Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut
Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut
Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut
Livre électronique1 628 pages6 heures

Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Lo sfondo: la Nouvelle Vague, il movimento cinematografico che ruppe con la tradizione e impose il “credo” di un manipolo di giovanissimi cineasti.
Il protagonista: François Truffaut, un uomo geniale che da ragazzo border line si salvò col cinema, diventando prima critico temuto e poi regista acclamato.
I co-protagonisti: tutti i suoi film, punto di riferimento per generazioni di cinéphiles, che continuano a “parlare” a chi ha la fortuna di riscoprirli.
Gli argomenti: i registi, gli scrittori, i film e i libri “della sua vita”, gli attori e attrici feticcio, l’infanzia, l’amore, la morte, le donne, la ricerca della felicità.
Insomma, il cinema allo stato puro in questa monografia basata su ricerche approfondite ma sviluppata in modo chiaro e appassionato.
Attraverso la graduale scoperta dell’opera, emerge il ritratto di un artista che ha indagato la condizione esistenziale con l’interesse e la serietà di un umanista, che ha continuato a scrivere e riscrivere le sue storie ottenendo delle originali variazioni su tema. Un uomo che ha fatto del cinema la sua vita.
LangueFrançais
Date de sortie14 janv. 2021
ISBN9788855391146
Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut

Auteurs associés

Lié à Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut

Livres électroniques liés

Arts du spectacle pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Écritures er réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut - Cinzia Fumaroni

    Cinzia Fumaroni

    Écritures et réécritures dans l’œuvre de François Truffaut

    EEE – Edizioni Tripla E

    Cinzia Fumaroni, Écritures et réécritures dans l’œuvre de François Truffaut

    © EEE – Edizioni Tripla E, 2020

    Università degli Studi di Torino

    Tesi di Dottorato di Ricerca in Culture Classiche e Moderne

    Indirizzo Francesistica, marzo 2010

    Tutor prof. Giorgio Cerruti

    Coordinamento del dottorato: prof.ssa Paola Cifarelli

    Settore scientifico-disciplinare di afferenza: L-LIN/03 Letteratura Francese

    ISBN: 978-88-5539-114-6

    EEE – Edizioni Tripla E

    di Piera Rossotti

    Str. Vivero, 15

    10024 Moncalieri (TO)

    https//:www.edizionitriplae.it

    Prima edizione EEE-Book – 2012

    Seconda edizione: Edizioni Tripla E, 2021

    Tutti i diritti riservati, per tutti i Paesi

    In copertina: disegno originale di Stefano Frassetto, 2012

     Cinzia Fumaroni, Écritures et réécritures dans l'oeuvre de François Truffaut

    © Edizioni Tripla E, 2021

    ISBN: 9788855391146

    Seconda edizione

    EEE - Edizioni Tripla E

    di Piera Rossotti

    www.edizionitriplae.it

    Tutti i diritti riservati, per tutti i Paesi.

    Copertina di Stefano Frassetto

    A Stefano, Francesco, Alessandra,

    per tutto il tempo rubato.

    « Il n’y a pas de clefs pour les personnages de ce livre ou bien il y en a huit ou dix pour un seul ; de même pour l’église de Combray ; ma mémoire m’a prêté comme « modèles » (a fait poser) beaucoup d’églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. […] Je vous le répète, les personnages sont entièrement inventés, et il n’y a aucune clef. »

    Marcel Proust

    Dédicace à M. Jacques de Lacretelle

    Introduction

    L’œuvre de Truffaut se présente comme un univers unitaire formé d’éléments thématiques et esthétiques récurrents, qui ne révèlent leur pleine signification que dans la totalité. La «littérarité» qui la caractérise se manifeste par la présence de la littérature à différents degrés¹, hommages aux livres et aux auteurs, mise en scène de multiples activités littéraires pratiquées par les personnages, représentation du processus matériel de fabrication des livres et de leur publication; elle est aussi interne à l’écriture qui l’informe et qui devient elle-même «littéraire». Celle-ci doit s’entendre au sens ample du terme et être recherchée à plusieurs niveaux, à la fois comme acte créateur qui engendre le film - on parlera alors d’écriture narrative et d’écriture filmique - et, d’une manière générale, comme activité exercée par le cinéaste sa vie durant, déclinée en plusieurs formes, critique cinématographique, rédaction des scénarios², pratique épistolaire constante avec de très nombreux interlocuteurs. Le plus souvent l’écriture se présente sous l’aspect d’une réécriture: tout d’abord réécriture des écritures préparatoires d’un film, mais aussi réécriture d’un genre cinématographique, des thèmes d’autrui ou des thèmes personnels, d’un mythe, des souvenirs, d’un fait divers, d’un roman transposé à l’écran³, d’un film transformé en cinéroman.

    Envisageant d’aborder l’œuvre d’un cinéaste d’un point de vue littéraire, nous avions initialement pensé limiter notre recherche aux réalisations tirées de textes préexistants, c’est-à-dire aux adaptations. Cependant, au cours de l’analyse préliminaire des films et des sources bibliographiques, nous nous sommes justement rendu compte que les films à scénario original sont aussi «littéraires» que les autres. Pour qu’un travail d’analyse soit complet, il était donc opportun de prendre en examen toute l’œuvre, en partant des origines de l’écriture, à la découverte de la formation culturelle de l’auteur, de sa successive cinéphilie, de ses débuts critiques jusqu’au passage presque «obligé» à la mise en scène. Malgré cette approche globale, il est évident que notre étude ne saurait prétendre à l’exhaustivité.

