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Le Bathory: Thriller
Le Bathory: Thriller
Le Bathory: Thriller
Livre électronique445 pages6 heures

Le Bathory: Thriller

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À propos de ce livre électronique

Le cauchemar de Philippe.

Charleroi, 1903. Le Bathory est un théâtre macabre, spécialisé dans les spectacles de Grand Guignol. Côté coulisses, un drame s’y joue et s’y dénoue au vitriol !
Charleroi, 1987. Le Bathory est un cinéma, Philippe en est le caissier. Depuis peu, Philippe voit des autocollants placardés un peu partout dans la ville, porteurs d’un curieux message : « Estelle va mourir ». Qui est Estelle ? Est-il possible de la sauver ? Ces questions taraudent Philippe sans relâche. Tenaillé entre les énigmes dictées par son imagination fertile et les réminiscences d’un passé qui ne devrait sous aucun prétexte remonter à la surface, Philippe s’engage sans le savoir dans un cauchemar qui marquera sa vie à jamais.

Plongez dans le récit haletant d'un personnage tenaillée entre les énigmes dictées par son imagination fertile et les réminiscences de son passé.

EXTRAIT

Il fit semblant de regarder attentivement l’autocollant, comme s’il lui fallait du temps pour le déchiffrer, et le moment me procura un bref répit. Quand il releva les yeux vers moi, j’y lus des menaces de mort.
— Désolé. C’est une erreur d’impression !
— Ah…
— Au revoir, Monsieur. Monsieur… ?
Me croyez-vous sincèrement capable d’improviser une fausse identité ?
— Ph… Philippe Dubois.
Horst Kessler désigna de son regard glacial la porte, par laquelle je venais d’entrer.
Cinq secondes plus tard, j’étais dehors.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Avec Le Bathory, Benoit Herbet publie son troisième roman, après L'ombre de la chimère et Rouge baiser. Installé en Alsace, mais natif de Charleroi, ville qui le fascine au plus haut point, il y situe une intrigue haletante à la conclusion vertigineuse.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie4 mai 2018
ISBN9782378730574
Le Bathory: Thriller

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    Aperçu du livre

    Le Bathory - Benoit Herbet

    cover.jpg

    Table des matières

    Résumé

    Note de l’auteur

    Première Partie : 1903

    Deuxième partie : 1987

    Troisième partie : 1988-2016

    Quatrième partie : 2016

    Remerciements

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    Résumé

    Charleroi, 1903. Le Bathory est un théâtre macabre, spécialisé dans les spectacles de Grand Guignol. Côté coulisses, un drame s’y joue et s’y dénoue au vitriol !

    Charleroi, 1987. Le Bathory est un cinéma, Philippe en est le caissier. Depuis peu, Philippe voit des autocollants placardés un peu partout dans la ville, porteurs d’un curieux message : « Estelle va mourir ».

    Qui est Estelle ? Est-il possible de la sauver ? Ces questions taraudent Philippe sans relâche. Tenaillé entre les énigmes dictées par son imagination fertile et les réminiscences d’un passé qui ne devrait sous aucun prétexte remonter à la surface, Philippe s’engage sans le savoir dans un cauchemar qui marquera sa vie à jamais.

    Avec LE BATHORY, Benoit HERBET publie son troisième roman, après L’OMBRE DE LA CHIMERE et ROUGE BAISER. Installé en Alsace, mais natif de Charleroi, ville qui le fascine au plus haut point, il y situe une intrigue haletante à la conclusion vertigineuse.

    Benoit Herbet

    Le Bathory

    Thriller

    ISBN : 978-2-37873-057-4

    Collection Rouge : 2108-6273

    Dépôt légal Mai 2018

    © couverture Ex Aequo

    © 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

    traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    Note de l’auteur

    Il y aurait énormément à dire en vue de réhabiliter Charleroi, tout comme il existe beaucoup de raisons d’aimer follement la capitale du Pays Noir.

    La générosité de ses habitants n’a à mon sens pour égale que la solide majesté de son Hôtel de Ville ou le charme de ses façades Art Nouveau, à commencer par la Maison Dorée.

    Une cité qui inspire un ultime chef-d’œuvre à Bernard Lavilliers ou qui enfante l’exquise Mélanie De Biasio ne mérite décemment pas son titre usurpé de « Ville la plus laide du monde ».

    Mais nous entrons ici dans l’antre tortueux, car torturé de ce qu’un roman peut avoir de plus noir, un lieu à la frontière de l’uchronie, où la pauvreté, la violence et la démence sont le terreau fertile d’un récit au fil duquel l’improbable devient imaginable et dessine les fondations d’une ville aux contours monstrueux. Quant aux horreurs qui en résultent, tapies dans la moiteur des pages qui suivent, elles sont malheureusement moins effroyables que la réalité criminelle de ces trente dernières années.

