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Elisa Bison Blanc: Roman historique
Elisa Bison Blanc: Roman historique
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Livre électronique276 pages4 heures

Elisa Bison Blanc: Roman historique

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À propos de ce livre électronique

Elisa plonge dans le passé familial pour tenter de comprendre sa mystérieuse ancêtre, Elisabeth MacNead, qui épousa une culture totalement différente...

Après une absence de dix ans, Élisa, jeune métisse, est de retour dans sa réserve de Pine Ridge, le pays des Sioux-lakotas. Elle sera confrontée aux dures conditions que vivent les Indiens à présent. Mais à peine installée dans la maison familiale, les fantômes du passé ressurgissent par le biais du journal d’Élisabeth MacNead, son arrière-grand-mère, adoptée par les Indiens lakotas. Ils l’emmèneront là où se battaient les tribus des plaines pour conserver leur territoire, là où les Blancs se pressaient vers ce nouvel eldorado, ces espaces immenses qui feront les États-Unis. Qui est cette aïeule d’origine irlandaise, dont le père, général, a combattu les Indiens, et en particulier le chef Bison Blanc, celui qu’elle aimera à la passion ? Quand Élisa rencontre Élisa…
Voyage initiatique au cœur des tribus des plaines, où le temps s’efface.

Ce roman nous plonge dans les grandes plaines américaines de la fin du XIXe siècle et dans les réserves amérindiennes d'aujourd'hui, dévastées par de nombreux maux mais où résistent encore les indiens-lakotas. Une rencontre de cultures qui fait rêver et qui nous fait prendre conscience des problèmes actuels.

EXTRAIT

Élisa roulait sur l’US18, la route qui traverse les territoires indiens dans l’État du sud Dakota. Elle était sur le chemin d’un monde différent, celui que la toute-puissante et riche Amérique rêvait d’oublier…
La jeune femme prit la direction de Pine Ridge, une réserve indienne pauvre et désertique, l’une des plus grandes aux États-Unis, une sorte de tiers-monde au sein du royaume de l’argent et de l’opulence.
Elle conduisait lentement. Pourtant, elle n’avait pas l’habitude de se faire doubler, mais elle quittait les Blancs, leur société et leur mode de vie ! Elle les quittait pour le temps indien qui lui ne se presse jamais, car il marche à l’instant, et celui-ci lui dictait de savourer son retour…
C’était une belle journée du mois de mai, un peu trop chaude pour la saison. L’été fleurissait déjà et s’annonçait particulièrement sec et caniculaire ; peut-être un bon jour pour commencer une nouvelle vie…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie-Pierre Hage milite pour la défense de la Nature, et de la cause animale comme humaine. Auteure de romans, de documents animaliers, et d'essais sur l'écologie, elle se passionne pour l'histoire des Amérindiens, en particulier des tribus des plaines. Ce roman lui a été inspiré suite à un séjour sur la réserve de Pine Ridge, chez ses amis lakotas.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie30 oct. 2019
ISBN9782378737825
Elisa Bison Blanc: Roman historique

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    Aperçu du livre

    Elisa Bison Blanc - Marie-Pierre Hage

    cover.jpg

    Marie-Pierre Hage

    Élisa Bison Blanc

    Roman historique

    ISBN : 978-2-37873-781-8

    Collection : Hors-Temps

    ISSN 2111-6512

    Dépôt légal : octobre 2019

    © couverture Annabel Peyrard pour Ex Æquo

    © 2019 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés

    pour tous pays

    Toute modification interdite

    Éditions Ex Æquo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières Les Bains

    www.editions-exaequo.com

    Pour le peuple Lakota

    Mitakuye Oyasin

    À tous mes parents…

    (Nous sommes tous reliés)

    Préface

    Bien des tribus ont été anéanties, rayées de la surface de la Terre-mère depuis 1492, date à laquelle Christophe Colomb abordait les rivages des Caraïbes. Mais nombre de nations amérindiennes ont survécu et peuplent les trois Amériques, toujours debout et bien vivantes…

