Touchdown 3
Par Étienne Boulay et Patrick Marleau
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Aperçu du livre
Touchdown 3 - Étienne Boulay
Chapitre 1
La défaite : le pire cauchemar des athlètes. Pour Zakary Duclair, la douleur était double. Joueur étoile des Pékans de Rimouski, il avait été blessé lors du match ultime pour le championnat. L’équipe de football collégiale du Bas-St-Laurent se trouvait en excellente position pour remporter son premier titre mais, tout juste avant la fin de la première demie, Zakary s’était fait sortir de la partie par un geste disgracieux commis volontairement par un adversaire.
Le joueur fautif des As de Limoilou, désolé d’avoir intentionnellement blessé le porteur de ballon, ne faisait qu’obéir aux ordres de son entraîneur sans scrupules. Repentant, il avait d’ailleurs dénoncé cette décision et l’équipe, déchue de son titre, avait écopé de sévères sanctions, notamment le renvoi de l’entraîneur responsable de cet acte odieux. Si un sentiment partiel de justice habitait maintenant l’équipe de Rimouski, ce jugement ne leur enlevait toutefois pas la conviction de s’être fait voler le championnat.
Heureusement, la blessure de Duclair n’était pas aussi sérieuse qu’on l’avait craint. Cependant, il avait dû subir quelques sessions de physiothérapie pour cette vilaine entorse au genou droit, ce qui l’avait tenu à l’écart de l’action une bonne partie de l’hiver.
Tout comme la commotion cérébrale encaissée plus tôt dans la saison, cette blessure avait laissé une entaille de plus dans son armure. Même Sylvain Loiselle, son entraîneur, avait remarqué que son joueur étoile n’affichait plus la même hargne à la reprise des entraînements. La crainte s’était installée chez son porteur de ballon. Malgré un bon début de saison pour sa formation, il aurait besoin d’un Zakary Duclair au sommet de son art pour atteindre à nouveau la finale et venger l’échec crève-cœur.
Certes, les Pékans avaient perdu plusieurs vétérans importants mais, à la surprise générale, la relève réussissait mieux que prévu. Le nouveau quart-arrière, Samuel Danault, en plus d’être alerte et mobile, possédait un solide bras qui palliait la prestation ordinaire des porteurs de ballons. Avec ses deux superbes attrapés pour des touchés, le receveur Tristan Bégin, un colosse de six pieds et quelques pouces, avait joué un rôle important dans le gain de 17 à 6 des Pékans en lever de rideau. La défensive, avec Pierre-Antoine Saint-Germain-Labonté en tête, avait complètement neutralisé l’offensive des Dragons de Montréal. D’ailleurs, quel chemin avait parcouru P-A en deux ans pour devenir l’un des piliers de l’équipe et probablement le meilleur joueur à sa position de la ligue ! À son année recrue, le grassouillet allié défensif mélangeait souvent les jeux, ce qui contribuait à ses mauvais positionnements sur le terrain. Il était la cible de moqueries de la part de certains de ses coéquipiers, mais Zakary l’avait pris sous son aile. Depuis, Pierre-Antoine progressait à un rythme qui impressionnait non seulement Loiselle, mais également des recruteurs de collèges américains. Seul noir du groupe à ses débuts, il avait été rejoint par César Karaké. Le vif retourneur de ballons était flamboyant, à l’image de son idole, P.K. Subban. Il aimait bien déplacer de l’air sur le terrain, tout comme dans le vestiaire.
À sa deuxième partie, la formation rimouskoise avait perdu un match serré de 21 à 18, alors que les Éclairs de Thetford Mines avaient réussi un placement bon pour trois points dans les derniers instants de la partie. Les hésitations de Zak avaient coûté quelques précieux premiers jeux à son équipe. La majorité des points des Pékans avaient été inscrits par leur botteur, Pier-Luc Côté, qui avait effectué quatre bottés de placement pour un total de douze points !