    Je dédie ce livre à la mémoire d’Andrée Hureaux, ma grand-mère adorée, aux côtés de laquelle j’ai découvert ma ville en même temps que j’ai appris à marcher, depuis le souterrain de la Gare de Charleroi-Sud jusqu’aux méandres de la Ville-Haute.

    Je me rappelle vivement de cette Mamy aimante m’indiquant les emplacements des anciens remparts, de l’antique prison ou de la vieille Sambre.

    Je me souviens des cierges qu’elle brûlait pour moi après avoir prié Notre-Dame des remparts. À bien des égards, leur lumière me guide encore aujourd’hui.

    Première Partie : 1903

    I

    — Joséphine ?

    — Oui, Mère…

    — Juste ciel, Joséphine, quel est donc cet accoutrement ?

    — Vous n’aimez pas ?

    — Là, n’est pas la question !

    — Quelle est la question, Mère ?

    — Quelle est cette tenue ?

    — Ne vous plaît-elle pas ?

    — Joséphine, vous vous moquez de moi.

    — J’ai trouvé ce corset au Bon Marché. C’est une folie, mais il est parfait pour mon buste.

    — J’en conviens, Joséphine, mais ce n’est pas une raison pour vous présenter, à une heure pareille, devant moi, endimanchée de la sorte.

    — Je suis endimanchée, comme vous le dites si bien, parce que je sors.

    — Il en est hors de question.

    — Mère, ne recommencez pas. Je veux sortir, et je sortirai.

    — Ah oui ?

    — Parfaitement !

    — Et où comptez-vous donc sortir ?

    — Je sors rejoindre Félix, si vous tenez à le savoir…

    — Félix, le fils du maréchal-ferrant ?

    — Oui.

    — Ce Félix est bien impudent.

    — Je l’aime, mère.

    — À votre âge, jamais ma mère ne m’aurait laissée sortir à une heure pareille, avec un Monsieur, sans que nos fiançailles aient été officialisées. Avec votre père…

    — Maman, on est au vingtième siècle.

    — Ce Félix est un bon parti, Joséphine, je n’en disconviens pas, mais…

    — Mais ?

    — Mais j’ai peur…

    — N’ayez crainte, il est gentil, doux, courtois, parfaitement éduqué.

    — Je n’ai pas peur de lui, Joséphine, j’ai peur pour vous.

    — Peur de quoi ?

    — Peur de cet homme…

    — Mais de qui avez-vous donc peur, Mère ?

    — Vous le savez.

    — Non.

    — Si.

    — Je vous jure que non.

    — Ne me forcez pas à prononcer son nom.

    — De qui avez-vous peur, Mère ?

    — Très bien, si vous y tenez…

    — Parfaitement, j’y tiens !

    — J’ai peur…

    — Je vous écoute.

    — J’ai peur…

    — Vous jouez avec mes nerfs !

    — J’ai peur… Du vitrioleur.

    — Juste ciel, Mère…

    — Les Cieux n’ont rien à voir avec cela, Joséphine.

    — C’est une légende, un conte de grand-mère.

    — Non, Joséphine.

    — Ce sont des histoires, Mère, il n’y a pas de vitrioleur.

    — Des jeunes femmes ont disparu. Les bonnes sœurs, à Mont-sur-Marchienne, ont recueilli dans leur communauté une pauvre fille au visage mutilé. Elle est dans un état tel que plus aucun homme ne voudra d’elle, à présent, et elle devra rester cachée, honteuse et monstrueuse, derrière les murs du couvent, jusqu’à la fin de ses jours.

    — Mère…

    — Joséphine, je vous en supplie, ne sortez pas. Je ne supporterais pas qu’il puisse vous arriver malheur.

    — Mère, je vous le répète, il ne m’arrivera rien.

    — Joséphine, ne me causez pas une angoisse pareille, renoncez à cette folie.

    — Non, Mère, je sortirai, mais je ne rentrerai pas tard, je vous le promets.

    Joséphine était déjà sur le pas de la porte. Elle adressa un regard doux et compréhensif à sa mère, mais sortit néanmoins, résolue à rejoindre Félix.

    Dans une ruelle déserte, qu’un lampadaire pourvu d’un bec de gaz éclairait faiblement, Joséphine avança, d’un pas hésitant. Elle jeta quelques regards autour d’elle et sursauta lorsqu’elle remarqua un homme à l’autre bout du passage.

    Sa mère avait réussi à lui coller une frayeur latente que le moindre événement imprévu suffisait à raviver.

    Joséphine ne discernait pas les traits de l’homme, qui se pavanait, mais elle détailla sa silhouette, d’une élégance ostentatoire. Il portait un costume trois-pièces, sombre, une chemise d’une blancheur éclatante, et l’or de son gousset étincelait sur son ventre plat. Une grande cape noire, ample et volumineuse, lui servait de pardessus, et contribuait, autant qu’un chapeau haut de forme, à lui donner une allure non seulement altière, mais également impressionnante. En outre, il portait un monocle, qui lui conférait l’arrogance de ceux qui savent, décident et exigent. Un Monsieur de la haute, probablement. Joséphine songea même à un noble…

    Cette idée la rassura.

