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Dieu: Une histoire de la révélation
Dieu: Une histoire de la révélation
Dieu: Une histoire de la révélation
Livre électronique362 pages13 heures

Dieu: Une histoire de la révélation

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À propos de ce livre électronique

Dans ce dernier livre, une oeuvre remarquable, révolutionnaire et remplie d’imagination qui allie de façon inédite le conte à l’enseignement, l’auteur consacré par le New York Times sonde l’évolution de Dieu. À travers la vie de dix prophètes, saints, mystiques et martyrs de l’histoire touchés par une puissance divine, Deepak Chopra brosse le portrait saisissant d’un dieu sans cesse en transformation. Nos croyances, et de fait Dieu lui-même, évoluent au fil des siècles. Dans ce nouvel ouvrage, Chopra met en scène les grands moments des plus célèbres sages de notre monde, et révèle autant de leçons universelles sur la véritable nature de Dieu.
L’expérience de Job dans l’Ancien Testament est tout autre que celle de Paul dans le Nouveau Testament. Socrate est en quête d’un esprit versatile presque sans comparaison avec l’étrange voix qui appelle Rumi, et Shankara va d’une ville à l’autre pour révéler la vérité d’un dieu fort différent de celui qui guide Anne Hutchinson. Pourtant, indéniablement, un même modèle transparaît. Ces visionnaires
ont entraîné le genre humain sur des chemins inconnus et Chopra nous invite à redécouvrir leurs destinations. Un baume pour le coeur et pour l’âme, Dieu apporte une compréhension profonde et bouleversante de ce qu’est la croyance, du pouvoir de la foi et de l’esprit qui réside en chacun d’entre nous.
LangueFrançais
Date de sortie30 août 2013
ISBN9782897332686
Dieu: Une histoire de la révélation
Auteur

Deepak Chopra, M.D.

Deepak Chopra, M.D. is acknowledged as a world leader in establishing a new life-giving paradigm that has evolutionized common wisdom about the crucial connection between mind, body, spirit, and healing. He is the author of nineteen books and more than thirty audio, video, and CD-ROM programs. He has been published on six continents and in dozens of languages. Nearly ten million copies of his books have been sold in the English language alone. Dr. Chopra has established the Chopra Center for Well Being in La Jolla, California, where he serves as educational director.

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    Aperçu du livre

    Dieu - Deepak Chopra, M.D.

    www.laburbain.com

    Prologue

    Comme une auto à deux volants, le monde est dirigé par deux forces, le spirituel et le profane, qui se disputent le pouvoir. Si le profane a l’avantage aujourd’hui, la spiritualité l’a emporté pendant des siècles. Certains visionnaires ont été en mesure de façonner l’avenir tout autant que les rois, voire plus qu’eux bien souvent. Un roi se voyait consacré par Dieu, mais Dieu visitait les visionnaires. Ceux-ci entendaient personnellement son message avant d’apparaître en public pour transmettre ce que l’être divin attendait des humains.

    La situation complexe dans laquelle ont été plongés ces visionnaires me fascine. Très rares sont ceux qui désiraient avoir un tel pouvoir sur les autres. Dieu les a extirpés du confort de leur vie quotidienne et a guidé leurs pas. La voix qu’ils entendaient dans leur tête n’était pas la leur : elle était divinement inspirée. Comment était-ce ? D’un côté, ce devait être terrifiant. Dans un monde où l’on donnait des martyrs en pâture aux lions pour le spectacle, où l’on crucifiait des saints à titre d’ennemis de l’État et où l’on protégeait jalousement les anciennes religions, la voix de Dieu pouvait être une condamnation à mort. De l’autre, l’expérience du Divin menait à l’extase, comme en témoignent les poètes mystiques, de toutes les sociétés, qui ont vécu une histoire d’amour avec le Divin. Ce mélange de ravissement et de tourment est la semence qui a fait germer ce livre.

