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Le règlement "insolvabilité": Apport à la construction de l'ordre juridique de l'Union européenne
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Le règlement "insolvabilité": Apport à la construction de l'ordre juridique de l'Union européenne
Livre électronique1 146 pages15 heures

Le règlement "insolvabilité": Apport à la construction de l'ordre juridique de l'Union européenne

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Le règlement (CE) n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, dit règlement « insolvabilité », contribue à l’enrichissement de l’ordre juridique de l’Union européenne. L’apport que réalise cet instrument de droit international privé européen est principalement de nature méthodologique puisqu’il propose la règle de conflit comme mode de rapprochement des législations nationales. Dans un contexte européen, cette utilisation de la règle de conflit va cependant s’opérer de manière spécifique. Le règlement pose une règle de conflit de lois attribuant compétence à la lex fori concursus. Ce rattachement classique s’impose quelle que soit la loi de l’État membre désignée. Désormais, il existe dans le monde un espace où la solution aux conflits entre les législations nationales en matière d’insolvabilité est uniforme et commune à l’ensemble des États membres. Toutefois, l’universalité de la règle de conflit européenne apparaît rénovée du fait de la désignation exclusive de la loi d’un État membre. Ainsi, le règlement « insolvabilité » ambitionne-t-il de créer un véritable espace régional. Mais, la création d’un tel espace unifié via l’universalité européenne des règles de conflit demeurerait illusoire si les rédacteurs du règlement n’avaient pas renforcé l’efficacité d’une telle règle. À cette fin, le règlement recourt à différents mécanismes qui se déploient tant dans la méthode conflictuelle qu’au-delà de celle-ci.
Seule l’analyse de tous ces aspects permettra d’appréhender l’apport du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’union européenne.
Ce présent ouvrage a obtenu le 3e Prix Cyrille Bialkiewicz pour le droit des entreprises en difficulté et la Mention spéciale décernée à titre exceptionnel par le Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie11 févr. 2013
ISBN9782802739135
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    Le règlement "insolvabilité" - Eugénie Fabries-Lecea

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.bruylant.be

    © Groupe De Boeck s.a., 2012

    Éditions Bruylant

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN 978-2-8027-3913-5

    Parus précédemment dans la même série

    1. La réciprocité et le droit des Communautés et de l’Union européenne, par Delphine Dero, 2006.

    2. L’article 13 TCE. La clause communautaire de lutte contre les discriminations, par Edouard Dubout, 2006.

    3. Protection de l’environnement et libre circulation des marchandises, par Claire Vial, 2006.

    4. Les fondements juridiques de la citoyenneté européenne, par Myriam Benlolo Carabot, 2006.

    5. L’intégration différenciée dans l’Union européenne, par Christine Guillard, 2006.

    6. Les accords mixtes de la Communauté européenne : aspects communautaires et internationaux, par Eleftheria Néframi, 2007.

    7. La flexibilité du droit de l’Union européenne, par Sébastien Marciali, 2007.

    8. La contestation incidente des actes de l’Union européenne, par Laurent Coutron, 2008.

    9. Libre circulation et non-discrimination, éléments de statut de citoyen de l’Union européenne. Etude de jurisprudence, par Anastasia Iliopoulou, 2008.

    10. L’office du juge communautaire des droits fondamentaux, par Romain Tinière, 2008.

    11. L’article 3 du Traité UE : Recherche sur une exigence de cohérence de l’action extérieure de l’Union européenne, par Isabelle Bosse-Platière, 2008.

    12. La politique de l’Union européenne en matière de stupéfiants, par Valérie Havy, 2008.

    13. Le triangle décisionnel communautaire à l’aune de la théorie de la séparation des pouvoirs. Recherches sur la distribution des pouvoirs législatif et exécutif dans la Communauté, par Sébastien Roland, 2008.

    14. Le pouvoir discrétionnaire dans l’ordre juridique communautaire, par Aude Bouveresse, 2009.

    15. Les partenariats entre l’Union européenne et les Etats tiers européens, Etude de la contribution de l’Union européenne à la structuration juridique de l’Espace européen, par Cécile Rapoport, 2009.

    16. Les spécificités du standard juridique en droit communautaire, par Elsa Bernard, 2009.

    17. Autonomie locale et Union européenne, par Laurent Malo, 2010.

    18. Les accords interinstitutionnels dans l’Union européenne, par Anne-Marie Tournepiche, 2011.

    19. La procédure d’avis devant la Cour de justice de l’Union européenne, par Stanislas Adam, 2011.

    20. Le pouvoir constituant européen, par Gaëlle Marti, 2011.

    21. La fonction de l’avocat général près la Cour de justice, par Laure Clément-Wilz, 2011.

    22. Le principe démocratique dans le droit de l’Union européenne, par Catherine Castor, 2011.

    23. Le juge de l’Union européenne, juge administratif, par Brunessen Bertrand, 2012.

    24. L’abus de droit en droit de l’Union européenne, par Raluca Nicoleta Ionescu, 2012.

    25. Le statut des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, par Isabelle Vestris, 2012.

    26. Le recours en carence en droit de l’Union européenne, par Safia Cazet, 2012.

    27. La gouvernance économique de l’Union européenne. Recherches sur l’intégration par la différenciation, par Olivier Clerc, 2012.

    28. Les dessins et modèles en droit de l’Union européenne, par Mouna Mouncif-Moungache, 2012.

    29. Droit européen de l’exécution en matière civile et commerciale, par Guillaume Payan, 2012.

    30. La loi du pays d’origine en droit de l’Union européenne, par Marion Ho-Dac, 2012.

    31. La contribution des relations extérieures à la construction de l’ordre constitutionnel de l’Union européenne, par Hugo Flavier, 2012.

    Préface

    Au moment où une très large concertation est lancée pour moderniser le Règlement CE n° 1346 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, l’ouvrage de Madame Eugénie Fabriès-Lecea, issu de sa thèse de doctorat, revêt un intérêt tout particulier. Il ne s’agit pas, en effet, d’une nouvelle description du contenu de cet instrument communautaire qui a déjà donné lieu à de multiples études, mais d’une réflexion forte sur l’apport du Règlement à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne. Qui aurait cru que ce texte dont l’élaboration a été aussi lente et chaotique aurait un tel destin dans la consécration d’une Europe juridique ?

    Madame Fabriès-Lecea en fait une démonstration très convaincante en constatant que la méthode conflictuelle adoptée par le Règlement, de préférence à une harmonisation des législations nationales, loin d’appauvrir « le projet Europe », l’enrichit au moins à deux égards.

    D’une part, et c’est l’objet de la première partie de l’ouvrage, en formulant une règle de conflit principale, classique et à caractère universel, la lex fori concursus, pour résoudre les conflits de lois en matière d’insolvabilité, le Règlement met en lumière la création d’un espace européen coordonné dans un souci de liberté, de sécurité et de justice. La juridiction de l’État membre dans le ressort duquel le débiteur a le siège de ses intérêts principaux applique sa loi, ce qui « donne aux conflits de lois une solution uniforme et commune à l’ensemble des États membres » (p. 34). En outre, l’adoption, par le règlement insolvabilité, de qualifications autonomes : procédure d’insolvabilité, sort des droits réels, compensation des créances… supprime « indirectement les conflits entre les législations nationales qui peuvent ou auraient pu surgir à l’occasion de son interprétation » (p. 34) et forge ainsi, sous le contrôle unificateur de la CJUE, un droit privé européen uniforme.

