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Contentieux européen (2 volumes)
Contentieux européen (2 volumes)
Contentieux européen (2 volumes)
Livre électronique1 767 pages20 heures

Contentieux européen (2 volumes)

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À propos de ce livre électronique

Le présent ouvrage décrit l’architecture juridictionnelle de l’Union européenne et analyse en profondeur tous les types de recours qui peuvent être introduits devant les trois juridictions qui composent la Cour de justice de l’Union européenne (la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique), sans oublier le rôle important du juge national dans l’application quotidienne du droit de l’Union européenne.

Si la première édition intégrait déjà les modifications apportées par le Traité de Lisbonne, sa récente entrée en vigueur laissait un nombre important de questions en suspens. Cette nouvelle édition permet de répondre à plusieurs d’entre elles (comme l’étendue de la nouvelle possibilité d’agir en annulation pour le particulier sur la base de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne par exemple). Elle intègre également les modifications apportées au statut de la Cour de justice et le nouveau règlement de procédure de la Cour entièrement refondu en octobre 2012.

Comme pour la première édition, les auteurs ont par ailleurs adopté une méthodologie originale en fondant leur propos et leur analyse sur la jurisprudence produite par les juridictions de la Cour de justice de l’Union européenne jusqu’au 31 janvier 2014. Ce sont ainsi près de 1900 décisions de jurisprudence qui sont commentées dans l’ouvrage (soit près de 600 supplémentaires par rapport à la première édition). Elles sont inventoriées minutieusement dans un index mis à disposition des praticiens.

Les principaux textes de procédure propres aux juridictions européennes sont quant à eux désormais compilés dans un second volume, permettant ainsi leur utilisation plus aisée par les praticiens.
LangueFrançais
Date de sortie7 avr. 2014
ISBN9782804467845
Contentieux européen (2 volumes)

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    Aperçu du livre

    Contentieux européen (2 volumes) - Melchior Wathelet

    couverturepagetitre

    Cette collection a pour vocation de publier des traités pédagogiques et synthétiques dans des matières fondamentales du droit. Rédigés par de brillants professeurs de la Faculté de droit de Liège, ces ouvrages s’adressent aussi bien aux étudiants qu’aux praticiens qui pourront s’appuyer sur ces études ancrées dans l’actualité et de haute qualité scientifique.

    Dans la même collection :

    Paul DELNOY, Pierre MOREAU, Les libéralités et les successions, 4e édition, 2013

    Nicolas THIRION, Thierry DELVAUX, et alii, Droit de l’entreprise, 2012

    Pascale LECOCQ, Manuel de droit des biens. Tome 1 Biens et propriétés, 2012

    Ann Lawrence DURVIAUX, Ingrid GABRIEL, Droit administratif. Tome 2. Les entreprises publiques locales en Région wallonne, 2e édition, 2012

    Ann Lawrence DURVIAUX, Damien FISSE, Droit de la fonction publique, 2012

    Michel FRANCHIMONT, Ann JACOBS, Adrien MASSET, Manuel de procédure pénale, 4e édition, 2012

    Éric GEERKENS, Paul DELNOY, Aurélie BRUYÈRE, Anne-Lise SIBONY, Cécile NISSEN, Méthodologie juridique. Méthodologie de la recherche documentaire juridique, 4e édition, 2011

    Christian BEHRENDT, Frédéric BOUHON, Introduction à la Théorie générale de l’état - Manuel, 2e édition, 2011

    Ann Lawrence DURVIAUX, avec la collaboration de Damien Fisse, Droit administratif. Tome 1. L’action publique, 2011

    Nicolas THIRION, Théories du droit. Droit, pouvoir, savoir, 2011

    Georges de LEVAL, Frédéric GEORGES, Précis de droit judiciaire.

    Tome 1. Les institutions judiciaires : organisation et éléments de compétence, 2010

    Yves-Henri LELEU, Droit des personnes et des familles, 2e édition, 2010

    Gilles GENICOT, Droit médical et biomédical, 2010

    Christian BEHRENDT, Frédéric BOUHON, Introduction à la Théorie générale de l’état - Recueil de textes, 2009

    Paul LEWALLE, Contentieux administratif, 3e édition, 2008

    Paul DELNOY, Éléments de méthodologie juridique, 3e édition, 2008 (revue et corrigée en 2009)

    Jean-François GERKENS, Droit privé comparé, 2007

    Michel PÂQUES, Droit public élémentaire en quinze leçons, 2005

    Georges de LEVAL, éléments de procédure civile, 2e édition, 2005

    Sean VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union européenne, 4e édition, 2005

    Louis MICHEL, Les nouveaux enjeux de la politique étrangère belge, 2003

    Paul MARTENS, Théories du droit et pensée juridique contemporaine, 2003

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2014

    Éditions Larcier

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    EAN 978-2-8044-6784-5

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    À mes professeurs,

    en particulier les professeurs Joseph Stassart

    et René Joliet dont j’ai été l’assistant en économie

    et en droit européen à l’Université de Liège,

    mais aussi à tous mes instituteurs et institutrices,

    mes professeurs d’humanités et d’universités

    qui, avec mes parents,

    m’ont si bien transmis les bons outils

    pour comprendre et apprendre

    que cela en est resté un plaisir.

    REMERCIEMENTS

    Je tiens à remercier tout particulièrement pour leur aide précieuse Monsieur Marc Jaeger, Président du Tribunal de l’Union européenne, qui avait accepté de relire le manuscrit de la première édition et m’a permis d’en combler certaines lacunes dues au fait que si j’avais siégé à la Cour de justice, je connaissais beaucoup moins bien le Tribunal de l’Union européenne, et Monsieur Jonathan Wildemeersch, mon assistant à l’Université de Liège, qui m’a accompagné depuis la première ébauche de texte, non seulement pour le relire mais aussi pour l’actualiser jusqu’aux derniers arrêts rendus en décembre 2013 et dresser un inventaire particulièrement pratique des très nombreuses décisions citées des juridictions de l’Union européenne.

    Je souhaite également réparer un oubli et profiter de cette deuxième édition pour remercier Madame Michèle Paulet, ma secrétaire à l’Université de Liège, qui a dactylographié la première édition.

    Je remercie enfin Mademoiselle Maude Antoine, étudiante à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), pour avoir intégré dans la présente édition les ordonnances et arrêts que j’avais retenus tout au long de ces trois dernières années.

    AVANT-PROPOS

    Remarques préalables

    Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, la numérotation des articles des traités a changé, de même que la dénomination de l’institution et des juridictions.

    Dans la mesure où un nombre important de décisions citées se rapportent aux anciens traités, nous mentionnerons, en règle générale, à côté de la référence à l’ancien article, l’article actuel correspondant. Les articles du nouveau traité sur l’Union européenne seront suivis de la référence TUE et ceux du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de la référence TFUE. Les anciens articles resteront quant à eux accompagnés des mentions UE et CE.

    En ce qui concerne les dénominations, l’institution judiciaire de l’Union européenne (U.E.) s’appelle désormais « Cour de justice de l’Union européenne » (C.J.U.E.) et les différentes juridictions Cour de justice, Tribunal et tribunaux spécialisés (art. 19 TUE). Nous utiliserons donc ces termes, nous contentant souvent (comme le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), de parler de la Cour pour désigner la juridiction suprême.

    En ce qui concerne les références de jurisprudence, nous garderons les sigles C.J.C.E. et T.P.I.C.E. pour les arrêts et les ordonnances rendus par la Cour de justice et le Tribunal avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Pour les arrêts et ordonnances postérieurs à cette entrée en vigueur, nous utiliserons les sigles C.J. et T. Le sigle T.F.Pu désignera le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne.

