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Thomas More, au risque de la conscience: Biographie de l'écrivain anglais
Thomas More, au risque de la conscience: Biographie de l'écrivain anglais
Thomas More, au risque de la conscience: Biographie de l'écrivain anglais
Livre électronique442 pages4 heures

Thomas More, au risque de la conscience: Biographie de l'écrivain anglais

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À propos de ce livre électronique

Retour sur la vie étonnante d'un écrivain et homme politique du 16e siècle mort pour la défense de ses valeurs.

« Je meurs, bon serviteur du roi, et de Dieu premièrement. » Pourquoi ces quelques mots prononcés par Thomas More, devant le peuple de Londres qui assistait à sa décapitation le 6 juillet 1535, résonnent-ils toujours cinq cents ans plus tard ? Thomas more, au risque de la conscience, nouvelle biographie, particulièrement riche en réflexions et en documents, montre que cet homme, avec ses parts d’ombre et de lumière, dans une époque aux bouleversements considérables, pleine de similitudes avec la nôtre, est un témoin de grande valeur pour notre temps.
Chancelier, c’est-à-dire Premier Ministre, de Henry VIII, Thomas More refusa, au nom de sa conscience, d’approuver les choix totalitaires de ce dernier. C’est pourquoi la vie de cet ami d’Érasme et des humanistes de la Renaissance interpelle vigoureusement ceux qui s’interrogent sur des sujets aussi essentiels que le travail, l’amour, l’éducation, la justice, le bien et le mal, la conscience, Dieu... Par sa vie, achevée avec le martyre, et sa pensée, connue à travers ses écrits dont la célèbre Utopie, Thomas More, père de famille, avocat, juge, écrivain, diplomate, homme d’État, peut aider, avec son humour inaltérable, l’homme du XXIe siècle à se remettre en question et à se construire.

Dans un récit passionnant, Jacques Mulliez nous dévoile une personnalité complexe, parfois paradoxale.

EXTRAIT

Beaucoup de légendes ont été répandues sur la naissance de Thomas More, son enfance et sa jeunesse, mais comme elles ne résultent d’aucune source historique fiable, nous en resterons à ce qui est suffisamment établi par les faits.

Thomas More naît au cœur de Londres le 7 février 1478. Ses ancêtres maternels sont d’origine commerçante, boulanger et brasseur londoniens. Son père, John, a déjà progressé dans l’échelle sociale en devenant avocat, puis juge, achevant une brillante carrière comme juge au tribunal appelé le Banc du Roi, King’s Bench. On ne sait quasiment rien de sa mère, Agnès, si ce n’est son nom de jeune fille, Graunger. C’est une famille d’honnête bourgeoisie, comme on disait alors. Le père d’Agnès, Thomas Graunger, est, lui aussi, un homme de loi, juge, puis avocat. Les parents de More se marient en 1474. Thomas naît quatre ans plus tard. Il est le frère d’une première fille, Joan. Il sera suivi de trois autres enfants, Agatha, John et Élizabeth.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Il faut remercier Jacques Mulliez de nous donner un récit très vivant qui permet à chacun de connaître presque familièrement un saint, déclaré patron des hommes politiques par JP II, qui a beaucoup à nous apprendre aujourd'hui. - Jean-François Rod, La Croix

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Mulliez est un ancien dirigeant d’entreprise, ancien Président des EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) d’Ile de France. Engagé au sein de l’association Internationale des Amici Thomae Mori et de celle des Amis d’Etty Hillesum.
LangueFrançais
Date de sortie15 févr. 2018
ISBN9782853139878
Thomas More, au risque de la conscience: Biographie de l'écrivain anglais

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    Aperçu du livre

    Thomas More, au risque de la conscience - Jacques Mulliez

    Couv_Thomas_More.jpg

    Jacques Mulliez

    Thomas More

    (1478-1535)

    Au risque de la conscience

    dessins de Tipi

    (Valentine del Moral)

    préface de Matthieu Rougé

    récit

    nouvelle cité

    Composition : Pauline Wallet

    Couverture : Laure d’Amécourt

    Illustration de couverture :

    p. 1, Bas-relief de Jean-Marc de Pas, basilique Sainte-Clotilde, Paris – © photo Michel Levassort

