Il n'y a pas que les shérifs qui portent une étoile: Roman d'apprentissage
Par Serge Rubin
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À propos de ce livre électronique
Été 42. Dans un Paris occupé par les Allemands, Jacques Poulain et Myriam Apfelbaum habitent le même immeuble, lui avec son père magicien, elle avec sa mère couturière. Âgés de onze ans, ils vivent, complices, dans l’insouciance de l’enfance. Mais lorsque la mère de Myriam est arrêtée et déportée, Jacques découvre brutalement que porter une étoile n’est pas un jeu en temps de guerre. Il se jure de protéger son amie coûte que coûte, jusqu’à se mettre lui-même en danger…
Commence alors un long périple pour les deux adolescents : ils se cachent dans un village au-delà de la ligne de démarcation. Myriam, aux yeux de tous, est devenue Marie Poulain, sœur jumelle de Jacques. Sur le point d’être découverts, Jacques et Myriam s’enfuient à nouveau, cette fois pour la zone d'occupation italienne. Mais le sort s’acharne sur les deux amis…
Roman d’apprentissage et d’exil, ce récit bouleversant d’une profonde amitié nous entraîne aux limites de l’imaginable. Avec Jacques, le lecteur fait face à la cruelle réalité qui détruit toute la fraîcheur de l’enfance. Serge Rubin aborde le thème sensible du sort des enfants sous l’Occupation avec finesse et douceur, sans édulcorer la dureté des faits. On sourit devant les jeux et les ruses de Jacques et Myriam, on pleure avec eux lorsqu’ils sont séparés de leurs parents, on tremble lorsqu’ils sont traqués par les Allemands…
Un livre prenant, palpitant, qui ne pourra laisser personne indifférent.
EXTRAIT
L’année de CM2 est terminée. L’été est magnifique. Un été aussi beau et aussi chaud que celui qui nous a jetés deux ans plus tôt sur les routes de l’exode, avant que l’Armistice1 ne soit signé. J’ai rendez-vous avec Myriam. C’est ma voisine de palier. Elle habite le même immeuble en briques rouges que moi. Une mince cloison sépare nos appartements. Le soir, j’entends le cliquetis régulier de la machine à coudre de sa mère. Elle est payée au nombre de pièces de vêtements assemblées. Elle est veuve désormais. Alors, elle pédale infatigablement sur sa vieille Singer pour gagner chichement l’argent du foyer. C’est un bruit rassurant qui m’aide à trouver le sommeil quand je suis seul dans l’appartement.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Serge Rubin est professeur en région parisienne et son premier public fut ses élèves à qui il raconta beaucoup d’histoires. Il n’y a pas que les shérifs qui portent une étoile est son premier roman.
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Aperçu du livre
Il n'y a pas que les shérifs qui portent une étoile - Serge Rubin
juifs.
ÉTÉ 1942
IL EST INTERDIT
DE PARLER AU CHAUFFEUR
CHAPITRE 1
16 JUILLET 1942
L’année de CM2 est terminée. L’été est magnifique. Un été aussi beau et aussi chaud que celui qui nous a jetés deux ans plus tôt sur les routes de l’exode, avant que l’Armistice¹ ne soit signé.
J’ai rendez-vous avec Myriam. C’est ma voisine de palier. Elle habite le même immeuble en briques rouges que moi. Une mince cloison sépare nos appartements. Le soir, j’entends le cliquetis régulier de la machine à coudre de sa mère. Elle est payée au nombre de pièces de vêtements assemblées. Elle est veuve désormais. Alors, elle pédale infatigablement sur sa vieille Singer pour gagner chichement l’argent du foyer. C’est un bruit rassurant qui m’aide à trouver le sommeil quand je suis seul dans l’appartement.
Je sais aussi que, si j’ai trop peur ou si je fais un cauchemar, je pourrai me réfugier chez mes voisines. Mon père me le répète plusieurs fois chaque soir avant de partir. Mais je n’y vais jamais, même quand je me réveille et qu’il n’y a plus d’électricité chez moi. Le courant est régulièrement coupé dans la ville, faute de charbon ou de mazout pour alimenter les centrales. L’obscurité est totale, ma frayeur aussi, mais je refuse de passer pour une poule mouillée aux yeux de Myriam. Je reste seul dans le noir à écouter travailler sa mère. Je pense qu’il ne doit pas être aisé de coudre à la lueur d’une chandelle.
Mon père, lui aussi, travaille le soir. Il s’habille élégamment pour sortir. Il porte bien le costume. Sur scène, il met une cape et un grand chapeau haut-de-forme. Il se produit dans plusieurs salles de spectacle. Il est magicien. Il rentre souvent très tard. Il dit que les affaires n’ont jamais aussi bien marché pour lui que depuis que nous avons perdu la guerre. C’est normal : tout le monde veut s’amuser pour oublier. Il a accroché une grande affiche en couleurs sur le mur de ma chambre : « MONSIEUR MAXO, LE PRINCE DE LA MAGIE,VOUS ÉMERVEILLERA PAR SES POUVOIRS SANS LIMITES. » Pourtant, les tours de passe-passe de mon père ont été impuissants à maintenir ma mère en vie après ma naissance. Parfois, je me dis que c’est un peu à cause de moi qu’elle est morte. C’est des bêtises. Je le sais, mais c’est plus fort que moi.