    Depuis plus de 500 ans, les Indiens combattent pour survivre. Pas toujours avec des armes ! De nos jours, certains luttent à coup d’avocats et de procès, comme les Lakotas{1} aux États-Unis, pour reconquérir leurs montagnes sacrées, les Black Hills, qui leur ont été volées il y a 150 ans. D’autres ont mené de véritables guérillas, tels les Zapatistes au Mexique. Nombreux sont ceux qui revendiquent la restitution de leurs terres, comme les peuples de Guyane. Pourtant tous sont les véritables natifs de ce continent ! Imaginons que nous européens ayons été dépossédés de nos pays par des conquérants venus de l’autre côté de la planète, que nous aurions été pour la plupart d’entre nous massacrés, et les survivants parqués dans des « réserves », quelques lopins de terre minuscules et arides de notre grande Europe ! Plus de nation française, ni espagnole, ni italienne, ni allemande. On nous interdirait de parler notre langue natale, de pratiquer nos traditions et nos religions, on nous déposséderait de nos richesses, de tout ce que nous aimions. C’est pourtant le sort de toutes les tribus du continent américain, dans le passé, et encore à l’aube de ce nouveau millénaire, où nombreuses sont celles qui doivent se battre. Les génocides se succèdent (actuellement au Brésil) sans jamais de fin… Les droits des natifs sont bafoués, voire inexistants dans bien des pays d’Amérique.

    Aux États-Unis, certaines nations attirent l’attention des médias, d’autres sont très discrètes, quelques-unes sont riches comme la petite tribu des Pequots avec leur immense casino, mais la grande majorité est pauvre, d’autres encore viennent d’être reconnues, mais nombre d’entre elles resteront dans l’oubli, voire condamnées à disparaître. Les misères sont leur lot quotidien, la drogue, l’alcool, la malnutrition, les violences sous toutes ses formes, avec en prime nombre d’Indiens emprisonnés et soumis à une justice plus rigoureuse que les autres communautés.

    Malgré ces cinq siècles de génocides, de persécutions, de déculturation, les natifs continuent à lutter pour exister, et se sont relevés. Ils revendiquent leurs droits, fiers d’être ce qu’ils sont, le courage en prime. Les religions amérindiennes et leurs traditions sont pour la plupart d’entre eux le moteur de leur renaissance, et leur force. Peut-être leur salut pour l’avenir ? Si de nos jours l’alcool, la drogue, les violences ne passent plus dans certaines familles, certaines générations ou certaines communautés, ce sont grâce à leurs rituels d’antan, à leur spiritualité. Les Amérindiens peuvent concilier internet et les pow-wow : passé et futur se conjuguant au présent.

    Dans ce roman, ce sont les Lakotas oglalas{2} qui sont mis en scène. De nos jours, ils vivent sur la réserve de Pine Ridge dans l’État du Sud Dakota, la deuxième en superficie (la plus grande réserve est celle des Navajos). C’est une des réserves les plus pauvres des États-Unis avec une large majorité d’Oglalas vivant sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage avoisine les 80 %, l’espérance de vie est bien inférieure aux autres communautés du pays, le taux de suicide supérieur, notamment chez les jeunes, les violences conjugales et les viols sont courants. La malnutrition est le lot de nombreuses familles, et les maladies comme le diabète sont prédominantes. L’alcool fait des ravages et cause un nombre élevé de syndromes d’alcoolisation fœtale (SAF) et ses effets, ainsi que d’autres formes de maladie mentale. La drogue et les gangs sont de mise, instaurant une certaine insécurité dans les parties isolées de la réserve. Nombre de Lakotas vivent dans le dénuement, dans des maisons délabrées, trop petites, non isolées, certaines encore à notre époque sans eau ni électricité. Dans cette région des Badlands (Mauvaises terres), les conditions climatiques sont rigoureuses. Les familles vivent d’allocations, souvent insuffisantes. En 1999, suite à la venue du Président Clinton à Pine Ridge, un programme d’avoir fiscaux, pour la création d’entreprise, avait été décrété, mais ce renouveau économique met du temps à s’instaurer, quelques sociétés se sont créées, mais insuffisamment face au nombre d’Indiens sans emploi. Bien des natifs sont tentés de quitter la réserve pour les villes de Rapid City et autres, mais la discrimination raciale est une réalité et une barrière.

    Malgré tous ces maux, ils résistent toujours, comme d’antan où l’armée les massacrait.

    Les Amérindiens sont environ 3 millions aux États-Unis, soit moins 1 % de la population. Il y a plus de 300 réserves pour 550 tribus reconnues.

    1

    Retour à Pine Ridge

    Élisa roulait sur l’US18, la route qui traverse les territoires indiens dans l’État du sud Dakota. Elle était sur le chemin d’un monde différent, celui que la toute-puissante et riche Amérique rêvait d’oublier…

    La jeune femme prit la direction de Pine Ridge, une réserve indienne pauvre et désertique, l’une des plus grandes aux États-Unis, une sorte de tiers-monde au sein du royaume de l’argent et de l’opulence.