Avec tout de même une fiche de .500 en début de saison, l’entraîneur pouvait se permettre d’être patient, mais pas trop longtemps. La prochaine rencontre contre leurs coriaces rivaux, les Riverains de La Pocatière serait déterminante pour la suite des choses. Même s’il demeurait fidèle à son joueur étoile, Loiselle n’aurait pas le choix de considérer ce qui était le mieux pour son équipe, surtout que son porteur de ballon, la recrue Dylan Fortier, s’acquittait bien de ses tâches dans un rôle restreint. Peut-être était-ce le temps de brasser un peu les cartes et de lui donner un peu plus de temps de jeu ? L’entraîneur hésitait encore. Il préférait accorder une autre chance à Zak.
D’ailleurs, les ratés de Zakary ne passaient pas inaperçus auprès des amateurs, témoins de cette défaite crève-cœur. Était-ce la pression de la troisième année et des recruteurs ? Les séquelles de sa blessure ? Des problèmes personnels ? Zak s’ouvrait peu, que ce soit à ses coéquipiers ou à son meilleur ami Cédrik Rioux. Il ne se confiait même pas à sa blonde Marjorie, avec qui il avait emménagé l’été précédent.
Le couple habitait désormais avec Cédrik. Les colocs avaient troqué leur bordélique minuscule chambre du campus pour un miteux petit appartement.
– De retour avec tes céréales sucrées dans le lait au chocolat, mon beau ? observa, sourire en coin, Marjorie. Tu n’as pas perdu de temps.
– J’étais juste plus capable de son gruau avec ses raisins secs pis son foutu lait d’amandes ! confessa Cédrik.
– Donc, c’est officiellement terminé ?
– Oui. Je savais que la distance serait un facteur. C’est pas facile quand ta blonde est à Québec et que tu la vois juste les fins de semaine, et encore !
– Dommage. J’aimais bien Tamara.
– Ced is back on the market ! J’ai déjà repéré une belle blonde.
– Ah, ouin ? Ta belle comédienne ?
– T’es bien curieuse !
– Montre-la-moi !
– Plus tard.
– Allez, Cédrichou ! insista Marjorie.
Voyant que Cédrik refusait sa demande, elle subtilisa son cellulaire qui reposait sur la table.
– Trop tard ! Tu as sûrement des photos d’elle là-dedans…
– Lâche mon cell ! T’es pas drôle, Marjorie. Je vais dire à Zak pour ta cachette à chips !
– Non ! Non ! Je promets de faire la vaisselle toute la prochaine semaine !
– Deal !
– Qu’est-ce que vous complotez encore, vous deux ? demanda Zakary en entrant dans la petite cuisine.
– Rien, rien. On discutait de filles.
– De sa belle comédienne ?
– Pas moyen de déjeuner en paix avec vous deux !
– Dis-moi, as-tu eu des nouvelles de ton père ? demanda Marjorie.
– Sa situation est redevenue stable, mais ma mère ne pense pas qu’il reviendra à la maison.
– Zak, je suis là pour toi… lança Marjorie, bouleversée. Mon offre de lui rendre visite tient toujours si tu veux.
Elle se leva de table pour lui offrir un câlin. Plutôt expéditif, Zak la serra contre lui d’un bras avant de lui appliquer un rapide baiser sur la joue droite.
– Ced, à propos de ta comédienne, comment s’est déroulé ton tournage, hier ? dit-il en changeant rapidement le sujet. On n’a pas eu la chance d’en discuter. Tu es content du résultat ?
– Oui, mais on parle de toi, là. Loiselle comprendra si tu t’absentes. Il s’agit de ton père, répliqua Cédrik, médusé par la froideur de son ami.
– Bon. Je dois me rendre à mon cours d’histoire.
– Zak, prends une bouchée, dit Marjorie. Emporte au moins un muffin.
– Saveur de gruau aux raisins ! Miam ! ajouta Cédrik d’un ton cynique. Sinon, je peux t’en sortir de ma recette spéciale ?
– Non, merci ! J’ai goûté une fois. Ça va. Je vais me contenter de celui-ci.
Zak prit le muffin, puis quitta l’appartement en silence.
– Ouf ! Ça ne s’arrange pas avec lui. Je comprends pas pourquoi il se referme comme ça, constata Cédrik.