    Une première partie de cet ouvrage s’occupera des années précédant la réalisation filmique: en suivant les principales étapes de la jeunesse et de la formation de François Truffaut, on aboutira à l’activité critique dont seront présentés quelques articles significatifs. Il s’agit d’un travail d’écriture qui se révèle fondamental pour la pratique de la mise en scène et qui anticipe des principes esthétiques successivement appliqués dans les films. Cette section se termine par la lecture critique d’une nouvelle - seule tentative d’écriture strictement romanesque de la part de l’auteur - et par l’examen de ses premiers courts métrages.

    La deuxième partie sera consacrée à la création cinématographique: après avoir abordé le premier film (Les Quatre Cents Coups), qui eut un succès retentissant, l’analyse des deux adaptations des romans d’Henri-Pierre Roché (Jules et Jim et Les Deux Anglaises et le Continent), réalisées à dix ans de distance l’une de l’autre, nous a suggéré un parcours non chronologique du reste de l’œuvre, justifié également par la découverte de quelques principes d’évidence: les trois premières réalisations - quatre si on inclut Les Mistons - présentent des constantes qui se retrouvent encore dans les dernières œuvres; bien que chaque film soit une création autonome, il tisse avec les autres des liens parfois souterrains parfois manifestes; en dépit d’une évolution évidente de la maîtrise des moyens expressifs au cours des années et de la maturité d’approche, on ne peut pas affirmer que les films de la jeunesse sont «mineurs» par rapport à ceux de la maturité - en ce sens, le dernier, Vivement Dimanche!, de 1982, rappelle le deuxième, Tirez sur le pianiste, de 1960. Truffaut n’a en réalité cessé de s’interroger sur les mêmes thèmes, les développant sous diverses perspectives avec de multiples variantes.

    Étant donné leur unité, les films se prêtent à être groupés selon une classification variable qui tiendrait compte tantôt des thèmes communs, tantôt de la même origine du sujet ou encore de la similarité des personnages, mais pas forcément de la date de réalisation. S’il existe des macro-ressemblances entre quelques films, il n’en est pas moins vrai aussi que l’ordre de présentation pourrait changer puisque leurs composantes offrent constamment de nouvelles associations. Par exemple, L’Homme qui aimait les femmes sera abordé dans un chapitre à part à cause de sa richesse sémantique, mais il pourrait aussi bien s’apparenter aux films métalinguistiques ou à ceux sur l’idée fixe. L’Histoire d’Adèle H. fera partie des films présentant des personnages habités par une obsession; toutefois, en tant qu’adaptation de mémoires du XIXe siècle, son élaboration peut être mise en parallèle avec celle de L’Enfant sauvage, dérivé d’un document de début 1800. La Chambre verte présente un autre héros obsédé, mais le film est aussi une habile adaptation d’Henry James et les éléments qui le composent peuvent être comparés avec d’autres transpositions. Le Dernier Métro met en scène l’Occupation et le monde du théâtre, mais aussi un rapport amoureux à trois, comme beaucoup d’autres réalisations, et l’amour en général, thème fondamental de l’univers artistique du cinéaste. Les films «policiers» se présentent comme des adaptations de romans du même genre, mais ils contiennent des thèmes intimes qui les rapprochent profondément du reste de la filmographie.

    La division thématique que nous avons adoptée n’est donc pas exclusive et elle est justifiée en grande partie par des exigences méthodologiques - notamment la nécessité de réunir les films pour mieux en faire ressortir les caractéristiques communes évitant des analyses trop longues et dispersives - par des critères d’importance et quelquefois de préférence. Ainsi, Les 400 Coups doit nécessairement être examiné avant tous les autres films parce qu’il marque le passage de Truffaut à la réalisation de longs métrages; il fait pourtant partie du cycle successif consacré au personnage d’Antoine Doinel, dont il constitue le début originaire (à leur tour les films de ce cycle présentent des traits communs avec les autres groupes). Le travail d’adaptation sur Roché est abordé immédiatement après, parce qu’il offre un extraordinaire intérêt et apparaît fondamental pour le reste de l’œuvre. Les autres groupements de films suivent une logique semblable. Il faut avouer que L’Argent de poche, de 1976, est analysé en dernier parce que, malgré sa valeur évidente (et un parallélisme possible avec Les 400 Coups) et sa transformation en cinéroman (ainsi que L’Homme qui aimait les femmes), sa thématique nous intéresse moins que d’autres dont la vision et l’approfondissement ne nous lassent pas.

