Le Faux Coupon
Par León Tolstói
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À propos de ce livre électronique
Deux lycéens, pour payer une dette, commettent un faux. Passant de main en main, celui-ci va semer le malheur mais aussi la rédemption. En montrant l'enchaînement terrible des actes humains et de leurs conséquences, Tolstoï donne à son récit l'intemporalité des paraboles bibliques.
Traduction et préface de Pierre Skorov, 2009.
EXTRAIT
Fiodor Mikhaïlovitch Smokovnikov, président de la Cour des comptes, homme qui tirait une fierté particulière de son incorruptible honnêteté, libéral austère, non seulement libre penseur, mais haïssant toute manifestation dévotieuse qu’il considérait comme un reste de superstition, était rentré de son bureau de fort méchante humeur. Le gouverneur de la province lui avait envoyé une note stupide, et qui pouvait laisser supposer que Fiodor Mikhaïlovitch avait agi malhonnêtement. Fiodor Mikhaïlovitch en fut piqué au plus vif et écrivit aussitôt une réponse énergique et venimeuse.
À la maison, il paraissait à Fiodor Mikhaïlovitch que chacun cherchait à le contrarier.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Léon Tolstoï, nom francisé de Lev Nikolaïevitch Tolstoï, né le 28 août 1828 à Iasnaïa Poliana et mort le 7 novembre 1910 à Astapovo, en Russie, est un écrivain célèbre surtout pour ses romans et nouvelles qui dépeignent la vie du peuple russe à l'époque des tsars, mais aussi pour ses essais, dans lesquels il prenait position par rapport aux pouvoirs civils et ecclésiastiques et voulait mettre en lumière les grands enjeux de la civilisation.
León Tolstói
<p><b>Lev Nikoláievich Tolstoi</b> nació en 1828, en Yásnaia Poliana, en la región de Tula, de una familia aristócrata. En 1844 empezó Derecho y Lenguas Orientales en la universidad de Kazán, pero dejó los estudios y llevó una vida algo disipada en Moscú y San Petersburgo.</p><p> En 1851 se enroló con su hermano mayor en un regimiento de artillería en el Cáucaso. En 1852 publicó <i>Infancia</i>, el primero de los textos autobiográficos que, seguido de <i>Adolescencia</i> (1854) y <i>Juventud</i> (1857), le hicieron famoso, así como sus recuerdos de la guerra de Crimea, de corte realista y antibelicista, <i>Relatos de Sevastópol</i> (1855-1856). La fama, sin embargo, le disgustó y, después de un viaje por Europa en 1857, decidió instalarse en Yásnaia Poliana, donde fundó una escuela para hijos de campesinos. El éxito de su monumental novela <i>Guerra y paz</i> (1865-1869) y de <i>Anna Karénina</i> (1873-1878; ALBA CLÁSICA MAIOR, núm. XLVII, y ALBA MINUS, núm. 31), dos hitos de la literatura universal, no alivió una profunda crisis espiritual, de la que dio cuenta en <i>Mi confesión</i> (1878-1882), donde prácticamente abjuró del arte literario y propugnó un modo de vida basado en el Evangelio, la castidad, el trabajo manual y la renuncia a la violencia. A partir de entonces el grueso de su obra lo compondrían fábulas y cuentos de orientación popular, tratados morales y ensayos como <i>Qué es el arte</i> (1898) y algunas obras de teatro como <i>El poder de las tinieblas</i> (1886) y <i>El cadáver viviente</i> (1900); su única novela de esa época fue <i>Resurrección</i> (1899), escrita para recaudar fondos para la secta pacifista de los dujobori (guerreros del alma).</p><p> Una extensa colección de sus <i>Relatos</i> ha sido publicada en esta misma colección (ALBA CLÁSICA MAIOR, núm. XXXIII). En 1901 fue excomulgado por la Iglesia Ortodoxa. Murió en 1910, rumbo a un monasterio, en la estación de tren de Astápovo.</p>
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Aperçu du livre
Le Faux Coupon - León Tolstói
(1670-1680)
PRÉFACE
Le comte Léon Tolstoï, l’un des plus illustres écrivains du monde et figure emblématique de la littérature russe, naît en 1828 dans le domaine familial de Iasnaia Poliana. Dans sa Confession (1882), l’écrivain distingue quatre étapes majeures de sa vie. Après une enfance et une adolescence heureuses, Tolstoï entre dans l’armée et combat à Sébastopol pendant la guerre de Crimée. En 1862 il se marie, se retire à Iasnaia Poliana et se consacre à sa famille, à la gestion de ses propriétés et à l’écriture. Ses œuvres les plus célèbres, Guerre et Paix (1869) et Anna Karénine (1877), sont écrites durant cette période. La dernière période de sa vie est marquée par une recherche de plus en plus fervente de la vérité, qui s’accompagne d’une aspiration au dénuement, d’une reconsidération radicale des traditions esthétiques, d’une remise en question de la religion orthodoxe officielle qui entraîne son excommunication en 1901. C’est pendant cette période que Tolstoï écrit La Mort d’Ivan Ilitch (1886), La Sonate à Kreutzer (1891), Résurrection (1899), mais aussi des traités philosophiques : Ce en quoi je crois (1884), Le Royaume de Dieu est en vous (1894), Qu’est-ce que l’Art ? (1897).
