Le Magnificat: Commentaire
Par Martin Luther
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À propos de ce livre électronique
Écrit à une des époques les plus tourmentées de la vie de Luther, ce commentaire du Magnificat (paroles de Marie à sa cousine Élisabeth) est précieux à plusieurs titres. Il permet d’abord une initiation globale et pourtant profonde à la vie et à la pensée du réformateur. Luther se situe dans ce texte non seulement par rapport à la mariologie de son époque mais aussi par rapport au pouvoir temporel et spirituel. Dans ce Magnificat de Martin Luther on découvre aussi toute une part de la sensibilité protestante. Mais c’est avant tout une très originale et très pure vision de Marie qui nous est donnée : celle qui chante la grandeur de Dieu. Une introduction nous aide à mieux saisir la portée et la profonde valeur spirituelle de ce document.
Dans ce texte d’importance œcuménique et historique, Luther nous dévoile sa vision de Marie : un regard pur et original à la fois.
EXTRAIT
Le commentaire luthérien du Cantique de Marie a été rédigé à l’une des époques les plus sombres et les
plus tourmentées de la vie du Réformateur. Commencé en novembre 1520 – cinq mois après la proclamation de la bulle Exsurge Domine qui menaçait
Luther d’excommunication – le travail fut bientôt interrompu par le voyage du Réformateur à Worms où il devait comparaître devant la diète qui allait le mettre au ban de l’Empire. Luther dut attendre sa retraite forcée à la Wartbourg pour pouvoir achever l’œuvre et pour en diriger, de loin, l’impression qui fut, selon toute vraisemblance, terminée fin août ou début septembre 1521.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Martin Luther (1483-1546) est à l’origine de la Réforme. Docteur en théologie, il s’oppose à la doctrine scolastique traditionnelle sur plusieurs points. En 1517, il se fait connaître du grand public par 95 thèses dirigées contre les indulgences. Le conflit ainsi déclenché porte surtout sur la question de l’autorité dans l’Église. Luther est excommunié en 1521 et se voit conduit avec ses partisans, à son corps défendant, vers une Église séparée de Rome. Son influence a été considérable jusqu’à nos jours. Depuis le milieu du XXe siècle, l’Église catholique elle-même a commencé à reconsidérer son rôle et sa pensée.
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Aperçu du livre
Le Magnificat - Martin Luther
PRÉSENTATION
de
David Olivier
L’Évangile de Marie
On n’aime pas certains discours trop entendus sur Marie. Luther s’intéresse au discours de Marie, ce que Marie dit dans le Magnificat. Il comprend ce cantique comme l’Évangile de Marie. L’Évangile présenté non par Jésus, mais par Marie. Telle est l’idée de son commentaire. Cet écrit, qui n’a pas son pareil dans la littérature chrétienne, est un enseignement sur l’Évangile, sur le Magnificat en tant que « comprimé » de l’Évangile. En quelque sorte, le Notre Père de Marie.
Luther ne connaît pas les scrupules de l’exégète d’aujourd’hui : le Magnificat n’est-il qu’une composition littéraire mise par l’évangéliste sur les lèvres de la Mère de Dieu ? Un Luther ne méprise pas, bien au contraire, la science exégétique. Mais il admet l’image que Luc a voulu donner de Marie, en faisant d’elle le premier poète, le premier docteur de l’Évangile.
Cette confiance dans le texte tel qu’il nous est donné correspond chez Luther à la certitude intrépide que l’Évangile n’est pas resté lettre morte. La venue de Jésus a trouvé l’accueil qu’elle méritait, et Luther est de ceux qui voient en Marie la première réussite, la réussite suprême de l’Évangile.
Il s’est montré sévère à l’égard de la tradition mariale dans le catholicisme. Après lui, le protestantisme a cessé de se vouloir de ces générations qui disent Marie bienheureuse (cf. Luc 1,48 : j’ai entendu cette remarque faite publiquement par un des maîtres vénérés du luthéranisme français). Pourtant, ce n’était pas à Marie que Luther en voulait, mais à une piété et à une théologie qui ne voyaient que les « grandeurs » de Marie et ne sentaient pas l’Évangile de Marie.
Le Magnificat dit la grandeur de Dieu. Luther comprend bien Marie. Il fait valoir, dans l’esprit du Magnificat, qu’« il vaut mieux diminuer exagérément Marie plutôt que la grâce de Dieu ».
Cette formule paraît excessive, dénuée de sens : Marie « pleine de grâce » n’est-elle pas la figure même de la plénitude de la grâce ? Mais Luther suit l’inspiration de l’Évangile.