    © Nouvelle Cité 2013, pour l'édition papier

    © Nouvelle Cité 2015, pour l'édition électronique

    Domaine d’Arny 91680 Bruyères-le-Châtel

    ISBN édition papier : 978-2-85313-694-5

    ISBN édition numérique : 978-2-85313-987-8

    Du même auteur Aux mêmes éditions

    Prier 15 jours avec Thomas More, 2010

    Sommaire

    Préface

    Introduction – Renaissance et XXIe siècle, des similitudes

    Chapitre 1

    Une enfance à la fin du Moyen âge

    Chapitre 2

    1494-1501 – Les Belles-Lettres ou le Droit Première rencontre avec Érasme

    Chapitre 3

    1501-1514 – Le monastère ou le mariage ? Juriste, humaniste et parlementaire

    Chapitre 4

    1515-1518 – Premiers pas dans la vie publique et célébrité littéraire

    Chapitre 5

    1518-1520 – Service du roi et vie familiale

    Chapitre 6

    1521-1523 – Défenseur du roi Henry VIII contre les attaques de Luther

    Chapitre 7

    1523-1528 – Amitiés, prospérité, renommée et… Nuages

    Chapitre 8

    1529-1532 – De la gloire au renoncement librement décidé

    Chapitre 9

    mai 1532-avril 1534 – Les jours sombres

    Chapitre 10

    17 avril 1534-30 juin 1535 –Emprisonnement, liberté intérieure, élévation spirituelle

    Chapitre 11

    1er au 6 juillet 1535 – La primauté de la conscience

    Chapitre 12

    De 1535 à nos jours – Survie intellectuelle et spirituelle

    Conclusion

    Pour aller plus loin avec Thomas More, les essentiels (en français)

    Annexe 1

    Repères généalogiques

    Annexe 2

    Morceaux choisis d’humour morien

    Annexe 3

    Écrits spirituels de Thomas More, prisonnier à la Tour de Londres

    Annexe 4

    Dossier du Procès de canonisation de 1935

    Annexe 5

    Bibliographie

    Dans la même collection

    Fin

    C’est ici un livre de bonne foi, Lecteur.

    Il t’avertit dès l’entrée,

    que je ne m’y suis proposé aucune fin,

    que domestique et privée.

    Je n’ai eu nulle considération

    de ton service, ni de ma gloire :

    mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein.

    Je l’ai voué à la commodité particulière

    de mes parents et amis.

    (Montaigne, L’auteur au lecteur, Essais)

    Ce livre est dédié à Céliane Mulliez, mon épouse,

    qui a rejoint le 18 octobre 2012

    son ancêtre direct, saint Thomas More,

    pendant l’impression de cette biographie

    qui a pu bénéficier de ses conseils

    et de sa relecture attentive.

    Suivant l’exemple de Montaigne,

    je dédie cette biographie

    à mes parents et amis,

    Alain, Carole, Céliane (†), Éliane,

    Francine, Germain, Henri,

    la discrète M.-J., Serge et Thérèse,

    partenaires attentifs et exigeants,

    grâce auxquels ce livre a pu voir le jour.

    Une mention particulière s’impose

    pour Carole Mulliez-Le Louarne

    enseignante agrégée d’anglais

    en classe préparatoire

    au Lycée Saint-Louis à Paris,

    et pour Serge Antès, agrégé de lettres,

    maître de conférences de latin

    à l’Université de Picardie d’Amiens

    qui ont réalisé des traductions françaises

    inédites d’écrits de Thomas More.

    Au début de cet ouvrage, je tiens à remercier mon éditeur.

    Il me permet une fois encore de partager

    ce que j’ai découvert au fil des années,

    dans la vie et les écrits de Thomas More,

    avec celles et ceux qui sont en recherche pratique

    de nourritures intellectuelles et spirituelles vivifiantes.

    Préface

    Le Bienheureux et bien-aimé pape Jean-Paul II a fait un beau cadeau aux responsables politiques, et à ceux qu’ils ont à servir, en leur donnant saint Thomas More comme modèle et intercesseur privilégié.

    Il s’agit d’un martyr – ce qui met d’emblée le service politique sous le signe du courage – mais d’un martyr bien parti­cu­lier. Car Thomas More n’est pas mort en défendant directement la divinité du Christ ou sa présence dans l’eucharistie, mais en restant fidèle au discernement intime de sa conscience. C’est ce que Jean-Paul II a voulu mettre en lumière dès le début de sa proclamation du 31 octobre 2000 : « De la vie et du martyre de saint Thomas More se dégage un message qui traverse les siècles et qui parle aux hommes de tout temps de la dignité inaliénable de la conscience, dans laquelle, comme le rappelle le concile Vatican II, réside le centre le plus secret de l’homme et le sanctuaire où il est seul avec Dieu dont la voix se fait entendre dans ce lieu le plus intime (Gaudium et spes, n. 16). Quand l’homme et la femme écoutent le rappel de la vérité, la conscience oriente avec sûreté leurs actes vers le bien. C’est précisément pour son témoignage de la primauté de la vérité sur le pouvoir, rendu jusqu’à l’effusion du sang, que saint Thomas More est vénéré comme exemple permanent de cohérence morale. »