    Lorsque l’homme arriva à sa hauteur et qu’il s’arrêta, elle hésita.

    Quand un rictus déforma le visage de l’inconnu, elle hurla.

    Elle poussa un authentique cri d’horreur. Long, effroyable, atroce.

    Elle recula d’un pas, et se colla au mur. L’homme l’agrippa. Il y avait là un tas de briques empilées sur près d’un mètre. L’homme contraignit Joséphine en lui serrant la nuque et posa sa tête sur les briques, avec autant d’assurance qu’un bourreau aurait couché celle d’un condamné sur le billot.

    Joséphine appela à l’aide.

    — Au secours ! Au secours !

    Elle gémit.

    — Je vous en supplie ! Non, pas ça, je vous en supplie ! »

    L’homme se redressa et son visage se figea dans un nouveau pantomime sardonique :

    — Ha ! Ha ! Ha !

    Il repoussa sa cape d’un geste ample. D’une main gantée d’un tissu blanc immaculé, il tenait Joséphine par la nuque, et de l’autre, il produisit une fiole, une grosse fiole translucide, remplie d’un liquide redouté parmi tous…

    Le vitriol !

    D’un geste habile, il déboucha la fiole.

    Un murmure inquiet émana instantanément de la salle.

    Joséphine tremblait. L’homme persifla :

    — Silence, petite sotte, je vais te modeler un nouveau visage.

    Dans les travées, de strapontin en strapontin, le murmure vira au brouhaha.

    Lentement, en levant la fiole au-dessus du visage de son infortunée victime, l’homme versa abondamment le vitriol sur le côté gauche du visage de Joséphine.

    Joséphine hurla. Une femme dans l’assemblée aussi.

    La peau de Joséphine fumait. Elle surenchérit dans les cris, et l’homme, dans les grimaces.

    Quelques spectateurs rirent bruyamment au fond de la salle et encouragèrent le vitrioleur, en wallon.

    — Vasè, m’fi.

    Une femme quitta la salle précipitamment, portant sa main devant la bouche, comme pour se retenir de vomir.

    Le vitrioleur lorgna la foule à travers son monocle.

    Il vida le reste du contenu du récipient sur le visage de l’infortunée Joséphine. Le liquide, semblable en apparence à de l’eau, jaillit abondamment, et éclaboussa copieusement la jeune femme. Joséphine convulsait, ses pieds comme son cœur battant la chamade à l’unisson, tandis que ses traits fins se désagrégeaient au contact de l’acide.

    Son agresseur la saisit alors par la nuque, et l’exhiba, face au public.

    La moitié gauche du visage de Joséphine n’était plus qu’une croûte purulente et boursouflée, dont avaient disparu l’œil, les paupières et les cils. Sa chair était meurtrie de la plus immonde des manières.

    La femme qui avait hurlé dans la salle s’évanouit. Au premier rang, des spectateurs demeurèrent silencieux et stupéfaits. D’autres applaudirent, sans qu’il fût possible de deviner s’ils saluaient la réussite du maquillage, l’effroi contagieux qui s’était emparé d’eux ou la mise en scène macabre de la pièce.

    Les lumières se rallumèrent. Le rideau se ferma. La salle, fortement enfumée, fut légèrement éclairée.

    Marie et Joseph, qui campaient respectivement Joséphine et le Vitrioleur, se tinrent par la main et attendirent que le rideau se lève. Ils furent rejoints par Sidonie. Sidonie avait le même âge qu’eux, mais lourdement grimée, elle passait aisément pour la mère de Joséphine.

    Le rideau se leva.

    Alors, face au public, ils saluèrent solennellement la salle, pour moitié choquée, pour moitié amusée.

    Le public se dressa pour applaudir. Les acteurs prirent conscience du monde qui avait assisté à la représentation. C’était la première. Et c’était un succès. La salle était pleine. Elle n’était pas bien grande, bien que pourvue d’un balcon, mais elle n’en demeurait pas moins remplie.

    Dans la foule, Marie distingua le bâtonnier Émile Buisset, dont il se murmurait qu’il briguerait un mandat de Conseiller Communal ou de Député l’année suivante. Elle se sentit gonflée d’orgueil. Elle chercha Léon des yeux, mais elle fut incapable de le reconnaître parmi tous ces visages. Elle en fut contrite.

    Elle jeta un dernier coup d’œil à ses partenaires, et tous trois saluèrent leur public une dernière fois, avant de disparaître par les coulisses.

    II

    C’était une belle journée d’automne, une magnifique matinée de septembre, chaude comme un matin de juillet. Marie regarda vers l’est, en direction des charbonnages, par-delà les terrils. S’élevant avec indolence, quelques colonnes de fumée noire striaient le ciel de Dampremy : aussi fines qu’un coup de crayon maladroit, elles étaient néanmoins impuissantes à gâcher le bleu du ciel.

