L’homme battu, un tabou au coeur du tabou
Par Sophie Torrent
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À propos de ce livre électronique
Pour la première fois, une femme, Sophie Torrent, fait de l'homme battu par sa conjointe le sujet d'un livre. En se basant sur le témoignage d'hommes reconnus violentés, elle pénètre au cur de la dynamique relationnelle sise au sein de la sphère conjugale. Elle définit ce qu'est un homme battu par sa conjointe et en quoi la violence féminine diffère de la violence masculine.
Elle explique aussi pourquoi les hommes n'en parlent pas et persévèrent à entretenir une relation dont ils sont victimes. Elle démontre les conséquences négatives des violences physiques sur l'identité de l'homme. Elle décrit les stratégies de l'homme battu pour essayer de gérer cette violence, de la limiter et, même, de la minimiser. Elle pose une question cruciale : l'homme battu peut-il retrouver sa dignité ?
Heureusement, ce livre se termine sur une note optimiste lorsque l'auteure décrit ce que peut faire l'homme battu pour quitter une relation conjugale souffrante et dépasser sa réalité d'homme violenté.
Ce livre souhaite briser le tabou des hommes violentés par leurs conjointes, sensibiliser la population et les intervenants socio-judiciaires à cette réalité. Il invite à dépasser les stéréotypes de l'homme agresseur et de la femme violente et rétablit la violence comme le fruit d'une interaction entre deux personnes responsables.
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Aperçu du livre
L’homme battu, un tabou au coeur du tabou - Sophie Torrent
À toutes celles et tous ceux qui pensent que la violence conjugale est l’apanage des hommes.
Aux hommes qui m’ont livré leur témoignage, et à ceux qui souffrent sans témoigner.
Sommaire
Préface
Avertissement
Introduction
Première partie
Le phénomène: l’homme violenté dans son rôle
Chapitre 1 :Les formes de violence envers l’homme
1. Les violences psychologiques
2. Les violences corporelles
Chapitre 2 :La cible de la violence: les rôles masculins
1. Les atteintes dans la sphère publique
La sphère professionnelle
La sphère familiale et amicale
2. Les atteintes dans la sphère privée
L’homme dans son rôle d’amant
L’homme dans son rôle de partenaire
L’homme dans son rôle de père
Chapitre 3 :Les conséquences de la violence: une vulnérabilité identitaire
1. L’identité personnelle
2. L’identité sociale
Deuxième partie
Les modes de gestion du phénomène
Chapitre 1 :Les stratégies de gestion du stigmate
1.1. L’homme battu, discréditable
La stratégie d’évitement
La stratégie de déguisement
2. L’homme battu, discrédité
La stratégie de sélection
Chapitre 2 :Les stratégies de survie
1. La stratégie de dénégation
La perception de la responsabilité
La perception de la gravité
La perception de l’avenir
2. La stratégie d’adaptation
L’autoprotection
Le surinvestissement
Le dépassement de soi
Troisième partie
Le dépassement du phénomène
Chapitre 1 :La prise de conscience de la réalité conjugale problématique et l’intention de changer
1. Partir ou rester
Les sentiments
Les rôles significatifs
Les bénéfices secondaires
Les ressources propres
2. Les éléments déclencheurs
Chapitre 2 :La tentative de dépassement du phénomène
1. La rupture: un processus abouti?
2. La victimisation: un processus avorté?
Devenir une victime-objet
Devenir une victime-sujet, une tentative avortée
Conclusion
Annexes
Annexes:Stratégie d’enquête et présentation des personnes interrogées
Note
Bibliographie
Préface
La violence faite aux hommes
Le féminisme nous a ouvert les yeux sur la violence conjugale et a ainsi contribué à l’évolution positive de notre société. Toutefois, certaines féministes n’ont ouvert qu’un seul oeil sur cette violence: celle faite aux femmes. Elles ont fermé l’autre oeil sur la violence faite aux hommes parce qu’elles ont fait de la violence conjugale un débat politique, où l’homme est perçu comme l’abuseur et la femme la victime, plutôt que de présenter la violence comme un réel phénomène social dont les solutions ne sont pas seulement d’ordre politique ou sexiste.