    « Martyr de la conscience », Thomas More manifeste d’une manière particulièrement adaptée à notre époque, si rétive à tous les conformismes, le creuset de la justesse et de la fécondité politiques. Encore faut-il bien percevoir que la conscience n’est pas le sentiment individuel immédiat mais plutôt la détermination intime à laquelle on ne peut parvenir que grâce à un long travail d’observation, de réflexion et de recherche intérieure. More n’est un « docteur de la conscience » que parce qu’il a été d’abord un homme d’amitié, de culture et de vie spirituelle. Le martyre de sa conscience a été l’expression ultime de la richesse, de la rectitude et de la profondeur de sa foi.

    C’est ce que le récit de Jacques Mulliez permet de découvrir de manière particulièrement vivante. La formation, la tournure d’esprit, la famille, la vie intellectuelle et spirituelle, la complexité et les interrogations, les amitiés, les engagements, les écrits de Thomas More sont présentés avec enthousiasme mais aussi avec précision, lucidité et finesse. Grâce à Jacques Mulliez et grâce à Thomas More, on découvre le monde foison­nant de l’humanisme chrétien, si souvent limité dans la culture générale ordinaire à la figure d’Érasme. La personnalité d’Henry VIII, dont on ne retient habituellement que le caractère brutal, apparaît complexe et même, à certains égards, attachante. Le chemin qui mène Thomas More au martyre n’est pas automatique ou rectiligne : il est le fruit de débats intérieurs, amicaux, familiaux menés avec persévérance et disponibilité aux lumières de Dieu.

    Parmi les aspects du parcours de Thomas More les plus féconds pour notre temps, il y a la recherche permanente de cohérence. Loin de l’opposition revendiquée entre vie publique et vie privée, loin de la distorsion entre éthique de conviction et éthique de responsabilité établie en postulat, More se présente, sans simplisme ni naïveté, comme l’apôtre d’une quête durable d’unité. Il la mène en dialogue avec les clercs, son ami et compagnon de martyre John Fisher en particulier, mais sans jamais rien abdiquer de sa responsabilité de baptisé engagé directement dans la gestion de la cité. De manière très significative, son ultime discernement porte sur la distinction entre autorités spirituelle et temporelle. Il n’est pas légitime que les clercs prétendent s’emparer de la seconde, mais le totalitarisme s’annonce dès que les princes veulent se saisir de la première.

    À une époque où le discernement des politiques est sollicité sur des sujets de plus en plus sensibles et où peut surgir la tentation de dépasser la responsabilité proprement politique en prétendant redéfinir la vie telle qu’elle nous est donnée, saint Thomas More est un compagnon singulièrement précieux pour ceux qui ont le beau courage de s’engager dans la cité. En ce cinquantième anniversaire du concile Vatican II, le saint patron des politiques est un témoin stimulant pour les baptisés soucieux d’aller jusqu’au bout de leurs responsabilités humaines et chrétiennes.

    P. Matthieu Rougé

    ancien directeur du Service Pastoral d’Études Politiques

    Thomas More, Sir Saint

    Introduction – Renaissance et XXIe siècle, des similitudes

    Une île utopique dans le crâne de… Thomas More.

    (Gravure de l’île d’Utopie, frontispice de l’édition originale de L’Utopie de 1516 dessiné par Gerald Geldenhauer)

    Thomas More a déconcerté son époque

    autant qu’il l’a éblouie et charmée…

    On continuera à faire des More-Torquemada,

    comme des More-Rabelais, des More-Machiavel,

    des More-Tartuffe, des More-Épicure,

    des More-Socrate ¹.

    Je meurs, bon serviteur du roi, et de Dieu premièrement. Pourquoi ces quelques mots prononcés par Thomas More, devant le peuple de Londres qui assistait à sa décapitation le 6 juillet 1535, résonnent-ils toujours cinq cents ans plus tard ?

    Depuis un demi-millénaire, Sir Thomas More est au cœur de milliers de pages écrites dans toutes les langues. Avec plus de trois mille ouvrages qui ont tenté de l’appréhender, tout n’a-t-il pas été dit ? Certes non, car la controverse entre ses fidèles et ses détracteurs n’a pas cessé. Sa vie, comme ses écrits, interpelle plus que jamais les hommes et les femmes de notre temps.