    Notre travail est ainsi parti à la découverte d’un univers complexe, conjuguant littérature et cinéma avec une multitude d’influences et de sources d’inspiration, empreint d’un humanisme fondamental. Comme Truffaut l’a souvent répété, à l’origine de son travail créateur il y a toujours eu le désir de raconter des histoires de fiction qui privilégient «l’homme au singulier sur l’homme au pluriel». Ses héros, ou mieux ses anti-héros, sont des enfants, des hommes et des femmes communs explorés dans leur individualité. Ses thèmes tournent autour des sentiments fondamentaux, notamment la précarité de l’amour et la recherche, même inconsciente, du sens de sa propre vie soumise au passage inexorable du temps. C’est en fonction de ces thèmes que les messages illustrés par des histoires «quelconques» sur des individus «quelconques» prennent une signification universelle. «Truffaut, et c’est là le secret de son génie critique, part toujours du matériel et du particulier pour arriver à l’abstrait et au général. Démarche d’autodidacte, plus au courant des faits vécus que des idéologies enseignées», souligne Luc Moulet⁴. Cela est d’autant plus vrai que, sans une intention déclarée, l’œuvre de Truffaut propose globalement une relecture moderne et quotidienne de quelques grands mythes de l’imaginaire collectif, tels la fatalité, la recherche de l’absolu, le complexe d’Œdipe, la séduction, l’amour à mort. Des personnages «communs» se transforment ainsi en figures classiques, comme Mathilde de La Femme d’à côté emportée par la passion comme une héroïne racinienne, ou bien Adèle Hugo, fille méconnue d’un père universellement connu, qui invente son aventure personnelle au-delà de toute limite conventionnelle. Le cinéaste n’a pas peur de représenter le mélodrame mais, en lui enlevant toute émotion facile, il le rapproche de la tragédie classique. Il ne s’intéresse pas à l’Histoire officielle faite par les personnalités importantes, mais à la petite histoire où les individus accomplissent de petits gestes quotidiens, qui se transforment en grands gestes grâce à l’importance qu’ils prennent au sein de leurs existences. «Il faut faire les petites choses comme si elles étaient grandes», écrit Adèle Hugo dans son journal⁵.

    Cette conception de l’histoire correspond à celle de la culture que Truffaut a mûrie en autodidacte par une approche empathique aux contenus, poursuivant avec acharnement ses deux passions, le cinéma et la littérature, et les alimentant méthodiquement avec la vision de films et avec des lectures omnivores. On peut même affirmer que c’est le cinéma, et ainsi la littérature, à l’avoir sauvé d’une jeunesse déréglée qui aurait pu influencer négativement le reste de sa vie. Faute d’un rapport harmonieux avec ses parents, il a eu la chance de rencontrer des personnes qui l’ont aidé à trouver sa voie, entre toutes le critique André Bazin. À partir de cette rencontre, son parcours de formation a été constamment jalonné de pères spirituels, véritables maîtres à penser dont les principaux furent Roberto Rossellini, Jean Renoir, Alfred Hitchcock, Honoré de Balzac, Jean Cocteau, Henri-Pierre Roché. Truffaut est ensuite devenu, à son tour, le mentor d’un très jeune acteur, Jean-Pierre Léaud, qu’il a longtemps filmé d’un regard affectueux, enregistrant sur la pellicule ses changements physiques successifs.

    Truffaut n’a pas limité sa curiosité à la culture traditionnelle, il s’est aussi adressé à des formes de création négligées par la reconnaissance officielle, par exemple des genres «mineurs» comme le roman policier et les films dérivés de celui-ci, considérés de série B. Sa défense passionnée d’Henri-Pierre Roché, écrivain méconnu, et d’Alfred Hitchcock, cinéaste peu apprécié au début des années soixante, est exemplaire d’une vision artistique sans préjugés et guidée par la perspicacité d’une intuition personnelle. Truffaut commença avec ces deux auteurs une «conversation ininterrompue»⁶, si bien qu’ils devinrent un constant point de repère tout au long de son travail⁷.

    Le cinéaste a déversé ses connaissances et ses intérêts culturels dans des films imprégnés de citations et d’allusions plus ou moins explicites, empruntées à un vaste patrimoine culturel commun, dans lequel, semble-t-il affirmer, on peut puiser sans besoin d’intermédiation critique ni de présentation grandiloquente, parce que ses contenus appartiennent à tout le monde. C’est en grande partie grâce à cette libre circulation de matériaux artistiques que l’œuvre de Truffaut a contribué à insérer de plein droit l’art cinématographique dans un débat culturel élargi, ouvert aussi aux études académiques.

    Dans les années cinquante, Truffaut s’est fait connaître dans le monde du cinéma par des articles critiques qui révélaient une profonde et lucide connaissance du sujet en question. Certains de ces textes peuvent être considérés de petits manifestes virulents du mouvement de jeunes cinéastes appelé «Nouvelle Vague». Si Truffaut a ouvert la voie à un nouveau cinéma opposé à une «certaine»⁸ production française de l’époque, il s’est ensuite efforcé de travailler selon les directions qu’il avait explicitées. Le refus d’un style spécifique n’a toutefois pas signifié, pour lui comme pour les autres jeunes réalisateurs, le rejet de toute tradition filmique, mais au contraire une profonde assimilation de l’histoire du cinéma et la mise en place de références précises sur lesquelles «greffer»⁹ des œuvres nouvelles. Ainsi, tous les films de Truffaut renvoient à des modèles admirés que l’auteur élabore dans le but d’atteindre des résultats personnels.

