il le faut pour écrire des articles. Je n’avais jamais mis les pieds dans une salle d’archives comme je viens de le faire. J’avoue que je suis intimidée. Non par le lieu lui-même, qui n’a rien de captivant – il est même plutôt froid et austère –, mais par son inimaginable contenu, juste au-dessus de ma tête à cet instant, dans les

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