    Madame Fabriès-Lecea observe cependant que la règle de conflit principale, issue de la compétence universelle de la lex fori concursus, est néanmoins empreinte de territorialité : elle ne s’applique qu’aux procédures dans lesquelles le centre des intérêts principaux du débiteur est situé dans l’Union européenne et produisant un effet transfrontalier, c’est-à-dire aux procédures d’insolvabilité européennes et aboutit nécessairement à la désignation de la loi d’un État membre. L’auteur estime qu’il faudrait, par conséquent, aller plus loin dans l’adoption de règles de conflit vraiment universelles, en abandonnant cet « universalisme régional », afin « de dépasser l’obstacle du morcellement de la procédure d’insolvabilité » (p. 276).

    D’autre part, dans la deuxième partie de son ouvrage, Madame Fabriès-Lecea, démontre qu’en assurant l’efficacité sur tout le territoire de l’Union des décisions judiciaires rendues par le tribunal du for, le Règlement insolvabilité « contribue à donner une solution uniforme et cohérente au traitement de l’insolvabilité du débiteur » (p. 281) tant dans le cadre de la méthode conflictuelle qu’en dépassant celle-ci.

    Par essence, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité européenne produit, en effet, des conséquences sur le territoire d’au moins deux États membres. Les biens rentrant dans son périmètre sont éparpillés et l’admission d’une règle de conflit unique ne serait d’aucune utilité si l’exécution de la décision du tribunal saisi n’était pas assurée dans tous les États concernés. C’est pourquoi Madame Fabriès-Lecea s’attache à montrer que, dans le cadre de la méthode conflictuelle, la « puissance créatrice » du Règlement est d’imposer la reconnaissance mutuelle, de plein droit, sans autre formalité, du résultat de la règle de conflit européenne. Le seul correctif qui est apporté à l’application de la décision résulte du respect par la loi désignée de l’ordre public international, mais il y a peu d’hypothèses, pour le moment, où l’exception de l’ordre public ait eu vocation à jouer car le Règlement exige une atteinte « manifeste » à l’ordre public international et de surcroît, la Cour de justice en contrôle strictement l’utilisation.

    Une telle efficacité de la décision européenne est enfin renforcée, au-delà de la méthode conflictuelle, par la coordination des procédures d’insolvabilité, principale et secondaire, et par la coopération des organes, et notamment des syndics, qu’organise le règlement insolvabilité.

    À partir de cette analyse, Madame Fabriès-Lecea apporte une contribution personnelle très constructive à l’amélioration du Règlement insolvabilité aussi bien sur le plan des solutions substantielles qu’il retient que sur le plan des méthodes utilisées. Afin de parvenir à une « véritable universalité internationale des règles de conflit européennes » (p. 493), elle suggère, notamment, d’abandonner la référence à la loi d’un État membre et de « déconnecter » les règles d’applicabilité spatiale du Règlement insolvabilité des règles de compétence législative et juridictionnelle. Mais au-delà, ses propositions dépassent les seuls aspects substantiels et techniques de la règle de conflit en matière de faillite, pour affirmer la pertinence d’un droit international privé européen qui, par le biais de l’ordre public international, redonne une place majeure aux droits nationaux dans la construction européenne.

    Cette démonstration d’une très grande richesse est conduite avec clarté par l’auteur. La langue est pure, le style alerte, les expressions précises et rigoureuses. L’ouvrage se lit agréablement malgré sa technicité.

    Il est possible, sans trop s’avancer, de lui prédire un bel avenir ainsi qu’à son auteur. Déjà primée, à plusieurs reprises, la thèse de Madame Fabriès-Lecea a également permis sa qualification par le Conseil National des universités aux fonctions de maître de conférences. Souhaitons, et ce serait largement mérité, qu’elle lui permette d’intégrer l’Enseignement supérieur qui a besoin de chercheurs de sa qualité.

    Corinne Saint-Alary-Houin

    Professeur à l’Université Toulouse1-Capitole

    (Centre de droit des affaires)

    Principales abréviations

    Introduction

    1. « Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement et l’adoption du présent règlement est nécessaire pour atteindre cet objectif qui relève du domaine de la coopération judiciaire civile au sens de l’article 65 du traité » (1). Ce considérant du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (2) révèle que les institutions de l’Union européenne conçoivent l’adoption de règles communes en matière d’insolvabilité internationale comme un élément crucial certes de la construction du marché intérieur, mais également de la coopération judiciaire civile, et partant comme un rouage essentiel de la construction d’une Europe juridique (3) (4).

    2. Afin d’appréhender à sa juste valeur la contribution du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne, le cadre de l’étude doit être précisément circonscrit.

    Comme tous les instruments semblables, le règlement « insolvabilité » a été édicté par les institutions de l’Union européenne en tant que l’une des normes concourant à la complétion du système juridique de l’Union ; car c’est bien de la construction d’un véritable ordre juridique qu’il s’agit. Traditionnellement, un ordre juridique se définit comme un ensemble structuré en système de tous les éléments entrant dans la construction d’un droit régissant l’existence et le fonctionnement d’une communauté humaine (5). Il présente les caractères d’efficacité (6), d’unité (7), de cohérence (8) et de complétude. Si les trois premiers caractères ne présentent pas de difficultés particulières au regard de la construction de l’Union européenne, qui les embrasse, le dernier en revanche présente, sous cet éclairage, une réelle particularité.

    La complétude de l’ordre juridique se définit par l’absence, en son sein, de lacune : un juge doit être capable d’identifier une norme applicable à toutes les situations qu’il aurait à résoudre. Or, le droit de l’Union européenne n’est pas un droit commun, apte à résoudre toutes les questions qui peuvent se poser à lui. Il est un droit spécial qui tire sa raison d’être de la seule volonté des États, l’Union européenne ne disposant jamais que d’une compétence d’attribution dans les domaines de son intervention (9). Ce caractère spécial explique que le droit de l’Union européenne soit un droit parcellaire par nature. Par comparaison avec les droits nationaux, qui ne comportent qu’un nombre infiniment petit de lacunes, le droit de l’Union européenne, encore jeune, connaît des plages entières de vide (10). Pour autant, le droit de l’Union européenne tend à la complétude, soit qu’il fournisse lui-même les règles nouvelles et les normes complémentaires facilitant leur mise en œuvre, soit qu’il renvoie aux législations nationales des États membres pour combler un éventuel manque. En cela, il est un ordre juridique complet.

    Dans le cadre de la présente étude, l’ordre juridique de l’Union européenne sera compris stricto sensu (11), comme l’ensemble des règles européennes autrefois élaborées dans le cadre du premier pilier (pilier de la Communauté européenne) de l’Union européenne (12), et découlant des pouvoirs conférés aux institutions de l’Union par les traités. Bien que le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009, abandonne le schéma de la construction de l’Union européenne en piliers, et impose de la sorte de délaisser le terme « communautaire » au profit du terme « européen », ces normes issues de l’action spécifique de l’ex-Communauté européenne, méritent encore aujourd’hui d’être distinguées du droit européen en général, compte tenu de leurs particularités. La présente recherche s’inscrit donc essentiellement dans le cadre de l’une des « ’Europe’ juridiques » (13), celle de l’Union européenne dans son ancienne composante communautaire, laissant de la sorte de côté le droit européen tel qu’il s’est développé en dehors de l’ex-Communauté européenne (14), et les « Europe » du Conseil de l’Europe (15) et des droits de l’homme (16), même s’il sera constaté que cette dernière peut exercer une influence certaine. Aussi, le lecteur est-il invité à procéder à la conversion terminologique qu’impose désormais le traité de Lisbonne, à savoir substituer au terme « communautaire » le terme « européen », tout en gardant à l’esprit que ce changement terminologique n’emporte pas de changement de fond dans le cadre de la présente étude.