Autant que sa vie, l’art de Tolstoï est marqué par un profond conflit entre sa nature sensuelle et une aspiration incessante vers le perfectionnement spirituel, entre son génie artistique et la recherche rationnelle du sens. Comme l’écrit Dmitrii Méréjkovskii, critique, historien et philosophe russe du début du XXe siècle, « Tourguéniev est enivré par la beauté, Dostoïévskii par la souffrance humaine, et Tolstoï par la soif de vérité. (...) La réalité qu’ils décrivent s’en trouve affectée, comme les contours d’un objet que reflète une surface ondoyante1. » Vers la fin de sa vie, l’œuvre de Tolstoï devient ainsi de plus en plus conditionnée par ses préoccupations philosophiques et éthiques.
La majeure partie du Faux Coupon est écrite entre 1902 et 1904, peu avant la mort de l’écrivain en 1910. Le contenu moral de cette parabole prime indubitablement sur sa forme. Trois idées centrales se distinguent, auxquelles les différentes lignes du récit servent d’illustration.
L’enchaînement saccadé des épisodes montre avec une exactitude presque mathématique que la moindre des fautes est susceptible d’engendrer massacres et souffrances. Il n’y a donc pas d’acte humain qui soit insignifiant ; l’homme est responsable pour le moindre de ses actes et pour toutes les conséquences qui en découlent jusqu’à la fin des temps.
La raison humaine est pourtant incapable de prévoir et de considérer la multitude infinie de conséquences qu’engendre chaque action. Une vie juste, illustrée par plusieurs personnages du récit, consiste à suivre les préceptes de l’Évangile et à pratiquer l’amour intuitif du prochain sans chercher à donner un fondement rationnel à sa foi.
Enfin, « tendre la seconde joue » apparaît dans Le Faux Coupon comme l’unique moyen d’endiguer le Mal. C’est en effet par la vengeance et le châtiment que le Mal se propage en s’amplifiant. Le récit montre que seul le refus passif du Mal, et non une lutte active, est capable d’absorber l’onde sismique du Mal et d’y mettre une fin.
Ce schéma philosophique est exposé dans un style sec et rugueux, souvent négligé, qui favorise la force didactique au détriment du réalisme et de l’agrément stylistique. Le récit s’interrompt brusquement ; certains passages sont répétitifs, d’autres contradictoires. Ceci est en partie dû à la nature inachevée de ce texte sur lequel Tolstoï a travaillé par intermittence. Ce style contribue pourtant directement à l’objectif du récit : il focalise l’attention du lecteur sur son contenu éthique. L’une des caractéristiques les plus frappantes de ce style est la contraction du temps narratif. Nabokov affirme très justement que le temps dans les romans de Tolstoï est remarquablement proche du lecteur : il s’écoule à l’allure de sa montre et c’est ce qui rend l’univers de Guerre et Paix ou d’Anna Karénine si familier et la narration si absorbante2. Le Faux Coupon suscite une perception du temps très différente. Les descriptions autant que les dialogues sont subordonnés à une logique non pas de narration, mais de démonstration. Comme dans une parabole biblique, le temps est en même temps condensé et inexistant.
