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Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2)
Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2)
Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2)
Livre électronique553 pages8 heures

Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2)

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À propos de ce livre électronique

David, qui a toujours rêvé de devenir soldat de la paix, a été admis à Éden, le seul collège de la Communauté des planètes (C.P.) sur Terre.
Le maître qui a admis David et qui doit superviser son apprentissage à Éden se nomme Greg Arsh. À demi Terrien à demi Darumien, maître Arsh est aussi télépathe. On dit de lui qu'il est l'un des maîtres les plus exigeants de tous ceux des différents collèges de la Communauté des Planète. Certains prétendent même qu'il lui arrive de se montrer cruel.
Pour accepter définitivement David, maître Arsh lui a demandé de devenir l'ami de Jonathan, un jeune homme que David a maltraité pendant une année entière lorsqu'il était plus jeune. "Comment pourrais-tu devenir soldat de la paix, si tu ne sais même pas faire la paix avec Jonathan?" lui dit Greg Arsh.
Ce deuxième tome de « Pas de paradis sans... l’enfer » raconte la rencontre de Jonathan et de David, et les efforts de ce dernier pour gagner le pardon et l'amitié du premier. Nous y voyons aussi David faire ses premiers et difficiles pas à Éden sous la sévère tutelle de Greg Arsh.
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La Communauté des planètes est une puissante collectivité née de la fusion d’organismes humanitaires et d’organisations de sécurité interplanétaire, mais aussi de groupements sociaux, économiques et culturels de nombreuses planètes. Elle dispose sur ces planètes de vastes territoires où elle a acquis le statut d’autorité souveraine. Sa mission est de même nature que celle des organismes fondateurs. On la verra, par exemple, porter assistance aux populations lors de cataclysmes, famines, pandémies et guerres, lutter contre l’oppression, soutenir les gouvernements et souvent même des associations indépendantes dans la réalisation de divers projets d’importance (alphabétisation de vastes populations, exploration de nouvelles planètes, etc.) et, bien sûr, former dans des collèges comme Éden jeunes comme David pour la réalisation de toutes ces tâches.

LangueFrançais
Date de sortie1 janv. 2013
ISBN9781479387038
Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2)
Auteur

Danielle Tremblay

FRANÇAIS :Danielle Tremblay complète ses études collégiales en informatique au Cégeg de Chicoutimi en 1973. Elle possède également deux attestations d’études collégiales du Cégep de Jonquière, l’une en techniques de la documentation (1984), l’autre en techniques de micro-informatique (1994). De 1984 à 2012, année de sa retraite, elle travaille comme technicienne en bibliothèque pour diverses institutions à Chicoutimi, dont les neuf dernières années au Conseil national de recherches du Canada. Elle a remporté en 1981 le concours littéraire La Plume saguenéenne dans la catégorie science-fiction pour sa nouvelle «Cosmose», le second prix du concours du meilleur texte de trois pages du module des lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi en 1988 et le premier prix de ce même concours en 1989 pour «La Lettre d’adieu». En 2011, elle gagne le premier prix du concours littéraire de science-fiction Ascadys avec sa nouvelle «Adam et Ève». L'année suivante, elle publie son premier roman, «Pas de paradis sans... l’enfer» tome 1. Depuis, elle n'a pas cessé d'écrire sous son vrai nom et sous un nom de plume.--------------ENGLISH:Danielle Tremblay completed her college studies in computer science at Cégeg de Chicoutimi in 1973. She also holds two attestations of collegial studies from the Cégep de Jonquière, one in documentation techniques (1984) and the other in microcomputer techniques (1994). From 1984 to 2012, the year of her retirement, she worked as a library technician for various institutions in Chicoutimi, including the last nine years at the National Research Council of Canada. In 1981, she won the literary competition La Plume saguenéenne in the science fiction category for her short story "Cosmose", the second prize in the competition for the best three-page text at the Université du Québec à Chicoutimi in 1988 and the first prize in the same competition in 1989 for "La Lettre d'adieu". In 2011, she won the first prize in the Ascadys science fiction literary competition with her short story "Adam et Ève". The following year, she publishes her first novel, "Pas de paradis sans... l'enfer" volume 1. Since then, she hasn't stopped writing under her real name and a pen name.