    Dieu est un mot creux si ce n’est dans l’expression que lui donnent les révélations de tous les saints, prophètes et mystiques de l’histoire. Ils ont planté les graines d’une spiritualité vécue comme une expérience directe et non comme une question d’espoir et de foi. Personne ne peut dire que Dieu se révèle sous une seule et même forme pour livrer un seul et même message ; c’est plutôt le contraire. Étrangement, les révélations peuvent être à la fois divines et contradictoires.

    Pourquoi Dieu ne dit-Il (ou Elle) pas simplement ce qu’Il pense en laissant Sa parole se propager à tous les peuples du monde ? La contradiction des messages sacrés naît de nos propres limitations. Disons que Dieu est infini. L’esprit humain n’est pas conçu pour percevoir l’infini. Nous percevons ce que nous sommes prêts à voir et à connaître. L’infinité se révèle par fragments variables d’une société à une autre, d’une époque et d’une mentalité à une autre. Ce que nous appelons Dieu, ce sont autant d’aperçus fugaces d’une réalité supérieure, comme la figure que nous voyons dans La Cène de Léonard de Vinci. Un simple aperçu nous émerveille, mais la vision d’ensemble nous échappe.

    Dans cette perspective, j’ai fait de ce récit une méditation sur ce Dieu qui est en nous. Ce n’est qu’à moitié un récit romanesque autour de 10 visionnaires transportés par les paroles que Dieu leur a transmises, l’ouvrage se voulant aussi une réflexion sur ce que signifiait Dieu lorsqu’il a choisi ces sages et ces voyants, ces prophètes et ces poètes. Le message n’était jamais le même : ce que Job entend dans l’Ancien Testament diffère beaucoup de ce qu’entend saint Paul dans le Nouveau Testament ; toutefois, on y décèle une trame.

    Dieu évolue. Voilà pourquoi Il continue de parler sans jamais garder le silence. Le simple fait que Dieu ait tour à tour été « Lui », « Elle », « Celui » et autre chose encore montre à quel point la présence divine est changeante. Mais dire que Dieu évolue, c’est sous-entendre que cette entité d’abord élémentaire a grandi pour progressivement prendre sa pleine ampleur, alors que selon toutes les religions, Dieu est infini par nature. Ce qui a évolué, en fait, c’est la compréhension humaine. Depuis des millénaires, peut-être même depuis la préhistoire, l’esprit humain a la capacité de concevoir une réalité supérieure. Les peintures et les statues sacrées sont aussi anciennes que la civilisation humaine, elles précèdent le langage et même sans doute l’agriculture.

    La proximité à Dieu est une constante, non seulement dans l’histoire de l’humanité, mais dans la nature humaine. Pour autant que nous soyons à l’écoute de notre âme, le lien perdure, même si l’attention fait défaut. Si nous avons l’impression que Dieu change, c’est parce que notre propre conception fluctue. Néanmoins, les messages ne cessent de se manifester et Dieu apparaît constamment sous un nouveau visage. Parfois, nous perdons de vue la pleine notion du Divin, lorsque les forces profanes s’emparent du volant dans l’espoir de conduire seules le véhicule. Mais la force de la spiritualité ne capitule jamais complètement. Dieu répond à notre besoin de nous connaître nous-mêmes et, à mesure que la conscience évolue, Dieu évolue aussi. C’est un voyage sans fin. En ce moment, quelque part dans le monde, quelqu’un se réveille en pleine nuit et entend un message mystérieux qui semble provenir d’une autre réalité. En fait, il doit se produire bien des visites de ce genre chaque nuit, et ceux qui se lèvent pour annoncer ce qu’ils ont entendu forment un groupe hétéroclite de fous, d’artistes, d’avatars, de rebelles et de saints.

    J’ai toujours voulu faire partie de ce groupe ; dans les pages qui suivent, c’est ce que j’imagine. Chacun de nous ne rêve-t-il pas de se joindre à ces marginaux, d’une manière ou d’une autre ? Leurs histoires nous transpercent le cœur et nourrissent l’âme. Les leçons qu’ils ont apprises ont mené le genre humain sur des voies inexplorées. Pourquoi alors ne pas quitter les rails du quotidien pour les suivre ?