    Marie était allée voir sa mère à Lodelinsart de bon matin, et tandis que le tramway remontait la route Bruxelles en direction de Charleroi, elle mesurait le chemin parcouru au gré des verreries qu’elle dépassait. Pierard, Mondron, Casimir Lambert… Deux années plus tôt, quand ce tramway électrique avait remplacé les vieux attelages, il avait été conspué, honni au motif que ses câbles défiguraient une ville déjà trop fortement industrialisée. Mais il s’était petit à petit imposé dans le cœur des carolorégiens, et Marie le trouvait bien pratique.

    Nombre de passagers montèrent à la station de la Planche, puis descendirent au Viaduc. Marie se sentait étonnamment légère, portée par un bonheur latent qui ne manquerait pas d’éclore au cours de la journée. Elle était confiante, emplie de certitudes. Joyeuse.

    Le tramway se faufila par enchantement à travers la rue du Grand Central, dans ce quartier que sa mère s’obstinait à appeler le « Sale Debout », un enchevêtrement de taudis dans lesquels les familles sans le sou entretenaient leur tuberculose. Elle dépassa des enfants trop maigres couverts de haillons et en ressentit un pincement au cœur. Le Marché aux chevaux battait son plein sur la place de la Digue. Un chaos d’attelages, de marchands et d’équidés tantôt fiers, tantôt costauds parsemait l’endroit. L’impatience de Marie allait croissante. Elle regarda à travers la vitre et décompta les ponts.

    Le premier enjambait Le Piéton, dont le cours sale et paresseux longeait la rue Dagnelies, au bout de laquelle, se faufilant sous la chapelle Saint-Fiacre et l’Asile de nuit, il se suicidait dans la Sambre, autrement plus impétueuse à cet endroit.

    Le second, juste après la place des Tramways, dominait justement la Sambre, qui, en son milieu, hébergeait des pêcheurs à la ligne, en équilibre sur leurs barques, dans l’attente d’un improbable goujon. À la hauteur de la Rue de Marchienne, située à sa gauche, Marie ne put se retenir de jeter un coup d’œil au Bathory. Le Théâtre, construit quelques années plus tôt, avait fière allure. La première du « Vitrioleur » avait été un succès et l’intérêt du public pour les spectacles de Grand Guignol était certain. À sa droite, les murs sinistres de la prison projetaient leur ombre inquiétante sur les rails.

    Quant au dernier pont, le troisième, il surplombait le canal de dérivation de la Sambre et menait à la Station Charleroi-Sud. Le tram ralentit, et Marie descendit face à la gare, à hauteur du square. C’est là que Léon lui avait demandé de le rejoindre.

    Elle n’en pouvait plus de l’attendre. Elle avait espéré le voir ou du moins l’apercevoir, le soir de la première. Elle avait dû se contenter d’un mot doux, glissé dans sa loge à son insu, pendant la représentation, portant la promesse de retrouvailles amourachées. Elle ne vivait plus depuis trois jours que pour concrétiser la promesse de ce rendez-vous.

    Jamais, au grand jamais, elle n’avait ressenti pareil émoi pour un homme ou autant désiré sa compagnie. En comparaison, tous les hommes qu’elle avait connus avant Léon étaient des minets ou des vieillards, des dodus ou des maigrichons, des vantards ou des misérables.

    Pour Léon, elle voulait être belle. Belle comme jamais elle n’avait été belle, belle comme jamais elle n’avait eu l’idée d’être belle aux yeux d’un autre. Elle portait une jupe couleur crème, qui lui descendait sur les chevilles, ainsi qu’un corset audacieux et moderne, qu’on qualifiait de droit-devant, et qui avantageait considérablement sa silhouette, en favorisant la cambrure de ses reins et en présentant sa jolie poitrine de la plus mignonne des façons. Elle s’était même autorisé une folie. La veille, elle avait remarqué une paire de bottines de couleur bordeaux absolument magnifiques, au magasin de l’Innovation. Bien vite, la tentation avait pris le dessus sur l’hésitation.

    Quand elle s’était habillée, il lui avait fallu près d’une demi-heure pour en fermer les dizaines de boutons neufs qui montaient jusqu’à la base de ses mollets, mais le résultat avait été à la hauteur de ses espérances. En revanche, elle avait renoncé à se munir d’un chapeau ou d’une ombrelle. C’était bon pour les femmes de la haute. Elle voulait être belle pour Léon, mais pas au point de se faire passer pour ce qu’elle n’était pas. Elle était une actrice de Grand Guignol, une fille du peuple, droite et vertueuse, mais saltimbanque dans l’âme, et tout ce qu’elle exigeait de lui fut qu’il parvienne à l’aimer comme telle.