    CHAPITRE 1

    ARCHITECTURE JURIDICTIONNELLE

    DE L’UNION EUROPÉENNE

    1L’architecture judiciaire de l’Union européenne est très spécifique parce que l’Union européenne est elle-même une construction juridique très particulière.

    L’Union européenne n’est pas un État mais elle n’est pas non plus une organisation internationale comme les autres. Elle s’en différencie tout d’abord par l’étendue et l’intensité de ses pouvoirs. Elle s’en éloigne également par le fait que le droit de l’Union européenne est applicable non seulement aux États membres mais aussi aux citoyens. Elle s’en distingue enfin parce que les traités fondateurs, en répartissant les compétences entre l’Union et les États membres d’une part, entre les différentes institutions d’autre part, apparaissent de plus en plus comme la Constitution de l’Europe¹, et plus particulièrement depuis l’insertion de la Charte européenne des droits fondamentaux dans le droit primaire (même si les auteurs du Traité de Lisbonne ont abandonné cette appellation suite à l’absence de ratification du traité constitutionnel).

    Ceci étant, l’Union européenne reste basée sur un traité international :

    – non seulement de nom et d’origine mais aussi par le fait que seuls les États membres ont le pouvoir de le modifier,

    – parce que les objectifs, la portée territoriale et la légitimité de l’intégration européenne ne sont pas encore suffisamment ou pleinement définis,

    – parce que les traités européens sont eux-mêmes encore au moins indirectement basés sur les Constitutions nationales.

    2Il n’est dès lors pas étonnant que l’architecture judiciaire de l’ordre juridique de l’Union européenne soit spécifique, que l’application du droit de l’Union européenne fasse largement appel aux Cours et tribunaux des États et que la Cour de justice de l’Union européenne ne soit pas un juge international comme les autres en étant finalement plus proche d’un juge national que n’importe quel autre juge international.

    Cela ressort non seulement des traités eux-mêmes mais également de la jurisprudence de la Cour de justice qui a elle-même renforcé ces caractéristiques en proclamant, entre autres principes, la primauté et l’effet direct du droit de l’Union européenne, ainsi que la responsabilité des États membres pour les dommages qu’ils ont causés en violant le droit de l’Union européenne.

    3L’application du droit de l’Union européenne par les Cours et tribunaux est ainsi partagée entre les juridictions nationales d’une part et les juridictions européennes réunies au sein de l’institution « Cour de justice de l’Union européenne » d’autre part.

    Même s’il appartient à la Cour de justice de l’Union européenne d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité » (art. 19, al. 1 TUE), elle ne peut traiter que des litiges qui lui sont attribués expressément par les traités. Tout autre contentieux où le droit de l’Union européenne est susceptible d’être invoqué ou appliqué relève donc de la compétence des juridictions nationales, véritables « juges de droit commun » pour l’application du droit européen.

    On le constate, cette architecture particulière est une application avant la lettre du principe de subsidiarité. Elle permet également d’éviter l’engorgement de la Cour de justice de l’Union européenne².

    Toutefois, elle présentait le risque de voir le droit de l’Union européenne appliqué de manière divergente dans les différents États membres dans les litiges non expressément confiés à la Cour de justice. Pour éviter cet écueil, les auteurs des traités fondateurs ont créé une articulation spécifique entre les juridictions nationales et la Cour de justice par le biais du recours préjudiciel, lequel permet l’application uniforme du droit européen.

    SECTION 1

    Les Cours nationales

    4En dehors du mécanisme préjudiciel qui fait expressément référence dans les traités aux juridictions nationales et depuis le Traité de Lisbonne, l’article 19, § 1, al. 2 TUE, le fondement et les modalités de la compétence des juridictions nationales pour appliquer le droit de l’Union européenne se situent dans les cinq principes généraux suivants : la coopération loyale, la primauté et l’effet direct du droit de l’Union européenne, l’obligation d’interprétation conforme et l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres.

    § 1. Coopération loyale

    5Le principe de la coopération loyale est énoncé à l’article 4, § 3 TUE qui stipule que « les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union ». Ils « facilitent (…) l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ».

    6Il découle de ce principe une triple obligation pour les États membres.

    Tout d’abord, la coopération loyale est inhérente à l’obligation contenue dans l’article 291 TFUE et qui impose aux États d’exécuter le droit de l’Union européenne, soit par l’intervention de leurs services administratifs, soit par la mise en vigueur de règles nationales d’application.

    Ensuite, la coopération loyale oblige les États à prévoir des sanctions pour assurer l’application effective du droit de l’Union européenne dans l’hypothèse, très fréquente, où il n’en prévoit pas lui-même.

    Enfin, c’est le même principe qui fonde la compétence des juges nationaux amenés à se prononcer sur l’exécution des deux premières obligations.

    Appliqué au pouvoir judiciaire, le principe de coopération loyale impose aux États membres d’établir « les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (art. 19, § 1, al. 2 TUE). Aux Cours et tribunaux, il impose non seulement d’appliquer le droit de l’Union européenne mais également d’interpréter leur droit national à la lumière du texte et de la finalité du droit de l’Union européenne sur lequel ils se fondent. Cette seconde branche de l’obligation fut qualifiée par la Cour de justice « d’interprétation conforme », les juges nationaux devant la respecter « autant qu’il est possible », étant entendu qu’ils ne sont jamais obligés de faire une application ou une interprétation « contra legem » (voy. infra, no 15)³.

    7C’est aussi sur la base de ce principe de coopération loyale et au nom de la pleine efficacité des normes européennes que la Cour de justice a proclamé le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages qu’ils ont causés aux particuliers par les violations du droit de l’Union européenne qui leur sont imputables, estimant que cette obligation de réparation trouve directement son fondement dans le droit de l’Union européenne⁴.

    La Cour a également précisé dans l’arrêt Köbler du 30 septembre 2003 (aff. C-224/01, Rec. 2003, p. I-10239, § 33) que ce droit à réparation n’était pas affecté par le fait que la violation du droit de l’Union européenne était « imputable à une décision d’une juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort ». Ni l’autorité de la chose jugée, ni l’indépendance du pouvoir judiciaire, ni même le principe de sécurité juridique ne portent donc atteinte au principe de l’unité de l’État, qui reste responsable quel que soit l’organe étatique ayant violé le droit de l’Union européenne, fût-il constitutionnellement indépendant.

    § 2. Primauté du droit de l’Union européenne

    8Cette compétence du juge national doit évidemment s’exercer dans le respect d’autres principes dégagés par la Cour de justice et plus spécialement dans celui de la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national qu’elle a proclamé dès l’arrêt Costa c. E.N.E.L. de 1964 (aff. 6/64, Rec. 1964, p. 1141).

    Ce principe veut que le droit de l’Union européenne prime le droit national et ce, quel que soit le rang de la règle en cause dans l’ordre juridique interne⁵ et qu’elle soit antérieure ou postérieure à la règle de droit de l’Union européenne avec laquelle elle est en conflit.

    Ce principe n’est pas sans conséquence pour le juge national. En effet, chargé d’appliquer le droit de l’Union européenne, il devra laisser inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale, sans même devoir attendre l’élimination préalable de cette règle nationale par quelque voie juridique nationale que ce soit, législative, judiciaire ou autre⁶.

