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Contes du soir
Contes du soir
Contes du soir
Livre électronique176 pages2 heures

Contes du soir

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À propos de ce livre électronique

Le XIXe siècle adorait les contes antiquisants et romantiques à souhait, et le talent d'Auguste Barbier s'inscrivait parfaitement dans cette veine. Il nous offre ici trois histoires passionnées, où l'imaginaire se tisse de réalité. Nous partons au château de Chaiges, pour un sombre mystère orientalisant ; au palais des Salimbeni à Sienne, découvrir une haletante histoire d'amour contrarié, de basse vengeance et de justice triomphante, et enfin, visiter les petits villages bucoliques de Greenwich et Bayswater, dans la banlieue de Londres, tâter de la morale rigide de la bonne société victorienne. Trois contes en ombres et lumières, délicieusement dépaysants.
LangueFrançais
Date de sortie6 avr. 2020
ISBN9782491445270
Contes du soir
Auteur

Auguste Barbier

Auguste Barbier (Paris, 28-04-1805 - Nice, 14-02-1885). Propulsé à 25 ans brusquement au faîte de la gloire par quelques poèmes républicains violents et engagés, à la suite des Trois Glorieuses, Auguste Barbier s'installera peu à peu dans le rôle de l'écrivain "sérieux" et un peu moralisateur. Sa renommée n'en souffre pas. Élu en 1869 membre de l'Académie française, il est entre autres l'auteur du livret de Benvenuto Cellini.

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    Aperçu du livre

    Contes du soir - Auguste Barbier

    NOTES

    Préface

    Diderot disait : Mes amis, faisons des contes ; pendant que l’on fait des contes, on oublie, et le conte moins amusant de la vie s’achève sans tourment…

    Nous sommes un peu de cette opinion, aussi avons-nous mis en pratique l’aimable conseil du célèbre philosophe.

    Nous avons donc écrit Trois histoires du temps passé, et comme elles ont été tracées aux pâles rayons de l’hiver de l’âge, nous les avons intitulées : Contes du soir. Ces récits de nationalités diverses n’ont aucune prétention philosophique ou politique ; ils ne visent qu’à être intéressants et à distraire un moment ceux qui voudront bien les lire. Puisse ce but être atteint et l’auteur se trouvera amplement récompensé.

    LE CHEVALIER DE LUSSAN

    Histoire française du dix-septième siècle

    À Monsieur et Madame HONS-OLIVIER

    en remerciement de leur aimable hospitalité dans leur propriété de Mons-Athis.

    Le 24 juin 1677, il y avait réception au château de Chaiges, à quatre lieues de Paris, près Juvisy. Don Juan de Watteville, abbé de Beaume et grand bailli d’Hamon, en Franche-Comté, devenu depuis peu propriétaire de ce manoir par héritage, y célébrait son jour de fête. Tous ses voisins avaient été invités. On voyait à sa table le seigneur d’Athis, conseiller du Roi et petit-fils de Pierre Viole, le fameux président du temps de la Fronde, le duc de Roquelaure et son petit-neveu, le chevalier de Lussan, hôtes et amis du seigneur d’Athis, puis le baron de Juvisy, les seigneurs de Viry, de Vigneux et d’Ablon, et quelques autres personnages distingués venus de Paris. Le bailli avait fait magnifiquement les choses et le festin, abondant en gibier et poisson, était arrosé des meilleurs vins de la Bourgogne et de la Champagne.