    Léon était beau, fort, viril, il agissait sur elle tel un aimant. Et le reste était accessoire. Le reste…

    Le regard de Marie porta au-delà de la dérivation de la Sambre et la ramena à la prison dont les quatre ailes semblaient déployer des tentacules sinistres autour d’un donjon menaçant, selon la configuration voulue par Ducpétiaux au siècle précédent. Marie frissonna, sans savoir pourquoi. Son regard fuit le long du quai de Flandre. Il y avait là une relative effervescence devant le garage pour automobiles. Les deux battants de la grande porte cochère s’ouvrirent. Des gamins s’arrêtèrent de jouer, un mécanicien donna quelques coups de manivelle, ses collègues l’observèrent et une voiture rutilante, à la blancheur éclatante, prit vie sous leurs yeux. Une silhouette se détacha de l’ombre du garage et monta dans l’automobile. Marie n’en crut pas ses yeux. C’était Léon !

    Superbe, maniant le volant avec dextérité et vigueur, Léon remonta le quai de Sambre, la tête haute, sans un regard en direction de la prison, puis il franchit le pont et vint cueillir Marie comme une fleur idéale qui aurait poussé par erreur au milieu des pavés sans joie qui bordaient la station de Charleroi-Sud.

    Marie monta sans un mot, mais parée d’un sourire qui en disait long sur le bonheur qui l’animait ; elle posa d’abord un pied sur le marchepied, avant de se hisser aux côtés de son homme. Elle s’assit avec grâce et bonheur sur le siège en cuir rouge de la voiture.

    Léon démarra. Il passa derrière le bureau des douanes, et de là, ils parvinrent rapidement à la route qui, longeant la voie ferrée, menait à Marchienne. Ni l’un ni l’autre ne parlèrent. Ils auraient été contraints de hausser le ton pour couvrir le bruit du moteur. De toute manière, Marie appréciait l’idée de se laisser conduire par Léon et entendait savourer chaque aspect du voyage : elle ne savait pas où ils allaient, et cette sensation s’avérait délicieuse.

    Elle découvrait la sensation du vent, amplifiée par la vitesse, sur son visage, et ça aussi, c’était délicieux.

    Elle aimait un homme pour la première fois de sa vie, et plus que tout le reste, c’était délicieux.

    Léon passa Marchienne sans s’arrêter, puis parcourut un long trajet, jusqu’à Landelies.

    Marie ne connaissait rien aux voitures, mais il lui sembla qu’à certains moments, ils roulaient à plus de quarante à l’heure. Elle était émerveillée, mais n’en dit pas un mot. À plusieurs reprises, ils dépassèrent des attelages ou même d’autres automobiles, et la sensation de dépassement amusa énormément Marie.

    Quelques présages incertains, voire ténébreux, harcelèrent les pensées de Marie. Elle se demanda par exemple comment Léon, qui ne travaillait pas, et qui avait purgé une peine assez dure à la prison, avait pu s’acheter une automobile, dont le coût était approximativement similaire à celui d’une maison. Néanmoins, elle balaya ces incertitudes rapidement.

    Passant à nouveau la Sambre, redevenue bucolique et champêtre, ils arrivèrent au village d’Aulne, et Marie fut submergée d’émotion lorsque les ruines de l’Abbaye se profilèrent devant elle dans leur immobile majesté.

    Léon s’arrêta ! Ils descendirent en même temps.

    — Elle est magnifique, Léon.

    — L’abbaye ?

    — Non, votre voiture.

    Le compliment le gonfla d’orgueil.

    — C’est une De Dion-Bouton. C’est la type J. Elle est sortie depuis deux ans seulement.

    Et d’orgueil…

    — Les meilleures automobiles sont françaises. La France est le seul pays au monde à produire presque autant de voitures que tous les autres pays réunis.

    Et d’orgueil !

    — Monsieur Ford, aux États-Unis, peut aller se rhabiller.

    Marie aimait Léon pour sa fierté. Pour sa culture. Pour son érudition. Il n’était jamais ennuyeux.

    — Comme j’aime vous entendre parler, Léon.

    — Le « vous », c’est pour les gens de la haute. Tutoie-moi, ma belle.

    Il l’avait appelée « Ma Belle », elle fondit.

    Ils marchèrent aux abords de l’abbaye, dont il lui raconta l’histoire, depuis sa fondation en l’an 657 jusqu’à son incendie par les révolutionnaires français en 1794, avec un sens du détail insoupçonnable. Ensuite, ils flânèrent le long de la Sambre. Le cours paisible de l’eau se promenant sous le tapis vert des arbres prodiguait un supplément de romantisme à cet instant saupoudré d’une insouciance absolue.