    Pourquoi ? Parce que Thomas More est témoin de ce qui donne sens à la vie pour ceux qui s’interrogent sur des sujets aussi essentiels que le travail, l’amour, l’éducation, la justice, le bien et le mal, la conscience, Dieu…

    Mais pourquoi écrire une énième biographie ? Parce que j’ai eu la chance de vivre, en particulier dans une période difficile de ma vie professionnelle, un « compagnonnage » étroit… commencé voici plus de trente ans, avec ce père de famille engagé dans la vie publique. Ce privilège m’a permis d’acquérir une connaissance intime de ses qualités mais sans occulter certaines de ses réactions qui, de nos jours, peuvent surprendre, voire heurter.

    Personnellement, je suis convaincu que Thomas More, homme ordinaire avec ses parts d’ombre et de lumière, est aussi un homme extraordinaire, comme le montre son rayonnement toujours aussi vivace. Sa vie, achevée par le martyre, motif de sa canonisation par l’Église catholique en 1935 ², et sa pensée connue par ses écrits, ses amis et ses biographes peuvent, je le crois, aider l’homme du xxie siècle à se remettre en question et à se construire. Les saints ne le sont pas de naissance, ils le deviennent.

    Il convient d’abord de rappeler quelques éléments historiques, trame des jours où vécut Thomas More. Passer ces faits sous silence conduirait inévitablement à porter des jugements anachroniques, donc erronés, bien que le xvie siècle européen puisse, dans beaucoup de domaines, être comparé au xxie siècle. Les bouleversements et les remises en cause de la société, la redistribution des richesses et des pouvoirs, les avancées scientifiques et technologiques nombreuses et majeures, une nouvelle approche du monde et de la planète reflètent ces similitudes.

    Thomas More (1478-1535) naît vingt-cinq ans après la chute de Constantinople et l’invention de l’imprimerie. Ces deux événements, bien que fort différents, sont reconnus comme le début des Temps Modernes. Même s’il est vrai que les mentalités du Moyen âge imprègnent encore les esprits, les promesses et les frémissements de la Renaissance sont en train d’éclore et de s’épanouir. Pic de la Mirandole (1463-1494), dont l’influence sur More fut importante, écrit en 1486 ce que d’aucuns considèrent comme le premier manifeste humaniste, le Discours sur la dignité de l’homme, Oratio de dignitate hominis, avec une définition de l’homme que Pic met dans la bouche de Dieu :

    Nous ne t’avons donné, ô Adam, ni domicile précis, ni physionomie propre, ni don spécial d’aucune sorte, pour que tu aies et possèdes à ton gré, selon tes vœux, le domicile, la physionomie et les dons que tu auras toi-même choisis. La nature fixée aux autres est contenue à l’intérieur de limites tracées d’avance par nous ; toi que ne contiennent d’étroits espaces d’aucune sorte, tu te la fixeras d’avance, à ta discrétion, au pouvoir de laquelle je t’ai mis.

    Je t’ai placé au centre du monde pour que, de là, tu sois mieux à même d’embrasser du regard tout ce qui est dans le monde. Nous ne t’avons fait céleste ni terrestre, immortel ni mortel, pour que, tel un sculpteur qui reçoit la charge et l’honneur de sculpter sa propre personne, tu te donnes, toi-même, la forme que tu auras préférée ³.

    Une telle définition de l’homme semble inspirée du début de l’évangile de saint Jean (ch.1, v.12) : À ceux qui croient en son nom, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu.

    Ce qui se passe dans le monde entre 1478 et 1535 illustre bien l’autonomie et la capacité d’initiative revendiquées pour l’homme par Pic de la Mirandole. En effet, si Christophe Colomb découvre l’Amérique, peu de temps après, Vasco de Gama ouvre la route des Indes en contournant le Cap de Bonne Espérance, franchi le premier par Bartoloméo Dias en 1488 ; Amerigo Vespucci arrive sur des terres inconnues, correspondant de nos jours à la Guyane et au Venezuela. Les échanges commerciaux se développent, provoquant des réactions parfois violentes avec ceux qui sont mis à l’écart, avec une progression forte de l’inactivité et de la criminalité, mais aussi de l’enrichissement des plus « habiles ». L’écart se creuse entre riches et pauvres. Les premiers, qu’il s’agisse de puissants laïcs, comme de membres du haut clergé, fascinés par le goût du pouvoir et de l’argent, accaparent les richesses à leur seul profit. Les autres, les faibles, sont réduits à une portion congrue. Ces abus et ces injustices seront dénoncés par Thomas More en 1516 dans sa célèbre Utopie (ill. p. 15), dont le cadre est inspiré par ces expéditions vers des terres inconnues.