    Le maître de la maison paraissait fort heureux du plaisir de ses convives. Ses petits yeux gris de fer étincelaient sous d’épais sourcils noirs. Haut de taille et vif encore d’allure, quoiqu’il eût dépassé de beaucoup la cinquantaine, avec sa moustache et sa royale grisonnantes, il ressemblait plus à un homme d’épée qu’à un homme de religion. Le fait est qu’il avait été l’un et l’autre. Comtois de bonne naissance, mais cadet de famille, M. de Watteville avait commencé par servir dans les armées du roi d’Espagne, en Italie, puis il s’était fait chartreux, s’était enfui du cloître et, passant en Turquie, y avait pris le turban et rempli les fonctions de gouverneur de place en Morée. Revenu en Europe et absous de son apostasie par le Saint-Siège, grâce à l’intervention du baron de Watteville, son frère, ambassadeur d’Espagne à la cour de Rome, il avait aidé diplomatiquement Louis XIV dans la conquête de la Franche-Comté. Le gouvernement royal l’avait récompensé de ses services par le don de l’abbaye de Beaume, l’un des plus riches bénéfices de la contrée. Le traité d’Aix-la-Chapelle ayant rendu la Franche-Comté à l’Espagne, M. de Watteville quitta son pays natal et vint en France habiter, près Paris, le domaine de Chaiges. On lui attribuait, à l’époque de sa jeunesse, bien des aventures étranges, force duels et enlèvements de femmes. Aujourd’hui, malgré son âge avancé, il menait encore largement la vie et employait au jeu, à la chasse et à la table, une activité de corps et d’esprit des plus étonnantes.

    On mangea beaucoup et l’on but davantage. Le souper, n’ayant pour assistance que des convives masculins, fut très gai. Il y eut de la part de M. de Roquelaure, qui n’était pas chiche de mots salés, plus d’un récit graveleux dont s’amusa la noble compagnie. Comme toujours aussi, en toute réunion un peu excitée par la bonne chère et le vin, il faut qu’il y ait une victime, un plastron ; la personne qui servit de but à l’esprit de ces messieurs fut le plus jeune de l’assemblée, et certainement le plus aimable, le chevalier de Lussan. C’était un jeune homme de vingt ans au plus, de figure charmante, bien fait, élancé, et ayant des yeux bleus et une perruque blonde. Le duc ne fut pas des derniers à tirer sur son neveu.

    – Épargnons, de grâce, disait-il, les oreilles du chevalier. Il n’est pas de notre temps. C’est un beau mélancolique qui n’aime qu’à naviguer sur le fleuve du Tendre avec mademoiselle de Scudéry, ou à porter la houlette aux bords du Lignon en compagnie des bergers de M. d’Urfé.

    L’assistance riait et applaudissait aux saillies de M. de Roquelaure. Le chevalier, qui ne manquait pas d’esprit, ripostait de son mieux ; mais quelqu’un fort attentif à tout ce qui se disait, loin de partager l’hilarité générale, regardait le jeune homme avec une sorte de compassion. Ce personnage n’était autre que le page du bailli, posté derrière la chaise de son maître. Ce serviteur, joli garçon de dix-sept à dix-huit ans, avait un visage parfaitement ovale et régulier, au teint mat comme celui des gens du Midi, des yeux noirs surmontés de deux sourcils bien arqués, et une belle chevelure noire retombant en boucles fines sur ses épaules. Il portait un pourpoint de velours violet, orné d’aiguillettes de soie rouge, vêtement qui lui serrait la taille et en faisait valoir l’élégance. On lui voyait en outre autour du col une chaîne d’or dont les anneaux brillants se jouaient sur sa poitrine. Il se nommait Théodore et obéissait avec une promptitude extrême à tous les ordres de M. de Watteville. Les regards du page n’échappèrent pas au chevalier. M. de Lussan y avait lu le sentiment d’un touchant intérêt et, plus d’une fois, pendant le repas, il chercha à les rencontrer comme pour se reposer du babil d’une société qui ne lui plaisait guère. Mais, soit timidité, soit distraction, le gentil serviteur baissait la tête ou détournait les yeux. N’importe, lorsqu’on sortit de table et qu’on alla faire quelques pas dans le parc, afin de se remettre un peu et respirer l’air, le chevalier y emporta l’image sympathique du page et le feu de ses doux regards.

    La nuit commençant à tomber, les convives de M. de Watteville songèrent à regagner leurs demeures. Quelques-uns, ceux qui étaient de Paris, ou qui habitaient loin du manoir, y restèrent et y jouèrent jusqu’au coucher. Quant aux plus rapprochés, ils montèrent à cheval et l’un d’eux, le gros baron de Juvisy, avait tant bu qu’on eut beaucoup de peine à le hisser sur son destrier et qu’il fallut, tout le long de la route, deux valets de chaque côté pour le maintenir en selle. Le brave homme n’était plus vraiment de ce monde. M. le conseiller et ses deux amis prirent également le chemin d’Athis.