Dès le premier paragraphe de son commentaire, qui évoque si joliment l’expérience que Marie a faite personnellement sous l’action du Saint-Esprit, il dit à quoi il ramène l’Évangile. La « précieuse science et sagesse » de Marie est de comprendre que « Dieu est un Seigneur qui a pour unique occupation d’élever ce qui est bas et d’abaisser ce qui est élevé ». Le Magnificat apparaît à Luther moins comme le chant de la grandeur de Dieu, et encore moins de la grandeur de Marie, de son humilité, de sa virginité, que comme la proclamation centrale de l’Évangile : devant Dieu, il n’est aucune grandeur qui tienne.
Exalter Marie a toujours quelque chose d’un contresens. L’Évangile ne le fait pas, ou si discrètement ! Marie est aussi grande que l’a dit la foi chrétienne. Mais ce n’est pas cela qui est la Révélation de l’Évangile. Aux vues humaines, au sentiment éprouvé devant celle qui est en vérité la Mère de Dieu, il faut vouloir préférer la lettre même de l’Écriture, qui coupe court à toute emphase. L’Écriture est donnée pour notre instruction, dit saint Paul (Rm 15,4), et ce que nous avons besoin de savoir (et aussi ce qui est dit dans le Magnificat), c’est que Dieu n’accorde aucun prix à la grandeur. Jésus restera parmi les petits, il aura la mort d’un pauvre hère. Marie est choisie parmi les filles que personne ne remarque. Elle commence par poser à Joseph le difficile problème de sa réputation de jeune fille, ne serait-ce qu’aux yeux de l’entourage.
Luther trouve visiblement plaisir à souligner la petitesse de Marie, « si humble, si peu considérée, si pauvre et si méprisée ». C’est là en effet que commence l’histoire de Marie, c’est de là que naît son chant. Dieu s’est penché sur une petite fille, et plus elle est petite et plus le chant peut se déployer à l’infini.
« Marie indique par le mot Magnificat quel va être le contenu de son cantique, à savoir les hauts faits et les grandes œuvres de Dieu, propres à fortifier notre foi, à consoler tous les humbles et à effrayer tous les grands de la terre. C’est ce triple usage et bénéfice que nous devons reconnaître comme étant le but de ce cantique, car la Vierge ne l’a pas chanté seulement pour elle, mais pour nous tous, afin de nous entraîner à le chanter à sa suite. »
On ne saurait mieux dire. Le lecteur familier des écrits de Luther reconnaît sans peine ici l’expression réussie de ce que Luther dit ailleurs avec un bonheur parfois inégal. À l’une des heures les plus sombres de sa vie, il a trouvé en Marie, la Marie de l’Écriture, non celle de la piété, l’expression même de ce qu’il vivait, la prédilection de Dieu pour les sans-pouvoir, le choix des moyens insignifiants pour tenir en échec les puissants. Le moine condamné en 1521 par le pape, puis par l’empereur, avait humainement perdu la partie. Mais ce qu’il portait en lui, la Parole de Dieu, viendrait quand même au monde, sous la forme du protestantisme, en attendant d’être un jour, que nous espérons proche, Évangile pour toute l’Église.
Luther ne manque pas de mettre en relief le titre de Marie : Mère de Dieu. Dans la perspective de l’Évangile, ce titre a pour lui une saveur spéciale. L’Évangile dénonce le mensonge de toute confusion entre Dieu et l’homme. Ce fut le péché d’Adam : « Vous serez comme des dieux » (Gn 3,5). Le Tentateur, le « séducteur du monde entier » (Ap 12,9), père du mensonge, avait lui aussi voulu être « comme Dieu ». Il s’était heurté à l’archange Michel, dont le nom signifie : qui est comme Dieu ? Marie est « sans péché » d’abord en ce sens. Pour le montrer, on trouve rarement aussi bien que le commentaire de Luther, car on y voit tout du long Marie absolument vide de toute prétention. On peut la dire Mère de Dieu, car elle seule, en dépit de ce titre unique, ne porte jamais la main sur le divin. C’est ce que n’avait pas compris Nestorius, qui refusait la maternité divine de Marie, et Luther le condamne précisément pour cela lorsqu’il étudie le concile d’Éphèse dans un écrit ultérieur.