    Elle conduisait lentement. Pourtant, elle n’avait pas l’habitude de se faire doubler, mais elle quittait les Blancs, leur société et leur mode de vie ! Elle les quittait pour le temps indien qui lui ne se presse jamais, car il marche à l’instant, et celui-ci lui dictait de savourer son retour…

    C’était une belle journée du mois de mai, un peu trop chaude pour la saison. L’été fleurissait déjà et s’annonçait particulièrement sec et caniculaire ; peut-être un bon jour pour commencer une nouvelle vie…

    Devant elle s’étalait la terre des Lakotas, ce peuple que les Blancs avaient appelé par méprise, les Sioux ! C’était un grand territoire, mais très loin de ce qu’il avait été, de celui que ses ancêtres avaient possédé : juste une petite planète face au Système solaire ! Privé de ses montagnes sacrées, de prairies giboyeuses, de rivières, de terres fertiles et de forêts, le pays des Lakotas n’était plus qu’un pâle reflet à l’original…

    Les Indiens avaient hérité d’un sol ingrat, aride, où l’agriculture tenait du miracle et de l’obstination. Ils avaient juste hérité des mauvaises terres, les fameuses Badlands, de pâturages médiocres et de ce que le gouvernement avait eu envie de leur laisser après que la cavalerie les ait vaincus.

    Mais, à l’aube du nouveau millénaire, c’était encore l’une des plus grandes réserves, la deuxième en superficie. Alors, que dire de toutes les autres tribus existantes encore aux États-Unis !

    Aux beaux jours, nombre de voitures et de touristes circulaient sur l’US.18. La quasi-totalité se contentait de rouler, d’avaler la route, de passer cette région où il semblait n’y avoir rien de très séduisant, où certains disaient même « s’être paumés dans le trou du monde ! » Mais pas Élisa.

    Celle-ci ralentit encore, si bien que son pick-up faillit caler. En traversant l’État de l’Iowa, elle avait troqué sa Chevrolet presque neuve contre un tout-terrain assez âgé. Elle avait fait une mauvaise affaire, mais il était plus courant sur les réserves indiennes de posséder un utilitaire ancien, quelque peu cabossé, plutôt qu’une berline étincelante, trop propre, trop classe pour appartenir à un Indien. Dans une réserve, mieux valait ne pas se faire remarquer. C’était juste bon pour les Blancs.

    Elle regardait attentivement les premières maisons de la ville principale. Elle touchait au but de son voyage puisqu’elle était arrivée à Pine Ridge Village, le cœur de la réserve, là où avait été tourné le film Danse avec les Loups…

    Rien n’avait changé depuis dix ans où elle était venue pour la dernière fois. Comme avant, la route était rafistolée, mais pas refaite. Les bas-côtés n’étaient pas entretenus. Aucune fleur, aucune décoration n’égayait cet endroit où la monotonie du blanc sale ou du gris régnait en maîtresse absolue. Toujours des habitations plus ou moins déglinguées, des mobile homes à l’âge avancé, des préfabriquées aux toits fuyants, des abris plus ou moins délabrés que les indigènes appelaient, « maisons » ! Ce genre de choses que le monde entier n’aurait pas pensé voir dans le pays le plus riche, mais c’était Pine Ridge, un des endroits les plus pauvres des États-Unis ! En passant le panneau indiquant « territoire indien », on basculait également dans ce tiers-monde si oublié, mais tellement réel de la très digne Amérique.

    Mais qu’importait à Élisa la façon dont certains étrangers pouvaient le concevoir ! Cette ville, elle y était née trente ans auparavant, et elle l’aimait. Elle y avait vécu toute son enfance quand sa mère, Clara Bison Blanc, enseignait au collège Lakota de la réserve. Et cela jusqu’au jour où Clara avait décidé d’accepter un poste à l’université de Chicago et avait repris le vieux nom parental, celui que son propre père, Duane Bison Blanc, ne voulait plus entendre, celui des MacNead. Élisa Bison Blanc devint alors Élisa MacNead. Sa mère et elle quittèrent la réserve pour l’anonymat d’une grande ville américaine, un endroit sans famille, triste et humide. Elles endossèrent l’étiquette de « Blanche indienne » et perdirent celle « d’Indienne blanche » !