    Dans le même temps, Léonard de Vinci, Botticelli, Michel-Ange, Raphaël, Dürer, et autres Titien… réalisent des chefs-d’œuvre qui continuent de nous émerveiller. Ronsard, du Bellay ou Camoëns écrivent leurs plus beaux vers. Rabelais crée une nouvelle écriture. Laurent Valla offre une approche différente de l’histoire. Nicolas Copernic ouvre le chemin des étoiles à Galilée.

    Dans le domaine politique, Jean Bodin, Savonarole et Machiavel préconisent des doctrines politiques audacieuses et parfois surprenantes.

    Les Alde, Gryphe, Bade, Estienne et autres Froben, célèbres imprimeurs et éditeurs, sont les « passeurs » des textes des anciens et des humanistes, dont se nourrira Thomas More, amoureux des belles-lettres. La diffusion rapide des idées ouvre de nouveaux horizons.

    Les trois rois dits « chrétiens », François 1er, Charles Quint et Henry VIII, guerroient sans cesse entre eux, au détriment de leurs peuples, avec un arbitrage intéressé de la papauté qui veut, elle aussi, renforcer son pouvoir temporel. On sait que Jules II, par ailleurs grand mécène pour de nombreux artistes, fut aussi un pape guerrier portant casque et cuirasse. Oubliant trop souvent leurs responsabilités évangéliques pastorales, pour vendre le paradis à coup d’indulgences, les pontifes romains, et leurs proches, ont parfois une conduite scandaleuse, comme un Alexandre VI Borgia (1492-1503). Elle provoque la légitime « protestation » du moine Luther (1483-1546). N’est-il pas étonnant que le sac de Rome en 1527, par des mercenaires luthériens, se soit réalisé sous l’autorité du très catholique Charles Quint ?

    L’autorité, incontestée jusqu’alors, de l’Église romaine est mise en question, ce qui marque fortement les esprits. Aussi la défense vigoureuse, mais lucide, de l’Église catholique par Thomas More sera-t-elle au cœur des écrits polémiques des quinze dernières années de sa vie. Dans le même temps l’Inqui­si­tion espagnole s’active avec ardeur, tandis que la conquête violente de nouveaux territoires s’accompagne du massacre des Indiens d’Amérique, malgré les réserves de quelques clercs isolés, comme Bartolomeo de Las Casas (1474-1566), lors de la controverse de Valladolid. Au cœur de ces débats : la conversion des Indiens au christianisme peut-elle ou non être imposée par la force ? Certains se posent même la question de savoir si les Indiens ont une âme. Respectueux de la dignité humaine, l’évêque Las Casas écrit : Il vaut mieux un Indien vivant qu’un baptisé mort ⁴.

    Les Juifs sont expulsés d’Espagne, puis du Portugal, pendant que les Turcs menacent l’Occident en anéantissant l’armée hongroise à Mohacs en 1526. Cette menace de l’invasion de l’Occident par les Turcs, présente dans tous les esprits, est le cadre de l’un des derniers ouvrages de More, Le Dialogue du Réconfort dans la Tribulation.

    En Angleterre, la Guerre des Deux-Roses entre les dynasties royales de Lancastre et d’York appauvrit le pays. L’arrivée des Tudor au pouvoir intervient en 1485 avec le roi Henry VII, après une usurpation du trône pendant deux ans par le dernier des York. Pour ce faire, celui-ci, devenu le roi Richard III, n’a, semble-t-il, pas hésité à faire occire ses rivaux, ses propres neveux. Ce même roi sera le sujet de deux histoires, l’une en latin, l’autre en anglais, de More, source d’inspiration pour Shakespeare dans son Richard III.

    Ces énormes bouleversements du xvie siècle, ici brièvement évoqués, peuvent aisément se comparer aux bouleversements vécus ces dernières décennies : grandes découvertes technologiques et scientifiques, révolution internet, guerres économiques et idéologiques ou de pouvoir, écart croissant des revenus, qu’il s’agisse des individus ou des pays et des continents, prolifération des sectes ou montée de l’indifférence religieuse, remise en cause des bases de la société traditionnelle avec les familles éclatées et recomposées, perte, mais aussi recherche de sens… notre xxie siècle est, comme l’Europe du xvie, le théâtre d’une révolution des esprits et des comportements.