    À cet égard, l’arrêt rendu par la Cour le 28 février 2012 dans l’affaire Inter-Environnement Wallonie et Terre wallonne (aff. C-41/11, non encore publié au Rec.) mérite d’être mentionné dans la mesure où la Cour a admis que la juridiction nationale pouvait, « compte tenu de l’existence d’une considération impérieuse liée à la protection de l’environnement, exceptionnellement, être autorisée à faire usage de sa disposition nationale l’habilitant à maintenir certains effets d’un acte national annulé [en raison d’une violation des obligations d’une directive] » (c’est nous qui soulignons, § 58). On perçoit bien à la lecture de l’arrêt la réticence de la Cour. Non seulement la Cour insiste sur les particularités de l’affaire et le risque de vide juridique en cas d’annulation pure et simple (§ 56), mais elle impose également quatre conditions à sa dérogation (l’acte national en cause doit constituer une mesure de transposition correcte d’une autre directive, la juridiction doit vérifier que l’adoption du nouvel acte national adopté postérieurement ne permette pas d’éviter les effets préjudiciables sur l’environnement découlant de l’annulation de l’acte attaqué, l’annulation doit avoir pour conséquence de créer un vide juridique qui serait préjudiciable à l’environnement et le maintien des effets de l’acte national ne peut se justifier que pendant le laps de temps strictement nécessaire à l’adoption de mesures permettant de remédier à l’irrégularité constatée, §§ 59 à 62).

    9Dans les rapports entre le droit international et le droit de l’Union européenne, la primauté des accords internationaux ne s’étendrait pas, selon la Cour⁷, au droit primaire et en particulier aux principes généraux dont font partie les droits fondamentaux. La Cour corrobore cette interprétation par l’article 218, § 11 TFUE selon lequel un accord international envisagé par l’Union européenne ne peut entrer en vigueur en cas d’avis négatif de la Cour, sauf à modifier préalablement le(s) traité(s) ou ledit accord envisagé.

    La primauté du droit international sur les actes de droit de l’Union européenne dérivé pose quant à elle plusieurs questions. Nous prendrons trois exemples de règles internationales :

    1. Les accords internationaux conclus par l’Union européenne (ou la Communauté avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne)

    10Dans l’affaire C-308/06, The International Association of Independant Tanker Owners e.a. (arrêt du 3 juin 2008, Rec. 2008, p. I-4057), la Cour rappelle que pour que la validité d’un acte de droit dérivé puisse être affectée par son incompatibilité avec des règles de droit international, il faut tout d’abord que l’Union (à l’époque la Communauté) soit liée par ces règles et qu’ensuite à la fois la nature et l’économie du Traité international invoqué ne s’y opposent pas et que par ailleurs, les dispositions de ce dernier apparaissent du point de vue de leur contenu inconditionnelles et suffisamment précises (§§ 43 à 45).

    En l’occurrence, la Convention internationale invoquée était la Convention de Montego Bay qui codifie les règles de droit international relatives à la coopération de la Communauté internationale lors de l’exploration, de l’utilisation et de l’exploitation des espaces maritimes.

    La Cour remarque que cette Convention « vise à établir un juste équilibre entre les intérêts des États par leur qualité d’États côtiers et les intérêts des États en leur qualité d’États du pavillon, lesquels peuvent s’opposer » (§ 58). Selon la Cour, « les particuliers ne bénéficient pas en principe de droits et de libertés autonomes en vertu de la Convention de Montego Bay » puisqu’ils ne peuvent notamment jouir de la liberté de navigation qu’en raison d’un rapport étroit entre leur navire et un État qui lui attribue sa nationalité et qui devient alors l’État de son pavillon. Dès lors qu’un navire ne relève pas d’un État, ni celui-ci, ni les personnes se trouvant à son bord ne jouissent de la liberté de navigation (§ 60) et la Cour de conclure que puisque ladite convention « ne met pas en place des règles destinées à s’appliquer directement et immédiatement aux particuliers et à conférer à ces derniers des droits et libertés susceptibles d’être invoqués à l’encontre des États, indépendamment de l’attitude de l’État du pavillon du navire » (§ 64), « la nature et l’économie de la Convention de Montego Bay s’opposent à ce que la Cour puisse apprécier la validité d’un acte communautaire au regard de cette dernière » (§ 65).

    Pour qu’une norme soit considérée comme inconditionnelle et suffisamment précise, elle doit « comporte[r] une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte extérieur »⁸.

    2. Les décisions de l’OMC et plus spécialement les décisions de l’ORD (organe de règlement des différends)

    11Dans les affaires C-120/06 P et 121/06 P (arrêt du 9 septembre 2008, Fabbrica Italiana Accumulatori Motocarri Montecchio SpA (FIAMM) e.a. c. Conseil et Commission, Rec. 2008, p. I-6513), les entreprises requérantes actives dans le secteur des accumulateurs stationnaires, dans celui des étuis à lunettes, et plus généralement des articles de poche, avaient été victimes d’une surtaxe douanière imposée à leurs produits par les États-Unis. Les États-Unis avaient été expressément autorisés à opérer ces prélèvements par l’ORD à la suite de l’absence de modification par le Conseil et la Commission du régime communautaire d’importation des bananes qui soit susceptible de le mettre en conformité avec les engagements assumés par la Communauté, au titre des accords OMC, dans le délai imparti par la décision de l’ORD défavorable à la Communauté.

    Les entreprises avaient conclu, à titre principal, à l’existence d’une responsabilité extracontractuelle de la Communauté en raison d’un comportement illicite et, à titre subsidiaire, en raison d’un comportement sans faute de cette Communauté.

    La Cour a confirmé sa jurisprudence constante selon laquelle « compte tenu de leur nature et de leur économie, ces accords [OMC] ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions de l’Union européenne » (§ 111). Cette règle ne subit que deux exceptions, « dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC » (§ 112).

    Dans la mesure où les accords OMC donnent aux États membres impliqués plusieurs modalités de mise en œuvre d’une recommandation ou d’une décision de l’ORD, l’Union (à l’époque, la Communauté) n’entend pas assumer une obligation particulière dans le cadre de l’OMC puisqu’après l’expiration du délai imparti pour se mettre en conformité et même après l’autorisation de mesures de compensation ou de suspension de concession, une place importante reste réservée à la négociation entre les parties au différend. Le « retrait de mesures illégales constitue certes la solution préconisée par ce droit [de l’OMC], mais celui-ci autorise également la mise en œuvre d’autres solutions » (§ 116). Par ailleurs, il ne ressortait pas des différents règlements modifiant le régime d’importation des bananes que le législateur de l’Union européenne ait voulu se référer à des dispositions spécifiques des accords OMC lorsqu’il avait voulu mettre son régime en conformité avec ces accords.

    La Cour confirme donc l’arrêt du Tribunal sur ce point et rejette la demande en indemnité des requérants.

    3. Les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies

    12Dans ses arrêts du 21 septembre 2005, Kadi c. Conseil et Commission (aff. T-315/01, Rec. 2005, p. II-3649) et Yussouf et Al Barakatt International Foundation c. Conseil et Commission (aff. T-306/01, Rec. 2005, p. II-3533), le Tribunal avait rejeté les recours en annulation introduits par Messieurs Kadi et Al Barakatt contre un règlement du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama Ben Laden. Visés par ce règlement, les requérants s’étaient vu appliquer une série de mesures d’interdiction d’exportation de certaines marchandises ou services vers l’Afghanistan et avaient subi le gel des fonds et autres ressources financières dont ils disposaient.

    Le Tribunal avait estimé que le règlement litigieux, dès lors qu’il visait à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne laissant aucune marge à cet effet, ne pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel quant à sa légalité interne. Le seul examen possible concernait la compatibilité du règlement avec les normes relevant du Jus Cogens (entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international y compris le Conseil de sécurité de l’ONU et auquel il est impossible de déroger). Dans cette mesure, le règlement bénéficiait d’une immunité juridictionnelle.

