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La proscription en droit
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Livre électronique375 pages4 heures

La proscription en droit

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À propos de ce livre électronique

Le XXIe siècle se caractérise par la peur de son voisin. Il peut être terroriste, criminel, enfant turbulent de 13 ans ou même être un étranger ordinaire en quête d’accueil sur un territoire. Ce voisin fait peur. Or la peur, quand elle devient un phénomène politique, peut motiver différentes réactions. Dans nos sociétés modernes, la réaction privilégiée est le fichage, prélude à des mesures d’exclusion : exclusion de la vie politique, exclusion sociétale, voire même élimination physique. Il s’agit d’une forme renouvelée de proscription. La proscription est un thème récurrent du droit. La mise à l’écart d’un individu pour des raisons qui peuvent tenir à la sécurité, une certaine conception de la Nation ou encore la religion, est une pratique régulière de l’histoire du droit et des institutions.

Les présents travaux se proposent de rechercher la cohérence d’ensemble des pratiques contemporaines de la proscription ; celle-ci pourrait être appréhendée comme le révélateur juridique d’une certaine peur, caractéristique de nos sociétés. Seront ici abordés tant les fondements théoriques et historiques de la proscription, que les techniques dans l’ordre interne ou sa dimension dans la sphère internationale.

L’ouvrage est une réflexion générale sur les modes de proscription dans le droit, thème inédit dans la doctrine juridique et politiste. Il touchera donc tout à la fois les étudiants, les chercheurs et des praticiens du droit, confrontés à ces thématiques.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie12 juin 2013
ISBN9782802741312
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    Aperçu du livre

    La proscription en droit - Sébastien Botreau Bonneterre

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe De Boeck.

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    ISBN : 978-2-8027-4131-2

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    PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

    1. Classer les droits de l’homme, sous la direction de Emmanuelle Bribosia et Ludovic Hennebel, 2004.

    2. La société civile et ses droits, sous la direction de Benoît Frydman, 2004.

    3. L’auditoire universel dans l’argumentation juridique, par George C. Christie. Traduit de l’anglais (américain) et présenté par Guy Haarscher, 2005.

    4. Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, par Benoît Frydman, 3e édition, 2011.

    5. Philosophie de l’impôt, sous la direction de Thomas Berns, Jean-Claude Dupont, Mikhaïl Xifaras, 2006.

    6. Responsabilités des entreprises et corégulation, par Thomas Berns, Pierre-François Docquir, Benoît Frydman, Ludovic Hennebel et Gregory Lewkowicz, 2006.

    7. Dire le droit, faire justice, par François Ost, 2007.

    8. Généalogie des savoirs juridiques contemporains. Le carrefour des lumières, sous la direction de Mikhaël Xifaras, 2007.

    9. La vertu souveraine, par R. Dworkin. Traduit de l’anglais (américain) et présenté par Jean-Fabien Spitz.

    10. Juger les droits de l’homme. Europe et États-Unis face à face, par Ludovic Hennebel, Gregory Lewkowicz, Guy Haarscher et Julie Allard, 2007.

    11. La prohibition de l’engagement à vie, de la condamnation du servage à la refondation du licenciement. Généalogie d’une transmutation, par Alain Renard, 2008.

    12. L’Europe des cours. Loyautés et résistances, par Emmanuelle Bribosia, Laurent Scheek, Amaya Ubeda de Torres, 2010.

    13. L’imaginaire en droit, sous la direction de Mathieu Doat et Gilles Darcy, 2011.

    14. Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, par Benoît Frydman, 3e édition, 2011.

    15. La science du droit dans la globalisation, sous la direction de Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman, 2012.

    16. Théorie bidimensionnelle de l’argumentation juridique. Présentation et argument a fortiori, par Stefan Goltzberg, 2012.