– C’est de durs moments, mais il va s’en sortir…
– Maudit qu’il est têtu, ton chum !
– Je sais.
***
On aurait dit un vrai cachot ! La classe évoquait la belle époque de la mode « béton ». Elle ne possédait aucune fenêtre, seulement quatre monotones murs crème ayant besoin d’une cure de rajeunissement. Des vieilles affiches déchirées pendouillaient. La salle arborait un grand tableau vert, qui avait vu sa part de craies, et un éclairage à donner un sérieux mal de tête. Bref, tout était en place pour que Zakary connaisse une merveilleuse session dans ce local clos, consacré à l’étude de l’histoire des civilisations basée sur les sciences et l’évolution.
– Rien de lié à la magie et à toutes ces superstitions comme l’enseigne monsieur Bryan Perron dans son cours sur la mythologie, se plaisait à dire leur professeur Germain Larocque.
De haute taille, filiforme, et avec le teint blafard, il ressemblait à la caricature d’un croque-mort. D’ailleurs, ses petites lunettes perchées sur son long nez lui donnaient l’allure d’un prédateur épiant ses proies. Amusé, il scrutait les visages terrifiés de ses étudiants, tentant de deviner lesquels parmi eux seraient ses prochaines victimes. Lesquels échoueraient son cours ?
Seulement trente petites de minutes d’écoulées et déjà les paroles du professeur se confondaient dans la tête de Zak, alors que ses pensées divaguaient. Somnolent, il fut soudain réveillé par le bruit d’un lourd volume abattu sur son pupitre. Il releva lentement la tête et vit Larocque, à ses côtés, qui lui glissait une main froide sur l’épaule.
– Monsieur Duclair ? Est-ce que les rites cérémonieux de nos amis de l’ère néo-sumérienne vous semblent si mornes qu’ils vous endorment ? Saviez-vous que, à cette époque, les mâles pratiquaient un jeu qui s’apparente au vôtre ? Au lieu d’un ballon, ils utilisaient les têtes fraîchement tranchées de leurs ennemis…
– Non, m’sieur.
– Tâchez de garder les yeux bien ouverts et votre cerveau bien réveillé pendant mon cours !
– Oui, m’sieur.
Larocque se rendit au tableau, tandis que Zak ne songeait qu’à retrouver son lit.
***
La journée parut interminable. Zakary détestait profondément les jeudis alors qu’à son horaire s’inscrivaient trois cours qu’il ne trouvait pas très passionnants. Tel un zombie, il les enchaîna jusqu’à l’heure de son entraînement qu’il trouvait tout aussi pénible cette saison.
Sur le terrain, il ne ressentait plus cette motivation qui l’habitait autrefois. La perte de plusieurs coéquipiers était difficile à encaisser, comme celle de Maxim Roy, surnommé le « King ». Son humeur contagieuse et sa propension à faire perdre leur concentration à ses adversaires lui manquaient. Si, pour la plupart des joueurs, le parcours s’était terminé en novembre dernier, d’autres, comme l’ancien quart-arrière Steven Francœur, l’imposant allié défensif Étienne Whittom ou encore le receveur de passes et botteur Marc-Stéphane Morin dit « l’échalote », avaient quitté le cégep pour le football universitaire.
La moitié de l’équipe était donc composée de nouveaux visages. Parmi les quelques recrues qui se greffaient aux Pékans, Théodore Naud se démarquait du lot, surtout grâce à sa condition différente. Le premier jour du camp, il avait été accompagné de sa mère. Quelque peu rondelet et dépareillé, il donnait l’impression d’être un enfant dans un corps d’homme alors qu’englué par sa timidité, il n’osait fixer personne. Affublé d’un léger bégaiement, il ne parlait que de statistiques de jeux vidéo. Visiblement, il créait un certain malaise parmi les joueurs.
– Coach, tu nous fais une joke, là ? T’es pas sérieux… s’étonna Danault, la recrue quart-arrière devant cet énergumène qui se promenait devant lui.
– Les gars, j’ai vu Théo jouer à quelques reprises la saison dernière à son école secondaire de Cabano. Ne vous fiez pas aux apparences ! Il a dominé