    Deepak Chopra

    Avril 2012

    1

    Job

    C’est moi le Seigneur, ton Dieu.

    — Où finit le monde ? demanda le père.

    Son fils, Job, ne s’attendait pas à ce qu’il l’interroge. C’était le printemps. À l’extérieur de leur tente, les premières brises chaudes portaient le son agréable des oiseaux et des jeunes agneaux. Les amis du garçon frappaient dans une balle de cuir à travers champs.

    — Je t’ai posé une question.

    Job tira sur les lanières de ses sandales et regarda fixement le tapis sur le sol en terre battue.

    — Le monde finit aux murs de la ville, dit-il, là où l’on retient les démons au-dehors.

    C’était une réponse raisonnable pour un enfant de 10 ans. Très jeune, on l’avait mis en garde contre les démons, et leurs noms, tels Moloch et Astaroth, étaient gravés dans son esprit. Leurs griffes et leurs crocs lui paraissaient à la fois effrayants et fascinants. Lorsque le froid hivernal appelait les bergers à regagner les limites de la ville, Job se sentait enfermé ; il n’avait pas le droit d’aller là où l’on pouvait inhaler un démon aussi facilement qu’un moucheron.

    — Recommence. Où finit le monde ? demanda son père en secouant la tête.

    L’homme imposant regardait son fils de haut, l’air menaçant, ce qui était inhabituel chez ce tisserand presque aussi doux qu’une mère pour ses enfants. Cette fois, pourtant, Job sut dans l’instant que son humeur était sombre.

    — Le monde finit à la frontière de Judée et des contrées guerrières, répondit-il.

    C’était sûrement la bonne réponse. Leur verte vallée, appelée Ouç, se perdait dans le désert brun et caniculaire, comme du lait tombé d’une jarre et qui coule jusqu’à ce que le sable l’absorbe. La différence, c’était que le sol dans les contrées guerrières absorbait du sang.

    — Une dernière fois, garçon. Où finit le monde ? répéta le père, l’air toujours menaçant.

    Le fils était désormais muet, perplexe. Il baissa les yeux. Soudain, il reçut un coup violent sur la tempe, au point où il fut projeté à terre. Gisant, immobile, Job reprit ses sens et dévisagea son père qui, penché sur lui, l’examinait comme on examine des vers sur une chèvre blessée.

    — Le monde finit ici, grommela l’homme, le bras musclé suspendu au-dessus du visage de Job. N’oublie jamais mon poing.

    Pourquoi se comportait-il ainsi ? Le garçon n’allait certainement pas pleurer. Le coup était injuste. Il sentit poindre en lui un amour-propre, de celui que connaissent les petits enfants. On l’avait insulté, or les insultes méritent le mépris et non les larmes. Mais son père gardait le poing serré et Job ne voulait pas d’un autre coup. Il se mordit la lèvre en gardant le visage impassible jusqu’à ce que son père, ayant dit ce qu’il avait à dire, se redresse et quitte la tente sans un mot de plus.

    Il avait fait tomber quelque chose derrière lui. Un bout de tissu, de la fine laine blanche ornée d’une bande pourpre. Job venait tout juste de l’apercevoir lorsque sa mère entra précipitamment en se tordant les mains, mouillées par la lessive. Il n’eut pas le temps de lui dire ce qui s’était passé. Il ne put dire un mot, en fait, avant que le visage de sa mère se décompose et qu’elle lâche un cri. Elle s’empara du bout de tissu et le pressa contre sa joue.

    Job était ahuri. Sa mère était une femme digne, qui aurait préféré se détourner plutôt que d’être vue en train d’allaiter. Job ne l’avait jamais vue autrement qu’habillée de la tête aux pieds. Soudain, elle déchira son corsage noir et l’arracha presque de sa poitrine. Ses sanglots étranglés formèrent enfin un mot que le garçon put comprendre.

    — Rebecca !