    Pouvons-nous penser et espérer que l’exemple de Thomas More, personnage représentatif et original du xvie siècle, puisse contribuer à éclairer l’homme du xxie siècle, s’il accepte de s’interroger sur son comportement, ses attitudes, ses choix, face aux transformations profondes de la société, avec les opportunités qu’elle offre, mais aussi les dangers qu’elle recèle ?

    Notes


    (1) Germain M

    arc’hadour

    , L’Univers de Thomas More, chronologie critique de More, Érasme et leur époque (1477-1536), Vrin 1963, p. 33.

    (2) Voir annexe 4, Procès de canonisation de Thomas More, p. 347.

    (3) Louis V

    alcke

    et Roland G

    alibois

    , Le Périple intellectuel de Jean Pic de La Mirandole, suivi du Discours de la dignité de l’homme et du traité L’Être et l’Un (Publication du Centre d’études de la Renaissance de l’Université de Sherbrooke), Presses de l’Université Laval Sainte-Foy 1994, pp. 187-188.

    En 1976, le Professeur José de Pina Martins présente Pic de La Mirandole dans son Jean Pic de La Mirandole, un portrait inconnu de l’humaniste, Presses Universitaires de France, Paris 1976, p. 17 :

    Une jeunesse radieuse, une intelligence fulgurante, une mémoire prodigieuse, une curiosité universelle, un dévouement total à la vocation des lettres dans ce qu’elle a de plus noble : le service de l’humanité, une richesse dont il faisait peu de cas, la noblesse du sang mais moins haute que celle des idées, une singulière précocité, un enthousiasme sans égal pour l’étude des problèmes les plus élevés de la pensée théologique et philosophico-morale, le halo romantique d’une aventure d’amour où il faillit en perdre la vie, puis le renoncement au plaisir des sens pour ceux de la pensée, les persécutions subies pour les opinions qu’il défend, enfin l’oubli du monde pour se consacrer exclusivement aux biens spirituels.

    (4) Moreana (revue internationale bilingue créée en 1963 par l’association des Amici Thomae Mori) n ° 113, p. 86.

    Chapitre 1

    Une enfance à la fin du Moyen âge

    … crépitement des férules, sifflement de verges…

    Ce que tu ne sais pas,

    n’aie pas honte de le demander !

    Ne rougis pas d’apprendre quelque chose de quelqu’un,

    car les plus grands hommes n’en ont jamais rougi ¹.

    Beaucoup de légendes ont été répandues sur la naissance de Thomas More, son enfance et sa jeunesse, mais comme elles ne résultent d’aucune source historique fiable, nous en resterons à ce qui est suffisamment établi par les faits.

    Thomas More naît au cœur de Londres le 7 février 1478. Ses ancêtres maternels sont d’origine commerçante, boulanger et brasseur londoniens. Son père, John, a déjà progressé dans l’échelle sociale en devenant avocat, puis juge, achevant une brillante carrière comme juge au tribunal appelé le Banc du Roi, King’s Bench. On ne sait quasiment rien de sa mère, Agnès, si ce n’est son nom de jeune fille, Graunger. C’est une famille d’honnête bourgeoisie, comme on disait alors. Le père d’Agnès, Thomas Graunger, est, lui aussi, un homme de loi, juge, puis avocat. Les parents de More se marient en 1474. Thomas naît quatre ans plus tard. Il est le frère d’une première fille, Joan. Il sera suivi de trois autres enfants, Agatha, John et Élizabeth.

    Nous disposons de peu d’informations sur sa fratrie, en dehors du nom patronymique de ses beaux-frères, Richard Staverton et John Rastell. Ce qui peut nous intéresser concerne un fils de John Rastell, mari d’Élizabeth More. Ce fils, William, juriste lui aussi, publiera en 1557 la première édition des œuvres anglaises de Thomas More, avec quelques œuvres latines.

    Aucun écrit de More ne permet de savoir quels ont été ses rapports avec ses parents, pendant sa jeunesse, ni comment il les a vécus. De sa mère, nous savons qu’elle mourut lorsque Thomas était encore jeune. Chaque fois que, plus tard, il parlera de son père, ce sera toujours avec respect et affection. C’est par taquinerie qu’en 1529, il lui attribue cette boutade quelque peu péjorative sur les femmes :

    Qui se dispose au mariage a presque autant de chances de choisir une bonne épouse qu’un aveugle de tirer l’anguille d’un sac contenant sept serpents et une seule anguille ²!..