    Après ses débuts de «jeune turc», Truffaut n’a plus cédé à une certaine présomption de théorisation, les manifestes cinématographiques ou littéraires ne l’ont plus attiré. Il s’est toujours tenu à l’écart de toute mode artistique et de toute expérimentation, se déclarant plus intéressé par le passé que par le présent et tourné vers un type de narration classique. Contrairement au refus de certaines écoles contemporaines de raconter selon des modèles traditionnels, le cinéaste a fermement cru à la possibilité d’une représentation réaliste qui, privilégiant avant tout la communication, déroule une narration aussi claire que possible. Par conséquent, si d’une part on a reconnu à la plupart de ses films un ton mesuré et équilibré, d’autre part, ils ont été jugés passéistes et accusés de manquer d’engagement et de prise de position face à la réalité contemporaine. Ses personnages sont pourtant déchirés par un manque d’identité et de conscience unitaire, par une précarité dont ils sont incapables de sortir et par une vaine recherche du bonheur. Si la représentation de l’individu est possible, elle n’apporte pas de réponse résolutoire à la condition existentielle, elle n’aboutit pas à un sens définitif, car elle explore tour à tour chacun des sens possibles. En réalité, en dépit de leur apparente harmonie, ses réalisations contiennent des tensions et des dynamiques souvent sous-jacentes qui les rapprochent du débat culturel de leur temps, dont elles partagent les doutes et les questionnements. C’est par cette inquiétude et ce manque de certitudes que le cinéaste a participé, indépendamment des nouveaux courants avant-gardistes, à «l’ère du soupçon»¹⁰ caractéristique de son temps. L’importance accordée au spectateur, à la compréhension et à la réception du message, le rapproche également des autres expressions artistiques du XXe siècle dont le sens ne s’accomplit que dans la conscience du destinataire. Les réalisations de Truffaut ont ainsi atteint, au moins dans leur signification la plus apparente, un vaste public, non seulement une élite d’intellectuels, et sont devenues l’expression la plus concrète de sa conception de la culture. Le terme «populaire» qui a souvent défini son cinéma n’est donc pas à prendre en un sens négatif, mais comme capacité de réfléchir d’une façon claire, mais profonde et originale, sur la condition humaine par une œuvre accessible qui continue à enchanter et à être appréciée dans le temps.

    Bien que le cinéaste ait été accusé d’avoir adhéré à un système culturel qu’il critiquait à ses débuts, une étude attentive révèle au contraire qu’il a rarement dérogé à la liberté de poursuivre les projets qui l’intéressaient, que les compromis inévitables avec l’industrie cinématographique ne l’ont pas empêché d’exprimer ce qui correspondait à son être. Son travail est, en effet, caractérisé par une profonde cohérence avec des principes qu’il n’a cessé de soutenir. En ce sens, ses propos sur Alfred Hitchcock pourraient aussi bien s’adapter à lui-même: «La carrière d’Alfred Hitchcock prouve qu’un metteur en scène de cinéma peut connaître le succès et rester fidèle à soi-même, choisir ses propres sujets, les traiter à sa manière, réaliser son rêve et se faire comprendre de tous»¹¹.

    Truffaut peut être considéré, tout comme les cinéastes qu’il défendait, un auteur¹² à part entière, même dans le cas des films à scénario non original ou rédigé avec d’autres collaborateurs. La construction de chacun de ses films partait de l’écriture, souvent de notes éparses, passait par le plan et par le développement du récit, par les ébauches successives du scénario jusqu’à la dernière version qui n’était jamais contraignante pour la mise en scène et pouvait encore être transformée pendant le tournage - on connaît la part d’improvisation qui caractérise surtout ses premières réalisations¹³. Il s’agit d’une écriture incessamment remaniée et simplifiée¹⁴ qui rappelle singulièrement celle d’Henri-Pierre Roché, écrivain appartenant à une époque et à un milieu tout à fait différents. Le cinéaste intervenait activement dans toute élaboration, indiquait la direction qui lui tenait à cœur et se réservait toujours le dernier mot. Pendant la préparation ainsi que pendant la réalisation du film, il incarnait véritablement le metteur en scène responsable de toutes les «décisions» prises à son propos¹⁵.

    Truffaut a défendu son recours fréquent à des sujets non originaux se reprochant un manque d’invention - ce qui est partiellement démenti par les scénarios qu’il a lui-même conçus. Il puisait des intrigues, complexes ou curieuses, dans les romans noirs américains ou dans les faits divers repérés dans le magazine Détective, auquel il était abonné. Ces histoires n’étaient toutefois que des prétextes pour raconter son propre récit qui résulte toujours de l’élaboration de matériaux multiples, d’origine culturelle mais provenant aussi de la vie quotidienne et de l’expérience personnelle. Le réalisateur a admis que les souvenirs autobiographiques ont eu une part fondamentale dans sa production cinématographique où, nécessairement filtrés par l’imagination, ils ont été mis en scène sous forme de fiction. Cette conscience de non coïncidence entre vie autobiographique et œuvre d’art peut rapprocher cet auteur des théories contemporaines de «l’autofiction».