    Sa sœur ? Pourquoi sa mère criait-elle son nom ? Job était confus, perdu, puis il lui revint à l’esprit un fait anodin et imagina le pire. Sa sœur aînée portait sous ses habits une fine chemise blanche. Rebecca était fiancée et la mère du jeune homme était venue leur rendre visite. Les deux familles se réjouissaient du mariage à venir et, avant de partir, la femme avait offert à la mère de Job un écheveau de fil pourpre. La teinture pourpre de Tyr valait cher. Sans tarder, sa mère avait tissé le fil dans l’ourlet de la jupe blanche appartenant à Rebecca, afin qu’on voie le liseré pourpre autour de ses chevilles à chacun de ses pas.

    — Elle est morte ? murmura Job.

    Il redoutait de poser la question, mais plus encore de ne pas savoir. Sa sœur, ou quelqu’un d’autre, avait déchiré une bandelette de son habit.

    Sa mère l’attira contre sa poitrine et le serra fort. Il se tortilla, sentant la peau chaude sous le corsage, peinant à respirer, mais elle ne voulait pas le laisser partir ; le garçon commençait à suffoquer.

    — Job !

    Son père l’appela à grands cris. Au même moment, ils entendirent des femmes courir vers la tente, et sa mère s’effondra. La cohorte entra. Soudain, le garçon fut submergé par les pleurs.

    Son père cria encore et Job se libéra. Courant au-dehors, il regarda par-dessus son épaule. Dans la pénombre de la tente, il vit une dizaine de mains agripper sa mère, comme des sages-femmes cherchant à mettre au monde un bébé terrifié. Job voulut la protéger ; il aurait couru l’arracher de ces mains crochues si son père ne l’avait pas fait pivoter brusquement.

    — Tu comprends, maintenant ?

    Comment pouvait-il comprendre ? Voyant son air ébahi, son père s’accroupit.

    — Dieu nous a donné ce lieu et en a fait quelque chose de beau. Mais il n’a pas aveuglé les yeux des étrangers. Ils sont jaloux. Ils raflent ce qui est beau et comme ils se savent mauvais, ils se cachent dans la nuit.

    Il commençait à comprendre. Des voyageurs empruntaient les routes aux abords de leur ville. Parfois, seuls quelques rares étrangers passaient par là, des commerçants ou des pèlerins allant à Jérusalem. Non, on ne devait pas con­sidérer les pèlerins comme des étrangers, seulement les autres. Il arrivait que les rares passants cèdent la place à une marée humaine, une armée d’hommes qui alors martelaient les chemins. Les contrées guerrières touchaient à leur porte.

    — Une bataille ? demanda Job.

    Il n’avait pas peur. Deux ans plus tard, il devrait se tenir prêt à défendre les portes de la ville s’il advenait que des envahisseurs venus de Perse et d’au-delà tuent les hommes et les fils aînés de la communauté. Job possédait déjà une arme faite d’un bâton avec une pointe de fer. Deux ans plus tard, il serait peut-être même aussi grand qu’une lance.

    — Pas une bataille, mon fils. Une incursion, menée par des hommes lâches, pires que des bêtes.

    Quel que soit le malheur survenu, son père en fut soudain accablé ; lorsqu’il tendit les bras pour tenir son fils par les épaules, ses mains tremblaient. Il n’aurait pas supporté que Job voie son visage sillonné de larmes et, sans que le garçon comprenne son geste, l’homme se releva pour s’enfuir sans un mot. Job n’oublia jamais la scène. Le jour où son père l’avait projeté au sol était le jour où sa sœur Rebecca était morte. Sans doute était-elle allée au puits, une cruche vide en équilibre sur la tête. Sans doute souriait-elle avant d’être vaguement déçue de ne pas y rencontrer d’autres femmes, d’autres jeunes filles avec lesquelles bavarder. Les roitelets bruns qui s’ébattaient dans l’eau chantaient-ils, ou savaient-ils ?