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    Aperçu du livre

    Soldat de la paix (Pas de paradis sans... l'enfer, vol. 2) - Danielle Tremblay

    Je m’appelle David Bar-Kokhba. J’ai dix-huit ans. Je mesure un mètre quatre-vingt, j’ai les cheveux et les yeux noirs et je suis en bonne forme physique. J’ai réussi récemment ce qu’on appelle l’épreuve d’admission à l’académie de la Communauté des planètes, communément appelée C.P.

    La C.P. est une puissante collectivité née de la fusion d’organismes humanitaires et d’organisations de sécurité interplanétaire, mais aussi de groupements sociaux, économiques et culturels de nombreuses planètes. Elle dispose sur ces planètes de vastes territoires où elle a acquis le statut d’autorité souveraine. Sa mission est de même nature que celle des organismes fondateurs. On la verra, par exemple, porter assistance aux populations lors de cataclysmes, famines, pandémies et guerres, lutter contre l’oppression, soutenir les gouvernements et souvent même des associations indépendantes dans la réalisation de divers projets d’importance (alphabétisation de vastes populations, exploration de nouvelles planètes, etc.) et, bien sûr, former dans des collèges comme Éden jeunes et moins jeunes pour la réalisation de toutes ces tâches. Au fil des siècles, elle a acquis une popularité toujours grandissante qui lui a valu de devenir l’autorité suprême de ce qui est devenu une importante fédération planétaire.

    Ses interventions pour porter assistance aux populations sont souvent loin d’être faciles. Il faut y être très bien préparé. C’est pourquoi la C.P. dispose de plusieurs académies sur toutes les planètes qui en font partie. Ces académies, comme Éden, sur Terre, dispensent une formation technique, scientifique, historique et même psychologique et politique, ainsi qu’un entraînement pratique, afin que les maîtres qui y sont formés soient capables d’intervenir efficacement, quelle que soit la nature ou la gravité des circonstances.

    Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours voulu devenir maître de la C.P. Plus jeune, cela représentait pour moi surtout la garantie de mener une vie aventureuse. Mais récemment, j’ai compris que là n’était pas l’essentiel. Si je n’étais pas désireux d’aider à maintenir ou rétablir la paix, à sauver des vies ou à faire en sorte d’améliorer le sort de nombreuses personnes, autant devenir comptable, comme le souhaiterait ma mère. Ce qui ne m’attire pas du tout.

    Je me suis donc inscrit à Éden en sélectionnant un maître d’études parmi la trentaine de maîtres qui en font partie, afin de pouvoir subir la redoutable épreuve d’admission. D’autant plus redoutable que Greg Arsh, le maître que j’ai choisi, est considéré comme le plus exigeant maître d’Éden et peut-être même de toutes les académies de la Communauté. Mais il est aussi considéré comme l’un des meilleurs. Ceux qui sont passés entre ses mains de virtuose réussissent mieux en mission que quiconque. Ses élèves semblent toujours prêts à tout. Étant donné qu’ils ont une aussi bonne réputation, ils sont demandés pour les plus difficiles missions. C’est la raison pour laquelle, malgré leurs talents et leur formation exceptionnels, un plus grand nombre de ces élèves sont morts ou ont été gravement blessés lors de telles interventions. Certains mauvais farceurs prétendent même que Greg Arsh forme des kamikazes. Mais que devrait-on faire ? N’envoyer personne dans ces missions-suicides et laisser la population mourir ? Que devrait-il faire, lui ? Envoyer ses élèves dans ces enfers sans les y avoir préparés ?

    Ma mère aurait préféré que je choisisse maître Weak, qui forme ses élèves pour occuper des postes administratifs. Elle n’a pas besoin d’étudier les statistiques concernant les élèves d’Éden pour savoir que ceux de maître Weak courent bien peu de risques dans l’exercice de leurs fonctions. Mais moi, ce que je veux, c’est aller aider ceux qui en ont le plus besoin quelle que soit la planète où ils se trouvent, même si je dois y risquer ma vie. C’est pourquoi j’ai choisi maître Arsh.