    Le château de ce village appartenait depuis longtemps à la famille Viole. Édifice ancien, mais reconstruit dans le goût du dix-septième siècle, il occupait avec son parc à peu près le milieu de la hauteur qui domine la vallée où la petite rivière de l’Orge se jette dans la Seine. Il n’était donc pas très éloigné du manoir de Chaiges. Des champs, des prés, quelques bouquets de bois et le petit cours d’eau de l’Orge l’en séparaient. On passa la rivière au moulin du Roi, ancien fief des seigneurs de Montlhéry, et par la montée qui se trouve au-dessus on fut bientôt à l’habitation de M. Viole. Pendant la route, le conseiller et le duc s’entretinrent du seigneur de Chaiges.

    – Par ma foi, disait M. Viole, c’est un vrai gentilhomme que don Juan de Watteville : comme il nous a bien reçus !

    – Oui, répondait M. de Roquelaure, frocard et soudard à la fois, il doit s’entendre à bien vivre.

    – Sait-on, monsieur le duc, pourquoi il est venu se retirer à Chaiges ?

    – Parce qu’on ne veut plus de lui à Besançon, et qu’on ne s’en soucie guère à Versailles.

    – C’est fort possible ; il a couru tant de bruits fâcheux sur son compte... son affaire de Gray et sa livraison de troupes turques à l’Autriche…

    – Oui, je connais tous ces bruits-là, mais après tout, le seigneur don Juan traite comme il faut le monde, sa chère est excellente et ses vins sont exquis.

    Gaston, qui avait entendu la conversation, poussa son cheval près de celui de M. de Roquelaure et lui dit :

    – Savez-vous, mon oncle, d’où vient à M. le bailli le jeune page qui se tenait derrière son fauteuil pendant le souper ?

    – Ma foi, mon garçon, repartit le duc, je l’ignore autant que toi.

    – Ne l’avez-vous pas remarqué ?

    – Nullement. Est-ce que je m’occupe de ces gens-là !

    – Mais il a une jolie figure et un air si étrange !

    – Eh bien ! va le demander au bailli lui-même, reprit le duc impatienté. Que diable cela peut-il te faire ?

    Cette parole termina l’entretien, et, comme on était arrivé au château, les cavaliers descendirent de leurs montures, se souhaitèrent le bonsoir et se retirèrent chacun dans son appartement. En s’étendant sous ses draps, le chevalier se demanda encore plus d’une fois de quelle provenance pouvait être le jeune serviteur de M. de Watteville. Elle ne lui paraissait ni française, ni allemande, ni espagnole, ni même italienne. Quelle était-elle ? Sans trop savoir pourquoi, le démon de la curiosité le piquait à ce sujet et il s’endormit en disant : Il faudra bien que je le sache !

    Une semaine après le souper de M. de Watteville, M. de Roquelaure fit appeler son neveu et lui dit de se préparer à venir avec lui à Chaiges faire une visite de politesse au seigneur du lieu. Le jeune homme s’habilla vite et, montant à cheval, suivit son oncle à la résidence du bailli.

    Le château de Chaiges ou Chage était aussi vieux que celui d’Athis, mais il avait gardé son aspect féodal. La porte d’entrée principale, fort étroite, était pratiquée dans un massif de maçonnerie, percé de meurtrières et flanqué de deux tours s’appuyant au mur d’une chapelle dont le toit pointu et surmonté d’un clocheton dominait l’ensemble. Deux longs corps de logis en rez-de-chaussée seulement s’étendaient de chaque côté et avaient pour défense un large fossé à demi rempli d’eau faisant le tour des bâtiments et du parc. Le pont-levis étant dressé, les cavaliers longèrent le parapet du côté gauche et arrivèrent à la porte des communs qui, elle, n’était pas fermée. Descendus de cheval, et les bêtes remises en main au valet qui les suivait, le duc et son neveu pénétrèrent par un petit pont dans la cour intérieure du manoir. Mais là, quel spectacle s’offrit à leurs yeux ! Au fond de la cour, adossé à la muraille, assis dans un grand fauteuil et entouré de ses gens, le seigneur de Chaiges semblait tenir un lit de justice. À quelques pas de lui, un paysan, son bonnet à la main, parlait et gesticulait, et plus loin, le corps lié à un arbre, un jeune homme, la chemise rabattue, montrait ses reins et ses épaules en parfaite nudité.