    Rebecca avait dû deviner en moins d’une minute pourquoi elle était seule, elle avait probablement jeté sa cruche par terre et entendu celle-ci voler en éclats. Elle avait dû faire deux ou trois pas, trop peu pour échapper aux agresseurs qui la cernaient déjà. Plus tard, lorsque les hommes d’Ouç franchirent les murs de la ville pour aller à la source qu’on avait entourée de pierres afin d’en faire un puits, ils virent des gouttes de sang. La jeune fille s’était débattue et avait déchiré un morceau de sa chemise. C’était une étoffe de laine blanche qu’avait tissée son père ; cela aurait pu aussi être un mot écrit à l’encre.

    Oubliez-moi. On m’a souillée. Nous sommes perdus les uns pour les autres. Oubliez-moi, mes chers parents.

    Les femmes en pleurs restèrent aux côtés de sa mère. Cette nuit-là, Job et son père dormirent à l’extérieur de la tente. Le ciel était plus noir que jamais aux yeux du garçon. S’il n’eut pas souvenir de s’être endormi, il se réveilla à l’aube, voyant se profiler une silhouette indistincte sous le rabat de la tente. Job eut soudain l’image de sa mère s’éloignant sans bruit pour aller se noyer dans le puits. C’était un puits profond, mais elle était résolue et y tomba face contre terre…

    — Garçon, debout.

    Job ouvrit les yeux et comprit qu’il avait fait un cauchemar. Son père était assis par terre à côté de lui ; il lui offrit un bol de lait caillé aux céréales. Job l’accepta en hochant la tête. Il était certain, au moment de se rouler dans sa peau de mouton pour la nuit, que jamais plus il ne voudrait manger, mais maintenant, il était affamé. Job prenait la nourriture avec ses doigts recourbés en cuillère, attendant de voir ce qu’allait faire son père. Un enfant, s’il est chéri, saura donner une seconde chance au parent ; Job sentait tout de même l’ecchymose sur sa tempe, là où elle avait heurté le sol. Il attendit. Son père resta d’abord assis, immobile, comme s’il décidait quel genre d’homme il serait ce jour-là. Devant son silence, Job sentit poindre l’appréhension, mais alors son père se leva et contourna la tente, près de laquelle était installé son métier à tisser. Puis Job perçut le cliquetis familier de l’appareil, un son qui le rassurait depuis toujours.

    Lorsqu’il eut fini de manger, le garçon alla rejoindre son père ; au printemps, si le temps était clément, tous les tisserands sortaient leur métier pour travailler dehors. Son père fut le premier à l’ouvrage, alors que le soleil n’était encore qu’un demi-cercle à l’horizon. Job observa l’homme sans parler. Leur vie serait assombrie à jamais par cette incursion des barbares. Il ignorait la suite : allaient-ils procéder à un rite funéraire en l’absence de corps ? Les hommes allaient-ils former une troupe, attacher des lances à leurs bêtes de somme et tenter de la secourir ? Pendant un long moment, son père fit glisser la navette sans dire un mot.

    — Dieu bénit son peuple.

    À ces paroles, Job fut frappé de surprise. Il se demanda si le chagrin n’avait pas altéré les facultés de son père. L’homme répéta ses mots, plus fort, comme s’il voulait être entendu dans les tentes voisines.

    — Dieu bénit son peuple. Nous provoquons notre malheur. Personne n’est à l’abri du péché.

    Son père ne s’adressait à personne en particulier, si ce n’est peut-être au ciel. Il regarda Job au bout d’un moment, comme s’il remarquait enfin sa présence.

    — Tu comprends ?

    Le garçon secoua la tête. La veille encore, il voyait dans son père un homme parfait. Il ne pensait jamais à Dieu, il n’en avait pas besoin. Son propre père veillait sur tout, savait tout. Qu’était-il en train de dire ? Qu’il était res­ponsable de l’agression contre Rebecca ? En son for intérieur, Job eut envie de pleurer : « Arrête ! Tu ne l’as pas tuée. » Mais s’il parlait, son père risquait de le frapper à nouveau et Job ignorait la force qu’aurait alors le coup. Il avait une autre raison de retenir ses cris. Si son père n’était pas responsable de cette cruelle ironie du sort, il ne pouvait y avoir qu’un seul autre à blâmer.

