Veuf depuis deux ans, Joseph Magnolle, céréalier à Aigrefeuille, dirigeait l’exploitation familiale avec son fils, Paul. De bonnes parcelles de terre, des récoltes abondantes et une notoriété indiscutable, faisaient des Magnolle des gens privilégiés et appréciés. De prime abord tout allait plutôt bien chez eux. Seulement voilà, il y avait Sophie, la fille de Joseph ! Depuis des mois, Joseph se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire de cette fille orgueilleuse, fière et prétentieuse, qui refusait littéralement le travail au champ mais aussi tous les autres petits travaux quotidiens constituant l’ordinaire des jours dans une grande demeure. Décidément, elle n’avait rien en commun avec les filles de la campagne. D’ailleurs, dans le pays, on médisait.
– Une fainéante, voilà ce qu’elle est ! propageait Jeanne Pralin, la sœur de Joseph, mariée à un agriculteur qui possédait lui aussi une importante exploitation.
– Par ta faute, dit Joseph un soir à sa fille, je fais l’objet de toutes sortes de moqueries dans le pays. J’ai l’air de quoi, moi ?
– C’est encore la Pralin qui colporte sur notre compte. La sorcière !
– Elle te fait passer pour une mauvaise fille aux yeux de toute la contrée.
– Parce qu’elle ne comprend pas que je puisse envisager une autre vie que celle de travailler la terre. Elle oublie que les femmes aussi ont un cerveau.
Depuis la mort de sa mère, Sophie se complaisait dans une sorte d’oisiveté au grand désespoir de son père. Elle passait des heures à lire Le Petit Journal de Cholet dans lequel elle découvrait les afféteries parisiennes, la vie citadine et la mode.
– Moi aussi je voudrais ressembler à ces dames, dit-elle un soir, pendant le souper. Son frère Paul pouffa, le nez dans la soupe. Joseph, lui, dépassé, dit simplement :
– Pendant qu’on mange, on ne parle pas !
C’est un jour de juillet que Joseph prit la décision d’envoyer Sophie chez sa cousine, à Angers. Un jour où