    13La Cour (arrêt du 3 septembre 2008, aff. C-402 et aff. C-415/05P, Rec. 2008, p. I-6351) a cassé les arrêts du Tribunal en se basant sur d’autres principes relatifs à l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations Unies et l’ordre juridique de l’Union européenne :

    « (…) Les obligations qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de porter atteinte aux principes constitutionnels du traité CE, au nombre desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires doivent respecter les droits fondamentaux, ce respect constituant une condition de leur légalité qu’il incombe à la Cour de contrôler dans le cadre du système complet de voies de recours qu’établit ce traité » (§ 285).

    « À cet égard (…), dans un contexte tel que celui de l’espèce, le contrôle de légalité devant ainsi être assuré par le juge communautaire porte sur l’acte communautaire visant à mettre en œuvre l’acte international en cause et non sur ce dernier en tant que tel » (§ 286).

    « S’agissant plus particulièrement d’un acte communautaire qui tel le règlement litigieux, vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité (…), il n’incombe donc pas au juge communautaire dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE [devenu art. 19, § 1, al. 1 TUE], de contrôler la légalité d’une telle résolution adoptée par cet organe international, ce contrôle fût-il limité à l’examen de la compatibilité de cette résolution avec le Jus Cogens » (§ 287).

    Et la Cour de refuser l’immunité juridictionnelle dont bénéficierait un acte de l’Union européenne car selon elle :

    « (…) les principes régissant l’ordre juridique international issus des Nations Unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies » (§ 289).

    « Une immunité juridictionnelle du règlement litigieux quant au contrôle de la compatibilité de celui-ci avec les droits fondamentaux qui trouverait sa source dans une prétendue primauté absolue des résolutions du Conseil de sécurité que cet acte vise à mettre en œuvre ne pourrait pas non plus être fondée sur la place qu’occuperaient les obligations découlant de la Charte des Nations Unies dans la hiérarchie des normes au sein de l’ordre juridique communautaire si ces obligations étaient classifiées dans cette hiérarchie » (§ 305).

    Et la Cour de conclure :

    « (…) les juridictions communautaires doivent conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui tel le règlement litigieux, visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies » (§ 326)⁹.

    La primauté du droit international sur le droit de l’Union européenne n’enlève donc aucune compétence à la Cour de contrôler la légalité interne d’un acte de droit dérivé, même si celui-ci est parfaitement conforme à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.

    § 3. Effet direct

    14Très tôt dans sa jurisprudence, la Cour de justice a clairement indiqué que le droit de l’Union européenne n’intéressait pas seulement les États mais conférait également aux particuliers des droits que ces derniers pouvaient invoquer directement devant le juge national. Cet effet direct, affirmé dès l’arrêt Van Gend en Loos du 15 février 1963 (aff. 26/62, Rec. 1963, p. 3), a même été reconnu aux directives. Toutefois, à leur égard, il ne peut être invoqué qu’à l’encontre de l’État (effet direct vertical) et non entre particuliers (effet direct horizontal).

    Là aussi, une obligation s’impose pour le juge national qui, en cas d’effet direct d’une règle de droit de l’Union européenne (ce qui est la règle dans l’ordre juridique de l’Union européenne alors que l’effet direct est l’exception dans le droit international public), se doit d’appliquer directement la règle européenne, en écartant au besoin toute règle nationale contraire.

    § 4. Obligation d’interprétation conforme

    15À ce sujet, le mieux est peut-être de citer la Cour elle-même :

    « Il convient de rappeler que, en appliquant le droit interne et, notamment, les dispositions d’une réglementation spécifiquement adoptée aux fins de mettre en œuvre les exigences d’une directive, les juridictions nationales sont tenues d’interpréter ce droit, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 249, troisième alinéa, CE [devenu art. 288, al. 3 TFUE] (voir, notamment, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 113 et jurisprudence citée).

    L’exigence d’une interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du Traité CE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit communautaire lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies (voir, notamment, arrêts précités Pfeiffer e.a., point 114, et Adeneler e.a., point 109).

    Toutefois, l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans ceux de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (voir arrêts du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen, 80/86, Rec. 1987, p. 3969, point 13, ainsi que Adeneler e.a., précité, point 110 ; voir également, par analogie, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C-105/03, Rec. p. I-5285, §§ 44 et 47).

    Le principe d’interprétation conforme requiert néanmoins que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (voir arrêts précités Pfeiffer e.a., §§ 115, 116, 118 et 119, ainsi que Adeneler e.a., point 111) »¹⁰.

    Dans l’affaire C-406/08, Uniplex, l’avocat général Kokott avait estimé que « les délais de forclusion dans les demandes de constatation et de réparation liées à des marchés publics ne peuvent commencer à courir que lorsque le requérant a connu ou a dû connaître la violation alléguée des règles sur la passation des marchés publics » (conclusions présentées le 29 octobre 2009, § 60). Or, cette garantie n’était pas prévue par la législation en cause. L’avocat général a dès lors estimé que si la loi nationale ne permettait pas ce résultat mais autorisait le juge à accorder une prorogation de délai au requérant, il serait « tenu » de l’accorder « à tout le moins de manière à ce que le requérant dispose » du délai prévu par la législation nationale « à partir du moment où il a connu ou a dû connaître la violation alléguée des règles sur la passation des marchés publics » (§ 62).

    Dans son arrêt du 28 janvier 2010 (Rec. 2010, p. I-817), la Cour a confirmé cette orientation (§§ 46 à 48) en ajoutant que « si les dispositions nationales relatives aux délais de recours n’étaient pas susceptibles d’une interprétation conforme à la directive 89/665, la juridiction nationale serait tenue de les laisser inappliquées, en vue d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers (…) » (§ 49).

    *

    *     *

    On l’aura compris, les conséquences du principe de primauté – laisser inappliquée la norme nationale – et du principe d’interprétation conforme – interpréter le droit national dans un sens compatible avec le droit de l’Union –, ne sont pas les mêmes et les limites du second sont évidentes.

    La question qui se pose est dès lors de savoir dans quel ordre les appliquer ?

    Outre l’arrêt Uniplex, dont nous venons de citer le point 49, trois autres arrêts rendus au début des années 2010 confirment que c’est l’interprétation conforme qui doit être envisagée prioritairement par les juridictions nationales (C.J., grande chambre, arrêt du 19 janvier 2010, aff. C-557/07, Kükükdeveci, Rec. 2010, p. I-365 ; C.J., grande chambre, arrêt du 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez, non encore publié au Rec., et C.J., arrêt du 24 mai 2012, C-97/11, Amia, non encore publié au Rec.).

    Ainsi, la solution implicitement consacrée par l’arrêt Pfeiffer est désormais certaine : l’invocabilité d’exclusion propre à la primauté n’est appelée à jouer que si la technique de l’interprétation conforme se révèle impossible à mettre en œuvre. La primauté n’interviendra donc, le cas échéant, qu’en second lieu.

    Cette articulation des principes se justifie, selon la Cour, car l’interprétation conforme est « inhérente au système du traité en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leur compétence, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies » (§ 30 de l’arrêt Amia).

    Ceci étant, cette hiérarchie des principes n’enlève rien à la liberté du juge national de poser une question préjudicielle. En effet, pour la Cour, dans l’hypothèse où l’interprétation conforme ne serait pas possible et où la primauté imposerait d’écarter la norme nationale contraire au droit de l’Union, le juge national ne peut être « ni contraint ni empêché de saisir au préalable la Cour d’une demande de décision préjudicielle » (§ 53 de l’arrêt Kükükdeveci). Dans ce cas (primauté et donc écartement de la norme contraire), le juge ne devra pas oublier d’envisager l’applicabilité directe de la norme européenne, et, à défaut, la responsabilité extracontractuelle de l’État pour non respect du droit de l’Union (§ 44 de l’arrêt Dominguez).