    3. Pour cerner la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne, et par-là même l’apport du règlement « insolvabilité », il faut se souvenir de l’appel de l’Europe lancé à nos pères. Au lendemain des années de guerre, la réalisation d’un espace permettant la rencontre des États se présentait comme une nécessité pour retrouver la paix. C’est alors que le modèle du marché commun, devenu marché intérieur (17), s’imposa, et avec lui la construction de l’Europe par le droit (18). La machinerie institutionnelle fut créée (19), et la méthode téléologique et les concepts économiques inventés. Il fallut alors élaborer les méthodes de réalisation d’un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée » (20). Dans un premier temps, l’uniformisation qui semblait être la méthode la plus simple, et le moyen de promouvoir le schéma connu de l’ordre intégré, fut privilégiée. Mais, la réalité montra vite ses limites, et l’harmonisation fut préférée. Il en fut déduit un principe de reconnaissance, qui a conduit à définir le marché intérieur par le rapprochement des législations, et l’utilisation du principe d’origine ou de reconnaissance mutuelle.

    Le temps passa, et le droit de l’Union européenne, si distinct des grammaires juridiques nationales, s’est construit petit à petit. Mais, sa construction empirique, et l’amoncellement des solutions nécessaires à son fonctionnement, en ont fait un droit technique, complexe, rendant le chemin qui mène à sa connaissance obscur, et l’éloignant chaque jour un peu plus des nations. Dans cette recherche d’une conciliation de l’unité d’un droit de l’Union européenne avec la pluralité irréductible des systèmes juridiques des États membres, l’Europe peinait à se renouveler. L’appel d’une autre Europe fut alors lancé. Il s’agissait cette fois de construire l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et avec lui l’Europe du droit.

    4. Conçue à l’origine dans une perspective économique, « l’Europe de la première génération », celle du marché intérieur, avait tenu à l’écart la justice, qui est par nature une activité régalienne, au cœur des questions de souveraineté nationale. Pourtant, la construction du marché intérieur, et particulièrement sa composante de libre circulation des personnes, ne pouvait ignorer la sécurité et la justice. C’est ainsi que très tôt des projets de coopération ont vu le jour (21), et plus tard, l’espace Schengen (22) a instauré une coopération judiciaire, sur le mode intergouvernemental, pour assurer la sécurité en vue d’une totale liberté de circulation des personnes dans l’Union européenne. C’est aussi à cette occasion que la citoyenneté européenne est née. Mais, ce lien entre libre circulation des personnes et sécurité et justice n’a véritablement été établi qu’à l’occasion du traité d’Amsterdam (23). Ce dernier a ainsi fondé un « espace de liberté, de sécurité et de justice », mettant à l’honneur la coopération judiciaire en matière pénale et en matière civile. Si la coopération pénale est restée attachée au troisième pilier, la coopération judiciaire en matière civile a été transférée, par le traité d’Amsterdam au premier pilier de la Communauté européenne. La communautarisation (24) ainsi réalisée a permis de dépasser, pour ce domaine, le recours à la méthode intergouvernementale, et autorisé la transformation d’anciennes conventions en règlements sur le fondement de la technique du reformatage. Une étape supplémentaire vient d’être franchie dans la construction de « l’Europe de deuxième génération », celle de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, avec l’entrée en vigueur le 1er décembre 2009 du traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007. Si ce texte se présente comme un recul par rapport au projet de traité portant Constitution, en particulier pour l’application par tous les États de la Charte des droits fondamentaux, il présente l’intérêt, non seulement d’abandonner la construction en trois piliers, rendant plus lisible le droit de l’Union européenne produit, mais surtout de placer l’espace de liberté, de sécurité et de justice sur le devant de la scène, puisqu’il figure désormais dans les objectifs de l’article 3 du traité sur l’UE avant le marché intérieur : « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ».

    5. L’espace de liberté, de sécurité et de justice se distingue du marché intérieur. Ceci apparaît dès l’origine de la création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. En effet, le choix du terme « espace » témoigne de la volonté de se défaire de toute connotation économique de « marché », comme de toute connotation politique de « territoire ». De même, l’aspect « justice » qui est une activité régalienne, souligne ce détachement. Cette approche se trouve renforcée par les dispositions de l’article 81 TFUE (ex-article 65 CE) qui déconnecte l’espace liberté, sécurité et justice, de l’objectif de réalisation du marché intérieur avec l’abandon de la référence « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». Désormais, l’espace de liberté, de sécurité et de justice apparaît comme un concept autonome, aussi essentiel, dans la construction de l’Union européenne, et aussi fédérateur, qu’a pu l’être en son temps le marché intérieur.

    6. « L’Europe de la deuxième génération », celle de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, apparaît quelque peu hétérogène.

    Elle l’est, tout d’abord, par la disparité des termes employés, même si, heureusement, leur combinaison permet de retrouver le chemin d’un espace de droit :

    « pour liberté, on entend plus que la libre circulation dans l’espace de l’Union européenne : il s’agit également de vivre dans un environnement sûr où tous les citoyens peuvent vivre dans la paix et la prospérité. La sécurité ne se limite pas à la répression de la criminalité : c’est un moyen pour atteindre la liberté. Sécurité et liberté sont indissociables. Le rôle de la justice est de protéger la liberté et de garantir la sécurité dans un espace dans lequel les personnes physiques ou morales franchissent les frontières nationales des États membres avec une facilité croissante » (25).

    Elle l’est, ensuite, par la diversité de ses domaines. Si on laisse de côté les normes adoptées en matière de coopération pénale, l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans sa composante « coopération judiciaire en matière civile », connaît des domaines variées. Ainsi, ont été adoptés un certain nombre de règlements qui unifient les règles de conflit de lois et de compétence. L’élargissement des objectifs européens a conduit à l’adoption de tels instruments dans presque tous les domaines, comme en témoignent les règlements et projets de règlements en matière civile et commerciale (26) et en matière patrimoniale (27) et extra-patrimoniale de la famille (28). L’ardeur créatrice des institutions de l’Union européenne s’est aussi étendue au droit processuel. C’est ainsi qu’ont été adoptés le règlement du 29 mai 2000 sur la signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, le règlement du 28 mai 2001 sur l’obtention de preuves à l’étranger, le règlement du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, le règlement du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer et le règlement du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges.