    Truffaut a transposé à l’écran des textes littéraires selon des procédés propres à un «homme de cinéma»¹⁶, qui ne correspondaient pas à ceux de la plupart des scénaristes français de l’époque. Dans sa conception, très actuelle¹⁷, de l’adaptation, le terme de fidélité littérale n’a plus de sens. Malgré sa grande passion pour la littérature, Truffaut n’a pas senti le besoin d’adapter des chefs-d’œuvre reconnus, car il refusait d’apporter des changements à des idées déjà enracinées dans l’esprit collectif des lecteurs. «Et par définition un chef-d’œuvre est quelque chose qui a trouvé sa forme parfaite, sa forme définitive?», suggérait-il à Hitchcock qui partageait son opinion¹⁸. En revanche, Truffaut s’est immédiatement reconnu dans le premier roman d’Henri-Pierre Roché, passé inaperçu lors de sa publication, il a souhaité le porter à l’écran, commençant ainsi une fréquentation qui ira bien au-delà de la mort de l’écrivain. Il a adapté d’autres écrivains, Maurice Pons et Henry James, mais en choisissant des nouvelles, genre le plus proche du film, encore selon son maître Hitchcock, puisque «la règle générale y est de contenir une seule idée qui finit de s’exprimer au moment où l’action atteint son point dramatique culminant», ce qui nécessite un «développement ferme et la création de situations poignantes qui doivent être présentées avec habileté visuelle»¹⁹. Truffaut a également transposé des mémoires, ceux du docteur Jean Itard et d’Adèle Hugo, dont les thèmes le touchaient profondément et entraient naturellement dans son univers intime. Dans tous les cas, les textes choisis étaient, par un aspect ou l’autre, toujours proches de ses intérêts et cohérents avec ses besoins d’expression.

    Il faut souligner que le réalisateur ne travaillait pas uniquement sur le livre adapté, mais qu’il s’inspirait d’autres ouvrages du même auteur, ainsi que de toutes les informations matérielles à disposition sur le sujet, dans lesquelles il puisait des éléments utiles au film. Selon lui, en effet, seule une ample connaissance pouvait permettre de transférer l’œuvre le plus correctement possible à l’écran. Le travail d’adaptation commençait en annotant directement le livre, dont Truffaut, en dépit de sa passion de bibliophile, se servait comme d’un outil à transformer, arrivant même à couper les pages qui n’étaient pas objet d’intérêt²⁰. Il soulignait les phrases qui retenaient son attention, en effaçait d’autres, résumait de quelques mots le contenu en haut des pages, écrivait des notes en marge, créait des collages. Il répétait différentes fois ce type de lecture, si bien que plusieurs exemplaires pouvaient ainsi être sacrifiées au cours de la préparation d’un scénario. Il envoyait ensuite le livre annoté à ses coscénaristes qui avaient déjà fait ou allaient faire une première version du scénario. Les traitements successifs étaient retravaillés, corrigés, réduits et recomposés soit en alternance soit en équipe. Dans ses intéressants mémoires²¹, Jean Gruault, qui a réalisé avec lui cinq films des plus «littéraires», parle de collaboration en «ping-pong», dont il ressort que le cinéaste n’acceptait rien passivement, imposait toujours une direction précise et pouvait même être très sévère, quitte à s’en excuser une fois le but obtenu.

    Dans le cas d’une adaptation, passage d’une forme de langage à une autre, l’œuvre réalisée est nécessairement autonome; pour en évaluer la réussite, il semble donc inutile d’établir un parallélisme entre livre et film, il s’agira plutôt de vérifier si le message principal du texte écrit ou les aspects pour lesquels il a été choisi - ce qui à notre avis en constitue, subjectivement, l’esprit - ont été incarnés sous une forme cinématographique efficace. Il apparaît à une analyse attentive que Truffaut est arrivé à traduire l’essence des textes transposés; ses films répondraient ainsi aux propos de sa jeunesse contre les adaptations du «cinéma de papa»²². Sans doute conscient de la difficulté d’établir de justes paramètres dans ce domaine, le réalisateur a aussi pratiqué le chemin inverse à l’adaptation cinématographique, en transcrivant ponctuellement deux de ses films et en les transformant en cinéromans: recherche d’une plus grande fidélité - si elle existe - entre texte écrit et texte filmique.

    Passionné d’Honoré de Balzac, Truffaut s’est tourné vers le roman du XIXe siècle comme modèle de narration et il a appliqué quelques procédés distinctifs de l’écrivain, tels le démarrage d’une situation ou la récurrence des personnages. Toutefois son style s’en est éloigné non seulement en raison de l’appartenance à une époque différente, mais aussi à cause de son caractère particulièrement porté à la simplification et à la synthèse²³. Lorsqu’Alfred Hitchcock affirme qu’au cinéma il faut constamment clarifier, Truffaut répond:

    Je crois qu’il s’agit non seulement de clarifier mais aussi de simplifier et à ce propos je me demande s’il n’y a pas deux sortes d’artistes, les ˝simplifieurs˝ et les ˝compliqueurs˝. Dans ce cas on pourrait dire que, parmi les compliqueurs, il y a de grands artistes, de bons écrivains, mais que, pour réussir dans le domaine du spectacle, il est préférable d’être un ˝simplifieur˝²⁴.