    17. Dire le droit, faire justice, 2e édition par François Ost, 2012.

    18. Droit et dissimulation, sous la direction d’Agnès Cerf-Hollander, 2013.

    Sommaire

    Avant-propos

    Partie I

    Les fondements de la proscription

    Sous-partie I

    Les fondements théoriques de la proscription

    I. De la proscription et du droit

    Jean-François Akandji-Kombe

    II. La politique de la peur, ressort de la proscription ? Quelques prolongements sur la mondialisation et la démocratie d’opinion

    Jacques Breillat

    Sous-partie II

    Une histoire de la proscription

    I. L’expérience romaine de la proscription

    Florence Demoulin-Auzary

    II. Un voile sur la Liberté : les lois de proscription au XIXe siècle

    François Saint-Bonnet

    III. L’indignité nationale, une proscription de l’intérieur ? Genèse et application de l’interdiction de résidence (1945-1951)

    Anne Simonin

    Partie II

    Les voies juridiques de la proscription

    Sous-partie I

    Les techniques internes de proscription

    I. Les proscrits de la société : identité pénale et droit à l’oubli

    Agnès Cerf-Hollender

    II. L’émergence d’une proscription préventive par l’Administration

    Olivier Le Bot

    Sous-partie II

    La proscription dans les relations internationales

    I. L’hostis humani generis : entre proscription et protection

    Ludovic Hennebel et Hélène Tigroudja

    II. Asile et proscription : une continuelle interaction

    Catherine-Amélie Chassin

    Bibliographie

    Table des matières

    Avant-propos

    C’est dans le courant de l’année 2008 que l’idée d’un travail de recherche sur le concept de proscription s’est développée. Les deux initiateurs du présent colloque s’interrogeaient alors sur le phénomène d’exclusion ciblée, plus ou moins violente, caractérisant leur domaine d’investigation. Que cela soit au niveau international ou national, la rhétorique martiale et sécuritaire était particulièrement marquée. George Bush était alors président des États-Unis, et l’argumentaire développé à la suite des attentats du 11 septembre était pleinement d’actualité. Sur le plan interne français, l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République avait abouti à l’annonce de plusieurs projets à portée sécuritaire, que ce soit sur le plan pénal ou à travers la création de nouveaux fichiers tels le fameux EDWIGE, dont la portée était alors si décriée.

    Le débat public avait émergé – et continue aujourd’hui encore de se développer – autour du sort à réserver aux terroristes, aux États voyous, ou encore aux personnes étrangères en situation irrégulière. Tant de situations particulièrement hétérogènes, mais qui s’articulent toutes autour de la question de l’exclusion, avec in fine la disparition sociale de l’élément perturbateur. Pour méditer cet élément, il fallait faire ressortir une notion fleurant bon la Révolution française et plus encore les derniers jours de la République romaine : la proscription.

    La proscription est née à Rome, sous la plume de Sylla : au Ier siècle avant Jésus-Christ, il s’agissait alors de débarrasser la République de ceux que le dictateur considérait comme étant des fauteurs de troubles. Le procédé était particulièrement brutal, puisqu’il induisait la mort des proscrits, qui n’avaient d’autre choix que de tenter une éphémère fuite, ou accepter le sort auquel Sylla les condamnait sans jugement. Nul asile n’était envisageable ; la proscription n’était pas seulement une exclusion, mais bien une mise à mort programmée.

    Ainsi conçue, la proscription pourrait sembler dépassée ; néanmoins, elle a résisté au passage du temps, dans des formes certes différentes, qui n’entraînent plus la mort des proscrits, mais continue de les marquer au fer rouge, parfois à vie.

    La question est donc posée : que reste-t-il de la proscription aujourd’hui ?

    Les réflexions menées et les riches débats qui les ont accompagnés ont permis de montrer la résilience du mécanisme juridique, que l’on retrouve à travers les grandes lois de police du XIXe siècle, ou lors de l’épuration qui suit la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la proscription demeure tapie dans l’ombre du développement des fichages quels qu’ils soient, mais aussi dans la lutte contre le terrorisme ; elle aboutit à une relation ambiguë avec l’asile que recherchent les proscrits sur les territoires d’autres États.

    Bien au-delà de la réflexion juridique technique, le thème de la proscription permet de s’interroger plus largement sur nos sociétés et l’évolution de nos droits. Au moment où la peur du voisin semble (re)devenir si prégnante, il importe de réfléchir au passé et de s’interroger sur les voies juridiques qui ont permis, et permettent encore, de neutraliser ce voisin, qu’il soit opposant politique, terroriste, délinquant ou simplement mineur turbulent. Le liant des réponses apportées par le droit semble bien exister, et, au-delà du réflexe protecteur, se fonder sur la mise à l’écart du fauteur de trouble avéré ou supposé.