    Elle l’est, aussi, par la pluralité des méthodes employées. Ainsi, les règlements adoptés recourent tantôt aux règles de compétence internationale, aux règles de conflit de lois, au principe de reconnaissance mutuelle ou aux règles matérielles de droit international. En cela, les règlements européens adoptés sur le fondement de la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, apparaissent d’inégale portée. « L’Europe de la deuxième génération » a ainsi produit un droit international privé européen, distinct des grammaires nationales. Jusqu’à l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, les conflits de systèmes étaient résolus dans l’Union européenne au moyen des règles du droit international privé interne. Son objet était certes le traitement des situations internationales, caractérisées par la présence d’éléments d’extranéité, mais les solutions énoncées procédaient très largement des ordres internes, de sorte que les solutions conflictuelles retenues ne valaient a priori que du point de vue de l’État qui les édictaient. Or, cette époque est révolue. Désormais, une partie importante de la matière est constituée de normes de source européenne. « La visibilité d’un droit international privé spécifiquement communautaire s’est accrue au fur et à mesure que les organes communautaires, en déclinant les quatre libertés du Traité, ont été amenés à édicter des normes matérielles et d’autres délimitant le champ d’application dans l’espace des premières » (29). Les solutions de droit international privé européen valent pour tous les États membres, à l’exception de ceux qui ont refusé la communautarisation (30) (31). Le droit international privé connaît donc une rénovation de ses sources. Et l’ambition de la communication de la Commission intitulée « Un espace de liberté, de sécurité et de justice au service des citoyens » laisse planer peu de doutes quant à l’avenir des règles de droit international privé en Europe. Pour autant, l’expression « droit international privé européen » est trompeuse. Si elle induit un changement de source du droit international privé, elle ne peut être réduite à ce seul aspect (32). En effet, l’objectif de « l’Europe de deuxième génération » n’est plus de faire valoir le point de vue d’un État, comme dans le cas de règles de source interne, ou de faire valoir un système unifié tout en maintenant pour les États des mécanismes d’exception, comme dans le cas de règles de source conventionnelle. Il s’agit de construire un espace juridique et judiciaire comme il a été construit un espace de circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux. Aussi, ce changement de logique induit un changement de fonction des outils classiques de droit international privé comme en témoignent l’ordre public (33) et les lois de police (34) (35). Cela tient à l’absence de distinction entre l’entité qui définit les règles de conflit et l’entité qui enrichit le contenu des exceptions nationales (36).

    Elle l’est, enfin, par l’émergence de la notion dérivée d’espace judiciaire européen (37). Cette autre notion, aux contours un peu flous, se concentre sur l’analyse de la justice dans un espace où la liberté et la sécurité sont assurées. Ainsi, certains réduisent son domaine à la seule perspective pénale (38), alors que d’autres adoptent une vision plus large, sans distinction entre l’approche civile et l’approche pénale (39).

    7. Dans ce nouvel élan de la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne, inspiré de la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, les institutions de l’Union ont très tôt compris la nécessité d’uniformiser des règles en matière d’insolvabilité internationale. La grande disparité des droits nationaux en matière de procédures collectives transfrontalières favorise, en effet, le forum shopping (40) qui trouve dans le contentieux international, que ce soit à travers l’option de compétence que les règles nationales laissent fréquemment aux plaideurs (41), ou à travers l’unilatéralisme des règles qui permet que la compétence d’un ordre juridictionnel soit concurrencée par la compétence d’un autre ordre niant l’exclusivisme du premier, le terreau particulièrement fertile nécessaire à son développement. Face au déficit d’harmonisation des droits, débiteurs et créanciers pouvent être tentés de choisir de demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à la juridiction qu’ils estiment susceptible de satisfaire au mieux leurs intérêts. Aussi, c’est pour limiter ce phénomène répréhensible (42) lorsqu’il consiste en un abus de droit (43) ou en une fraude à la compétence ou à la loi (44), que les institutions de l’Union ont adopté le 29 mai 2000 un règlement (CE) n° 1346/2000 sur les procédures d’insolvabilité (45), fruit d’une longue genèse.

    Dès les années 1960, des experts avaient été réunis en Europe pour travailler sur la question de la circulation des jugements, et en 1963 un comité de spécialiste fut formé pour la question particulière des faillites internationales. Un projet ambitieux de convention de 1982 après un premier projet de 1970, adopta le principe de l’universalité soit de la procédure unique, quel que soit le lieu de situation des biens, mais ne prospéra pas, car jugé trop théorique et ne prenant pas suffisamment en compte les modifications intervenues entre temps dans les législations des États. Les efforts de la Communauté européenne reprirent en 1989 et se concentrèrent sur la recherche d’un compromis et de solutions plus modestes afin de doubler le projet du Conseil de l’Europe, et de compléter les travaux qui s’effectuaient en parallèle sur la société européenne dès lors que les mêmes idées se retrouvaient dans les deux projets de conventions. L’échec de la convention du Conseil de l’Europe du 5 juin 1990 sur certains aspects de la faillite internationale (46), signée par sept États, mais ratifiée par un seul, a redonné de l’impulsion aux travaux de la Communauté. Cependant, ces derniers ont buté une nouvelle fois sur l’obstacle de la ratification par les États de la convention de Bruxelles du 23 novembre 1995 relative aux procédures d’insolvabilité (47) qui n’est jamais entrée en vigueur faute de pouvoir atteindre le nombre de ratification nécessaire (48).

    Parallèlement à ces efforts européens, des tentatives d’internationalisation des règles régissant l’insolvabilité internationale ont été menées. La réussite de ces tentatives reste exceptionnelle et souvent limitée. C’est ainsi que certains États se sont dotés de conventions bilatérales (49). La France a de la sorte signé quatre conventions : la convention franco-belge du 8 juillet 1899 (50), la convention franco-italienne du 3 juin 1930 (51), la convention franco-monégasque du 13 septembre 1950 (52), et la convention franco-autrichienne du 27 février 1979 (53). À côté de ces conventions, la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) a adopté une Loi type sur les procédures d’insolvabilité par consensus le 30 mai 1997 en conclusion de sa 3e session tenue à Vienne du 12 au 30 mai 1997 (54). Pour autant, l’unification qu’elle propose est fonction de la réception plus ou moins fidèle de ses dispositions par les législations nationales (55). Cela est encore plus vrai pour le Concordat sur les « Cross border insolvencies » de l’International Bar Association (IBA) (56) adopté lors de la session de Paris du 17 au 22 septembre 1995, dont les principes juridiques sont parfaitement indépendants d’une institution. Cet acte unilatéral qui émane d’une association privée à vocation internationale ne bénéficie pas de la force obligatoire (57) et, contrairement à la Loi type de la CNUDCI, il n’a pas pour objet d’harmoniser les législations nationales, mais de favoriser une certaine homogénéité de la pratique.

    Face à ces normes peu contraignantes, limitées ou avortées, l’internationalisation des règles de l’insolvabilité est apparue insuffisante, conduisant à maintenir la matière dans le giron des règles du droit international privé interne. Pour la France, le dispositif se compose majoritairement de règles de compétence internationale (58) et de conflit de lois (59), même si le Code de commerce propose quelques normes matérielles de droit international (60). Les solutions adoptées ne valent donc a priori que du point de vue interne, ce qui cristallise les difficultés autour de la question des effets des jugements. Si, à l’image d’autres droits (61), le droit français consacre le principe d’universalité de la procédure ouverte sur son territoire (62), c’est à la condition de l’acceptation des ordres juridiques étrangers (63). De la même manière, l’absence d’exequatur de la décision étrangère de faillite prive cette dernière de l’autorité de la chose jugée et de la force exécutoire en France, ce qui conduit à considérer le débiteur comme étant in bonis en France et à autoriser les juridictions françaises à ouvrir une nouvelle procédure à son encontre dès lors qu’un critère de rattachement leur donne compétence.

    Le traité d’Amsterdam a finalement permis de sortir de l’impasse en communautarisant la coopération judiciaire en matière civile. En effet, ce transfert partiel du troisième pilier (64) autorise la transformation de certaines conventions en règlement selon la technique du reformatage (65). Il ne restait plus qu’à attendre la réalisation, déclenchée par l’Allemagne et la Finlande qui usant du droit d’initiative conféré aux États membres par l’ancien article 67, paragraphe premier, du traité CE, permirent d’aboutir à l’adoption le 29 mai 2000 du règlement (CE) n° 1346/2000 sur les procédures d’insolvabilité, entré en vigueur le 31 mai 2002 (66). Ce texte présente l’avantage, d’être directement applicable dans les États membres (67), ce qui contourne l’obstacle de la ratification des conventions internationales.