On frappe à ma porte.
Myriam a mis une jolie robe rouge qui met en valeur ses longues mèches bouclées de cheveux roux et ses yeux verts. Elle m’observe avec un sourire espiègle. Elle s’est mise sur son trente-et-un pour sortir avec moi : sa plus belle robe, ses socquettes blanches, les souliers vernis du dimanche. Elle lit sur mon visage admiratif le résultat de son petit effet.
Seule faute de goût : l’énorme étoile jaune bordée de noir qu’elle s’obstine à arborer sur la poitrine depuis un mois. Sa mère lui coud cette étoile sur tous ses vêtements, même sur sa ravissante robe rouge. Je ne comprends pas pourquoi. Après tout, c’est une fille.
La première fois que je l’avais vue avec cette étoile, je lui avais fait remarquer que les défenseurs de l’ordre sont tous des garçons. Et j’avais ajouté : « Il n’est même pas écrit Shérif sur ton étoile. » J’avais ensuite demandé à mon père de m’en fabriquer une. Il avait refusé sur un ton catégorique que je ne lui connaissais pas. Je m’étais résigné : « Tant pis ! Et d’ailleurs, beaucoup trop de gens portent cet insigne. » C’était devenu une mode que suivaient même les adultes. La mère de Myriam se promenait elle-même en pleine rue avec une étoile identique à celle de Myriam. Mais le jour où j’ai surpris la police française arrêter en pleine rue plusieurs « shérifs », j’ai compris quelle sorte d’étoile c’était. Alors, j’ai dit à Myriam de se méfier. C’est elle qui m’a rassuré :
— Ma mère est arrivée à Paris, il y a dix ans. Elle me portait dans son ventre. Elle est presque Française, maintenant. Moi, je suis née dans la capitale. J’ai la nationalité française. La France est le pays des droits de l’homme.
Et de conclure :
— En France, les « shérifs » n’ont rien à craindre…
Il y a cependant un tas de choses que les porteurs d’étoile n’ont pas le droit de faire : écouter la radio, aller à la piscine, au cinéma, à la bibliothèque municipale, au musée, faire du vélo, se promener au parc… La liste est interminable. Ça limite drôlement les endroits où je peux emmener Myriam.
Sa mère l’a autorisée à m’accompagner jusqu’à la place de la Nation. Je lui prends la main et nous dévalons joyeusement quatre à quatre l’escalier en bois. Nous passons devant l’appartement de la concierge. La porte vitrée de sa loge donne sur le vestibule de l’immeuble. Il est impossible d’entrer ou de sortir sans qu’elle soit au courant. La vieille chouette nous épie derrière ses rideaux. Madame Desmarets n’apprécie pas beaucoup nos deux familles. Celle de Myriam parce qu’elle est « shérif », et la mienne parce que mon père est un artiste. Une seule chose ferait son bonheur : nous voir déménager.
Dehors, la luminosité du soleil nous oblige à plisser les yeux malgré l’heure matinale. Cours de Vincennes, les arbres étalent généreusement leurs feuillages dans la canicule naissante. Je n’ai pas lâché la main de Myriam. Je désire l’emmener loin de ce monde peuplé d’uniformes vert-de-gris.
Il y a deux ans, mon père et moi, nous avons évacué la ville en même temps que les parents de Myriam. La capitale était menacée par l’avance des soldats ennemis qui envahissaient notre pays. Nous n’étions que des enfants insouciants. Les adultes fuyaient le long des routes, pas nous. On avait plutôt l’impression d’être en vacances avec un mois d’avance ou, même mieux, de faire l’école buissonnière. La campagne était en fleur. Nous marchions entre les champs de blé. La récolte s’annonçait prometteuse. Quand, subitement, un moteur d’avion vint déchirer la quiétude d’un ciel sans nuages. On entendit presque aussitôt le fracas des tirs de mitraillette suivi de la vision horrible de l’impact des balles sur la foule paniquée. Ce jour-là, Myriam perdit son père. Il avait eu la malchance d’être dans la ligne de mire d’un soldat dont la mission était de répandre la terreur sur la population civile.
Aujourd’hui, il y a peu de circulation sur la chaussée pavée. Les vélos ont remplacé les voitures, qui n’ont plus de carburant. Même les véhicules équipés au gazogène² se font rares. Le charbon devient aussi précieux que l’essence. On entend le chant des oiseaux aussi distinctement qu’en pleine nature.
Mais cette atmosphère champêtre est bientôt couverte par le grondement sourd d’un convoi venant de la place de la Nation. Plusieurs autobus vides descendent le cours de Vincennes en direction du 20e arrondissement de Paris. Ils forment une impressionnante caravane. Des cars de police les escortent.
— Tu as vu, Jacques ? Regarde leur destination et le numéro de leur ligne. Normalement, ces autobus-là ne passent pas par ici et… pourquoi est-ce qu’ils se suivent ?
— Ils vont peut-être au dépôt…
— Pas tous en même temps ! Il se passe quelque chose d’anormal qui me met mal à l’aise. Et puis, cela n’explique pas la présence des cars de police. J’ai même cru voir des uniformes à l’intérieur des bus.
Inconsciemment, Myriam a plaqué la paume de sa main ouverte sur son étoile jaune pour la dissimuler. Mais son étoile est tellement grande que les six branches dépassent de sa main.