    L’allure de son récit est généralement linéaire et rapide, ne s’arrêtant que sur les éléments nécessaires à la narration et ne rappelant en rien les longues descriptions balzaciennes. Le cinéaste a fait preuve de la même rigueur dans la mise en scène, soutenant la nécessité de constamment respecter la logique du film par un «parti pris formel et moral»²⁵ précis qui permette d’atteindre le résultat souhaité.

    Rohmer a comparé la prose de Truffaut critique à celle de Stendhal en considération de la spontanéité et de la fluidité de l’argumentation. En ce qui nous concerne, nous sommes sensibles aux ressemblances thématiques entre les deux auteurs, notamment dans la création de personnages passionnés à la constante recherche de l’amour et du bonheur et dans l’importance donnée à une histoire «mineure», en arrière-plan par rapport à l’histoire officielle. Quelques critiques tiennent à souligner qu’ils préfèrent Truffaut critique au cinéaste, en vertu sans doute des raisonnements brillants ainsi que des jugements lucides caractérisant les articles et par opposition à la «tendresse» présumée des films. De notre côté, nous aimons particulièrement les films qui, dictés par des exigences intimes, révèlent un naturel qu’on retrouve parfois dans les écrits théoriques mais qui est absent de certaines prises de position polémiques de la jeunesse. Il faut souligner que le style des dialogues et des commentaires filmiques relève d’une modération qui s’éloigne beaucoup de l’écriture critique, comme si celle-ci s’était en quelque sorte épurée à la recherche de l’expression la plus naturelle et essentielle.

    Truffaut ne s’est jamais particulièrement intéressé aux procédés techniques à la base de la prise de vue²⁶, dont il laissait le soin aux directeurs de la photographie et aux chefs opérateurs. Ce sont plutôt l’histoire à raconter et le message à communiquer qui lui tenaient à cœur, ce qui assimile en partie son travail à celui d’un écrivain qui, après le choix des mots, créerait aussi des images. Il a utilisé le cinéma aussi pour exprimer sa profonde foi dans la communication, considérée comme la seule possibilité pour l’homme de vivre dignement. En un certain sens, ce thème englobe tous les autres. La création artistique a été un outil qui a permis au réalisateur d’explorer l’individu tout en travaillant sur lui-même et, notamment, sur l’enfance malheureuse dont il a porté le poids toute sa vie. C’est sans doute en raison de son histoire personnelle qu’il s’est penché si admirablement sur les enfants, avec une sensibilité qui lui a permis de les représenter d’un regard nouveau.

    Les films de Truffaut donnent l’impression de vouloir réinventer incessamment une vie alternative à la réelle. Il ne cessait d’ailleurs de répéter qu’il n’aurait rien pu faire d’autre que son métier et que sa «religion, c’était le cinéma»²⁷. «Pourquoi ferait-on des films sinon pour changer son enfance, se donner une autre enfance? Ecrire, filmer… c’est renaître», soutient Jean Collet²⁸. On peut alors soutenir que Truffaut a profité du cinéma tout en l’enrichissant, dans un rapport vraiment réciproque. En partant de l’expérience de vie, le cinéaste a conduit sa recherche non pas sur le temps perdu, mais sur le temps vécu. Son cinéma a fixé sur la pellicule et dans l’imaginaire collectif quelques-unes des variantes infinies de l’existence qui, grâce au pouvoir de l’art, sont destinées à échapper à l’emprise du temps parce qu’elles se situent hors du temps.