    8. Si un examen du règlement « insolvabilité » présente un intérêt certain au regard des solutions substantielles du droit de l’insolvabilité internationale, il présente d’autant plus d’intérêt qu’il éclaire l’évolution de la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne, tant à travers ses principes fondateurs qu’au regard de son domaine matériel et spatial.

    9. Le règlement « insolvabilité » met d’abord en lumière un enrichissement de l’ordre juridique de l’Union européenne à travers ses principes fondateurs.

    Ainsi, l’adoption du règlement « insolvabilité » sur le fondement de l’ancien article 65 CE, devenu article 81 TFUE, contribue à assurer dans l’Union européenne la sécurité d’une part et la justice d’autre part. La réalisation de ces principes se trouve, en effet, confortée, via le règlement « insolvabilité », par la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions rendues dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. Ce principe de justice fut rappelé par l’Union européenne à l’occasion du traité de Lisbonne : « L’Union facilite l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ».

    Mais, l’apport du règlement « insolvabilité » va au-delà de ces seules considérations de sécurité et de justice ; ce sont les valeurs humaines qui sont mises au centre de la construction européenne. En effet, la revalorisation en son sein de l’exception nationale d’ordre public international témoigne d’un retour en force des valeurs humaines et des droits fondamentaux de la personne. C’est ainsi que la lettre du texte instaure le respect du secret postal en matière de procédure d’insolvabilité (article 25) et fait une place aux principes fondamentaux et aux droits et aux libertés individuelles garantis par les Constitutions nationales (article 26). Dans ce mouvement, la Cour de justice de l’Union européenne assure le respect des garanties procédurales en matière d’insolvabilité en retenant, notamment, la possibilité pour un État membre de refuser de reconnaître une décision d’ouverture de procédure si elle a été prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendu dont dispose une personne concernée par une telle procédure (68). Le règlement « insolvabilité » contribue de la sorte à construire une Europe sur un modèle, qui ne se veut plus seulement économique, mais qui se rêve humaniste, en plaçant au centre de la construction européenne les valeurs humaines.

    Au-delà, c’est le principe européen de solidarité, dans sa composante « obligation de coopérer » mise à la charge des États membres (69), qui se trouve enrichi par l’entrée en vigueur du règlement « insolvabilité ». En effet, ce dernier instaure une coopération entre les autorités nationales. Les organes de la procédure, syndic et juridiction, sont tenus d’un devoir d’information réciproque et de collaboration (article 31). Ceci conforte l’obligation des États membres de coopérer qui peut aller jusqu’à leur imposer un devoir d’assistance ou de collaboration croisée entre autorités nationales, comme en témoignent les solutions du règlement « insolvabilité ».

    Enfin, c’est le principe de sécurité juridique, cher à la construction européenne, qui se trouve conforté par l’interprétation de la CJUE du champ d’application temporel du règlement « insolvabilité ». En effet, elle a considéré, dans un arrêt du 17 janvier 2006 rendu dans l’affaire Staubitz-Schreiber, que le règlement s’applique si aucune décision d’ouverture n’a été rendue avant sa date d’entrée en vigueur, et cela même si la demande d’ouverture est antérieure à cette date (70). Cette solution a le mérite de mettre un terme aux divergences d’interprétation du champ d’application temporel du règlement.

    10. L’analyse du règlement « insolvabilité » met ensuite en lumière un certain élargissement du champ d’intervention de l’Union européenne. L’adoption du règlement « insolvabilité » constitue, en effet, la preuve d’une extension à l’extrême du domaine matériel du droit européen, jusque dans des matières traditionnellement réservées au pouvoir souverain des États. Jusqu’à un passé encore récent, le droit international privé de la faillite était, en effet, principalement interne par ses sources. Son objet était certes le traitement des faillites internationales, mais les solutions énoncées procédaient très largement de l’ordre interne ; à preuve, d’ailleurs, qu’on a pu considérer que la faillite internationale constituait un îlot de résistance à l’internationalisation (71). Or tel n’est plus le cas. Le droit international privé de la faillite est aujourd’hui européen pour une partie non négligeable de ses sources. L’influence du règlement « insolvabilité » dans l’expansion des compétences européennes n’apparaît pas autrement que dans l’évidence.

    11. Enfin, cette évolution dans la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne mérite d’autant plus d’être relatée que le règlement « insolvabilité » met en lumière les limites spatiales de ce dernier, en dessinant les contours d’un espace régional.

    Ainsi, le règlement « insolvabilité » tente de se fixer des limites géographiques. D’une part, il ne s’applique qu’aux seules procédures d’insolvabilité dans lesquelles le centre des intérêts principaux du débiteur est localisé dans l’Union européenne, à l’exception du Danemark. D’autre part, les règles de conflit de lois énoncées par le règlement « insolvabilité » se limitent à la désignation de la loi d’un État membre. Apparaissent alors incidemment les contours géographiques de l’espace de liberté, de sécurité et de justice pour la réalisation duquel le règlement « insolvabilité » fut adopté (72). La construction de l’Union européenne s’enrichit de la sorte d’une nouvelle territorialité qui se distingue des territorialités nationales, et du territoire européen entendu comme la somme des territoires géographiques des États membres.

    Néanmoins, le fait que le règlement « insolvabilité » lie tous les États membres, à l’exception du Danemark, témoigne d’une certaine relativité dans la construction européenne. En effet, la clause opt-in (pour le Danemark) et la clause opt-out (pour le Royaume-Uni et l’Irlande), permettent à certains États membres de se tenir à l’écart de l’européanisation des règles de droit international privé. Or cette application à la carte n’est pas sans compliquer le processus de construction de l’Union européenne, fragilisant même la confiance que les États peuvent porter dans le projet Europe. Toutefois, le Danemark a consenti par un protocole additionnel de se soumettre au dispositif du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. L’avenir nous dira si un tel revirement dans la politique législative du Danemark se reproduira. Quant au Royaume-Uni et à l’Irlande, ils sont déjà soumis au règlement (CE) n° 44/2001 et au règlement « insolvabilité ».

    12. Au-delà de l’éclairage de l’évolution de la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne à travers ses principes fondateurs, son domaine matériel et spatial, l’analyse du règlement « insolvabilité » met en lumière certaines des mutations méthodologiques récentes que l’ordre juridique de l’Union européenne connaît. Le règlement « insolvabilité » occupe, en effet, une place importante dans l’émergence de méthodes européennes nouvelles de rapprochement des systèmes nationaux.