    J’ai donc fait partie d’un groupe d’une vingtaine de postulants qu’il a testés lors de l’épreuve d’admission pendant laquelle il a vérifié notre état de santé et éprouvé notre esprit d’équipe, notre courage, notre désir de venir en aide, notre adaptabilité, notre ingéniosité, notre ténacité, ainsi que plusieurs habilités techniques, comme le pilotage et l’entretien d’astronefs. Pour y parvenir, il nous a fait affronter diverses difficultés et nous a regardés réagir pour nous jauger sous tous les angles et évaluer tous nos talents.

    À la fin de cette épreuve d’admission, il ne restait plus que moi et Gao, une jeune femme à l’intelligence exceptionnelle, capable de trouver des solutions à presque tous les problèmes. Cela ne signifie pas que je sois aussi intelligent qu’elle, loin de là, mais il semble que maître Arsh m’ait trouvé de nombreuses qualités susceptibles d’être utiles à la Communauté. Ce dont je suis particulièrement fier et heureux. Cependant, à la fin de mon épreuve, maître Arsh a exigé de moi que je fasse la paix avec Jonathan Whimp, un jeune homme à qui j’ai causé des misères pendant un an, alors que j’avais presque quinze ans et qu’il en avait onze. Même si j’ai traversé avec succès l’épreuve d’admission, je ne serai vraiment admis que si j’y parviens.

    Bien que je craigne de ne pas y arriver, je crois que maître Arsh a raison d’avoir envers moi une telle exigence. Car si je ne sais pas faire la paix avec Jonny, comment pourrais-je devenir « soldat de la paix », ce que sont censés être les maîtres de la Communauté des planètes ?

    Chapitre 1 : La rencontre de David et de Jonathan

    Avant d’aller rencontrer Jonathan, comme maître Arsh l’a exigé lors de mon épreuve d’admission pour que je sois admis à Éden, je me suis informé pour savoir ce que Jonny était devenu. D’après ce que j’ai découvert, il est maintenant un bel adolescent de quatorze ans qui, en gagnant en taille et en force, a aussi gagné en assurance. Il fait partie d’une équipe de football en terrain à gravité accentuée et pratique plusieurs arts martiaux. Son succès aussi bien en classe que dans ses activités sportives est bien connu dans la région où il habite.

    Le fait de pratiquer ces sports avec succès lui a attiré l’attention des filles de son âge, qui le trouvent et, avec raison, dit-on, très attirant. On le décrit comme un beau jeune homme blond aux cheveux un peu bouclés et rebelles, au corps musclé et au regard farouche, qui vous toise du haut de son mètre quatre-vingt-quatre. Il ne doit donc guère passer inaperçu. D’autant plus qu’il lui serait resté un fond de timidité et de vulnérabilité qui ressortirait aux moments les plus inattendus. Tout cela contribue à le rendre irrésistible aux yeux de plusieurs.

    On dit qu’il sort parfois pour un dîner ou une soirée avec une fille ou une autre, mais qu’il ne veut pas s’engager dans une relation stable avec l’une d’elles. Ce qui a occasionné une sorte de concours féminin pour gagner son cœur.

    Les jeunes hommes de son âge qui l’ont connu il y a des années se rappellent le petit Jonny dont tout le monde se moquait. Jonathan, quant à lui, agit comme si ce passé n’avait jamais existé.

    Jonny n’est plus du tout le petit gars peureux d’autrefois et il semble parfaitement heureux sans moi. Alors, je me demande si c’est une si bonne idée de retourner dans sa vie. Si je le fais, n’est-ce pas juste pour être certain d’être admis à Éden ? Ce n’est pas pour son bien en tout cas. Alors je me sens lâche de chercher à le rencontrer. Tellement que je décide de communiquer avec celui qui sera peut-être mon maître, si je me fais pardonner de Jonny ce que je lui ai fait quand il avait onze ans et moi presque quinze.

    — Oui. Que veux-tu, David ? me demande maître Arsh.