    — Tout va bien, dit son père d’une voix morne. Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes, mais rappelle-toi ce que je t’ai dit ce matin.

    Il se remit au travail et, tandis que ses mains glissaient sur le fil bien tendu, il se produisit un changement. Son corps se détendit, son visage retrouva sa douceur habituelle. Peu après, il sifflait calmement, comme pour lui-même, et l’on n’aurait pu dire qu’un malheur était arrivé, à moins de le savoir.

    — Mon père était content. Pouvez-vous l’expliquer ? Que l’un de vous se prononce. Comment un homme peut-il travailler avec contentement quand la veille on lui a volé sa fille ?

    Job n’était plus un garçon. Devenu père à son tour, il avait des fils et des filles. Les hommes qui l’entouraient gardèrent le silence. Un nouvel enfant était né. Job le tenait dans ses bras tout en évoquant la disparition de Rebecca. Il avait coutume de raconter son histoire chaque fois que sa femme lui donnait un fils. Les hommes s’étaient réunis pour le rite de la circoncision, mais le prêtre attendait, couteau en main, que Job termine son récit.

    Les hommes qui le connaissaient déjà auraient pu lui répondre, toutefois ils prenaient plaisir à l’entendre dire la morale de son récit.

    — Mon père était content parce qu’il savait que Dieu récompense les bons et punit les méchants. Ma sœur n’était pas une exception. Je prie pour qu’elle ait survécu, mais quoi qu’il en soit, Dieu est juste, toujours.

    Dans la pièce assombrie par les volets clos, les hommes poussèrent des murmures d’approbation.

    — Dieu est juste, répéta l’un d’entre eux.

    Des bougies brûlaient sur la table où l’on avait étendu le nouveau-né. Il lançait des coups de pied dans les airs, mais ne pleurait pas. Sentant sur lui le couteau du prêtre, il poussa un étrange cri de surprise et de douleur. Le son rappelait davantage le cri d’un petit animal, comme un chien de berger dont on écourte la queue, que le cri d’un être humain. C’était le signal qu’attendait la femme de Job pour se précipiter à l’intérieur et emmailloter le bébé, au visage rouge vif désormais, avant de vite l’emmener le laver et panser sa coupure.

    L’atmosphère solennelle changea après leur départ. Le prêtre fut le premier à lever une coupe de vin et les hommes poussèrent des vivats, comblant de louanges le nouveau père. Mais personne ne le tapa dans le dos. Job n’était pas quelqu’un qu’on traitait avec familiarité. Après la troisième coupe, les hommes surent qu’il était temps de partir. Une fois rentrés, leurs épouses viendraient les harceler : les draperies étaient-elles faites de soie, les assiettes d’or ? Les jeunes servantes étaient-elles jolies ? Ne me dis pas que Job ne les a pas jaugées avant de les prendre à son service. Les riches ont leur propre loi.

    L’un des invités était épuisé ; l’une de ses vaches avait eu un vêlage difficile et il avait veillé toute la nuit. La vache avait failli mourir, puis, finalement, Dieu avait décidé que le veau sortirait mort-né. Ainsi, en plus d’être épuisé, l’homme était en colère ; et même en temps normal, il supportait mal l’alcool.

    — Ton père n’avait pas le droit de te frapper. J’ai connu des fils qui se sont enfuis pour ça, voire pire, dit l’homme ivre en s’approchant du visage de Job.

    Les autres observaient la scène, ahuris et gênés. Job le regarda avec indulgence.

    — Qu’aurait donc fait un autre fils ? demanda Job avec bienveillance.

    — Je ne sais pas, mais il n’aurait pas tremblé. S’il avait été mon père, il aurait caché les couteaux de la maison après ça.

    La rage enflamma soudain le visage de l’homme soûl. Sans crier gare, il pivota et rafla le couteau du prêtre, posé sur la table en attendant que celui-ci le nettoie et le bénisse pour un prochain rituel.

    — Cachez vos couteaux, cria l’homme ivre, parce que j’arrive !