    Chapitre 1

    Avant l’activité cinématographique

    1.1 Enfance et jeunesse. Formation autodidacte et cinéphilie

    Né le 6 février 1932 de Janine de Monferrand et d’un père inconnu, François Truffaut sera placé trois ans chez une nourrice et sera ensuite accueilli à Paris chez ses grands-parents maternels, par la volonté de sa grand-mère, Geneviève de Monferrand. Pendant cette période il rencontrera assez rarement sa mère et son mari, Roland Truffaut, qui l’a pourtant reconnu avant d’épouser Janine. Les années chez les Monferrand seront assez sereines pour le garçon, qui finalement fera partie d’une famille et sera élevé avec son oncle et sa tante, à peine plus âgés que lui. Sa grand-mère, ancienne institutrice, mélomane et grande lectrice, fera naître la passion de la lecture chez son petit-fils, en le conduisant dans les librairies et à la bibliothèque municipale de son quartier, le IXe arrondissement. «Elle m’amenait chez un libraire où elle faisait des échanges de livres et j’ai le souvenir qu’elle discutait avec ce libraire des romans qui venaient de paraître», racontera Truffaut à Aline Desjardins en 1971 pendant un entretien où il parle beaucoup de son enfance²⁹. Mme de Monferrand laissera un roman manuscrit, Apôtres. Le grand-père maternel, responsable du courrier des lecteurs au journal L’illustration, considérera toujours son petit-fils comme un enfant illégitime et n’établira jamais avec lui un rapport vraiment affectif. Malheureusement la grand-mère meurt en 1942 et, depuis la rentrée scolaire de cette année, le petit François de dix ans et demi ira habiter chez le couple Truffaut. «Après avoir vécu jusqu’ici ses plus belles années avec sa grand-mère, François sera livré à lui-même dans un monde plus indifférent, voire hostile»³⁰. En effet, il ne se sentira pas aimé par ses parents, pour qui il représente sans doute une limitation de liberté, si bien qu’il aura rapidement des doutes sur sa naissance, jusqu’à apprendre la vérité, vers sa douzième année environ³¹. Ce sont des rapports difficiles, souvent conflictuels, qu’il établira avec son père et surtout avec sa mère: en effet il avouera qu’il s’entendait mieux avec Roland, qu’il «aimait bien tout en le méprisant»³². C’est à partir de cet âge-là, déjà difficile en soi, que le garçon commencera à avoir une scolarité très perturbée. Après la dernière année d’école primaire au Lycée Rollin, il ne se présentera pas à l’examen de repêchage en septembre 1943³³ et il sera ainsi obligé de changer plusieurs fois d’école avant d’obtenir enfin son certificat d’études en 1946. Truffaut dira que c’étaient de bonnes écoles bien qu’il ait été difficile pour lui de passer d’un maître à plusieurs enseignants: «C’était peut-être lié à la place de ma grand-mère qui m’avait habitué à une certaine pédagogie, mais j’avais tout d’un coup l’impression d’être abandonné, d’être un objet perdu et sans intérêt»³⁴.

    Le jeune François continue pourtant à cultiver sa passion pour la lecture, activité acceptée par sa mère, qui ne supporte pas le bruit³⁵, et favorisée par le fait qu’il est souvent seul à la maison pendant les week-ends, ne participant pas aux excursions à la montagne de ses parents.

    J’étais très soumis, comme presque toujours les enfants. Ils ne discutent pas tellement, ils ne mettent pas en question l’éducation qu’on leur donne ou la façon dont on les élève, alors je me réfugiais dans la lecture. Je crois que j’ai pris l’habitude très vite de lire énormément. […] Je lisais des romans pour enfants mais aussi des romans que ma mère lisait, donc en cachette d’elle³⁶.

    C’est un enfant habité par le désir de lire le plus possible, de posséder tous les livres de la collection Fayard de A à Z; dans ses premières lettres à Robert Lachenay, il fait allusion à ce qu’il a réussi à acheter et à ce qui lui manque comme s’il s’agissait d’une question vitale; Truffaut cinéaste fera souvent allusion aux classiques Fayard pendant des interviews³⁷. En 1970, il soutiendra que, même s’ils étaient «bon marché, très mal imprimés, sur un papier grossier, en tout petits caractères, avec parfois des pages tellement grises qu’elles en étaient presque illisibles, et une couverture en papier qui se débrochait facilement», ils offraient un «catalogue fantastique: par ordre alphabétique, ça allait d’Aristophane à Zola, avec une section spéciale pour les œuvres complètes de Victor Hugo. C’est là-dedans que j’ai lu vraiment beaucoup, parce qu’on pouvait se procurer ces petits livres pour cinquante centimes»³⁸. Ces publications lui offraient un accès facile au patrimoine culturel. Pour cette même raison, Truffaut adulte défendra le «Livre de poche», qui se vend aussi au «Monoprix», contre un snobisme culturel qui était à la mode depuis mai 1968.

    Cependant, le désir d’exhaustivité de Truffaut enfant est apparent, car il préférera très tôt certains auteurs à d’autres et, comme en témoignera son coscénariste Jean Gruault, il revendiquera toujours ses propres choix, en constituant jour après jour une bibliothèque intime: «François, par exemple, ignorait volontairement Rabelais, Dante, Homère, Melville, Faulkner, Joyce, mais connaissait à fond Balzac, Proust, Cocteau, Louis Hémon, Roché, Audiberti, Léautaud»³⁹.

    Son rapport à la littérature restera, en effet, toujours empathique avec une prédilection pour les œuvres où il se reconnaîtra dans les personnages et, souvent, dans les auteurs. Il a affirmé par exemple qu’il «détestait Jules Verne et les livres d’enfants», mais qu’il s’était immédiatement identifié avec Madame Bovary⁴⁰. Il faut souligner que ce goût pour la lecture et, bientôt, pour le cinéma a été favorisé aussi par les parents de François, passionnés de montagne mais qui appréciaient aussi les livres et les spectacles, discutaient de tout ce qui paraissait à cette époque dans le domaine culturel:

    Mes parents avaient entre vingt-cinq et trente-cinq ans, et, comme ils venaient d’être étudiants, ils parlaient de tout à la maison, de montagne, mais aussi de théâtre, de cinéma, de bouquins. C’est une chance pour un enfant, c’est une chance si ça l’intéresse⁴¹.