    Sa mère ne se maria pas. La vie l’amena bien au hasard des routes et des hommes, mais Élisa n’eut pas de père, du moins, officiellement. Clara lui apprit juste que son géniteur devait être Cheyenne, mais lorsqu’elle s’était aperçue de sa grossesse, ce fut pour se rendre à l’évidence que le guerrier à la longue chevelure ne lui avait même pas dit son nom ni son adresse d’ailleurs ! Juste un prénom : Archie. Aller chercher un Archie dans toutes les réserves susceptibles d’abriter un Cheyenne tiendrait de l’irrationnel, de la démesure. Était-ce son métissage qui empêcha Clara de se fixer ? Celle-ci avait bien essayé de tomber amoureuse, tantôt d’un Indien, tantôt d’un Blanc, mais jamais elle ne s’était enracinée, trop tiraillée et écartelée entre deux mondes. Duane, son père, lui avait toujours trouvé des excuses. Peut-être parce qu’il était aussi métis. Ce titre dont il avait souffert durant des années.

    Duane joua le rôle du grand-père et du père, à la plus grande joie d’Élisa qui vivait chez lui et chez Louise, sa grand-mère, une femme douce, patiente, comme les Amérindiennes le sont généralement.

    Clara avait un frère aîné : John. L’oncle John apprit à sa nièce à monter les chevaux, et à exécuter les danses traditionnelles de leur peuple. Duane lui enseigna les histoires, les coutumes, les origines de leur nation, tout ceci rythmé au son des tambours des pow-wow{3} et des rituels.

    John, lui, ne se posa jamais de questions. Il était né indien ! Les quelques racines irlandaises, cette branche ancestrale trop blanche, ce général MacNead qui composait quelques-uns de ses gênes ne l’avaient jamais perturbé. Pas comme sa sœur. Les gens disaient qu’il ressemblait à son propre grand-père, Bison Blanc. Un grand chef ! Un guerrier courageux qui avait combattu l’armée américaine et Joseph MacNead, l’arrière-arrière-grand-père d’Élisa… Élisa, digne descendante des conquérants de l’ouest, était née de ces deux mondes opposés.

    Quelle ne fut pas sa tristesse de quitter la réserve et ses grands-parents à l’âge de douze ans, pour « le territoire ennemi », comme elle appelait les villes blanches, et en particulier Chicago ! Elle ne pardonnera pas à sa mère ce départ. Clara entamait, à la quarantaine sonnante, ce qu’elle pensait être, une brillante carrière à l’université. La jeune métisse essaya de s’intégrer dans cette vaste jungle, cette marée blanche et inhumaine. En vain. Elle ne vivait que pour les vacances et pour retrouver ainsi les siens.

    L’année de ses quinze ans, son grand-père Duane s’en alla vers d’autres cieux. Il était centenaire. Les étés suivants ne furent plus jamais les mêmes. Elle perdait son père, son grand-père, son guide, la personne qui comptait le plus.

    Puis ce fut le tour de Louise, quelques années plus tard. La jeune femme âgée alors de vingt ans décida de faire des études de médecine, afin d’aider son peuple, un jour. Elle s’infligeait un grand sacrifice, car elle ne pourrait revoir les siens durant des années : c’était le prix à payer pour des études longues, coûteuses, et des petits boulots pour y arriver.

    Dix ans plus tard, elle revenait enfin, sa nomination en poche à l’hôpital de la réserve.

    Elle se gara sur le parking du supermarché, le seul de la ville et de toute la réserve. Elle entra dans le magasin…

    C’était un samedi, et du monde se pressait à l’intérieur. Personne ne se retournait sur son passage : l’habitude de voir des chevelures claires déambuler parmi les allées du grand magasin. Le mois de mai apportait un défilé de camping-cars et de touristes jusqu’à la fin août, date des premiers froids. La plupart de ces Blancs faisaient juste une halte, pour se ravitailler, pour faire le plein. Ils traversaient le Grand Ouest en passant par les fameuses Badlands — les mauvaises terres – région accidentée située au nord de la réserve, composée de monts, de roches, d’argile rouge, de crêtes érodées, de ravins étroits et profonds. C’était un panorama unique dans son genre, grandiose, surtout lorsque le soleil se mettait de la partie, illuminant le tout de ses nuances. Ni herbage, ni forêt, ni âme humaine, des hivers de grands froids, des étés brûlants, des vents violents, les Badlands ne ressemblaient à nul autre paysage dans le monde. Les Badlands étaient les Badlands, le pays des esprits, des cerfs et des serpents.