    Aussi vite qu’elle était montée, sa colère retomba. L’invité cligna des yeux et regarda autour de lui d’un air hébété, comme s’il avait entendu ses propres paroles sans savoir qui les avait criées.

    — Pardon, marmonna l’homme.

    Il laissa tomber le couteau, heurtant bruyamment le sol en pierre, et sortit précipitamment sans regarder personne. Les invités se turent, attendant de voir comment Job allait réagir. Pas un n’était aussi riche que lui et la plupart avaient emprunté de l’argent de ses coffres, lesquels étaient toujours ouverts.

    — Est-ce le seul ? murmura Job d’une voix calme.

    Les hommes autour de lui remuèrent, embarrassés par cette question déconcertante. Job y répondit lui-même.

    — Vous vous interrogez tous, comme je l’ai fait. Ma sœur a disparu et mon père a choisi ce moment-là pour me frapper. J’étais jeune, mais je savais manier un couteau.

    Job sourit, comme s’il ravivait une vieille impulsion que le temps n’avait pas totalement dissipée.

    — Même les jeunes garçons aident à abattre les agneaux du printemps, conclut-il.

    — Ton père était ton père, dit son bon ami Élifaz. Il pouvait agir à sa guise.

    — Et cela t’aurait suffi si tu avais été à ma place ? demanda Job.

    J’étais à ta place. Dans ses accès de colère, mon père perdait la tête, répliqua Élifaz.

    Plusieurs opinèrent et l’on entendit un murmure d’acquiescement.

    — La colère de ton père était-elle gentillesse ? demanda Job.

    — Tu es bien mystérieux aujourd’hui, fit Élifaz en souriant.

    — Le monde est mystérieux, répondit Job, tout comme Dieu, mais c’est là un mystère que j’ai résolu.

    Il enchaîna sans attendre.

    — Que savons-nous de notre Seigneur ? (Job n’allait certainement pas prononcer le nom de Dieu, ce qui était interdit.) Il nous l’a dit lui-même. C’est un Dieu jaloux et colérique. Moïse n’a-t-il pas reçu cet enseignement ? Nous connaissons la loi et, par conséquent, nous savons comment contenter Dieu. Même s’il est en colère, il est juste.

    Job s’enflammait et il aurait pu livrer un sermon, mais soudain, il cessa de parler. Il afficha un air vide, comme un homme perdu dans ses pensées ou qui entend des voix — c’était difficile à dire.

    — Aux yeux d’un fils, reprit-il d’un ton calme, qu’est-ce qu’un père ? Dieu en personne. Voilà qui est juste. La loi veut que les pères gouvernent à l’image de Dieu, et mon père voulait me protéger. Jusqu’où pouvait-il étendre sa protection ? Pas plus loin que son bras. Au-delà de son poing, j’étais au bout du monde. J’étais la proie des mêmes dangers qui avaient emporté ma sœur. Le coup que m’a asséné mon père était amour pur. Je l’ai haï dans mon cœur jusqu’à ce que Dieu me révèle cette explication. Maintenant, j’aimerais pouvoir rendre en retour un tel amour, plus fort que la haine qu’il peut provoquer.

    À ces mots, certains invités poussèrent des murmures, profondément émus. Mais pas tous. Son ami Bildad demeurait sceptique.

    — Que veux-tu nous enseigner ? Que Dieu nous accable par amour ? Dans ce cas, que fait-il lorsqu’il nous hait ? Assurément, il condamne les pécheurs et récompense les hommes bons.

    Avant que Job ne réponde, un autre ami, Çofar, se mêla à la conversation.

    — Ce n’était qu’une leçon donnée à un enfant, dit-il. Pour le garçon que tu étais, le poing de ton père marquait la limite du monde. Aujourd’hui, tu en sais davantage. Pas une parcelle de terre n’échappe à la colère divine.

    Job regarda gravement ses amis. Tous trois souriaient. Qui souhaite côtoyer les nantis apprend à se montrer subtil, et la première leçon consiste à afficher un sourire voilé. Comme celui d’un assassin, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment proche pour attaquer.