Marie Mère de Dieu annonce plus grand qu’elle : le Dieu devenu homme en elle. Avec son Fils, « Fils de Dieu et de Marie », comme le dit encore Luther, le monde apprend le mensonge de toute prétention humaine à s’élever jusqu’à Dieu en se parant des prestiges de l’absolu. Car la vérité, la vérité de toujours, c’est que Dieu vient à nous, non pour conquérir et dominer, mais pour se donner et servir. C’est là aussi la vérité de l’homme. Il n’est divin que lorsqu’il renonce à asservir Dieu, les hommes et la nature aux multiples ambitions et à la cupidité humaines. C’est alors que l’homme devient, en Dieu, amour, esprit et liberté.
L’Église du Christ a souvent péché pour avoir rendu un culte déplacé à la grandeur, alors que son rôle est d’ouvrir aux hommes les yeux sur le peu de cas que Dieu fait de toute grandeur. L’homme est plus grand que sa grandeur. En s’attaquant à la grandeur, l’Évangile cherche à sauver l’homme de ses aliénations, et d’abord en son propre cœur. L’Église ne devrait jamais égarer les esprits dans les mensonges de la grandeur. Rien ne nous est plus vital que la dure vérité sur Dieu et sur l’homme, la vérité apparue dans le Fils de Marie, Dieu et homme « sans confusion ni mélange ».
Miracle de Marie ! Le Magnificat nous ouvre son cœur, et Luther, à chaque pas de son commentaire, découvre dans le chant de la servante du Seigneur la pureté totale dont sa vision de l’Évangile lui a révélé la promesse. Le chant de la servante fait écho au chant du Serviteur. Dans toutes les strophes du Magnificat, Marie ne fait pas la moindre concession aux idées de grandeur, parfaite et pure disciple de celui qui va naître d’elle.
Luther se montre fasciné par le Magnificat, fasciné par Marie, navré des platitudes que l’on se permet à son sujet et qui la dépouillent de sa vraie gloire, celle de messagère de l’Évangile. Mère de Dieu parce qu’elle s’est rendue totalement à l’appel de mettre au monde l’Évangile. Avant même la naissance de Jésus, elle a déjà tout compris, elle sait déjà tout dire. Le sens infaillible de l’Église a fait du Magnificat une liturgie quotidienne. La méditation du commentaire de Luther apprend à faire chaque jour de ce chant de vêpres un éblouissement, un choc toujours neuf, l’expérience de ressaisir en quelques mots simples la totalité de ce qui nous fait disciples du Christ. Luther enseigne l’usage du Magnificat, pain quotidien du cœur.
Il montre bien que le cantique de la Vierge nous éduque à vivre comme Marie sous le regard de Dieu. Marie chante le regard jeté par le Seigneur sur sa servante. Ce regard doit se substituer à notre regard. Nous ne voyons jamais les choses comme Dieu. Toute splendeur nous captive, mais Dieu n’a de regard que pour l’humilité, – et Luther précise : « une humilité qui n’est même pas consciente d’elle-même ». Il ne trouve de ce point de vue aucune duplicité, aucune feinte, en Marie la toute pure, la « Vierge pure et droite ». Droiture donnée à qui devient transparent au regard de Dieu. Pour le dire avec Marie, dans les termes de Luther, « ce n’est pas son néant qu’il faut louer, mais le regard de Dieu ».
Daniel OLIVIER
Le 26 janvier 1983
PRÉSENTATION
de
Sœur Évangéline
Au portail nord de la cathédrale de Chartres, une femme médite l’Écriture. Le Livre fermé sur ses genoux, elle se recueille : elle invoque l’Esprit. Elle ouvre ensuite le Livre et après avoir lu, le referme. Tout entière en elle-même et en Dieu dont elle savoure l’enseignement reçu, elle prie puis contemple. Telle est, depuis Guigues le Chartreux et son Échelle des Claustriers, la démarche la plus pure et la plus fiable pour qui cherche Dieu. Avec Luther, regardons maintenant Marie chantant son Magnificat :
« La bienheureuse Vierge Marie parle après avoir fait une expérience personnelle dans laquelle le Saint-Esprit l’a illuminée et enseignée. Car personne ne peut bien comprendre Dieu et la Parole de Dieu, si cela ne lui est pas donné sans intermédiaire par le Saint-Esprit […].
« Elle apprend ainsi une précieuse science et sagesse : que Dieu est un Seigneur qui a pour unique occupation d’élever ce qui est bas et d’abaisser ce qui est élevé […]
« Alors ses paroles jaillissent d’un amour brûlant et d’une joie débordante. C’est comme si elle disait : "Ma vie et tout mon être planent dans l’amour