    — Monsieur. C’est que… Jonny… Il est… Je crois que…

    — David, je n’ai pas de temps à perdre. Tu me dis ce que tu veux ou je raccroche.

    — Jonny semble heureux comme tout le monde aimerait l’être. Il a du succès dans tout ce qu’il fait et…

    — Oui, je sais tout ça. Et tu ne m’as toujours pas dit ce que tu veux.

    — Je me sens lâche de retourner dans sa vie et de risquer de détruire son bonheur.

    — Es-tu sûr que ce n’est que la volonté de ne pas nuire à Jonny qui te pousse à ne pas vouloir retourner dans sa vie, David ? Ne serait-ce pas plutôt la peur de ce qui risque de se produire et de ce que tu pourrais perdre, peut-être pour de bon, si tu ne réussissais pas à t’entendre avec lui ? Tu as dû espérer qu’en raison de tes arguments altruistes, je te libérerais de cette obligation et t’admettrais sans exiger davantage de toi.

    Je réfléchis à ces questions et à son commentaire, ma foi, plutôt pertinents. Je ne peux pas nier qu’il y ait du vrai là-dedans, mais d’un autre côté, ce que je lui ai dit est vrai également.

    — David. Si je t’ai demandé de retourner le voir, ce n’était pas seulement pour que tu puisses te racheter, c’était surtout pour Jonny.

    — Vous voulez dire que vous pensez qu’il retirera quelque chose de bien de cette rencontre ?

    — Tout dépend de la façon dont tu mèneras ton jeu. Si tu sais y faire, vous y gagnerez tous les deux.

    — Très bien, Monsieur. J’irai le rencontrer.

    — Bien. Rappelle-moi ou viens me voir après l’avoir rencontré. J’aimerais savoir où tu en es rendu.

    — Oui, Monsieur.

    Donc, pas moyen d’y échapper. Je ne comprends pas ce que cette rencontre pourra apporter à Jonny, à part raviver de mauvais souvenirs, mais ce n’est pas moi le télépathe après tout. Et monsieur Arsh a des années d’expérience avec des jeunes qui ont eu toutes sortes de vécu. J’imagine que ce n’est pas la première fois qu’il voit un conflit entre deux jeunes.

    Vendredi soir, après ma première semaine de cours à Éden, je me suis rendu chez Jonny. Il demeure dans une double pyramide résidentielle. Je trouve que ces édifices ont une allure de cube cassé en diagonale et dont les morceaux auraient été mal rafistolés. Celui où réside la famille de Jonny ressemble un peu à un sablier, car les deux morceaux ont été raboutés par les pointes. Une fois à la porte extérieure, je profite de la sortie d’un résident pour entrer. Je monte à l’étage où habite Jonny et je sonne à sa porte. Son père répond.

    — David ? Est-ce bien toi ? Mais entre.

    Il semble très heureux de me revoir. Jonny ne lui a donc jamais parlé de la nature de notre « amitié ».

    — Que fais-tu ici ? Je croyais que tu étudiais maintenant à Éden avec… Comment s’appelle ce maître déjà ?

    — Greg Arsh. Oui, vous avez raison, Monsieur Whimp. Mais j’étais dans le coin et j’aurais aimé rencontrer Jonny. Il y a longtemps que nous nous sommes vus.

    — Ah, il aimerait sûrement pouvoir parler du bon vieux temps avec toi, mais il est à son match de foot.

    Aimer parler du « bon vieux temps » ? Rien n’est moins sûr.

    — Annette, viens voir qui est là.

    La mère de Jonny passe la tête par la porte entrouverte d’une pièce voisine et en me voyant, son expression change. Elle pâlit. Elle est au courant. Pourquoi en parler à sa mère, mais pas à son père ? Monsieur Whimp, toujours d’aussi bonne humeur, ajoute :

    — C’est David, Annette, tu te souviens de lui, hein ?

    — Oui, dit-elle, sur un ton qui ne laisse rien présager de bon.

    — Quelque chose ne va pas, Annette ? On dirait que tu as vu un fantôme.