    13. Très tôt, l’Union européenne s’est tournée vers les méthodes d’unification et d’harmonisation. L’unification conduit à des règles identiques appartenant à un droit commun unique. L’harmonisation est quant à elle définie comme le moyen par lequel « les règles tendent seulement à se rapprocher autour de principes communs mais peuvent rester différentes » (73). Avec le temps, ces méthodes se sont avérées être d’un maniement délicat. Il leur a été, en effet, reproché d’être un facteur d’acculturation des systèmes juridiques nationaux, et de perte d’identité des institutions juridiques nationales (74). Il suffit de repenser aux débats contemporains qu’a suscité le projet d’une codification du droit des contrats (75). L’harmonisation européenne ne devrait donc pas sortir des domaines techniques. Par ailleurs, c’est l’efficacité même des instruments classiques du droit dérivé, que sont le règlement et la directive, qui est discutée. En ce qu’il impose une législation unique, directement applicable dans les droits nationaux, le règlement est une norme d’unification. La directive, obligatoire seulement quant au résultat à atteindre, apparaît plutôt comme l’instrument privilégié de l’harmonisation. Or, il semble, au-delà d’une certaine confusion dans le partage entre ces deux normes, que les résultats atteints ne soient pas toujours ceux escomptés. Ainsi, certaines directives se sont révélées si précises qu’une nouvelle forme de rapprochement des droits est apparue, celle de l’uniformisation. Celle-ci conduit à des règles identiques incorporées à des droits nationaux distincts (76). De même, on n’hésite plus aujourd’hui à parler d’harmonisation a minima et a maxima pour souligner les degrés de l’harmonisation européenne (77). À l’inverse, certains règlements prévoient tant d’exceptions et d’adaptations de la norme européenne par les États membres que l’unité de la réglementation européenne paraît quelque peu douteuse. De la même manière, le rapprochement des législations nationales par le biais de la directive apparaît parfois illusoire, tant la réception de la réglementation européenne par les droits nationaux est variée. Bien que réelles, la portée de ces difficultés doit cependant être relativisée au regard des progrès réalisés dans l’intégration de l’ordre juridique de l’Union européenne et des droits nationaux. Aussi, c’est fort logiquement que l’ordre juridique de l’Union européenne continue de se construire au moyen de ces méthodes classiques, comme en témoigne l’adoption ces dernières années, de directives en matière d’assainissement et de liquidation des établissements de crédit (78) et des entreprises d’assurance (79), et en matière de protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (80).

    Rapidement, le principe de reconnaissance mutuelle fut posé par la Cour de justice obligeant, sous certaines conditions, les États à reconnaître les situations validées dans un autre État membre. Consacré dans l’affaire Cassis de Dijon (81), le principe de reconnaissance mutuelle a vu son domaine s’élargir. À la faveur du traité d’Amsterdam, le principe de reconnaissance mutuelle impose aux États de reconnaître les décisions rendues par les juridictions d’un autre État membre.

    Mais, parallèlement encore, l’Union européenne met en place et développe de nouvelles méthodes de rapprochement des législations nationales. En premier lieu, ce sont les instruments de soft law qui se présentent comme une alternative aux méthodes classiques. Cette normativité douce, que certains hésitent à qualifier de juridique, n’est pas vraiment nouvelle dans le paysage de l’Union européenne. Les recommandations sont en effet depuis longtemps un procédé utilisé par les institutions de l’Union européenne, pour rapprocher les droits nationaux. Ce qui apparaît toutefois novateur c’est le recours à ces normes, dans certains domaines techniques, à la place de l’adoption de directives européennes. En second lieu, c’est la méthode ouverte de coordination qui se porte en alternative aux instruments européens (82). Cette méthode émergeante, qui se rencontre en particulier en matière sociale dans le cadre de la stratégie coordonnée pour l’emploi, et qui est de nature intergouvernementale, repose sur la fixation commune de lignes directrices permettant l’évaluation des politiques nationales. Elle serait « une autre manière de concevoir la convergence européenne, reposant sur la valeur de l’exemple, plus que sur l’autorité de la norme » (83).

    14. Aux côtés de ces méthodes de rapprochement des législations nationales, le règlement « insolvabilité » propose le droit international privé européen comme une alternative.

    D’une part, l’énoncé de règles de conflit de lois et de compétence viennent au soutien du mécanisme européen de reconnaissance mutuelle. Ce principe consacré dans le marché intérieur avec l’affaire Cassis de Dijon (84), est devenu, au terme du sommet de Tampere, la pierre angulaire de la coopération judiciaire (85). Mais, si la reconnaissance mutuelle est viable dans un environnement juridique commun, elle devient impos­sible à mettre en œuvre faute d’un rapprochement minimal des droits internes concernés. Or, l’adoption de règles de conflit uniformes contribue à l’efficacité du principe de reconnaissance mutuelle. Sans renoncer à la teneur de leur loi nationale, un État requis pourra parfaitement laisser une décision rendue par le juge de l’État membre d’origine produire ses effets sur son territoire : en effet, s’il avait été saisi, le juge de l’État membre requis aurait rendu sa décision sur la base des mêmes règles de conflit.

    D’autre part, le règlement « insolvabilité » adopte les méthodes et finalités du droit international privé puisque, sous réserve de quelques règles matérielles, il n’unifie ou n’harmonise pas les règles nationales de fond des procédures collectives (86), ce que certains regrettent (87), mais au contraire coordonne les différents systèmes juridiques, essentiellement par des règles de compétence et de conflit de lois (88). Cette coordination s’opère sans jamais agir sur la teneur des législations internes, préservant ainsi la souveraineté des États. Cette survie des particularismes nationaux, conforme à la devise européenne « Unie dans la diversité », n’empêche pas un règlement efficace des procédures d’insolvabilité internationale, dès lors que les opérateurs économiques peuvent connaître à l’avance la loi qui sera appliquée à la procédure d’insolvabilité, quel que soit le pays où cette dernière sera ouverte.

    15. Si le règlement « insolvabilité » est l’un des premiers textes de droit dérivé de droit international privé européen, il n’est pas le seul du genre. Pourtant, il mérite une attention particulière en ce qu’il constitue un élément très spécial de la construction de l’Europe juridique, et ce pour trois raisons essentielles.

    En premier lieu, le règlement « insolvabilité » ne constitue pas une uniformisation européenne du droit international privé européen dans son domaine, à la différence des règlements « Rome I » en matière contractuelle et « Rome II » en matière délictuelle. L’objet d’intervention du législateur européen était la mise en place d’un régime européen de droit international privé propre aux faillites internationales, pour un débiteur dont le centre des intérêts principaux est localisé dans l’Union européenne.

    En deuxième lieu, le règlement « insolvabilité » est l’un des rares textes, avec le règlement (CE) n° 2201/2003 dit « B2 bis » (89), de droit international privé européen à contenu substantiel conçu comme complétant les règles juridiques européennes en matière civile et commerciale (90). Il n’est qu’à lire les considérants 7 et 8 pour s’en convaincre (91).

    En troisième lieu, le règlement « insolvabilité » mérite une attention particulière en raison des solutions méthodologiques de droit international privé qu’il adopte. En effet, par comparaison avec les autres textes de droit international privé européen, il est le seul à limiter l’énoncé de la règle de conflit à la désignation de la loi d’un État membre. Tant la règle de conflit principale fondée sur la lex fori concursus, que les règles de conflit de lois spéciales, adoptées par le règlement « insolvabilité », ne sont donc pas universelles au sens classique du terme. Le règlement « insolvabilité » institue de la sorte une universalité d’un type nouveau que l’on pourrait qualifier d’européenne. Ce résultat peut s’expliquer de deux manières. La première explication est d’ordre historique. Au moment de l’élaboration du règlement « insolvabilité », l’espace de liberté, de sécurité et de justice n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Créé à l’origine comme le pendant du marché intérieur, les rédacteurs du règlement « insolvabilité » ont raisonné uniquement sur le modèle d’une zone interne et fermée. De plus, l’utilisation des méthodes de reconnaissance et de confiance mutuelle paraissaient devoir limiter la désignation de la loi à celle d’un État membre. De ce fait, et sous l’angle de la désignation de la loi applicable, le règlement « insolvabilité » ignore les relations avec les États tiers. La seconde explication est propre à la matière. En effet, les procédures d’insolvabilité sont étroitement liées au droit des biens et comporte une importante dimension judiciaire, ce qui induit que la confiance accordée ait été réservée uniquement aux lois des États membres.