    — Que croyez-vous, mes amis ? demanda-t-il. Que je n’ai jamais souffert ?

    — L’argent est comme un lit de plumes, mais autrement plus moelleux, dit Bildad, répétant là l’un de ses dictons préférés.

    — C’est jour de fête, lança Çofar. Ne nous disputons pas à propos de Dieu.

    — De telles querelles ne riment à rien, opina Job. Ce que nous savons de Dieu, nous le savons, n’est-ce pas ?

    Il inclina la tête. Était-ce un signe de prière, de modestie ou de défaite ? La pièce était sombre et personne n’aurait pu le dire. Les invités furent soulagés de partir. Chacun serra chaleureusement la main de Job, mais pas une fois il ne leva la tête. Quelles que fussent ses pensées, la voix dans son esprit était à court de mots.

    Un ouvrier agricole ruisselant de sueur tenait dans sa main deux épis d’orge noircis. Ils étaient niellés, et Job voulut d’abord savoir jusqu’où s’était propagé le charbon poisseux. L’ouvrier haussa les épaules.

    — Va demander à mes amis, dit Job. Leurs cultures touchent les miennes. Montre-leur ce que tu as découvert. Ce n’est rien, sans doute, mais demande-leur s’ils s’inquiètent.

    L’ouvrier s’inclina et partit. Pour une étrange raison, l’image des deux épis d’orge noircis resta gravée dans l’esprit de Job. Il ne s’inquiétait pas pour lui-même, car il possédait les champs les plus fertiles de la vallée, en plus d’avoir toujours la moisson d’une année dans son grenier à grains. Ses voisins n’étaient pas si heureux ; ils vivaient d’une récolte à l’autre, sans réserve. Une heure plus tard, le journalier revenait à la hâte en secouant la tête.

    — Les céréales de vos amis sont saines, dit-il, même s’il ne semblait pas apporter de bonnes nouvelles.

    Il tenait un gros sac contre son ventre et d’un geste, il l’inclina. Du sac se déversèrent des centaines d’épis d’orge, tous noircis et desséchés. On aurait dit que le sol aux pieds de Job se couvrait de chenilles carbonisées. Il fronça les sourcils.

    — Pourquoi ne m’as-tu pas apporté ce gros sac plus tôt ?

    — J’ai apporté ce qu’il y avait. Ça vient de se produire. Quel que soit ce fléau, il avance vite, dit l’ouvrier en reculant, comme si la céréale était contaminée par la peste.

    Job était un homme doux, comme son père, pourtant il toisa durement le travailleur et lui ordonna de surveiller les champs d’orge cette nuit-là. Il lui ferait un compte-rendu au matin. Mais le charbon se propagea à une vitesse alarmante et l’homme revint avant le crépuscule : l’un des plus grands champs de Job n’était plus qu’un tapis de tiges noires. Un incendie invisible avait détruit la céréale, s’arrêtant néanmoins, comme si quelqu’un en avait lancé l’ordre, à l’endroit exact où les terres de Job touchaient à celles du voisin. Les gens commencèrent à parler à voix basse. La nuance entre malchance et malédiction était ténue pour eux. Lorsque le soleil se leva le lendemain matin, l’incendie invisible avait ravagé deux autres champs, les meilleures cultures de Job. La pointe des grains était déjà carbonisée. Le champ voisin, qui appartenait à son ami Élifaz, était indemne. On ne parlait plus de malchance.

    Job alla voir sa femme, qu’une jeune servante habillait.

    — Ne mets pas de bijoux, dit-il, et si tu sors, couvre-toi la tête.

    Elle le regarda, perplexe, et fit signe à la jeune fille de partir.

    — Pourquoi me demandes-tu ça ? s’enquit-elle lorsqu’ils furent seuls. Me soupçonnes-tu de quelque chose ? Je suis innocente.

    Un autre homme se serait demandé pourquoi une telle pensée lui était venue à l’esprit, mais Job avait confiance en elle.

    — Ma chérie, les cultures sont dévastées. Dieu voit tout. S’il est en colère, montrons-lui que nous ne

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