    La mère de Jonny et moi nous regardons intensément. Je lis tous les reproches du monde dans ses yeux. Et je ne me sens pas très bien tout à coup, mais je continue de la regarder comme Monsieur me dirait sans doute de le faire. Il a horreur des regards fuyants, alors je soutiens le regard appuyé de la mère de Jonny. Elle ne peut pas ne pas lire dans le mien que si je regrette le « bon vieux temps », ce n’est pas parce qu’il me rappelle de bons souvenirs.

    — Il aimerait revoir Jonny. Je lui ai dit que…

    Elle s’approche d’un pas vif. Elle est tendue et a un air rancunier et coléreux. J’imagine comment réagirait ma mère si quelqu’un avait agi envers moi comme j’ai traité Jonny et qu’il réapparaissait dans ma vie plusieurs années plus tard.

    — Que lui veux-tu ? Pourquoi être revenu ici ? Tu ne trouves pas que tu en as assez fait ?

    J’ai envie de fuir ou de supplier qu’on me pardonne. Je ne sais pas quoi dire ni que faire.

    — Mais, voyons, Annette ! Pourquoi parles-tu à David de cette manière ?

    — Elle a d’excellentes raisons de ne pas avoir envie de me revoir, Monsieur Whimp. De toute évidence, Jonny ne vous a rien raconté, alors je ne le ferai pas non plus.

    — Va-t’en ! Laisse-nous tranquilles. Tout va bien pour Jonny depuis que tu n’es plus dans sa vie. Ne viens pas tout gâcher.

    — Mais va-t-on m’expliquer ce qui se passe ici ? insiste monsieur Whimp.

    — Je ne veux pas de mal à Jonathan, Madame. Au contraire. J’aimerais trouver un moyen de me faire pardonner de lui.

    — Le meilleur moyen est de partir et de ne plus jamais remettre les pieds ici, répond-elle durement.

    — Je m’en vais.

    Je sors, mais je n’ai pas l’intention de ne plus jamais revenir. « Jonny est à son match de foot », a dit son père. Je sais qu’il joue sur un terrain à gravité accentuée. Il ne doit pas y en avoir beaucoup dans le coin. Je demande donc à l’Informateur universel où on peut trouver un tel terrain à proximité et si un match doit s’y tenir ce soir. Je trouve vite l’endroit et je prends le premier astrobus qui passe pour m’y rendre.

    Je m’assois dans les gradins avec les deux cents à trois cents personnes qui s’y trouvent. Ce n’est pas un match éliminatoire, juste une partie de la série mettant en jeu des équipes locales. Mais l’ambiance est bonne. Et une belle rangée de jeunes femmes se trouve quelques rangs devant moi et crie dès qu’un joueur de l’équipe des Moutons noirs marque un but ou même réussit une belle passe.

    J’essaie de trouver Jonny, mais je n’ai vu de lui qu’une mauvaise image extraite par l’informateur universel de l’enregistrement d’une entrevue de son équipe de football lors de la finale de l’an dernier. Comme Jonny se tenait derrière d’autres membres de son équipe, cette image mal agrandie ne m’a donné qu’une bien piètre idée de ce dont il peut avoir l’air maintenant et aucune idée de son physique.

    J’attends que le match se termine et je me rends à la sortie. Je regarde tout le public et les joueurs quitter le terrain, les uns après les autres. Quand je ne vois plus personne sortir pendant plus de cinq minutes, je crois avoir manqué le départ de Jonny. Il doit être passé sans que je le reconnaisse. Puis je l’aperçois. J’en ressens presque un choc de le voir si grand et si… viril. Il a tellement changé ! Une fille est en train d’exécuter une sorte de rituel de la séduction devant lui. Il rit, amusé par son petit manège. Puis il tourne la tête dans ma direction et me voit.

    On dirait que le projecteur s’est enrayé ou qu’on a appuyé sur le bouton pause. Jonny s’est si parfaitement immobilisé que même les traits de son visage se sont figés. J’ai le cœur qui bat comme un tambour fou. Il est magnifique. Tout le monde doit vouloir devenir son ami ou son amoureuse.