    Marie osait à peine regarder Léon, et quand elle croisait son regard, elle sentait ses joues s’empourprer. Il rayonnait. Il portait un costume trois-pièces, de la même couleur que la jupe ou le corset de la belle. Il était vêtu comme Joseph, lorsqu’il incarnait le vitrioleur. Tous les hommes de toutes les classes sociales avaient pour coutume de se vêtir d’un costume trois-pièces : c’étaient plutôt leurs accessoires qui les distinguaient. Or, la chaînette dorée de la montre de Léon, glissée dans la poche de son gilet, étincelait, et la canne au pommeau richement sculpté qu’il maniait élégamment lui conférait une majestueuse autorité.

    À nouveau, Marie se demanda à quelle activité Léon pouvait occuper ses journées, tout comme elle était curieuse de savoir ce qui lui avait valu un séjour à l’ombre. Mais l’idée de fréquenter un repris de justice l’émoustillait plus qu’elle ne l’effrayait. Être la compagne d’un gars pareil faisait naître en elle un émoi de chaque instant, qui la transportait dans un cortège de douces pensées vers l’antichambre du désir. Dans un café où elle l’avait aperçu quelques semaines plus tôt, elle avait entendu dire qu’il avait égorgé un mineur dans une bagarre, mais que, par chance, l’homme avait survécu à ses blessures, ce qui avait évité à Léon une peine bien plus lourde, peut-être même la mort. Mais Marie se méfiait des rumeurs. Quant à Léon, lors de leurs précédentes rencontres, tout ce qu’il avait trouvé à dire tenait à des commentaires laconiques, qui avaient impressionné Marie. « La prison, ça forge la personnalité d’un homme », « En prison, tout le monde m’obéissait, à commencer par les gardiens », ou encore « Rien de tel qu’une bonne bagarre à coups de tessons de bouteille pour se sentir vivant ».

    Quel homme !

    III

    Ils s’arrêtèrent à une guinguette, dissimulée derrière une palissade. Une estrade fatiguée s’ennuyait dans l’attente de l’orchestre qu’elle accueillait probablement le dimanche. Les tables étaient rangées et les chaises en fer, soigneusement alignées. L’endroit était désert, à l’exception d’un homme rougeaud et joufflu qui se tenait derrière le bar. Léon installa Marie à une table posée tout au bord de l’eau, puis se dirigea vers le comptoir. Il interpella l’homme, plus qu’il ne le salua.

    — Georges !

    — Bonjour, Léon, comment vas-tu ?

    — Bien ! Merveilleusement bien…

    — Ça se voit !

    — Ah oui, et à quoi vois-tu ça ?

    La voix de Léon avait baissé jusqu’à devenir un sifflement, et Marie crut voir l’homme derrière le bar reculer d’un pas.

    — Je… Je disais ça comme ça, Léon. Je… J’étais juste content de te voir.

    — Tais-toi, vil flagorneur, tu es juste content de me servir à boire.

    — Que veux-tu, Léon ?

    — J’aimerais abreuver la dame de Fée Verte.

    L’homme hocha la tête, servile et soumis. Léon vint s’asseoir face à Marie, et tandis qu’un sourire carnassier illumina son visage, son épaisse moustache prit vie sous les yeux de Marie.

    L’homme leur apporta une bouteille d’absinthe, deux verres, des carrés de sucre et une cuillère plate, percée de telle manière qu’elle représentait une Tour Eiffel. Léon expliqua à Marie qu’il avait pour coutume de boire l’absinthe nature, mais qu’elle ferait bien d’y tremper un sucre et de le piler avec la cuillère pour briser l’amertume du breuvage. Marie but ses paroles, ainsi que l’absinthe, exactement comme il l’avait indiqué.

    Léon resservit Marie à plusieurs reprises. À peine avait-elle temps de vider son verre qu’il le remplissait à nouveau. Elle sentit l’ivresse la gagner aussi sûrement qu’une fièvre impromptue. Léon, au contraire, semblait se contrôler à la perfection. Ils s’amusèrent. Marie riait de bon cœur, et de plus en plus bruyamment. À un moment, Léon se leva, et Marie le suivit. Elle salua l’homme derrière le bar, mais Léon sortit sans lui adresser un regard, en l’ignorant superbement. Il sembla à Marie qu’il n’avait pas réglé la bouteille d’Absinthe ; ce détail l’intrigua, mais elle se dit qu’après tout, ils avaient peut-être leurs petits arrangements…

    Ils repartirent en direction de la De Dion-Bouton, que Léon démarra sans aucune difficulté, mais en se fendant d’un commentaire laconique :

    — J’ai dû menacer le garagiste de le rosser si jamais elle me laissait à nouveau en rade.

    Candide et éméchée, Marie lui sourit. Il la dévisagea, assise, et de couleur crème vêtue, sur les sièges rouges de sa voiture blanche :

    — Vous êtes assorties à merveille.

    Elle le regarda en retour, les yeux pleins d’émerveillement et d’amour :

    — Toi aussi, mon Léon.

    — Moi, je n’ai pour seule ambition que d’être assorti à toi.

    Il parlait si bien… Elle se sentit fondre.