    § 5. Autonomie institutionnelle et procédurale des États membres

    1. Principes d’équivalence et d’effectivité

    16S’il appartient aux juges nationaux de protéger les droits que les justiciables tirent du droit de l’Union européenne, cela ne peut cependant se faire que sur la base du droit judiciaire et processuel national. En effet, le droit de l’Union européenne ne contient aucune réglementation en la matière et c’est donc à chaque droit national de désigner les juridictions compétentes et de décider des procédures qui serviront à cette fin. Cette obligation est aujourd’hui expressément prescrite par l’article 19, § 1, alinéa 2 TUE.

    17Remarquons que cela ne concerne pas seulement la protection des droits que les citoyens peuvent trouver dans l’effet direct du droit de l’Union européenne. En effet, selon la Cour de justice, le devoir des États membres d’assurer l’application effective du droit de l’Union européenne exige aussi que les particuliers puissent avoir accès au juge national pour contester des actes de droit national qui violent des dispositions de droit européen pourtant dépourvues d’effet direct¹¹.

    18C’est donc le droit national qui désignera qui des juridictions civiles, sociales, commerciales ou administratives devra traiter tel ou tel litige. C’est le droit national qui décidera à quelle règle de procédure, de prescription, de forclusion, de preuve, de limitation du rôle du juge, ces litiges seront soumis et ce, sans que la Cour de justice intervienne dans ce type de débat.

    Il en découle que les particuliers qui veulent obtenir devant leur juridiction nationale la reconnaissance des droits qu’ils tirent du droit de l’Union européenne seront placés, tant en termes de délais que de coût et de procédure, dans des situations différentes selon l’État dans lequel ils agiront en justice.

    19C’est la raison pour laquelle la Cour, tout en reconnaissant l’autonomie procédurale et institutionnelle des États membres, a clairement encadré cette dernière par une double limite qu’elle qualifie désormais de principe « d’équivalence » et de principe « d’effectivité ».

    a) Principe d’équivalence

    20Selon le principe dit de « l’équivalence », les recours qui permettent aux particuliers de faire reconnaître les droits qu’ils tirent de l’ordre juridique de l’Union européenne ne peuvent être soumis à des modalités moins favorables que celles qui régissent les recours similaires fondés sur l’ordre juridique national.

    Cela concerne toutes les règles, qu’elles concernent l’intérêt à agir, les règles de preuve, les délais de prescription ou de forclusion, les intérêts de retard et la date à partir de laquelle ils doivent être comptés ou encore les arguments qui peuvent être soulevés d’office par le juge. Autrement dit, toutes les règles procédurales qui gouvernent le traitement de situations comparables, qu’elles soient administratives ou judiciaires¹², sont visées par ce principe.

    21La difficulté est évidemment de décider des critères qui peuvent déterminer ce qu’est un « recours similaire de droit interne ». La Cour de justice a dégagé à ce sujet quelques lignes directrices :

    • sont « similaires », des recours internes qui ont un « objet et une cause semblables »¹³ ;

    • l’équivalence n’oblige pas un État à appliquer à tous les recours son régime le plus favorable. Ainsi, les délais de prescription en matière de remboursement d’indu fiscal peuvent être différents du délai de prescription applicable en matière civile¹⁴ ;

    • si, pour certains recours, les juges sont face à des modalités à la fois plus favorables et plus strictes, la Cour de justice les invite à replacer la disposition dans « l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités »¹⁵ et à « vérifier de manière objective et abstraite la similitude des règles en cause »¹⁶.

    22Ce principe de l’équivalence peut en fait se résumer en une application particulière du principe de non-discrimination entre les recours fondés sur le droit de l’Union européenne et les recours similaires fondés sur le droit national. Il est donc important de noter que le droit de l’Union européenne n’interdit pas aux États membres de fixer, par exemple en matière de délais de récupération de l’indu, des délais qui sont différents pour les actions entre particuliers et ceux qui seraient applicables aux actions dirigées contre les autorités publiques pour le remboursement d’impôts payés alors qu’ils n’étaient pas dus. Toutefois, la Cour de justice a décidé que si ces règles différentes avaient été adoptées pour ne viser que des actions judiciaires basées sur le droit de l’Union européenne ou, mieux encore, pour ne s’appliquer rétroactivement qu’à des effets possibles d’arrêts de la Cour de justice, le principe d’équivalence ne pourrait pas être considéré comme respecté¹⁷.

    b) Principe d’effectivité

    23La seconde limite posée par la Cour à l’autonomie procédurale et institutionnelle des États membres est, pour reprendre ses propres termes, devenus habituels, que « le droit interne ne peut pas rendre impossible ou extrêmement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union ». Autrement dit, même si le principe d’équivalence est respecté, le droit national ne peut jamais porter atteinte à l’essence même des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne¹⁸.

    Ainsi, lorsque la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique de l’Union, la Cour invite le juge national à utiliser la même méthodologie que pour le principe d’équivalence. Celui-ci doit donc tenir compte « de la place de [la règle nationale] dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure »¹⁹.

    Si des règles nationales peuvent donc limiter la rétroactivité de certaines demandes ou fixer des délais raisonnables de prescription ou de forclusion pour ne pas porter atteinte de manière indue au principe de sécurité juridique, il ne serait pas acceptable que ces mêmes législations ramènent à zéro le délai permettant d’obtenir le remboursement d’indus, n’aménagent aucun régime transitoire en cas de réduction d’un délai de prescription²⁰, imposent au contribuable la preuve négative qu’un impôt n’a pas été répercuté sur des tiers²¹, ²² ou réduisent avec effet rétroactif le délai dans lequel le remboursement d’une taxe indûment perçue peut être obtenu²³.

    24Ainsi, la Cour a considéré qu’« en prévoyant l’effet suspensif des recours introduits contre les titres de perception émis pour la récupération d’une aide accordée, la procédure prévue par le droit français et appliquée en l’espèce ne peut pas être considérée comme permettant l’exécution « immédiate et effective » de la décision 2002/14. Au contraire, en accordant un tel effet suspensif, elle peut considérablement retarder la récupération des aides »²⁴.

    25De même, la Cour a considéré qu’une période transitoire de nonante jours précédant l’application rétroactive d’une période de trois ans permettant de commencer une procédure et remplaçant une période de cinq ans était clairement insuffisante. Si une période initiale de cinq ans était prise pour référence, le fait de ne laisser que nonante jours aux contribuables dont les droits étaient nés approximativement trois ans plus tôt, les mettait dans une position où ils étaient obligés d’agir dans les trois mois alors qu’ils avaient pensé que, près de deux ans étaient encore disponibles. La Cour a également considéré que lorsqu’une période de dix ou quinze ans pour introduire une action en justice était réduite à trois ans, la période transitoire minimale requise pour assurer que les droits conférés par le droit de l’Union européenne puissent être effectivement exercés et pour que les contribuables normalement diligents puissent se familiariser avec le nouveau régime et préparer des procédures dans des circonstances qui ne compromettaient pas leurs chances de succès, pouvait raisonnablement être estimée à six mois²⁵.

    26Dans les affaires C-295 et C-298/04, Manfredi (arrêt du 13 juillet 2006, Rec. 2006, p. I-6619), la Cour invite un juge national à écarter un délai national de prescription dans la mesure où « il n’est pas exclu que le délai de prescription s’écoule avant même qu’il soit mis fin à l’infraction auquel cas toute personne ayant subi des dommages après l’écoulement du délai de prescription se trouve dans l’impossibilité d’introduire un recours » (§ 79).