    La fille a fini par comprendre que quelque chose n’allait pas. Elle regarde dans la même direction que Jonny et me voit. Elle me reconnaît. Elle doit m’avoir vu à la tridi à la suite du succès de mon épreuve d’admission à Éden, quand des journalistes sont venus nous interroger, Gao et moi, pour essayer de nous extirper des informations concernant cette épreuve et pour nous demander pourquoi il ne restait que deux élèves du groupe de Greg Arsh.

    Jonny et moi nous regardons encore, aussi immobiles que l’air dans l’œil de la tornade. Il tourne la tête vers la jeune femme et doit lui dire de rentrer.

    Une fois qu’elle est partie, je m’approche de lui et m’arrête à deux pas. Il a les mains dans les poches de sa veste et me regarde encore fixement, mais je vois dans ses yeux qu’il est en train de remonter le temps. Il me regarde sans me voir. J’attends qu’il revienne ici et maintenant.

    — Viens, me dit-il.

    Je le suis sans rien dire. Nous montons dans un astrobus. Quand je comprends où il m’entraîne, j’hésite à continuer. Je suis parcouru de frissons qui ne veulent pas s’arrêter. Nous sommes revenus là où je l’ai amené le jour de la fête de ses douze ans, peu avant que sa famille déménage et que je ne le voie plus. C’est ici que je l’ai cruellement humilié. Tout le monde s’est moqué de lui par la suite à cause de ce que je lui avais demandé de faire, jusqu’à ce qu’il déménage.

    Il marche vers le centre du terrain de jeux et d’activités publiques. Il s’arrête à l’endroit précis où les choses se sont déroulées il y a plus de trois ans et il se retourne pour me dévisager. Avec la peur qui me tord les entrailles, je m’avance là où il s’était tenu autrefois.

    La place publique est pleine de monde, des gens venus pour toutes sortes de raisons. On va y donner un concert un peu plus tard et des gens commencent déjà à arriver, sans doute dans l’espoir d’avoir les meilleures places. Des enfants s’amusent sur des manèges. Des ados jouent à la balle folle ou rivalisent d’adresse sur leur planche véloce. De jeunes femmes semblent à la recherche du plus beau mâle du coin. Elles pointent du doigt un gars ou un autre, tout en blaguant et en riant.

    Je n’ai pas prononcé un seul mot depuis notre rencontre à la sortie du terrain de sport et je ne vois pas, de toute manière, ce que je pourrais dire à part « pardonne-moi » ; mais ce serait si banal et si facile, bien trop facile. J’ai peur que le moindre mot perturbe cet étrange et fragile équilibre des forces qui s’est établi entre Jonny et moi.

    — Jonny.

    — Ne m’appelle pas comme ça. Mes amis m’appellent Jonny.

    — Jonathan. Y a-t-il quelque chose que je pourrais faire pour t’aider à oublier le passé ?

    — Oui. Partir et ne plus revenir.

    Les mêmes mots que sa mère. Que dirait son père s’il savait ? Jonny pourrait me demander de faire n’importe quoi pour me faire payer cette année de sévices que je lui ai fait vivre, mais il se contente de me dire de m’en aller.

    — Je sais que c’est trop facile, mais je tiens à te dire que je regrette.

    Il me regarde avec un sourire plein de mépris. Je ravale mon surplus de salive et, en pointant le centre de la place où nous nous trouvions quelques instants avant, je lui demande :

    — Pourquoi ne l’as-tu pas fait ? Pourquoi ne pas me l’avoir demandé ?

    — Et me rabaisser à ton niveau ? Va-t’en, David.

    Pourquoi me semble-t-il qu’il y a de la tristesse dans sa voix ?

    — Pourquoi es-tu ici, David ? Pendant quatre ans, je n’ai plus entendu parler de toi. Et là, subitement, tu débarques. Qu’est-ce qui t’a poussé à venir me voir ?

    Je lui dis la vérité, que Monsieur Arsh l’a exigé sous peine de renvoi.

    — Donc, c’est toujours pour David Bar-Kokhba que tu agis, uniquement en pensant à ton propre intérêt, à ton bien-être personnel. Tu es bien toujours le même. Rien n’a changé.