    Léon prit le volant et Marie jeta un dernier coup d’œil aux ruines de l’abbaye, qu’elle trouvait resplendissantes.

    Léon la ramena à Charleroi, en roulant brusquement, et trop rapidement, de l’avis de Marie. Plusieurs fois, elle eut à se cramponner dans les virages de Marchienne. Il sembla s’en amuser. Le retour parut beaucoup plus rapide que l’aller. L’après-midi était néanmoins bien avancée quand ils parvinrent à la Ville-Basse. Léon se gara rue Léopold, à proximité du passage de la Bourse. Ils descendirent de la voiture simultanément. Les effets de l’Absinthe subsistaient. Marie savourait son ivresse et suivit Léon. À l’entrée de la rue du Collège, ils dépassèrent les ganteries Samdam, et Léon emmena sa compagne à l’Hôtel de l’Europe. Marie le suivit sans oser l’interroger, jusqu’au deuxième étage, en direction d’une chambre confortable. Et lorsqu’il se jeta sur elle avec l’appétit d’un loup affamé, elle répondit à ses ardeurs sans protester.

    Son corset disparut, ses bottines neuves se déboutonnèrent comme par enchantement, et ses jupons s’envolèrent littéralement. Léon, nu, l’investit promptement, longuement, et recommença à plusieurs reprises. Marie craignit que ses cris puissent s’entendre dans les chambres voisines, mais sans toutefois pouvoir les réfréner.

    Éreintée par l’étreinte et terrassée par l’Absinthe, elle s’endormit, en nage, dans les bras de Léon, et lorsqu’elle se réveilla, elle était seule dans le lit. Debout, toujours nu, Léon choisissait un autre costume trois-pièces, de teinte sombre, dans la penderie. Cela signifiait accessoirement qu’il avait élu résidence à l’hôtel. Il fit alors quelque chose qu’elle n’avait jamais vu aucun homme faire auparavant. Il se parfuma. Elle ne put dissimuler sa surprise.

    — Tu te parfumes ?

    Il haussa les sourcils, comme s’il s’agissait d’une évidence, ou comme si la remarque de Marie était d’une indécrottable stupidité. Il lui tendit le flacon, qu’elle détailla. Mouchoir de Monsieur, de Guerlain.

    — Cela vient de sortir, c’est parisien.

    — Tu sens bon.

    — Je sais !

    — Tu m’emmèneras, un jour, à Paris ?

    — Oui.

    Elle aurait aimé qu’il clame sa promesse avec davantage de conviction, mais elle s’en montra toutefois satisfaite.

    Léon ouvrit un tiroir et en sortit un paquet. Marie en reconnut l’emballage. Cela venait des Dames de Namur, l’une des plus belles boutiques de prêt-à-porter féminin de la Ville Basse. Ses yeux s’émerveillèrent et elle lutta pour ne pas demander naïvement à Léon si c’était pour elle.

    Elle déballa le paquet et découvrit des gants. D’une absolue perfection. Des gants de chevreau. Ils avaient dû coûter une fortune. Elle en fut émue aux larmes. Ils étaient trop beaux.

    Elle se jeta dans les bras de Léon. Elle embrassa son torse nu, parfumé, et lorsqu’elle sentit les mains de son homme se poser sur ses épaules et les presser fermement, elle comprit ce à quoi il songeait. Seigneur ! Elle n’avait jamais fait ça. Elle s’agenouilla et goûta son sexe du bout des lèvres. Elle aimait cet homme. Pour lui, elle se sentait capable de renverser des montagnes.

    Quand ils sortirent de l’hôtel, il faisait nuit. Ils se saluèrent pudiquement. Léon devait se rendre à une « réunion d’affaires ». Quant à Marie, elle était toute proche du Bathory, au-dessus duquel elle louait une chambre. Elle remonta la rue du Commerce, et tourna à droite. Elle se retrouva immédiatement rue de Marchienne. Elle tenait ses gants chéris dans une main, et fouilla dans sa pochette à la recherche de sa clé.

    La Bathory possédait deux entrées. L’une, principale, pour le public, et une seconde, sous un porche, sur la droite de sa façade, qui servait d’accès aux loges et aux meublés des étages supérieurs. Marie, Joseph et Sidonie y louaient chacun une chambre.

    Perdue dans les réminiscences de son enchanteresse journée, Marie ne vit pas le clochard qui s’était réfugié sous le porche. Elle se cogna contre lui et sursauta, prise d’un effroi qui lui était jusqu’alors inconnu.