    Droit et proscription entretiennent, aujourd’hui comme hier, des relations troubles, en particulier dans le cadre de l’État de droit. Dès Sylla, il apparaît que le signe distinctif de la proscription est d’écarter les mécanismes judiciaires ou parajudiciaires de garantie dans la conception et dans l’application de la mesure de proscription. Plutarque l’écrit dès le Ier siècle : « Sylla proscrivit aussitôt quatre-vingts personnes sans en avoir référé à aucun magistrat. L’indignation générale ne l’empêcha pas d’en proscrire deux cent vingt autres le surlendemain, et autant le jour suivant »¹. Toujours selon Plutarque, Sylla proscrivait aussi « ceux qui avaient accueilli et sauvé un proscrit et punissait de mort cet acte d’humanité, sans faire d’exception pour les frères, les fils ou les parents des personnes en cause »². La fameuse controverse sur le délit français de solidarité apparaît comme un lointain écho de cette mesure³.

    On pourrait multiplier les relations entre l’origine de la notion et ses applications modernisées. Mais ce serait anticiper sur les questions que ne manquera pas de susciter la lecture des actes du présent colloque, organisé les 1er et 2 octobre 2009 à Caen. Préparé dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut international des droits de l’homme et de la paix (2idhp) et la Faculté de droit de Caen appuyée sur le Centre de recherches sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit (CRDFED), le colloque avait pour objectif, à partir d’une étude historique des phénomènes proscriptifs, de s’attacher à la résilience du mécanisme dans le droit contemporain. Une approche multidisciplinaire était résolument à l’œuvre.

    L’avocat et homme politique Alain Tourret, président de la première séance de travail, s’était alors interrogé sur la relation du politique avec le droit dans les phénomènes de violence. La proscription est effectivement une forme de politique, dissimulée en mesure juridique. Cette acception transparaît des mécanismes mis en place, que ce soit sur le plan interne ou sur le plan international.

    La sphère internationale présente toutefois une spécificité, en ce que la notion de proscription peut inclure la question des États voyous (« Rogue States »), notion développée en particulier par la doctrine anglo-saxonne après le 11 Septembre. Toutefois, si la question dialectique entre le langage juridique et le langage politique semblait séduisante dans le cadre de l’exclusion unilatérale des États jugés violateurs des valeurs portées par la communauté internationale, son étude paraissait sans doute décalée dans le cadre du présent colloque. Il eût en effet s’agit de reconstruire le fonctionnement des réactions décentralisées à l’illicite, signe distinctif du système international. Or, la base de la proscription est son exceptionnalité dans le cadre d’un système juridique déterminé. Au demeurant, sa cible « naturelle » reste l’individu, bien davantage que l’État. Ce dernier semble être l’instrument et le moyen de proscription, bien davantage que sa cible.

    Les travaux se sont donc construits autour de cette idée de proscription des individus. Deux axes ont été retenus : d’une part, les fondements, théoriques et historiques, de la proscription ; d’autre part, les techniques contemporaines de la proscription, que ce soit dans l’ordre interne ou dans la sphère internationale.

    Les organisateurs du colloque tiennent à remercier très chaleureusement les participants à cette manifestation, parfois venus de fort loin afin d’éclairer les débats et d’apporter le bilan de leurs propres expériences et/ou recherches. Ce sont eux qui ont permis de faire de ces deux jours un lieu de discussions animées et d’échanges passionnants, que ce soit sur la notion même de proscription et sa traduction aujourd’hui, ou sur les voies empruntées par le phénomène proscriptif.

    Ne peuvent davantage être oubliés ceux et celles qui ont permis que ces journées se déroulent sans difficulté. Doivent être ici spécialement mentionnées Marie-Pierre Pagnon pour l’Institut 2idhp, et Magdalena Dobrzanska pour la faculté de droit. Au-delà, la contribution, morale et logistique, des doctorants du CRDFED et des étudiants du Master 2 Pratique et contentieux des droits fondamentaux de la faculté de droit de Caen, mérite d’être relevée.

    Que tous, participants et intervenants, soient ici remerciés de leur investissement.

    Sébastien Botreau Bonneterre

    Directeur de l’Institut international des droits

    de l’homme et de la paix

    et Catherine-Amélie Chassin

    Maître de conférences, faculté de droit de Caen

    1.

