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Riazan-la-pomme
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Livre électronique115 pages1 heure

Riazan-la-pomme

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À propos de ce livre électronique

« J’écris, je termine une nouvelle, qui s’appellera ou « La ville de Rostchislavl » ou « Riazan-la-pomme » : c’est une nouvelle sur l’été 1921, sur la famine, sur les milliers de gens qui se traînent à travers la Russie depuis la Volga — pour mourir —, sur nos diableries campagnardes, sur le Kremlin, la révolution. »

Traduction de Maurice Parijanine, révisée, annotée et préfacée par Michel Niqueux, 2016. Illustrations de Boris Grigoriev.

EXTRAIT

Le « trakt », ou grand’route, est vieux ; on l’appelle : le « trakt » d’Astrakhan. À Riazan, dans la rue d’Astrakhan, à Kolomna, dans la rue d’Astrakhan, aux hôtelleries des Gavrilov, des Gromov, il y a quarante ans, on cloua, condamna les fenêtres, quand le vieux « trakt » d’Astrakhan fut mangé par la voie ferrée de Kazan. À Kolomna, de la barrière surmontée d’aigles à la barrière surmontée d’étoiles, il y a deux verstes et demie24 — en verstes de Kolomna : fougueux étaient les postillons. Le « trakt » n’est même pas bordé de saules blancs, et ce n’est pas, en somme, celui d’Astrakhan ; — mais il a étendu son geste, il s’est couché sur tout le cours de la Volga. De Riazan à Kolomna, — vers Moscou, — le « trakt » s’est étendu sur le cours de l’Oka.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Boris Andreïevitch Pilniak (Mojaïsk, 11 octobre 1894 - Moscou, 21 avril 1938) est un écrivain russe. Auteur critique à l'égard de la mécanisation et de l'urbanisation de l'URSS, il a écrit plusieurs romans dont le cadre est la Révolution de 1917. Cet esprit critique, comme la richesse et la complexité de son écriture, lui ont valu d'être progressivement mis au ban des écrivains soviétiques et, pour finir, d'être victime des Grandes Purges de 1937.
LangueFrançais
Date de sortie23 mai 2018
ISBN9782371240728
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    Riazan-la-pomme - Boris Pilniak

    (1886-1939)

    Préface

    Les mots sont pour moi ce qu’est une monnaie pour un numismate...

    En juillet 1921, Pilniak écrivait à Gorki :

    « J’écris, je termine une nouvelle, qui s’appellera ou « La ville de Rostchislavl » ou « Riazan-la-pomme » : c’est une nouvelle sur l’été 1921, sur la famine, sur les milliers de gens qui se traînent à travers la Russie depuis la Volga — pour mourir —, sur nos diableries campagnardes, sur le Kremlin, la révolution1. »

    « Mon récit sera prêt dans une semaine ; il s’appelle Riazan-la-pomme. Tous mes Ivan et Maria2, Année nue3, Portes4 sont des enfantillages par rapport à lui. J’écris les manches retroussées, la ceinture resserrée. — Et c’est pourquoi je souhaite en tirer un quadrillon5. Ne savez-vous pas où le vendre, où l’on paie6 ? »

    Que par rapport à son nouveau récit, Riazan-la-pomme, Boris Pilniak considère L’année nue (1921), qui l’avait rendu célèbre, comme enfantillage ou mignardise (il emploie le mot allemand de Knicks, « petite révérence » des jeunes filles), suffirait à justifier que l’on sorte de l’oubli ce récit, paru en russe à Berlin en 1922, jamais réédité, et dont la traduction française (1923-1924) est restée confinée dans une revue.

    Riazan-la-pomme peut être considéré comme l’antithèse de L’année nue : après l’an 1919, voici l’année 1921 : aux tempêtes de neige, symboles de l’ouragan révolutionnaire, ont succédé la canicule, la sécheresse, la famine qui décime la Russie centrale et méridionale et chasse les habitants vers le Nord. On retrouve les personnages pilniakiens : communistes, aristocrates déchus, paysans, juifs (un sioniste et un communiste), mais l’atmosphère a changé : avec la NEP (Nouvelle politique économique), qui libéralisait un peu l’économie, les paysans considèrent que « la révolution est finie » et regardent de travers les communistes réunis dans une « Commune du Travail » où personne ne travaille : elle est dirigée par trois frères (Mérinov, — le Hongre), « déshabitués du travail de moujik » pour avoir vécu en ville, qui ne sèment ni ne récoltent. Au lieu de la commune d’anarchistes et des bolcheviks romantisés de L’année nue, on a ici une commune de fainéants, débauchés et dépravés, qui fait le commerce des femmes et qui va se transformer en repaire de sectataires (les anciennes sectes russes, rationalistes ou mystiques, connurent de fait un essor après la révolution). Eléna, la fille d’anciens propriétaires, se donne au « nouveau dieu », Egor (Iagor) Komynine, un ancien chef de police rurale. Un ci-devant prince retourne dans son domaine. La ville même de Riazan, comparée à une grosse paysanne (baba), et dont le surnom « la pomme » vient des pommes vendues dans les rues de Moscou, est décrite comme un personnage obscène. La révolution a dégénéré, Pilniak n’a plus de révérence pour elle (c’est sans doute le sens du mot Knicks qu’il emploie ci-dessus). Le dérèglement de la nature et des saisons, avec la sècheresse et les incendies de forêts, renforce cette impression de déliquescence et de fin des temps (une vieille parle de l’avènement de l’Antéchrist). La révolution bolchevique, que Pilniak considérait dans L’année nue comme un phénomène purement et profondément russe, lié à toute une tradition de jacqueries et de sectes utopiques, comme un retour aux sources nationales d’avant l’« occidentaliste » Pierre-le-Grand, apparaît ici comme ayant conduit à l’ensauvagement. C’est la fin du romantisme révolutionnaire.