    Évidemment, les touristes ne s’arrêtaient guère ou à peine dans les localités de la réserve : juste pour la photo souvenir et pavoiser, dire à leurs amis, à leur famille, avoir foulé les terres du fameux chef lakota, « Nuage Rouge »{4}, avoir vu les Indiens. Oui, ils voyaient les Indiens, ce qu’ils étaient devenus en apparence. Car ces Blancs se contentaient de les regarder rapidement. Ils ne les touchaient pas, loin de là cette idée ! Les natifs, ces créatures d’un autre temps, celui révolu, auraient pu les atteindre, les mordre même tels des chiens enragés et être dangereux. Quiconque s’arrêtant à leurs côtés, leur prodiguant chaleur et quelque aimable attention, pouvait être saisi de plein fouet, et jamais alors il ne se retrouverait comme « avant » !

    Le sauvage et le domestiqué ne communiquaient pas ou si peu… Il arrivait qu’ils s’observassent, qu’ils se comprennent même, mais le fait restait isolé. Authentique, exceptionnel, émotionnel… mais rarissime. Le monde d’hier et celui d’aujourd’hui pouvaient se rencontrer, chacun continuait son chemin, sans autre qu’un rapide coup d’œil. Deux mondes différents… Et il y avait les gens issus de ces deux mondes à la fois… comme Duane, comme Clara, comme Élisa et comme bien d’autres métis… Peut-être le monde de demain sera-t-il fait de passé et d’avenir ?

    Personne ne se retournait sur la longue chevelure blond doré, sur les yeux verts, sur la peau brune que la jeune femme affichait de par sa naissance. Les métis ne manquaient pas sur la réserve.

    Tout Indien, tout voyageur faisait halte à Pine Ridge Village, la capitale, là où seul sur la réserve, on trouvait un supermarché, un restaurant, une station-service, les administrations, les associations, un hôpital et le conseil tribal… Quelques boutiques, quelques entreprises, un collège, une université venaient étoffer cette ville qui était loin de l’image des cités blanches.

    La jeune femme pensait reconnaître des visages, des gens qu’elle avait dû fréquenter. Mais aucune tête ne se tournait. Nul regard ne la fixait. Un accueil froid. Elle crut même croiser un cousin. Un de ceux avec qui elle avait joué, dansé, discuté et fait un tas de choses… Quelqu’un qui devait bien la connaître ! Quelqu’un qui portait le même nom qu’elle…

    L’homme passa à la caisse sans la voir. Mais peut-être se trompait-elle sur lui ? Depuis dix ans !

    La caissière lui manifesta toutefois un intérêt en voyant son caddie rempli. Cela ressemblait à un ravitaillement complet et à un retour. Sur la réserve, ce genre de situation était habituel. Certains partaient pour les grandes villes américaines, essayaient de s’y insérer, de décrocher un emploi, et, fatalement, faisaient marche arrière, déçus de ce monde trop blanc qui les repoussait, qui ne les acceptait pas ou si peu. La réserve recueillait chaleureusement celle ou celui qui revenait vers les siens, vers cette enclave bienveillante, havre de sûreté. Même sans famille, il y avait toujours une âme charitable. Chez les Indiens, il n’y a pas d’orphelins. Il y a toujours un oncle ou une tante pour adopter !

    — D’où viens-tu ? lui demanda l’employée sûre d’elle-même.

    — De Chicago… mais je reviens vivre à Kyle.

    Kyle était un village au nord-est de la réserve, berceau des Indiens les plus traditionalistes, les plus purs. La caissière, métisse également, lui sourit. Elle ne s’était pas trompée. Sa cliente était une des leurs. Son intonation devint plus enjouée, plus cordiale :

    — Pour toujours ?

    — Je l’espère ! Je vais m’installer dans la maison de mes grands-parents et travailler à l’hôpital de Pine Ridge. Je suis médecin.

    — Ouah, c’est super ! Mais de Kyle à Pine Ridge, ça te fait pas mal de route tous les jours.

    — Ce n’est rien, l’important c’est que je puisse rester sur la réserve.

    — Si tu t’installes, tu peux ouvrir un crédit… voyons, à quel nom ?

    Elle ouvrait déjà un grand livre à la couverture noire.

    — Merci de l’offre, mais ce n’est pas nécessaire. Je peux payer, lui répondit Élisa en lui tendant sa carte de crédit. Comme elle ne s’était pas présentée, la caissière lut son nom :

    — MacNead ! Cela lui disait vaguement quelque chose… Il y a des MacNead à Kyle ?