    Au cours de cette période, les livres ont sûrement représenté pour le garçon une ancre de salut et un objet de substitution de la figure maternelle; par la lecture il pouvait imaginer une autre vie et s’en nourrir; par la possession des livres il tentait de satisfaire son besoin d’amour inassouvi. D’autant plus qu’à l’école, comme il l’a successivement avoué à Mme Desjardins, il n’appartenait à aucun groupe d’enfants, «il était toujours en dehors et assez vite isolé par ses goûts» et «si ensuite il a eu un ami ou deux, c’était grâce au cinéma». Truffaut préférera toujours la compagnie d’une, au maximum deux personnes, avec qui pouvoir entretenir une conversation enrichissante, et il ne fera jamais partie d’aucune société, pas même celle des Réalisateurs ⁴²!

    À la rentrée 1943, il connaît Robert Lachenay qui deviendra son ami intime, il vivra avec lui de nombreuses aventures, de l’école buissonnière au cinéma, partagera le plaisir de la lecture et s’initiera à la passion épistolaire. Tous les deux négligés par leurs familles, ils trouveront dans leur amitié réciproque une compensation au manque d’affection et d’autorité, ainsi qu’en témoigne Lachenay: «On n’était vraiment que tous les deux pour se tenir lieu de famille, on s’épaulait dans notre solitude»⁴³. Selon ses dires, s’ils ne s’étaient pas rencontrés et soutenus réciproquement, abandonnés comme ils l’étaient par leurs parents, dans un quartier comme le leur, Pigalle, les deux garçons auraient peut-être entrepris un mauvais chemin⁴⁴. Robert, né en 1930, était plus sûr de lui que François et il était la «force motrice des deux»⁴⁵, entraînant son ami à vivre des expériences fondées sur l’autonomie et sur le rejet de l’autorité familiale.

    Truffaut a raconté avoir «séché» les cours surtout pour emprunter des livres à la bibliothèque et pour les lire, ou bien pour discuter de tout avec Robert:

    On passait nos après-midi à discuter […]. Puis il a découvert Balzac, et, au cours de nos longues conversations, en classe, dans ma chambre, dans les squares, il a réussi à me convaincre que Balzac c’était mieux que Paul de Kock, parce que moi, je lisais, mais beaucoup moins bien que lui. François était beaucoup plus structuré⁴⁶.

    Autour de l’année 1940, Truffaut commence à voir ses premiers films. Rétrospectivement, il se reverra enfant de 7 ans, déjà impliqué émotionnellement, parmi d’autres gens dans une salle sombre en train de regarder leur vie en quelque sorte reflétée sur l’écran:

    Mon premier souvenir de cinéma remonte à 1939... Cela se passait à la Gaîté Rochechouart… on y jouait Paradis perdu [d’Abel Gance] avec Micheline Presle, d’une beauté et d’une douceur extraordinaires et Fernand Gravey […]. La coïncidence entre la situation des personnages du film et celle des spectateurs était telle que la salle entière pleurait, des centaines de mouchoirs trouaient de points blancs l’obscurité du cinéma, je ne devais plus jamais par la suite ressentir une telle unanimité⁴⁷ émotionnelle devant la projection d’un film⁴⁸.

    D’abord accompagné par ses parents ou par sa tante, «à partir de 1942 et principalement de la sortie des Visiteurs du soir, [il] prend l’habitude d’aller [au cinéma] seul, et le plus souvent clandestinement»⁴⁹.

    Mes deux cents premiers films, je les ai vus en état de clandestinité, à la faveur de l’école buissonnière, ou en entrant dans la salle sans payer […] soit encore en profitant, le soir, de l’absence de mes parents et avec la nécessité de me retrouver dans mon lit, feignant le sommeil, au moment de leur retour⁵⁰.

    C’est en revenant voir les mêmes films qu’il a déjà vus seul, sans pouvoir l’avouer, qu’il mûrit le goût de la vision répétée. Ainsi, «en se rapprochant de plus en plus de l’écran pour faire abstraction de la salle», s’enfonce-t-il dans le film, établissant un rapport intime avec lui.

    Les salles de cinéma deviennent donc un autre refuge pour l’adolescent, une sorte de fuite loin du «milieu qui le rejetait et qu’il voulait donc rejeter»⁵¹. «C’était la suite des livres, une évasion assez belle… encore plus forte que celle que lui procuraient les romans», a-t-il affirmé⁵². Sans compter qu’à cette époque la vision de films constituait pour tout le monde une évasion hors des difficiles conditions de vie de l’Occupation. Plus tard, Truffaut déclarera que les périodes de guerre ou simplement de pénurie et de dénuement sont favorables à la fréquentation des salles de cinéma ou de théâtre⁵³; il s’en souviendra dans Le Dernier Métro, où l’on voit les Parisiens chercher à oublier les restrictions de la guerre en se rendant aux spectacles. À l’époque, la vision se concentre essentiellement autour du cinéma français, qui connaît incontestablement un âge d’or, car les films américains sont défendus et les films allemands sont négligés par le public⁵⁴.

    Après la guerre, Truffaut continue sa fréquentation assidue des cinémas: «Le cinéma, dans cette période de ma vie, agissait comme une drogue à tel point que le Ciné-club que j’ai fondé en 1947 portait le nom prétentieux mais révélateur de Cercle Cinémane» ⁵⁵.

    De Baecque souligne que «le contexte culturel de la Libération est éminemment favorable à la vie cinéphile», car on veut voir tout ce qui ne passait pas pendant la guerre, tels les

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1