    Comme le rappelle l’avocat général Trstenjak dans ses conclusions du 2 avril 2009 (aff. C-69/08, Visciano), « Ainsi que la Cour la jugé dans l’arrêt Pflücke [arrêt du 18 septembre 2003, aff. C-125/01, Rec. 2003, p. I-9375] à propos de l’application de délais de forclusion au niveau national, il convient que la brièveté du délai n’ait pas pour conséquence que l’intéressé n’arrive pas, en pratique, à respecter ledit délai et qu’il ne bénéficie donc pas de la protection que la directive 80/987 vise précisément à lui garantir » (§ 87). « Dans le même arrêt, la Cour a certes souligné qu’un délai de deux mois, compte tenu de sa brièveté, doit être justifié par des raisons impérieuses liées au principe de sécurité juridique, notamment le bon fonctionnement de l’institution de garantie. Elle a cependant renoncé à fixer des exigences plus précises quant à la longueur d’un délai, et encore moins un délai minimum pour l’exercice de créances à l’égard de l’institution de garantie » (§ 88).

    Dans son arrêt du 16 juillet 2009 (Rec. 2009, p. I-6741), la Cour – en citant son arrêt Marks & Spencer du 11 juillet 2002 (aff. C-62/00, Rec. 2002, p. I-6325) – rappelle que : « pour remplir sa fonction de garantie de la sécurité juridique, un délai de prescription doit être fixé à l’avance. Une situation caractérisée par une incertitude juridique importante peut constituer une violation du principe d’effectivité, puisque la réparation des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire imputables à un État membre pourrait être rendue en pratique excessivement difficile si ceux-ci ne pouvaient déterminer le délai de prescription applicable avec un degré de certitude raisonnable » (§ 46)²⁶.

    En appliquant ce raisonnement au cas d’espèce, la Cour relève que le fait que la loi italienne fixe à un an le délai de prescription sans déterminer le dies a quo (§ 47) pourrait créer une incertitude juridique – laquelle pourrait elle-même constituer une violation du principe d’effectivité – s’il était par ailleurs vérifié que ce motif explique la tardiveté de l’action de Monsieur Visciano. Il en va de même pour les changements intervenus dans la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (§ 48).

    Dans le même ordre d’idées, la Cour a estimé qu’un délai de trente jours pour introduire une demande en vue d’obtenir le bénéfice d’avantages fiscaux prévus par la directive 90/434 n’était pas en soi susceptible de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que l’assujetti tirait du droit de l’Union. Toutefois, le point de départ du délai ne dépendant pas de l’assujetti, la Cour a estimé qu’il appartenait à « la juridiction de renvoi de vérifier si les modalités de mise en œuvre de ce délai, et plus particulièrement la détermination du point de départ de celui-ci, sont suffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux assujettis de connaître leurs droits et s’assurer que ces derniers sont en mesure de bénéficier des avantages fiscaux prévus par les dispositions de la directive »²⁷.

    La Cour a par contre jugé, dans un de ses arrêts rendu à titre préjudiciel, que le constat de l’incompatibilité du caractère rétroactif d’une législation nationale avec le droit de l’Union, n’avait pas nécessairement d’incidence sur le point de départ du délai de prescription prévu dans l’ordre juridique interne pour les créances de l’État. La Cour justifie cette conclusion en observant que la fixation du point de départ du délai de prescription en cause n’avait pas été de nature à priver totalement les justiciables de la possibilité de faire valoir les droits dont ils bénéficiaient en vertu du droit de l’Union²⁸.

    27Dans l’affaire C-268/06, Impact (arrêt du 15 avril 2008, Rec. 2008, p. I-2483), la Cour indique que « dès lors, que des particuliers ont, à l’instar des demandeurs au principal, entendu recourir à la compétence conférée, serait-ce à titre facultatif, par le législateur national, lors de la transposition de la directive 1999/70, à ces juridictions spécialisées pour connaître des litiges fondés sur la loi de 2003, le principe d’effectivité exigerait qu’ils puissent également revendiquer, devant ces mêmes juridictions, la protection des droits qu’ils pourraient tirer directement de cette directive elle-même [pour la période comprise entre la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci et la date d’entrée en vigueur de la loi nationale de transposition], s’il devait ressortir des vérifications effectuées par la juridiction de renvoi que l’obligation de scinder leur recours en deux demandes distinctes et d’introduire celle directement fondée sur ladite directive devant une juridiction ordinaire conduit à des complications procédurales de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits que confère aux intéressés l’ordre juridique communautaire » (§ 53)²⁹.

    28Ce principe d’effectivité correspond très souvent à la nécessité de respecter le droit à une protection juridictionnelle effective³⁰. Il peut donc amener un juge national à accepter le recours d’un particulier fondé sur une violation du droit de l’Union européenne alors que dans des circonstances purement nationales, à savoir si le recours était basé sur une violation du droit national, pareille action serait jugée irrecevable. Dans l’affaire Brasserie du Pêcheur précitée, la République fédérale d’Allemagne s’opposait à l’action en responsabilité dirigée contre elle dans la mesure où, en droit allemand, il n’existait aucune action en responsabilité pour faute du législateur. Comme, selon la Cour, la violation du droit de l’Union européenne par un État doit pouvoir donner lieu à réparation quel que soit l’organe responsable du manquement, elle a jugé que l’action en responsabilité fondée sur une violation du droit de l’Union européenne imputable au législateur allemand devait être jugée recevable par le juge allemand, sous peine de voir impossible ou rendue extrêmement difficile la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union européenne³¹³².

    29Dans un arrêt du 11 octobre 2007 (aff. C-241/06, Lämmerzahl, Rec. 2007, p. I-9413), la Cour a jugé qu’un « avis de marché dépourvu de toute information relative à la valeur estimée du marché, suivi d’un comportement du pouvoir adjudicateur évasif face aux interrogations d’un soumissionnaire potentiel » devait « être considéré eu égard à l’existence d’un délai de forclusion, comme rendant excessivement difficile l’exercice par le soumissionnaire intéressé des droits qui lui sont conférés par l’ordre juridique communautaire » (§ 55). Il en va de même si des irrégularités dans la présentation financière d’une offre ne peuvent intervenir qu’après l’expiration de ce délai de forclusion (§§ 59 à 61)³³.

    Dans cette même matière des marchés publics, l’avocat général Kokott a estimé que le point de départ d’un délai de forclusion pouvait également être affecté par le principe d’effectivité (conclusions présentées le 29 octobre 2009 dans l’affaire C-406/08, Uniplex). Madame Kokott a ainsi considéré que le principe d’effectivité commandait « de ne faire courir le délai de forclusion des demandes d’indemnisation et des demandes de constatation de violation des règles de passation des marchés publics que lorsque le requérant a connu ou a dû connaître la violation de [ces] règles » (§ 39 ; voy. aussi supra, no 15). Elle considère par contre que cette conclusion ne s’applique pas lorsqu’un recours vise à annuler un contrat déjà conclu avec un soumissionnaire qui a emporté le marché parce que « les conséquences juridiques particulièrement graves de la nullité d’un contrat déjà conclu justifient de prévoir un délai qui court indépendamment du point de savoir si l’auteur du recours avait connaissance du caractère contraire au droit des marchés publics de l’attribution du marché » (§ 33).