    — Jonny… eh, pardon, Jonathan ! Tu as tort de penser ça. Je veux vraiment me faire pardonner.

    — Va-t’en. Je dirai à ton maître que je t’ai pardonné. Tu pourras continuer tes cours là-bas. Et moi, je pourrai continuer ma vie en paix.

    — Il ne te croira pas. Il saura que tu lui mens.

    — Comment pourrait-il savoir ? Si je lui dis que je t’ai pardonné, il sera bien forcé de t’admettre.

    — Crois-moi, il saura.

    Je ne sais pas quoi lui dire de plus sans lui parler du don de télépathie de mon nouveau maître ; mais Jonny, pas du tout idiot, en tire la conclusion qu’il faut.

    — On prétend qu’il est télépathe. Alors, il l’est vraiment, hein ? C’est ça ?

    Je ne réponds rien. Ni oui ni non. Il se met à rire.

    — Ce doit être quelque chose d’avoir un maître télépathe, quelqu’un qui lit dans ton esprit et ton cœur. Je ne suis pas certain que j’aimerais ça. Comment a-t-il pu te choisir en sachant ce que tu m’as fait ?

    — Comme tu l’as si bien dit, il sait ce qu’il y a dans nos cœurs. Il sait que je regrette vraiment ce que j’ai fait.

    — Alors, il n’y a rien que je puisse faire pour toi.

    — Demande-moi ce que tu veux, fais-moi ce que tu veux, mais pardonne-moi.

    Les larmes me montent aux yeux. Jonny regarde ailleurs.

    — Tu tiens tant que ça à être admis à Éden ? Rien ne te semblerait trop dur pour l’obtenir, hein ?

    — Ce n’est pas que ça. Tu ne comprends pas, Jonathan. Je suis sincère. Je regrette assez pour trouver le courage d’accepter tout ce que tu pourrais me demander ou me faire.

    — Mais pas assez pour partir. Et si j’étais incapable de te pardonner ? Si c’était au-dessus de mes forces ?

    Une jeune femme que je ne connais pas s’approche et me demande si je suis celui qui a été admis à Éden par Greg Arsh. Je réponds « non ». Je ne suis pas du tout certain d’être admis, alors je ne mens pas. Pendant ce temps, Jonny s’est éloigné. Je cours derrière lui et je pose une main sur son bras pour le retenir. Il me prend par le poignet et retire ma main, sans violence, mais avec fermeté. Il est fort, plus que moi, et il ne veut pas que je le touche.

    Toutes sortes d’images folles et dramatiques me traversent la tête. Je me vois me jetant à genoux et rampant à ses pieds, devenant son factotum servile et le traitant aux petits oignons pendant des années, le visitant toute ma vie, le jour de son anniversaire, pour lui offrir un cadeau amical et une carte remplie de demandes de pardon et d’offres d’amitié. Je me presse pour le dépasser et me mets en travers de son chemin. Il s’arrête. Il remet les mains dans ses poches, se retourne et regarde alentour ce qui se passe, tous ces gens qui s’amusent.

    — Je n’étais qu’un gamin, dit Jonny.

    — Je sais. Je regrette infiniment, je te le jure.

    — J’avais peur de ce que tu pourrais faire à ma famille. Pas une seule journée de cette année sans avoir peur, sans faire des cauchemars qui me réveillaient en sueurs et en pleurs. Ma mère venait me réconforter. Alors un jour, elle m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai raconté. Je ne voulais pas qu’elle en parle à Papa. Je craignais qu’il s’en prenne à toi et que tu veuilles ensuite te venger. Sans raconter tout ça à mon père, elle a réussi, après des mois d’efforts, à le convaincre d’aller vivre ailleurs.

    — Je suis allé chez toi un peu plus tôt, dis-je.

    — Quoi ?

    Il se retourne et m’attrape par ma veste. Il a l’air d’être prêt à me frapper. Je ne fais pas le moindre geste pour me protéger. Il me lâche si brusquement que j’en suis déséquilibré et je tombe presque.

    — Je n’ai rien dit. J’ai juste demandé à te voir. Ton père était content de me voir, mais pas ta mère. Elle m’a dit de partir et de ne plus revenir. Je suis sorti. C’est tout ce qui s’est passé, je t’assure.