    Plutarque

    , Vies parallèles I, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 644.

    2. Ibid.

    3. Le « délit de solidarité » se fonde sur l’art. L.622-1 du Code français de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Il prévoit la possibilité de prononcer des sanctions pénales contre la personne aidant un étranger en situation irrégulière. Très critiqué par le monde associatif, le texte a pourtant été considéré comme conforme à la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour du même nom (C.E.D.H., 10 novembre 2011, Mallah c. France, 29681/08). Le projet de loi déposé en septembre 2012 prévoit de restreindre le champ d’application du texte aux aides apportées contre rémunération, qui souvent relèvent du trafic de personnes.

    Partie I

    Les fondements de la proscription

    La proscription peut être conçue, sera conçue dans cet ouvrage, comme un mécanisme d’exclusion fondé sur des ressorts juridiques, mécanisme légitimé par la peur d’autrui – quelles que soient les raisons de cette peur : opposition politique, motif ethnique, crainte de troubles à l’ordre public, tout ou presque peut ici être envisagé.

    Les fondements de la proscription seront ici appréhendés sous deux angles. Sera d’abord étudié le fondement théorique, à travers la question de la juridicité même de la proscription (« De la proscription et du droit », par Jean-François Akandji-Kombé), et celle des fondements politiques de la proscription (« La politique de la peur, ressort de la proscription ? », par Jacques Breillat).

    En second lieu seront abordés les fondements historiques. Trois périodes clefs seront ici évoquées, à commencer par les fameuses listes de Sylla, avec « L’expérience romaine de la proscription » (par Florence Demoulin-Auzary). La période contemporaine sera appréhendée à travers les lois de police du XIXe siècle (« Un voile sur la liberté », par François Saint-Bonnet) et l’utilisation de méthodes proscriptives durant l’épuration qui a suivi la Seconde Guerre mondiale (« L’indignité nationale, une proscription de l’intérieur ? » par Anne Simonin).

    Sous-partie I

    Les fondements théoriques de la proscription

    I

    De la proscription et du droit

    Jean-François Akandji-Kombe

    Professeur de droit public à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne

    Selon une opinion communément admise¹, la proscription aurait été inventée par Sylla vers 82 avant notre ère et utilisée dans un but politique qui était d’éliminer les « ennemis de la patrie ». Ceux-ci étaient alors « désignés » sur une liste affichée aux côtés de la loi en vertu de laquelle ils étaient condamnés, et chaque citoyen pouvait les exécuter et être rétribué pour cet acte de douze mille deniers par tête.

    À vrai dire, la proscription a des origines plus anciennes. Elle s’est, semble-t-il², pratiquée abondamment, essentiellement sous la forme du bannissement, dans l’antiquité grecque : à Athènes vers l’an 600 avant notre ère avec la proscription de la famille des Alcméonides, laquelle fut à nouveau proscrite en 507 ; en 584 à Corinthe avec la proscription de la famille des Bacchiades ; en Sicile (Syracuse) vers 466 après le règne de Gélon et de ses successeurs ; à Athènes à nouveau pendant la guerre du Péloponnèse, sous le règne des 400 tyrans, spécialement en 411 ; à Sparte à la suite de cette guerre.

    Cette litanie des proscriptions pourrait être prolongée. Il est à peu près certain que des phénomènes similaires se sont rencontrés sous d’autres cieux et dans d’autres civilisations : en Chine, en Inde, dans les grands empires africains. Pour en revenir à l’Europe, à la France en particulier, on ne compte pas les actes de proscription, aussi bien politiques que religieux. Il en sera sans doute question au cours de ce colloque : « proscription de la Saint-Barthélemy »³, celles liées à la Révolution, à la Restauration, à l’Empire, etc.

    De cette suite d’actes, il ressort clairement que la proscription est intimement liée aux convulsions politiques, qu’elle en est même une des manifestations les plus paroxysmiques. On peut donc raisonnablement la tenir pour un phénomène fondamentalement politique.