Pour la majorité des gens, hommes et femmes confondus, parler d’hommes battus est incroyable. Lorsque, autour de moi, autant dans ma vie personnelle que professionnelle, j’évoque les statistiques officielles concernant la violence faite aux hommes, on a peine à me croire. Le sujet est tabou et peu documenté. Les médias n’en parlent pas. Basés sur les rapports de police ou les statistiques d’agences en services sociaux de plusieurs pays, les chiffres disent qu’il y aurait de 12 à 15 femmes battues pour un homme victime de violence conjugale. Ces rapports ne décrivent pas la réalité, car ils ne compilent que les cas rapportés et non pas tous les cas de violence conjugale. Rares sont les hommes qui déclarent à la police ou à un travailleur social: «Ma femme me bat».
Comme l’explique Sophie Torrent dans son ouvrage à partir des travaux de De Gaulejac, la honte constitue, entre autres, une raison qui empêche les hommes de parler de la violence psychologique et physique qu’ils subissent. Nombre d’anecdotes démontrent que les institutions (services communautaires, police, groupes de femmes…) et beaucoup d’intervenants (médecins, psychologues, travailleurs sociaux) minimisent ou nient la violence faite aux hommes. Contrairement aux femmes qui peuvent compter sur des ressources communautaires, l’homme, lui, se retrouve seul, sans support de sa communauté. La déresponsabilisation de la femme violentée lui facilite probablement l’aveu de la violence subie, la culpabilisation de l’homme l’en empêche. La société ne dénigre pas la femme, qu’elle soit violente ou violentée. Elle cherche plutôt à la comprendre et à l’excuser, compatissant souvent à son sort. En revanche, l’homme battu ne trouve aucune aide et l’homme violent est considéré comme un psychopathe ou un sociopathe.
L’idée de la violence féminine à l’endroit des hommes est difficile à accepter parce qu’elle bouscule l’organisation d’une société basée sur un rapport social des sexes où l’homme est perçu comme le dominateur. Les actes de violence d’une femme envers son conjoint vont à l’encontre du stéréotype de la «faible femme sans défense» que l’homme se doit de protéger. C’est pourquoi les féministes utilisent le «syndrome de la femme battue» pour déclarer que toute violence féminine ne peut être que de la légitime défense. Comment une «faible petite femme» pourrait-elle être l’initiatrice de comportements violents envers son conjoint, fort et plein de muscles?
N’est-ce pas déjà, en soi, une forme de violence que de nier ou de camoufler cette réalité pour faire passer un point de vue, celui du mâle dominateur et violent dont il faut se méfier? Qu’il y ait des hommes violents batteurs de femmes ne fait aucun doute: c’est une triste réalité. Mais c’est aussi une triste réalité que de constater qu’il existe des femmes violentes batteuses d’hommes et d’enfants. Il nous faut, si nous voulons contrôler la violence conjugale, cesser de la voir en termes de femmes battues et la considérer comme une personne (peu importe le sexe) abusant une autre personne. C’est un problème humain et non un problème sexué. Aucun sexe ne possède le monopole de la souffrance ou de la violence: ce sont des individus qui souffrent ou qui abusent. Même celui qui agresse souffre de ne pouvoir entrer en relation avec l’autre autrement que par la violence.
La violence est la conséquence d’une dynamique relationnelle interactive, due à l’incapacité des deux partenaires à développer une intimité empreinte de respect et d’appréciation des différences existant entre l’homme et la femme. La violence constitue l’aboutissement de la schismogenèse complémentaire de Grégory Bateson. Comment expliquer, autrement, que la violence a tendance à se répéter à l’intérieur d’un même couple? Comment expliquer qu’une femme battue par un premier conjoint se retrouve souvent avec un deuxième conjoint, parfois même un troisième conjoint, qui exercera lui aussi de la violence? En accusant tous les hommes d’être des violents (ou des violeurs) en puissance? Ou en supposant une co-responsabilité des deux conjoints dans la construction d’une situation qui mène immanquablement et inexorablement à l’explosion émotive et physique? Pourquoi dit-on qu’il faut être deux pour se disputer, mais qu’on n’ose pas poser le même diagnostic lors de violence conjugale? Pourquoi les policiers arrêtent-ils l’homme lorsque des voisins appellent pour tapage dans l’appartement d’à côté? Pourquoi, sur simple allégation de sa conjointe, des maris passent-ils régulièrement la nuit en prison? Parce que notre esprit humain, conditionné par la notion du bien et du mal, fonctionne de façon bipolaire et recherche donc un coupable et une victime. Tout cela ne peut qu’entretenir le cycle infernal de la violence.