Ce récit révèle les thèmes qui préoccupaient particulièrement Tolstoï vers la fin de sa vie. Il offre par ailleurs l’exemple d’un style singulier, en rupture avec les chefs-d’œuvre universellement connus de l’écrivain et même avec d’autres récits de la même période. C’est là son intérêt historiographique. Dans un contexte plus large, le laconisme et la densité du Faux Coupon, une construction en brefs tableaux juxtaposés, une rupture abrupte du récit (que l’on peut légitimement supposer voulue par l’écrivain), préfigurent la littérature moderniste de l’entre-deux-guerres, et font du Faux Coupon une expérimentation stylistique originale. D’un point de vue éthique, ce récit demeure d’une actualité aussi permanente que n’importe laquelle des paraboles de la Bible.
Pierre SKOROV
1. D. Méréjkovskii, L. Tolstoï i Dostoïévskii. Vetchnyé spoutniki, (Moscou: Respoublika, 1995), pp. 466-67. (Trad. du russe P. Skorov)
2. V. Nabokov, Lektsii po Russkoi literature (Moscou, Nezavisimaia Gazeta, 1996), p. 225.
PREMIÈRE PARTIE
I
Fiodor Mikhaïlovitch Smokovnikov, président de la Cour des comptes, homme qui tirait une fierté particulière de son incorruptible honnêteté, libéral austère, non seulement libre penseur, mais haïssant toute manifestation dévotieuse qu’il considérait comme un reste de superstition, était rentré de son bureau de fort méchante humeur. Le gouverneur de la province lui avait envoyé une note stupide, et qui pouvait laisser supposer que Fiodor Mikhaïlovitch avait agi malhonnêtement. Fiodor Mikhaïlovitch en fut piqué au plus vif et écrivit aussitôt une réponse énergique et venimeuse.
À la maison, il paraissait à Fiodor Mikhaïlovitch que chacun cherchait à le contrarier.
Il était cinq heures moins cinq. Il pensait que le dîner serait servi tout de suite, mais le dîner n’était pas prêt. Fiodor Mikhaïlovitch claqua la porte et s’en alla dans sa chambre. Quelqu’un frappa. « Qui diable est-ce encore ? » pense-t-il et cria :
— Qui est là ?
Dans la chambre entra un garçon de quinze ans, le fils de Fiodor Mikhaïlovitch, élève de cinquième du lycée.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— C’est aujourd’hui le premier du mois.
— Quoi ? L’argent ?
Il était établi que, le premier de chaque mois, le père donnait à son fils trois roubles d’argent de poche. Fiodor Mikhaïlovitch fronça les sourcils, tira son portefeuille, y chercha, en sortit un coupon de deux roubles cinquante ; puis prit son porte-monnaie et compta encore cinquante kopeks, en petite monnaie. Le fils se taisait et ne prenait pas l’argent.
— S’il te plaît, Papa, donne moi une avance.
— Comment ?
— Je ne te l’aurais pas demandé, mais j’ai emprunté sur parole d’honneur, j’ai promis de rembourser. En honnête homme, je ne puis pas... Il me faudrait encore trois roubles... Je t’assure que je ne t’en demanderai plus... Je ne demanderai plus... Je veux dire, ce n’est pas que je ne t’en demanderai plus, mais simplement... s’il te plaît, Papa.
— Je t’ai dit...
— Mais, Papa... une seule fois...
— Tu reçois trois roubles par mois, et ce n’est toujours pas assez... À ton âge, je ne recevais pas même cinquante kopeks.
— Maintenant tous mes camarades ont beaucoup plus. Petrov, Ivanitski reçoivent cinquante roubles.
— Et moi je te dis que cette conduite-là est digne d’un fripon. J’ai dit.
— Eh bien quoi, vous avez dit. Vous ne vous mettez pas dans ma situation, et moi je suis obligé d’agir comme lâche. Cela ne vous fait rien, à vous.
— Dehors, garnement ! Ouste !
Fiodor Mikhaïlovitch bondit et se jeta vers son fils.
— Dehors ! C’est le fouet que vous méritez.
Le fils prit peur et s’offensa, mais le ressentiment l’emporta sur l’effroi, et, tête baissée, il marcha rapidement vers la porte. Fiodor Mikhaïlovitch n’avait pas voulu