    De là à dire qu’à l’instar desdites convulsions elle est phénomène d’exception, il y a toutefois un pas qu’il faut se garder de trop vite franchir, et cela, au vu même de la vision que proposent de la proscription les organisateurs du présent colloque. Si on les suit, et nous le faisons ici volontiers, aussi bien la condamnation pénale, l’inscription dans des fichiers administratifs, le droit des réfugiés et de l’asile, ou même plus largement le droit des étrangers, que les régimes juridiques applicables, en droit international, aux « ennemis de l’humanité », aux États voyous ou aux auteurs de crimes internationaux, relèveraient de la problématique de la proscription. Or, qui ne voit qu’on est ici en période normale, dans des temps qui sont présentés comme ceux du cours normal des choses ? En osant une caractérisation juridique, on dirait que l’on est ici non pas en régime d’exception, mais plutôt dans le « droit commun ».

    Cette conception très large de la proscription est-elle recevable ?

    On observera d’abord que la « fortune » que ce mot a connue au fil du temps s’y prête. En effet si, à l’origine, la proscription désignait exclusivement une condamnation au bannissement ou à la mort sans forme judiciaire⁴, le mot a connu une dilatation formidable et renvoie aujourd’hui à des situations plus différenciées. De fait, dans les dictionnaires contemporains, notamment le Petit Robert, le verbe « proscrire » s’emploie pour signifier tout à la fois le bannissement, l’exil, l’exclusion, la condamnation ou la simple interdiction.

    Mais on ne peut se satisfaire de cette première réponse. Il faudra aussi se demander si la mutation n’est pas plus profonde, si elle n’indique pas une profonde évolution, vers la normalisation de la proscription, et si cette normalisation n’est pas précisément un des produits d’une rencontre de plus en plus intime entre le procédé ou le phénomène politique et le droit, voire même un des produits de sa prise en charge par le droit.

    L’hypothèse ne manquera pas de surprendre. On aura beau jeu d’objecter que s’il est vrai que la définition de la proscription comme « mise hors la loi » ou comme « condamnation prononcée sans jugement » inscrit le mot dans l’univers juridique, il est tout aussi évident que le terme n’est pas en lui-même juridique. D’ailleurs, pourra-t-on ajouter, dictionnaires, encyclopédies et lexiques de termes juridiques ne le connaissent pas. À partir de quoi on pourrait conclure que la proscription n’est ni notion ni institution juridiques.

    Cela est indubitable. Au moins est-il indiscutable, à partir de l’expérience historique, que proscription et droit sont deux objets distincts, séparés par nature. Mais l’histoire montre aussi qu’ils sont voués à se rencontrer ; de sorte que si la proscription n’est pas une notion juridique, c’est bien par le droit que, le plus souvent, elle trouve à se réaliser, mais aussi qu’elle rencontre ses limites. Le premier a à voir avec la forme du droit, tandis que le second renvoie aux fins du droit.

    I. Proscription et forme du droit

    Que la proscription se réalise dans le droit, c’est un fait observable de tout temps quelle que soit la société envisagée. Que ce soit dans la Grèce antique, à Rome, en France ou dans l’Union européenne, la proscription prend la forme d’un acte juridique : loi, décret, décision, règlement, etc.

    Cet acte paraît se caractériser d’abord par des éléments de forme. Le premier semble être la forme en laquelle il est délivré. À cet égard, l’origine du mot est peut-être plus significative qu’il n’y paraît. En latin, d’où provient le vocable qui nous occupe, le verbe proscribere ne signifie-t-il pas « publier », « inscrire sur un écriteau » ? Loin donc de désigner la décision même de bannissement ou de condamnation, c’est par son mode de publication qu’il la saisit. Or, ce mode de désignation n’est guère caractéristique. La proscription, au sens latin du terme, ne désigne pas spécifiquement l’opération consistant à bannir, à condamner à mort ou à exclure un individu ou un groupe d’individu. Il se réfère à un mode de publication des décisions qui était alors commune et que l’on rencontrait également ailleurs, par exemple, en matière civile : voir les proscriptions en matière de créances.

    Il y a là déjà un premier élément de normalisation par le droit « processuel ». La prescriptio a pour effet de déclencher une exécution, celle de la décision. Envisagé de ce point de vue, l’acte de proscrire apparaît alors comme un acte juridique, sinon ordinaire, du moins commun.