    30Ceci étant dit, selon la Cour (arrêt du 7 juin 2001, aff. C-222/05 à C-225/05, Van der Weerd, Rec. 2007, p. I-4233, § 41) « le principe d’effectivité n’impose pas (…) l’obligation aux juridictions nationales de soulever d’office un moyen tiré d’une disposition communautaire, indépendamment de l’importance de celle-ci pour l’ordre juridique communautaire, dès lors que les parties ont une véritable possibilité de soulever un moyen fondé sur le droit communautaire devant une juridiction nationale ».

    Néanmoins, la simple existence d’une voie de recours en droit national n’est pas nécessairement suffisante car, comme l’a dit la Cour dans l’arrêt Unibet³⁴, si la requérante « était contrainte de s’exposer à des mesures administratives ou pénales à son encontre et aux sanctions qui peuvent en découler » (autrement dit de se placer en infraction) « comme seule voie de droit pour contester la conformité des dispositions nationales en cause avec le droit communautaire, cela ne suffirait pas à lui assurer une telle protection juridictionnelle effective ».

    31Parfois, la Cour va se référer à sa jurisprudence sur le principe d’effectivité pour interpréter une disposition du droit de l’Union européenne dont elle estime qu’elle reflète les exigences dudit principe.

    Tel était le cas, selon la Cour, de l’article 14, § 3 du règlement 659/1999 (JO L 83 p. 1) portant modalités d’application de l’arti-cle 88 CE (devenu art. 108 TFUE) sur les aides d’État et qui prescrit le remboursement sans délai des aides illégales.

    Dans ce litige, la question était de savoir si l’annulation éventuelle par un juge national, pour vice de forme, de titres de recettes émis pour le recouvrement des aides, avec pour conséquence que ces aides pourraient être, fût-ce momentanément, reversées aux bénéficiaires, s’opposait au règlement 659/1999 et par là à une application effective du droit de l’Union européenne (alors que les aides illégales avaient été remboursées).

    Dans son arrêt du 20 mai 2010 (aff. C-210/09, Scott et Kimberly Clark, Rec. 2010, p. I-4613), la Cour juge que non si « l’autorité compétente dont émanent les titres de recettes en cause est habilitée à régulariser le vice de forme (,) une telle habilitation permettant d’inférer que l’annulation des titres (…) n’entraîne pas nécessairement la restitution aux sociétés concernées des sommes que ces dernières ont acquittées en exécution de ces titres » (§ 27).

    Il en serait autrement si « l’annulation (…) devait entraîner, même provisoirement, le reversement de l’aide déjà restituée par les bénéficiaires de celle-ci », car ceux-ci « disposeraient de nouveau des sommes provenant des aides (…) et bénéficieraient de l’avantage concurrentiel indu en résultant » (§ 31).

    Dans l’affaire C-439/08, VEBIC (arrêt du 7 décembre 2010, Rec. 2010, p. I-12471), la Cour a également jugé qu’une autorité nationale de la concurrence devait pouvoir participer à la procédure, devant une juridiction nationale, dirigée contre une de ses décisions. Selon la Cour, si les modalités procédurales des recours en justice en matière de concurrence sont laissées à l’appréciation des États membres, de telles modalités ne doivent pas porter atteinte à l’application effective du droit de la concurrence de l’Union (§§ 57 à 59).

    32Même la Cour européenne des droits de l’homme s’est occupée du respect du principe d’effectivité en droit de l’Union européenne au travers du droit à une protection juridictionnelle effective.

    L’article L 190 du livre des procédures fiscales français prévoyait qu’en cas de non-conformité d’une taxe révélée par une décision juridictionnelle, l’action en restitution des sommes versées ou en réparation du préjudice subi ne pouvait porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité était intervenue. Dans un arrêt Roquette frères du 28 novembre 2000 (aff. C-88/99, Rec. 2000, p. I-10465), la Cour de justice avait considéré que le droit de l’Union européenne ne s’opposait pas à pareille réglementation, qui n’était donc pas jugée contraire au principe d’effectivité en ce qu’elle prévoyait un délai raisonnable au regard, en particulier, du principe de sécurité juridique.

    Victime d’une violation par la France de la sixième directive T.V.A. pendant la période du 1er au 30 juin 1988, une société d’assurances française n’avait jamais pu obtenir le remboursement de la taxe indûment payée dans la mesure où le Conseil d’État de France avait refusé, jusqu’à son changement de jurisprudence en 1996, d’accepter les demandes de remboursement des sociétés d’assurances concernées, estimant qu’il n’était pas obligé de contrôler une norme nationale au regard du droit de l’Union européenne.

    La Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt AON Conseil et courtage S.A. c. France³⁵ a d’abord considéré que la société d’assurances concernée bénéficiait d’une créance sur l’État qui s’analysait comme une valeur patrimoniale ayant le caractère d’un bien au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1, dès lors applicable en l’espèce. Elle a ensuite décidé que le délai de prescription fiscale prévu par la législation française était inopposable à la requérante « dès lors que ledit recours était inefficace en droit interne » (§ 39). Si le délai en lui-même était donc raisonnable, il ne pouvait démarrer tant que le recours interne n’avait aucune chance d’aboutir, la Cour rappelant également « que l’interprétation déraisonnable d’une exigence procédurale qui empêche l’examen au fond d’une demande d’indemnisation emporte la violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux » (§ 43).

    33C’est le même principe d’effectivité qui donne au juge national le pouvoir de suspendre l’application d’une règle nationale susceptible d’être jugée incompatible avec le droit de l’Union européenne lorsque la Cour de justice se sera prononcée et ce, même s’il n’a pas une telle compétence en droit national³⁶.

    Le devoir du juge national d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union européenne va même lui permettre de prendre des mesures provisoires suspendant l’application d’une mesure nationale, conforme à une norme européenne mais qui elle-même pourrait être en contradiction avec une norme européenne supérieure. En effet, « lorsque la mise en œuvre administrative de règlements communautaires incombe aux instances nationales, la protection juridictionnelle, garantie par le droit communautaire, comporte le droit pour les justiciables de contester de façon incidente la légalité de ces règlements devant le juge national et d’amener celui-ci à saisir la Cour de questions préjudicielles. Ce droit serait compromis si dans l’attente d’un arrêt de la Cour, seule compétente pour constater la validité d’un règlement communautaire (…), le justiciable n’était pas, lorsque certaines conditions sont remplies, en mesure d’obtenir une décision de sursis qui permette de paralyser pour ce qui le concerne les effets du règlement critiqué »³⁷.

    La Cour de justice, en indiquant que cela ne pouvait intervenir que « lorsque certaines conditions sont remplies », devait évidemment veiller à ce que pareille suspension de l’application de mesures administratives nationales basées sur un règlement de l’Union européenne ou l’octroi de mesures provisoires se fasse de manière uniforme dans tous les États membres, même si ce sursis à l’exécution relève en principe de règles de procédure nationales.

    La Cour a donc indiqué³⁸ que les juridictions nationales ne devaient accorder « ce sursis que dans les conditions du référé devant la Cour ». Cette règle collait en plus à la logique selon laquelle l’appréciation par la Cour de justice de la validité d’un acte de l’Union européenne via une question préjudicielle ou une action en annulation ne constitue finalement que deux aspects du même système de contrôle de la légalité des actes de l’Union européenne.