    — Non, je ne pense pas. Mais des Bison Blanc, oui.

    Élisa avait repris son nom initial, mais n’avait pas encore effectué le changement à sa banque…

    — Bison Blanc, comme ceux de John ? questionna avec admiration son interlocutrice.

    — C’est mon oncle.

    — Alors, tu as manqué Jim, son fils… il est sorti il y a cinq minutes, juste avant toi !

    Élisa fit l’étonnée et paya pendant que la caissière commençait à citer l’arbre généalogique des Bison Blanc.

    — Je suis allée au collège… – Elle devait avoir la quarantaine — et j’ai eu ta mère pour professeur… Tu lui ressembles. Le même regard… à part la couleur de tes cheveux. Clara avait la chevelure noire et…

    Élisa lui coupa la parole.

    — Au revoir…

    — À bientôt, lui dit la caissière en sachant que sa nouvelle cliente reviendrait chaque semaine, comme tout habitant de la réserve…

    — Oui, à bientôt.

    En approchant de son tout-terrain, elle vit un petit groupe de trois grands adolescents appuyés contre la carrosserie. Elle se pinça les lèvres… La réserve avait beau être une enclave rassurante pour nombre d’Indiens, elle évoluait au même rythme et sur le même modèle que partout dans les villes américaines où l’insécurité montait.

    Ils avaient dû repérer la jeune femme seule, dès son arrivée. Leur dégaine ne présageait rien d’agréable pour celle à la chevelure claire. Ils la dévisagèrent, tandis qu’elle s’avançait vers eux. Ils racontaient de mauvaises blagues.

    — Bonjour… J’aimerais ouvrir ma portière s’il vous plaît !

    Aucun ne bougea, au contraire, ils se plaquèrent un peu plus contre la voiture, bras croisés, le regard narquois.

    — C’est ma voiture, tirez-vous ! récidiva-t-elle.

    Le ton était ferme. Elle devait maîtriser ses sentiments, et ne pas laisser transpirer ses craintes.

    — Et la gonzesse, pour qui tu t’prends !

    — Poussez-vous ! dit-elle en joignant le geste à la parole.

    Elle était garée à l’extrémité du parking, à l’opposé du centre commercial, près d’une voie sans issue, et les alentours, à cet instant, étaient vides de toute présence. Il y avait bien la station-service à une centaine de mètres, mais les quelques personnes, qui prenaient de l’essence, étaient trop éloignées, pour entendre et réaliser son désarroi. Quant à crier, cela aurait fait d’elle une lâche. Non. Elle n’avait pas d’autre choix que de leur foncer dessus.

    Les jeunes gens n’avaient pas l’intention de s’écraser. Deux essayèrent de la malmener, pendant que l’autre fouillait le caddie avec brutalité… quand soudain !

    Elle réalisa la scène quand les trois garçons se furent sauvés rapidement : un homme grand et costaud était intervenu ; quelques claques et coups de pied distribués avaient mis en fuite immédiatement les agresseurs.

    — Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il, en ramassant les achats éparpillés.

    Il ne la regardait pas. Elle resta muette. C’était l’homme qu’elle pensait être un cousin. Mais d’où sortait-il ?

    Sa question étant restée sans réponse, il se releva et se tint face à elle. C’était bien son cousin Jim. Il ressemblait à tout ce qu’un Indien pouvait représenter, à l’image fidèle du guerrier des plaines : un faciès noble et orgueilleux, un corps puissant et musclé, une chevelure soignée, partagée en deux longues nattes couleur de jais. Il aurait pu tenir un rôle sans problème, dans le film Danse avec les loups ! La seule chose qui avait changé était que les Indiens ne s’habillaient plus depuis longtemps de vêtements frangés et en peau ! Il portait, comme tout Américain du vieil Ouest, un jean, des bottes et un chapeau.

    Les yeux noirs de Jim Bison Blanc s’enfoncèrent, telle une lame de fond, dans son regard clair. Il scrutait tout indice, tout détail caché : « Était-elle la même personne que dans son jeune temps ? Cette fillette qui courait, qui riait, qui chevauchait à cru à ses côtés… Cette adolescente qui dansait dans les pow-wow, et qu’il avait tant aimé contempler… Cette fille dont le cœur indien battait davantage que bien d’autres ! »

    Ils restèrent quelques secondes ainsi, quelques secondes où la jeune femme vacilla légèrement, ne sut plus où

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