    C’était un homme de très haute taille, grand comme jamais Marie n’en avait vu. Il mesurait près de deux mètres. Il était vêtu de guenilles, mais sa stature le rendait impressionnant. Tout de ses traits, de ses lèvres charnues à ses cheveux frisés jusqu’à son nez épaté rappelait la morphologie des hommes de la colonie congolaise. À un détail notable près, qui le rendait terrifiant. Sa peau était blanche comme le lait, ses lèvres étaient grises, et ses cheveux, argentés, étaient ceux d’un vieillard. Ses prunelles étaient claires. Il sourit d’un air vorace et sauvage, sans mot dire. Marie recula à nouveau. Elle était glacée. L’homme quitta le porche, en la fixant intensément d’un regard inexpressif et pourtant dément. Marie baissa les yeux. Elle attendit, puis regarda l’homme s’éloigner par la rue de Beaumont et disparaître, en direction de la prison. Elle tremblait. Elle trouva la serrure avec difficulté, entra à l’intérieur du bâtiment, et ferma la porte à double tour derrière elle.

    IV

    Les grilles étaient tirées. Le personnel était absent. Les premières clientes n’arriveraient que deux heures plus tard. Le magasin était à elle seule. Dans toutes les acceptations du terme.

    Yvonne prépara le corset soigneusement. Elle glissa dans la poche intérieure un busc en métal, gravé de quelques vers de Louise Labé, qu’elle relut, mélancolique, puisqu’il lui appartenait…

    Baise m’encor, rebaise-moi et baise ;

    Donne m’en un de tes plus savoureux,

    Donne m’en un de tes plus amoureux :

    Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.

    Elle ajusta ensuite le corset à la perfection, ajouta des bottines, et, surtout, une débauche de dentelles de Bruges, envoûtantes de finesse. Elle recula, et admira son chef-d’œuvre. Le buste était droit, le buste était fin. La poitrine pigeonnait insolemment, et la cambrure des reins, fatale, semblait parfaite.

    Yvonne Van Vaerenberg habillait elle-même ses mannequins. C’était son art, son plaisir, sa fierté. Elle n’aurait délégué pareille mission à aucun de ses vendeurs. Elle se targuait d’avoir les plus beaux mannequins de Charleroi.

    Quand son père avait fondé « Les Dames de Namur », trente ans plus tôt, il avait calqué son modèle sur celui des frères Thiéry, dont l’enseigne « À la ville de Verviers » connaissait un joli succès. Il avait ainsi décidé d’afficher les prix, pour rompre avec le marchandage qui avait cours jusque-là. Il avait également veillé à ce que l’entrée du magasin soit libre, de telle sorte que les clients pussent admirer à volonté les marchandises, sans aucune obligation d’achat. L’enseigne prospéra jusqu’à ce qu’il décède inopinément en même temps que le dix-neuvième siècle, trois ans plus tôt. Lorsqu’Yvonne manifesta, pour le moins vivement, son désir de faire perdurer cette enseigne carolorégienne dévolue à la mode féminine, elle fit les gorges chaudes de toute la bourgeoisie du Pays Noir.

    Aux yeux de la Société, il était difficilement concevable qu’une femme puisse gérer un commerce, même microscopique. Dès lors, que fallait-il penser de l’entêtement d’Yvonne, obnubilée par sa volonté de garder les rênes de ce magasin de belles proportions ? D’ailleurs, ses voisins ne lui feraient, à ce sujet, aucun cadeau ! Au pied de la Montagne, « La ville de Verviers » continuait à afficher son opulence, tandis qu’à côté des « Dames de Namur », rue de Montignies, une autre enseigne des frères Thiéry, « À la Vierge Noire », habillait avec beaucoup de succès les hommes, les jeunes gens, et même les garçonnets, ainsi que le proclamait leur publicité. Et déjà, une nouvelle génération de magasins à l’appétit d’ogre voyait le jour. Il se disait par exemple que l’Innovation, fondé trois ans plus tôt, face à la Sambre, avait pour ambition de dévorer les enseignes voisines et de s’emparer ainsi de tout le pâté de maisons. C’était une utopie !

    Contre toute attente, Yvonne Van Vaerenberg avait remporté son pari haut la main… Elle gérait sa boutique de main de maître ! Elle régnait sur son personnel ! Elle était adulée par sa clientèle ! Accessoirement, Yvonne possédait les plus beaux bustes de Charleroi, habillés de la plus délicieuse des manières…

    Elle examina pour la dernière fois, d’un regard sévère allié à un sens de l’autocritique pointilleux, chaque détail de son mannequin, depuis son pied en métal doré, jusqu’au haut en bois tourné qui dominait les épaules. Il lui restait suffisamment de temps avant l’arrivée des premiers employés. Elle patienterait encore quelques minutes avant d’ouvrir les grilles. Elle se réfugia dans le bureau. Elle s’assit sur le siège de son père. Factuellement, ce siège était devenu le sien, mais dans son cœur, c’était toujours celui de son père. Elle songea qu’elle n’avait même pas pris le temps d’ouvrir le courrier de la veille. Il était urgent de remédier à cette lacune.

    Parmi plusieurs missives, elle discerna immédiatement une petite enveloppe lilas, sans pour autant deviner si cette couleur était plutôt joyeuse ou d’un

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