    De la même manière, il est l’un des rares avec le règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 sur les obligations alimentaires (92), à mettre en place, aux côtés de la coordination des normes, une coopération des hommes. Ainsi, le règlement « insolvabilité » met-il à la charge des organes nommés dans la procédure une obligation de collaboration et un échange d’informations.

    16. Le concours du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne est dès lors différent de ce que les autres textes peuvent réaliser. L’exposé de cette différence ne démontre d’ailleurs pas nécessairement une supériorité du règlement « insolvabilité » par rapport aux autres textes ; néanmoins, l’analyse de cet instrument permet de tirer des leçons et de formuler des propositions en vue d’une meilleure construction de l’ordre juridique de l’Union européenne.

    17. L’objet de la présente étude sera donc d’exposer l’apport méthodologique du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne. Elle devrait permettre d’observer les diverses solutions adoptées par le règlement « insolvabilité » que son entrée en vigueur impose aux législations des États membres en matière de faillite. Mais surtout, l’objectif est de démontrer que le règlement « insolvabilité » induit des conséquences méthodologiques pour la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne. Certes l’analyse de la contribution méthodologique du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne sera parfois menée de manière critique et mettra en lumière certaines difficultés, mais elle conserve un intérêt majeur du fait des résultats obtenus.

    18. L’analyse ainsi entendue de l’apport du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne induit nécessairement de ne traiter certaines questions que de manière incidente, et même d’en exclure certaines autres.

    C’est ainsi que l’apport des directives européennes adoptées en matière d’insolvabilité ne sera analysé qu’en tant que de besoin. Il en ira spécialement ainsi des directives concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (93) et des entreprises d’assurance (94), ainsi que de la directive sur le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (95). Il en ira de même des directives qui comportent quelques dispositions sur l’insolvabilité, comme la directive sur le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titre (96) et la directive sur les contrats de garantie financière (97). Ces directives concernent des champs matériels stricts ; elles ne sont conçues que comme des modalités d’achèvement du marché intérieur. Seul le règlement participe directement à la réalisation d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (98).

    Par ailleurs, l’analyse de l’apport du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne conduit à limiter le champ d’observation à la seule branche judiciaire de l’insolvabilité internationale. Dès lors, les questions relatives à l’arbitrage ne seront pas appréhendées. D’une part, le caractère privé de l’arbitrage – la compétence de l’arbitre dérivant d’un accord de volonté des parties – s’oppose à la compétence des autorités nationales en matière d’insolvabilité qui est posée par la loi (99). D’autre part, l’arbitrage n’est pas une procédure d’exécution et n’a pas de caractère collectif. Aussi, c’est de manière implicite que le règlement « insolvabilité » exclut de son champ d’application l’arbitrage en définissant les procédures d’insolvabilité comme « les procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic » (article 1).

    19. La contribution du règlement « insolvabilité » à la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne peut être analysée par la méthode adoptée.

    L’idée maîtresse qui innerve toute compréhension de la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne à travers les solutions du règlement « insolvabilité » réside dans l’affirmation selon laquelle l’option du règlement « insolvabilité » en faveur de la méthode conflictuelle enrichit la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne. Contrairement à une idée reçue, l’abandon de l’unification des normes substantielles au profit de l’unification des règles de droit international privé n’appauvrit pas le projet Europe. Au contraire, ce choix méthodologique présente l’avantage de remettre au cœur du débat les différents systèmes et traditions juridiques des États membres. D’autant que l’on voit mal le fondement à partir duquel l’Europe pourrait imposer tel ou tel modèle de procédure d’insolvabilité, de la même manière que l’on comprendrait mal, par exemple, que l’Europe impose un modèle familial unique (100). Aussi, le rapprochement des législations par l’unification des règles de droit international privé apparaît-il aujourd’hui suffisant.

    20. Cet enrichissement ainsi compris de l’ordre juridique de l’Union européenne par l’utilisation de la méthode conflictuelle au sein du règlement « insolvabilité », éclaire singulièrement la construction européenne, puisqu’à travers lui deux phénomènes corrélatifs peuvent être observés.

    21. L’objectif de création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice a d’abord conduit les rédacteurs du règlement « insolvabilité » à énoncer une règle de conflit de lois. Une telle règle, contenue dans un instrument tel que le règlement, assure sa primauté sur les règles nationales (101), et partant unifie les législations nationales dans les limites du texte. Il découle donc de sa capacité à pénétrer les droits nationaux, une propriété remarquable à donner aux conflits entre les législations nationales une solution uniforme, quel que soit le juge de l’État membre saisi. Ce caractère universel de la règle de conflit européenne signifie donc pour les États membres la mise en place d’un espace européen coordonné. Or, la spécificité européenne a conduit à se demander si une telle universalité de la règle de conflit de lois ne devait pas être limitée au territoire de l’Union européenne. Telle est en tout cas la voie qui a été choisie par les rédacteurs du règlement « insolvabilité ». La question se pose alors de savoir si la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice nécessitait une telle limitation.

    22. Mais, si, en matière d’insolvabilité, la réalisation d’un espace européen passe par le recours à la règle de conflit universelle, quand bien même elle serait limitée à la désignation de la loi d’un État membre, ce n’est qu’à la condition que son effectivité soit assurée dans l’Union européenne.

    23. Or, à la différence d’autres domaines, les règles gouvernant l’insolvabilité internationale doivent nécessairement prendre en compte le fait que, non seulement plusieurs pays sont concernés, mais encore que les décisions judiciaires qui seront rendues, devront obligatoirement être efficaces à l’étranger. Imaginons qu’une société de droit allemand, qui commercialise ses marchandises au lieu de ses établissements en France et en Espagne, rencontre des difficultés financières telles qu’elle ne peut plus honorer ses dettes et fasse l’objet à ce titre d’une procédure d’insolvabilité en Allemagne. En vertu du règlement « insolvabilité », qui trouverait ici à s’appliquer (102), seul le juge allemand pourra ouvrir une procédure d’insolvabilité principale (103), du fait de la localisation sur son territoire du centre des intérêts principaux du débiteur, présumé être pour une personne morale son siège statutaire, et uniquement sur le fondement de sa loi, en tant que lex fori concursus. Cette procédure a vocation à englober l’ensemble du patrimoine du débiteur où qu’il se trouve. Dans un tel contexte, la décision rendue devra nécessairement être exécutoire dans plusieurs pays, et pas seulement dans le pays d’origine. Et cette nécessité prend un tour résolument inédit dès lors qu’une pluralité de procédures d’insolvabilité- principale et secondaires- s’ouvre sur le territoire de l’Union européenne. Les résultats obtenus dans le cadre d’une procédure doivent pouvoir être pris en considération dans les autres procédures afin d’assurer un traitement cohérent et efficace de l’insolvabilité du débiteur. Dans un domaine comme l’insolvabilité internationale, l’universalité des règles de conflit posées par le règlement européen serait demeurée largement théorique, si le texte n’avait pas assorti lesdites règles d’éléments propres à assurer l’efficacité concrète de leur résultat.

    24. Le recours à la règle de conflit d’une part, et l’énoncé de mécanismes destinés à renforcer son efficacité d’autre part, constituent la clé de la compréhension de l’enrichissement de la construction de l’ordre juridique de l’Union européenne par le règlement « insolvabilité ».