    Comme dans L’année nue, il n’y a pas d’intrigue suivie : Pilniak juxtapose, entremêle scènes et périodes historiques, en les accompagnant de leitmotive ou de sortes de refrains7 : le heurt de l’ancien et du nouveau, le déchaînement des instincts humains ou des forces de la nature ne pouvait être rendu par la prose classique « coulante » et bien peignée. La révolution stylistique moderniste est du reste antérieure à la révolution politique, Pilniak a subi l’influence d’André Biély et d’Alexis Rémizov qui avaient déjà déconstruit et reconstruit le réel à la manière cubiste, désarticulé la syntaxe et mis l’accent sur « le mot en tant que tel » : mots rares ou anciens, abréviations, onomatopées, allitérations : « La canicule fait comme j... j..., et la poussière comme ch... ch... » Les couplets satiriques ou humoristiques (tchastouchki, traduit par « dictons »), création populaire féminine par excellence, peignent en quatre vers la dissolution des mœurs. Seul est éternel le cycle de la nature : « À chaque printemps fleurissent les pommiers, et ils fleuriront tant que la terre sera terre. »

    Pilniak n’est pas un historien, mais un peintre de mœurs et un témoin. Il écrit in situ : il habite alors à Kolomna, dans une maison en bois, près d’une église « de toute beauté, monument de mystique et d’ancienne culture », entre Moscou et Riazan, — ancienne capitale d’une principauté fondée au XIe siècle, plus ancienne que celle de Moscou, à près de 200 km au sud-est de Moscou. Quelques passages de lettres de Pilniak à Gorki de l’été 1921, qui seront cités en notes, permettent de voir comment un fait réel, rapporté dans une lettre, est utilisé dans le récit. Pilniak n’invente pas : il assemble, sans ordre préconçu, les matériaux bruts qu’il a sous les yeux. C’est là sa conception de l’objectivité, qui distingue le « compagnon de route » de l’écrivain engagé pour ou contre le nouveau régime :

    Je ne suis pas communiste, et c’est pourquoi je ne considère pas que je doive être communiste et écrire comme un communiste ; je reconnais que le pouvoir communiste en Russie est défini non par la volonté des communistes mais par les destinées historique de la Russie, et dans la mesure où je veux suivre (à ma manière et comme ma conscience et mon esprit me le dictent) ces destins russes et historiques, je suis avec eux (à présent, en ces jours, peut-être plus que jamais, car mon chemin n’est pas celui des philistins ; je reconnais que les destinées du Parti communiste de la Russie ont pour moi bien moins d’intérêt que celles de la Russie, le Parti communiste n’est pour moi qu’un maillon dans l’histoire de la Russie ; je sais que je dois être absolument objectif, n’apporter de l’eau au moulin de personne, ne bourrer le crâne à personne ; j’avoue que j’ai peut-êre tort en tout, mais je suis persuadé que je ne sais, ne puis ni pourrai écrire autrement que j’écris8.

    Mais que l’on compare le tableau donné par un manuel d’histoire récent :

    En 1913, dans la province de Riazan, on ensemençait 1 460 000 dessiatines9, en 1920 — 1 050 000. Pour la moisson, le rendement qui était de 57 pouds par dessiatine en 1900 tomba à 27 pouds en 1920. Le cheptel diminua de moitié. En 1916, il y avait dans la province 405 000 chevaux, en 1921, il en restait 200 000. Les instruments agricoles s’usèrent et devinrent hors d’usage. Du fait d’un emblavement insuffisant en blé de printemps et de la sècheresse de 1920, la province de Riazan souffrit de la disette. Les besoins annuels en grain de la province s’élevaient à 10 millions de pouds, alors que les réquisitions n’en fournirent que 3 900 000 pouds, ce qui ne permettait de satisfaire que 30% des besoins. L’aide du centre permit de porter ce chiffre à 50 %. Pour tenir jusqu’à la récolte suivante, il fallut diminuer les normes d’approvisionnement de la population de 25 à 50 %10.

    ... et celui de Pilniak : la supériorité (artistique) de la littérature sur l’exposé historique est patente :

    En ces années là [...] dates et délais étaient brouillés. Il n’y avait pas de villes, bourgs ou villages où il n’y eût de soulèvements, de révoltes et de guerres ; en ces années-là, personne ne mourait de mort naturelle, de vieillesse, dans son lit : la mort se présentait dans les exécutions, le typhus, les mutilations, la famine, l’anthropophagie, — les gens mouraient le dos au mur, sur les traverses de voies ferrées, dans les wagons à bestiaux, dans les ravins. —

    — En ces années-là (selon les calculs de Nepomniachtchi), il naquit, grandit et mourut en Russie neuf millions de pouds11 de poux, qui tuèrent près d’un million de personnes : en Russie, on désapprit à lire les chiffres, tant ils étaient astronomiques, — neuf millions de pouds de poux, si c’était du seigle, auraient suffi à nourrir la région de Kolomna pendant un an selon les normes du Commissariat du peuple à l’approvisionnement. En ces années-là, on naissait comme on

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