    Les mesures provisoires peuvent donc, sur cette base, être décidées par un tribunal national :

    • si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l’acte de l’Union européenne et si, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de la validité de l’acte contesté, elle la lui renvoie elle-même³⁹ ;

    • s’il y a urgence, en ce sens que les mesures provisoires sont nécessaires pour éviter que la partie qui les sollicite subisse un préjudice grave et irréparable ;

    • si la juridiction prend dûment en compte l’intérêt de l’Union européenne⁴⁰ ;

    • si, dans l’appréciation de toutes ces conditions, la juridiction nationale respecte les décisions de la Cour ou du Tribunal statuant sur la légalité du règlement ou d’une ordonnance de référé visant à l’octroi au niveau de l’Union européenne de mesures provisoires similaires⁴¹. Le juge national ne peut évidemment raisonnablement poser une question préjudicielle en validité et prendre une mesure provisoire de suspension que si la Cour de justice n’a pas déjà refusé l’annulation de l’acte de l’Union européenne incriminé ou refusé de proclamer son invalidité, sauf si bien entendu les raisons d’illégalité sur lesquelles s’interroge le juge national sont différentes de celles qui ont déjà été rejetées par la Cour de justice⁴².

    34Comme tout droit fondamental, la protection juridictionnelle effective ne constitue pas une prérogative absolue et peut comporter des restrictions répondant à des objectifs d’intérêt général et n’impliquant pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée qui porterait atteinte à la substance même du droit fondamental concerné (C.J.C.E., arrêt du 15 juin 2006, aff. C-28/05, Dokter, Rec. 2006, p. I-5431, § 75).

    Dans les affaires C-317/08 à C-320/08, Alassini (arrêt du 18 mars 2010, Rec. 2010, p. I-2213), se posait la question de savoir si le fait pour la législation italienne d’imposer la mise en œuvre préalable d’une procédure de conciliation extrajudiciaire comme condition de recevabilité d’un recours juridictionnel affectait l’exercice des droits conférés aux particuliers par une directive, en l’occurrence la directive « service universel » (directive 2002-22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002, JO L 108, p. 51). Dans son arrêt, la Cour constate que l’objectif de la législation italienne d’assurer un règlement plus rapide et moins onéreux des litiges en matière de communication électronique ainsi qu’un désencombrement des tribunaux pouvait être qualifié d’intérêt général (§ 64) et qu’aucune alternative moins contraignante, telle que par exemple une procédure de règlement extrajudiciaire purement facultative, n’était à même d’atteindre de manière aussi efficace les mêmes objectifs (§ 65).

    Par ailleurs, la Cour relève que la procédure obligatoire de conciliation n’était probablement pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits que les justiciables tiraient de la directive. Plusieurs éléments allaient dans ce sens : le résultat de la procédure de conciliation n’était pas contraignant à l’égard des parties (§ 54), la procédure de conciliation n’entraînait pas de retard substantiel (§ 55), la prescription des droits était suspendue pendant la durée de la conciliation (§ 56) et les frais étaient inexistants (§ 57). La Cour note cependant que le principe d’effectivité pourrait toutefois être violé pour certains justiciables, et notamment ceux ne disposant pas d’un accès à internet, « s’il ne pouvait être accédé à la procédure de conciliation que par la voie électronique » (§ 58).

    Dans l’affaire C-279/09, DEB (arrêt du 22 décembre 2010, Rec. 2010, p. I-13849), la Cour était interrogée sur la question de savoir si le principe d’effectivité imposait d’accorder l’aide judiciaire à des personnes morales. La Cour a toutefois choisi de répondre à la question, non par rapport au principe d’effectivité, mais au regard du principe de protection juridictionnelle effective tel qu’il est consacré à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux (§ 33). Elle a jugé qu’il n’était pas exclu qu’il puisse être invoqué par des personnes morales (dispositif de l’arrêt, alinéa 1).

    2. Cas particuliers d’application

    a) Application conjointe des deux principes d’équivalence et d’effectivité

    35Cette possibilité d’application conjointe des deux principes est bien illustrée par l’affaire C-268/06, Impact, et plus particulièrement par les conclusions présentées par l’avocat général Kokott le 9 janvier 2008.

    Cette affaire avait pour objet la transposition irlandaise de la directive 1999/70, laquelle mettait en œuvre un accord à vocation générale conclu en 1990 entre trois organisations interprofessionnelles.

    La période litigieuse visait non seulement l’espace temps qui séparait l’expiration du délai de transposition de la directive et la loi irlandaise de transposition (c’est-à-dire entre le 10 juillet 2001 et le 14 juillet 2003), mais également la période postérieure à l’entrée en vigueur de cette loi.

    Pour la période antérieure au 14 juillet 2003, les demandeurs se fondaient directement sur l’accord intervenu et, pour la période postérieure, sur la loi nationale de transposition.

    Sous réserve de vérification par la juridiction nationale, il apparaissait que si les demandeurs pouvaient faire valoir leurs droits devant la juridiction du travail pour la période ultérieure à l’entrée en vigueur de la loi nationale de transposition, ils ne pouvaient invoquer directement la directive pour la période antérieure à sa transposition que devant les tribunaux irlandais ordinaires.

    36L’avocat général a estimé qu’« une telle double contrainte, comportant deux procès, avec les particularités et les risques qui s’y attachent, rendrait excessivement difficile pour les demandeurs la mise en œuvre effective de la protection que leur garantit le droit communautaire en tant que salariés à durée déterminée. Une telle situation n’est pas compatible avec le principe d’effectivité » (§ 63).

    37Elle a de même estimé qu’il y aurait là violation du principe d’équivalence « lorsqu’un justiciable qui invoque un droit qui lui a été conféré par l’ordre juridique communautaire s’expose à des frais et à des délais supplémentaires par rapport à ce qui lui serait imposé s’il se contentait de faire valoir une prétention fondée sur le droit interne » (§ 71).

    Comme la juridiction de renvoi avait présenté « les procédures devant les tribunaux irlandais ordinaires comme étant sensiblement plus formalistes, plus complexes, plus coûteuses et plus longues » (§ 73), comme elles donnaient lieu à la perception de frais de justice, que « la partie qui succombe peut être condamnée aux dépens (…) et ne peut être représentée ni par des syndicats ni par des associations patronales mais exclusivement par des avocats » (§ 73), l’avocat général a également conclu à la violation du principe d’équivalence.

    La Cour ne retiendra cependant que la violation du principe d’effectivité (C.J.C.E., arrêt du 15 avril 2008, aff. C-268/06, Impact, Rec. 2008, p. I-2483)⁴³.

    b) Dans quelle mesure le droit de l’Union européenne peut-il obliger de revenir sur une décision administrative nationale devenue définitive et a fortiori sur une décision judiciaire ?

    38Quelques arrêts méritent d’être signalés à ce sujet.

    • Arrêt du 28 juin 2001, aff. C-118/00, Larsy, Rec. 2001, p. I-5063

    Monsieur Larsy s’était vu refuser une pension de retraite complète en Belgique par l’administration belge, la position de l’administration ayant été confirmée par un jugement du Tribunal du travail de Tournai qui n’avait cependant jamais été signifié et qui donc n’était jamais devenu définitif.

    Monsieur Larsy avait un frère qui se trouvait exactement dans la même situation que lui mais qui avait eu plus de chance puisque dans le courant de la procédure devant le même Tribunal du travail de Tournai, ce dernier avait posé une question préjudicielle à la Cour de justice qui avait conclu à l’incompatibilité avec le droit de l’Union européenne de la règle belge. Le Tribunal du travail de Tournai avait dès lors condamné l’administration belge à rétracter sa décision négative à l’égard du frère de Monsieur Larsy.

    À la suite de cette décision, Monsieur Larsy a demandé à l’Inasti (l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants) de régulariser sa situation dans les mêmes conditions que son frère, ce que l’Inasti n’accepta que partiellement.

    Monsieur Larsy fit alors appel du jugement du Tribunal du travail de Tournai qui ne lui avait jamais été signifié.

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