    (1) Considérant 2 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, JO n° L 160 du 30 juin 2000, p. 1.

    (2) D. Bureau, « La fin d’un îlot de résistance. Le règlement du Conseil relatif aux procédures d’insolvabilité », RCDIP 2002, p. 613. – A. Boujeka, « Droit de la faillite : les sources internationales du droit communautaire de la faillite », LPA 29 juillet 2002, p. 11. – M. Boureghda, « Le droit européen des procédures collectives est entré en vigueur le 31 mai 2002 », JCP 2002, act. 545. – Y. Chaput, « L’entrée en vigueur d’un droit communautaire de la faillite (le règlement du Conseil du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité) », Dr. sociétés novembre 2000 p. 4. – J.-Cl. Coviaux, « Présentation générale du règlement 1346/2000 », LPA 20 novembre 2001, p. 17. – R. Dammann, « L’évolution du droit européen d’insolvabilité et ses conséquences sur le projet de loi de sauvegarde », Rev. Lamy dr. Aff. avril 2005, p. 18 ; du même auteur, « Droit européen des procédures d’insolvabilité : problématique des conflits de juridictions et de forum shopping », D. 2005, p. 1779 ; du même auteur, « L’application du Règlement n° 1346/2000/CE après les arrêts Staubitz-Schreiber et Eurofood de la CJCE », D. 2006, p. 1752. – R. Dammann et G. Podeur, « Le mandat ad hoc, une porte d’entrée pour l’application aux groupes de sociétés du règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité », Rev. Lamy dr. Aff. novembre 2006, p. 104 ; des mêmes auteurs, « Les enjeux soulevés par la localisation du centre des intérêts principaux du débiteur et la localisation des actifs », LPA 21 mars 2007, p. 4. – J. Deharveng, « Le droit de la faillite en Europe. Présentation générale », Rev. proc. coll. 2003, p. 46. – G. C. Giorgini, Méthodes conflictuelles et règles matérielles dans l’application des « nouveaux instruments » de règlement de la faillite internationale, Dalloz, 2006, préface D. Vidal. – Ph. Hameau et M. Raimon, « Les faillites internationales. Approche européenne », RDAI 6/2003, p. 645. – A. Honorat et C. Henry, « La compétence juridictionnelle en matière de procédures d’insolvabilité dans le règlement n° 1346/2000 : une nouvelle tentative de conciliation par la hiérarchie entre universalité et territorialité en matière de « faillites internationales » », in Mélanges J.-P. Sortais, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 313. – L. Idot, « Un nouveau droit communautaire des procédures collectives », JCP E 2000, I, p. 648. – J.-L. Laureau, « Applications pratiques de la faillite dans la Communauté européenne », LPA 20 novembre 2001, p. 39. – M.-N. Legrand, « La défaillance de l’entreprise : le règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité », Rev. soc. 2001, p. 292. – M.-E. Mathieu-Bouissou, « Aperçu des règles de droit judiciaire privé relatives aux procédures d’insolvabilité européennes, après le règlement communautaire n° 1346/2000 », D. 2002, chron. p. 2245. – F. Mélin, La faillite internationale, LGDJ, 2004 ; du même auteur, Le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, Bruxelles, Bruylant, 2008, préface P. de Vareilles-Sommières. – M. Menjucq, « Ouverture, reconnaissance et coordination des procédures d’insolvabilité dans le règlement 1346/2000 », Bull. Joly 2000, §278, p. 1109 et LPA 20 novembre 2001, p. 4 ; du même auteur, « La situation des créanciers dans le règlement 1346/2000 sur les procédures d’insolvabilité », RJDA 6/2001, p. 579. – P. Nabet, La coordination des procédures d’insolvabilité en droit de la faillite internationale et communautaire, Litec, 2010, préface A. Martin-Serf. – M. Raimon, Le règlement communautaire 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, LGDJ, 2007. – J.-P. Rémery, « Les aspects européens de la déclaration des créances dans une procédure collective ouverte en France », Rev. proc. coll. 2003, p. 66. – J.-L. Vallens, « Le règlement communautaire sur les procédures d’insolvabilité et les procédures de redressement et de liquidation judiciaires », Bull. Lamy droit commercial octobre 2002, n° 148, p. 1 ; du même auteur, « Les créanciers et le règlement 1346/2000 », LPA 20 novembre 2001, p. 33 ; du même auteur, « Le droit de la faillite en Europe. Les procédures secondaires », Rev. proc. coll. 2003, p. 60. – N. Watté et V. Marquette, « Le règlement communautaire du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité », Rev. dr. com. Belge 2001, p. 565. – M.-E. Mathieu-Bouissou, « Aperçu des règles de droit judiciaire privé relatives aux procédures d’insolvabilité européennes après le règlement n° 1346/2000 », D. 2002, chron. p. 2245.

    (3) Terme employé par les Professeurs Jean-Sylvestre Bergé et Sophie Robin-Olivier (Droit européen, 2e éd., PUF, coll. Thémis droit, 2011). L’Europe juridique est l’Europe qui « se constitue juridiquement sous l’action conjuguée de la loi et du juge ainsi que dans les rapports entretenus avec le droit international et national ».

    (4) Si la décision politique de communautariser les règles de compétence et de conflit de lois, et par voie de conséquence, l’opportunité de donner des compétences en la matière aux autorités de l’Union, n’ont jamais été remises en cause, une partie de la doctrine dénonce cependant l’excès de pouvoir qui entache les règlements européens pris dans le domaine du droit international privé (« L’Union européenne, la démocratie et l’État de droit : lettre ouverte au président de la République », JCP G 2006, act. 586. – Contra, « Observations sur la lettre ouverte au président de la République intitulée L’Union européenne, la démocratie et l’État de droit », JCP G 2007, act. 18). S’appuyant sur les termes de l’ancien article 65 CE qui limite l’action de l’Union européenne à l’adoption de mesures visant à favoriser la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière de conflit de lois et de compétence, le Professeur Vincent Heuzé estime qu’il ne saurait être déduit de cette formulation un pouvoir d’uniformisation des règles de compétence et de conflit de lois : il s’agit d’assurer la compatibilité de ce qui existe et non de lui substituer quelque chose de différent (sur l’évolution de la rédaction de l'article 65 CE, V. Heuzé, « D’Amsterdam à Lisbonne, l’État de droit à l’épreuve des compétences communautaires en matière de conflits de lois », JCP G 2008, I, 166). Aussi, il y aurait dans l’absence de référence expresse à l’ancien article 65 CE (81 TFUE) dans les fondements que se donnent les textes de droit international privé européen, et notamment le règlement « insolvabilité », un profond embarras des institutions européennes quant au bien fondé de leur compétence en matière de règles de compétence internationale et de conflit de lois (V. Heuzé, « L’honneur des professeurs de droit. Explication d’une lettre ouverte sur l’Union européenne, la démocratie et l’État de droit », JCP G 2007, I, 116). Les textes déjà adoptés ou qui sont actuellement en préparation, seraient irréguliers, mais leur irrégularité n’affecterait pas les dispositions qui concernent l’efficacité des décisions puisque, dans ce domaine, l’ex-article 65 CE ne limite pas la compétence de l’Union.

    Pour autant, malgré leur irrégularité, si elle devait être admise, les textes déjà adoptés, et notamment le règlement « insolvabilité », n’en demeurent pas moins efficaces, faute pour le Parlement européen,

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