    Il y avait bien, en Grèce comme dans l’Empire romain, et même par la suite, un cérémonial spécifique, empreint de solennité, qui pouvait distinguer la décision de proscrire au sens où nous entendons le mot ici : ainsi à Athènes où, s’agissant des décisions du peuple à l’encontre d’un citoyen, un héraut annonçait sur la place publique la récompense promise pour l’exécution de ladite décision, la somme étant par ailleurs déposée cérémonieusement sur la place publique même ou sur l’autel d’une divinité. Mais, outre que ces formalités n’ont rien de nécessairement juridique, il n’est pas certain qu’elles fussent réservées aux actes de proscription, et qu’elles ne s’appliquassent pas pour d’autres types de décisions.

    Si l’on s’intéresse maintenant à la décision même de proscription, il ne semble pas qu’elle s’illustre davantage par sa nature particulière. L’instrumentum, sans être toujours le même partout et en tout temps, est celui auquel ordinairement les pouvoirs ont recours. Une loi ici, un décret par là, ou encore un règlement.

    Il est intéressant d’ailleurs de noter en passant que, de par sa structure, cet acte présente une certaine figure de permanence. D’un côté, dans la mesure où il vise souvent un groupe, il procède par généralité : saisissant les personnes visées en tant que catégorie à raison d’un comportement défini abstraitement, et attachant à ce comportement une certaine conséquence juridique. D’un autre côté, pour assurer l’efficacité de la norme ainsi édictée, il en individualise l’application en désignant les individus concernés. En cela se retrouvent la loi de Sylla, les listes de proscription napoléoniennes et les règlements de l’Union européenne, pris en application de résolutions du Conseil de sécurité, imposant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

    Quoi qu’il en soit, la proscription apparaît ainsi comme la mise en œuvre dans des formes juridiques ordinaires de mesures politiques extraordinaires ; comme la normalisation ou à tout le moins une tentative de normalisation par le droit d’actes « anormaux ».

    Cette normalisation prend un tour particulier aujourd’hui avec la sophistication des techniques de proscription et par la systématisation de la mémoire d’État. C’est là tout le problème des fichiers, fichiers dont la multiplication renseigne sur le fait que l’on est passé de mesures « accidentelles » à des mesures de gestion administrative ordinaire. Cela est vrai en matière pénale, mais plus vrai encore en matière de police administrative. Dans ce dernier cas, le fichage n’étant que la phase préalable de la mise à l’écart, il introduit dans un univers de proscription latente et donc permanente.

    Ce fait – la réalisation de la proscription par le droit et le soin apporté aux formes – on en devine aisément les motifs. Il s’agit d’abord d’assurer, au moins en la forme, la légitimité de la mesure prise. Il s’agit aussi d’en garantir l’efficacité par le jeu des mécanismes juridiques, notamment d’exécution.

    Mais cette rencontre entre proscription et droit, voire le caractère nécessaire de cette rencontre et l’adéquation parfaite entre la mesure politique et sa concrétisation juridique, peut susciter des interrogations plutôt gênantes dont la principale est la suivante : se pourrait-il que la proscription soit, ou soit devenue, consubstantielle au droit, qu’elle soit au principe du droit ? La question devient plus lancinante encore lorsque l’on prend pour référence le droit contemporain dans lequel les techniques de proscription semblent monnaie courante alors même que l’on se trouve en dehors de toute crise politique.

    On se gardera bien de répondre à cette question à ce stade du colloque. Les communications qui vont suivre y pourvoiront, du moins on l’espère.

    Reste que poser la question de cette manière – la proscription est-elle au principe du droit ? – transporte inévitablement le débat sur le terrain substantiel, car l’on touche, par delà le problème des techniques et procédés du droit, à la question des fins du droit.

    II. Proscription et fins du droit

    On doit d’abord remarquer que, tout en se banalisant en passant par le filtre formel du droit, la proscription n’en demeure pas moins un acte grave qui pose des problèmes juridiques de fond. Plus précisément, qualifier un acte ou une mesure d’acte ou de mesure de proscription, c’est ipso facto poser la question des valeurs qui sous-tendent le droit.

    De ce point de vue, il est intéressant de savoir qui qualifie. À notre connaissance, il est rare qu’un acte de proscription se présente lui-même comme tel. Ce n’est qu’exceptionnellement que les pouvoirs publics reconnaîtront qu’ils

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