Sophie Torrent démontre dans cet ouvrage qu’il existe de nombreux points de similitude entre la violence féminine et la violence masculine. Par exemple, que les hommes restent dans des relations de violence pour les mêmes raisons que les femmes, à savoir des raisons d’ordre économique et pour les enfants. Autres exemples: que des hommes entretiennent eux aussi des croyances illusoires sur «l’amour qui peut surmonter tous les obstacles», qu’ils sont portés à minimiser les actes de violence, ou même à les nier, qu’ils espèrent que le temps va arranger les choses…
Mais ce qui fait l’originalité de la recherche de Mme Torrent, c’est qu’elle souligne les spécificités de la violence des hommes battus: la violence subie par l’homme n’atteint pas seulement son intégrité personnelle, mais aussi son intégrité sociale et professionnelle. Plus que son identité, ce sont les rôles masculins qui sont bafoués et humiliés chez l’homme battu. C’est l’individualité de l’homme en tant qu’être public que la femme violente attaque ou refuse de reconnaître. «La femme violente attaque les espaces conquis par l’homme, essentiellement la sphère publique.» Mme Torrent fait aussi la preuve que, plus encore que la violence physique, c’est la violence psychologique qui «tue» l’homme.
Que ce livre ait été écrit par une femme donne à celui-ci une crédibilité qu’un auteur masculin n’aurait pu avoir. Bravo, Mme Torrent, pour votre recherche et votre courage d’avoir abordé ce tabou de la violence féminine au coeur du tabou de la violence domestique. J’espère que la conscientisation de la violence faite aux hommes par votre ouvrage constituera un pas dans cette direction, car c’est la violence sous toutes ses formes qui doit être éradiquée
Yvon Dallaire, M. P.s.
Psychologue-sexologue
Auteur de Homme et fier de l’être
Fondateur du Centre Psycho-Corporel de Québec, Canada
Avertissement
Ce livre s’adresse en premier chef aux hommes battus et aux intervenants sociaux qui les rencontrent, puis à tous ceux que le problème de la violence interpelle. Issu d’un travail de recherche en Suisse, il ne propose pas de nouvelle conceptualisation de la violence et s’étaie largement sur la théorie déjà existante et sur des auteurs plus ou moins connus du grand public.
D’une manière générale, l’étude de la famille s’est souvent limitée jusqu’ici à analyser les discours féminins. En ne prenant en compte que les représentations des femmes et leurs pratiques, ces études possèdent un biais majeur. Comme disent Welzer-Lang et Filliod, «Connaître les hommes et les rapports hommes/femmes passe inéluctablement par la multiplication des recherches sur le masculin». Dans l’idéal, il s’agirait de travailler les deux termes du couple pour analyser leur rapport social: les hommes et les femmes ne parlent pas le même langage, a fortiori quant à la violence subie ou exercée. Ils vivent de manière distincte, physiquement et psychologiquement, les rapports de domination, comme le souligne encore Welzer-Lang.
Un des buts avérés et principaux de cet ouvrage est donc l’invitation à poursuivre les recherches et la prise en compte par la société de ce phénomène qui n’est marginal que dans nos représentations, donc dans nos institutions et dans nos possibilités d’empathie envers notre entourage souffrant de ce mal.
Dire «problème de la violence», c’est déjà connoter négativement ce phénomène. En jouant à peine avec les mots, on pourrait dire qu’il n’est pas possible de parler du «sujet» de la violence, car il n’y a pas de sujet dans la violence, mais des êtres qui deviennent les objets d’autres êtres, les objets de leurs propres pulsions, les objets de leur gestion plus ou moins facile entre leurs pulsions et leurs valeurs sociales et culturelles. Nous voyons toute forme de violence porteuse ou non d’une intentionnalité, qu’elle soit celle de l’homme ou de la femme, instituée ou spontanée, acquise ou étatique, comme une donnée à dépasser. Une lecture politique ou sexiste de notre ouvrage ne peut donc être faite sans dénaturer profondément sa démarche. C’est une démarche pacifiquement armée des outils que la science sociologique a pu nous fournir, et fondamentalement imprégnée des désirs de savoir, connaître et comprendre des paroles et des croyances, des gestes et des attitudes, individuels et sociaux. Car il ne s’agit pas d’échanger une croyance sexiste contre une autre, une réalité légitime contre une autre réalité tout aussi légitime. Nous espérons d’ailleurs voir encore le jour où ce genre d’avertissement n’aura plus lieu d’être, et l’être humain dégagé de son manque d’assurance en lui-même pour accepter qu’un regard,