    – Tudieu ! monsieur le bailli, s’écria le duc en se découvrant, dans quelle opération vous trouvé-je ?

    – Monsieur le duc, je suis bien votre serviteur, répondit M. de Watteville en se levant et s’inclinant ; j’exerce mon droit de haute et basse justice. Ce jeune drôle que vous voyez là-bas, est convaincu d’avoir dérobé des fruits à ce paysan. C’est un des garçons de mes écuries, et je l’ai condamné à recevoir sur les reins vingt coups de verge, sentence qui sera mise à exécution devant vous, monsieur le duc, si vous voulez bien le permettre.

    À ces mots, le page du bailli s’approcha vite de M. de Roquelaure, avec un air suppliant, et lui dit :

    – Ah ! monseigneur, obtenez, je vous prie, la grâce de ce pauvre garçon.

    Théo ! s’écria M. de Watteville, di te non è bisogno, taci e dietro ! Et il continua d’adresser au jeune serviteur, d’un ton fort dur, plusieurs autres paroles qui n’étaient ni françaises, ni italiennes. Le page quitta le duc et vint se ranger auprès du fauteuil de son maître. Gaston était fort ému de cette scène. Il tira son oncle par la manche et lui dit :

    – Intervenez, je vous en conjure, en faveur de ce malheureux.

    Le duc, qui était bon homme, comprit et s’écria en faisant quelques pas :

    – Monsieur le bailli, quand le Roi passe près de l’échafaud d’un condamné, l’action de la justice est suspendue et la sentence mise à néant. Je ne suis point le Roi, mais je suis le duc de Roquelaure, lieutenant général des armées de Sa Majesté, gouverneur de la Guyenne et pair du royaume. J’espère donc que ma présence inattendue en ces lieux portera bonheur à ce pauvre diable, et que vous ne me refuserez pas sa grâce à titre de voisin et d’ami.

    – Soit, monsieur le duc, répondit le bailli en inclinant la tête, qu’on délivre ce drôle ! Mais qui payera le dommage ?

    – Eh bien ! moi, fit le duc. À combien le dégât ?

    – Douze livres tournois ! s’écria le paysan.

    – Allons, bonhomme, les voilà ! reprit le duc en tirant de sa poche deux écus de six livres qu’il tendit au rustique. Et toi, jeune homme, ne recommence pas, car une autre fois je ne serais point là pour couper la corde.

    Le délinquant baisa les mains de M. de Roquelaure et s’enfuit au milieu de ses camarades. Quant au duc, il remercia fort M. de Watteville de son aimable condescendance, lui assurant qu’il lui était deux fois redevable, d’abord d’un souper excellent, et ensuite d’un acte de charité.

    – Ah ! monsieur le duc, ajouta un peu aigrement le bailli, c’est ainsi que l’on perd l’autorité.

    – Peut-être, repartit M. de Roquelaure, en secouant la tête.

    Et sur ces mots on sortit de la cour et l’on entra dans la salle à manger du château. Là, le seigneur de Chaiges fit asseoir ses deux visiteurs et ordonna à son page qu’on leur servit des rafraîchissements. Le jeune homme disparut et revint bientôt en compagnie d’un valet portant sur un plateau d’argent flacons de vins et gâteaux, auxquels ces messieurs firent modestement fête. Durant ce léger repas Gaston ne perdait point de vue le serviteur du bailli, et il crut voir que ses yeux pleins de joie s’arrêtaient souvent sur lui et semblaient le remercier des bonnes paroles de M. de Roquelaure. La collation terminée, l’oncle et le neveu furent reconduits avec force civilités par M. de Watteville jusqu’à la porte du manoir. Arrivés à quelque distance, le duc ne put s’empêcher de dire :

    – Il y va bien, le voisin, la bastonnade pour quelques abricots chipés ! C’est une justice tout à fait à la turque.

    – Dame,

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