    Cette « loterie » du mariage n’empêche pas John More de se remarier trois fois, après la mort d’Agnès Graunger, sa première épouse ; nous ne savons pas s’il a pu trouver quatre anguilles… Là encore, nous n’avons pas d’informations sur les rapports de Thomas More avec ses belles-mères successives, à l’exception d’un écrit de 1519 :

    Rares sont les hommes qui s’entendent aussi bien avec leur mère que lui avec sa belle-mère : il en avait déjà connu deux qu’il chérit autant que sa propre mère. Son père vient de lui en donner une troisième : et More prend le ciel à témoin qu’il n’a jamais rien vu au monde de meilleur ³…

    Nous savons simplement que la quatrième, Alice, veuve de Sir John More, vit encore en 1533, trois ans après la mort de son mari.

    Vers sept ans, Thomas devient écolier à Saint Anthony School, l’école la plus réputée de la cité de Londres, voisine du domicile paternel. Quelles qu’aient été les similitudes, signalées dans l’introduction, entre l’époque de More et la nôtre, ce n’était certes pas le cas du système éducatif, alors fort différent de celui que nous connaissons.

    Ainsi, par exemple, à l’époque, le temps du jeu et des loisirs était considéré comme du temps gâché. Les jeux de Thomas devaient être ceux pratiqués par tous, cerceau, osselets, balle, colin-maillard, devinettes, toupie, etc. Peut-être aussi s’adonnait- il à quelques exercices physiques, mais rien n’est moins sûr. Clin d’œil à notre époque, un pédagogue contemporain de More, Thomas Elyot, cherche à développer les activités physiques et le sport, mais il condamne le foot balle [sic], wherein is nothinge but beastly furie and exstreme violence, le jeu de balle au pied dans lequel il n’y a rien d’autre qu’une fureur bestiale et une extrême violence ⁴. Sont prohibés les jeux de hasard qui dégradent la santé morale des enfants. Thomas More affirmera toujours sa désapprobation pour les jeux de dés, jeux de hasard par excellence.

    L’apprentissage du latin, véhicule même de l’enseignement, dans la première école de Thomas More montre le souci de son père de voir son fils faire de bonnes études. Cet apprentissage du latin est d’ailleurs étroitement associé à tous les temps de vie, y compris celui consacré aux « récréations » des enfants. Les nombreux ouvrages éducatifs parus à cette époque prônent tous l’obligation de connaître le latin. Non seulement les enfants doivent apprendre le latin, mais ils doivent le parler, s’exprimer dans cette langue dans tous les actes de leur vie quotidienne, y compris ceux qu’ils accomplissent en jouant. Un auteur flamand, Antoine Silvius, écrit même : Que personne ne parle le flameng [sic] sous peine de la verge ⁵.

    Mais l’enseignement principal est la rhétorique, l’art oratoire, suivant la méthode dite de la discussion, c’est-à-dire du dialogue contradictoire. Les élèves, assis par terre autour du maître, écrivent le texte latin dicté par le professeur. Chaque phrase est ensuite minutieusement décortiquée, puis expliquée et commentée. Chaque mot est analysé, chaque idée est développée. Les élèves apprennent l’art de la discussion, ce que les universitaires appellent une disputatio, et s’affrontent dans des joutes oratoires très appréciées.

    Les punitions corporelles font aussi partie intégrante de l’éducation, ce qui serait encore le cas aujourd’hui dans certaines écoles d’élite anglaises.

    Érasme ne supportait pas cette férule ⁶ tout autant physique que morale. Érasme (1469-1536), figure de proue de l’Humanisme, contribua fortement à la redécouverte des philosophes et moralistes de l’Antiquité et des Pères de l’Église. À partir de manuscrits anciens, il travailla à une traduction en latin du Nouveau Testament. Sa correspondance, de plus de trois mille cinq cents lettres recensées, avec tous les intellectuels, les personnages importants, clercs ou laïcs, de toute l’Europe, montre sa volonté d’insuffler les valeurs évangéliques et d’œuvrer en particulier en faveur de la paix entre les hommes et entre les peuples. Son rayonnement intellectuel et spirituel lui a valu d’être nommé le « Prince des humanistes ». Citer ici Érasme, c’est, en rappelant qu’il devint un des amis les plus intimes de Thomas More, donner une bonne idée de l’éducation reçue par ce dernier et de son ambiance, caractéristiques de la fin du Moyen âge, contre laquelle s’élèveront aussi des humanistes comme Montaigne et Juan-Luis Vivès.

    Érasme fait connaître sans détours son hostilité aux méthodes éducatives de son temps :

    … Nous ne voyons pas aujourd’hui d’individu assez taré, assez incapable, assez insignifiant pour ne pas être jugé par le commun des mortels aptes à diriger une école. Et croyant avoir trouvé une sorte de royauté, c’est merveille comme ces individus exercent leur violence sur un âge qu’il faudrait choyer par toutes les marques de douceur. On ne dirait pas que c’est une école, mais une salle de torture : on n’y entend que crépitement des férules, sifflement de verges (ill. tête de chapitre), cris et sanglots, menaces épouvantables. Qu’y apprendront-ils donc, ces enfants, sinon à haïr les études ⁷ ?

    Après une sévère critique du « bizutage », déjà pratiqué systé­ma­ti­quement et de manière assez sadique, Érasme se moque des Français :

    Personne après les Écossais, n’est plus prodigue de coups que les Français. Quand on leur en fait la remarque, ils ont coutume de répondre que cette nation ne peut s’amender qu’à force de coups ⁸.

    Érasme explique aussi les conséquences néfastes de tels agissements :

    … rien n’est plus nuisible que l’accoutumance aux coups : l’usage déréglé qui en est fait transforme une nature bien douée en un caractère intraitable, et celle qui est plus commune est réduite au désespoir… Que notre verge, à nous, soit une admonition libérale, parfois aussi quelque semonce, mais imprégnée de mansuétude et non d’amertume ⁹.

    Montaigne (1533-1592), bien que né plus d’un demi-siècle après Érasme, fera le même constat :

    … C’est [le collège] une vraie geôle de jeunesse captive. On la rend débauchée… Arrivez y sur le point de leur office, vous n’oyez que cris, et d’enfants suppliciés, et de maîtres enivrés de leur colère. Quelle manière, pour élever l’appétit envers leur leçon, à ces âmes tendres et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains armées de fouets ? Inique et pernicieuse forme ¹⁰.

    Dans son manuel sur La Civilité puérile, imprimé et réimprimé pendant des décennies, Érasme expose en préambule les objectifs de l’instruction :

    L’art d’instruire l’enfant consiste en plusieurs parties, dont la première et la principale est que l’esprit encore tendre reçoive les germes de la piété ; la seconde, qu’il s’adonne aux belles-lettres et s’en pénètre à fond ; la troisième, qu’il s’initie aux devoirs de la vie ; la quatrième, qu’il s’habitue de bonne heure aux règles de la civilité ¹¹.

    Le manuel lui-même ne traite que du dernier objectif, la civilité. Nous en citerons quelques exemples assez significatifs du langage « vert » d’une époque qui est celle de Rabelais.

    Sur l’habillement :

    … il ne faut se faire remarquer ni par le débraillé, ni par une élégance indiquant le faste et la mollesse. Un peu de négligence dans l’ajustement ne messied pas à la jeunesse, mais il ne faut pas pousser cela jusqu’à la malpropreté. Il y a des gens qui barbouillent de gouttes d’urine les bords de leurs chausses et de leurs pourpoints, ou qui portent sur leurs jabots, sur leurs manches, de sales incrustations, non de plâtre, mais de morve ou de crachats ¹²…

    Sur la tenue à table :

    Lécher ses doigts gras ou les essuyer sur ses habits est inconvenant ; il vaut mieux se servir de la nappe ou de sa serviette ¹³…

    Sur le comportement :

    Il ne sied pas à un enfant bien élevé d’agiter les bras, de gesticuler des doigts, de branler des pieds, bref, de parler moins avec sa langue qu’avec tout son corps ; c’est ce que l’on dit des tourterelles et des hochequeues ¹⁴.

    Ces opinions d’Érasme, comme celles des amis humanistes de More, en particulier Vivès, leur font écrire des traités d’éducation « modernes » où la psychologie, même si le mot n’est pas utilisé, fait son apparition.

    Arrêtons-nous quelques instants sur les préconisations de Juan-Luis Vivès ¹⁵ (1492-1540) exprimées dans ses neuf traités éducatifs, tous fort réputés. On sait qu’ils ont influencé les méthodes pédagogiques des jésuites : Ignace de Loyola, lui-même, se rendit plusieurs fois en visite à Bruges où demeurait Vivès.

    Vivès, homme marié comme More, a le souci de mobiliser, non seulement la famille, mais encore la société tout entière dans l’éducation des

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