    — Papa va quand même avoir compris que quelque chose n’allait pas et va questionner Maman. Je préférais qu’il ne sache pas. Rien que par ta présence ici, tu fous encore la merde dans ma vie. Déguerpis !

    — Très bien Jonny. Je m’en vais. Je n’étais pas venu pour te créer des ennuis.

    Je m’éloigne en sachant que ce départ signifie la fin de ma formation auprès de maître Arsh et probablement même de ma formation à Éden, car je ne pourrai sans doute pas être admis par un autre maître. Par voie de conséquence, je mets ainsi fin à ma carrière également.

    Jonny ne me retient pas, alors je rentre chez moi et je continue mes cours jusqu’au vendredi suivant en me disant que ce sera au moins ça de pris. Vu que Monsieur m’a dit de le rappeler ou de passer le voir sans me dire précisément quand, je pouvais bien me permettre d’attendre que la semaine se termine pour aller lui parler.

    Quand j’arrive à son bureau, la porte s’ouvre devant moi sans que j’aie à m’annoncer. J’entre et je vais me mettre devant sa table de travail dans ce que Monsieur appelle la posture d’attente : pieds écartés à la largeur des épaules et avant-bras joints dans le dos. Il est en train de visualiser quelque chose qui me semble s’être passé au sous-sol d’Éden, mais comme je n’y ai jamais mis les pieds, je ne peux pas en être certain. Il met la projection sur pause et contourne sa table pour venir me faire face, debout devant moi, presque trop près, carrément dans ma bulle. Je veux me reculer, pour lui donner un peu plus d’espace, mais il me retient de ses deux mains sur mes épaules.

    — Tu n’es pas censé bouger ni parler à moins que je te le permette ou que je te questionne. Raconte-moi.

    Je lui raconte ma rencontre avec Jonny et avec ses parents.

    — Que comptes-tu faire maintenant, me demande-t-il ?

    — Rien.

    — Rien, Monsieur, précise-t-il.

    — Rien, Monsieur.

    — Je t’ai demandé, il me semble en tout cas, de te faire pardonner de lui. Est-ce que je me trompe ?

    — Non, Monsieur, mais il me dit que la seule façon de me faire pardonner est de partir et de ne plus revenir.

    — Il ne te pardonnera pas de cette manière. Il pourra continuer de faire comme si tu n’avais jamais existé, c’est tout. Il se sent plus confortable en rayant cette année de ses souvenirs. Ce qu’il t’a dit sur ses motivations, sur les raisons qu’il avait de ne rien raconter à personne, ce n’est qu’une jolie histoire qu’il s’est inventée parce qu’elle sonnait vraie et qu’il arrivait à y croire. Sinon, pourquoi continuerait-il à tout cacher à son père ?

    — Je ne sais pas, Monsieur, mais il avait l’air sincère.

    — Bien sûr. Il s’est raconté si souvent cette histoire qu’il a fini par y croire tout à fait.

    Je ne savais plus que faire. Retourner voir Jonny ? J’aurais l’air de ne penser qu’à moi-même et à ma future carrière. Ne pas y aller ? Je désobéirais à mon maître et je perdrais tout. Et à en croire Monsieur, les motivations de Jonny ne sont pas si simples qu’il veut me le faire croire.

    — Que crains-tu ? Qu’il t’insulte, te traite de brute et d’égoïste ? Serait-ce si terrible que ça ? N’as-tu pas agi envers lui comme le parangon de la brutalité et de l’égoïsme ? Tu dis être prêt à le laisser t’infliger n’importe quoi pour qu’il te pardonne, mais dès qu’il te traite de ce que tu es, tu veux fuir.

    Il me laisse réfléchir. J’hésite encore, mais il a fait naître des doutes quant à mes propres motivations.

    — Si tu décides de retourner le voir, demande-lui s’il s’est senti très soulagé, après avoir déménagé, de ne plus t’avoir dans sa vie. Ne te contente pas de sa triste histoire d’enfant martyr ; amène-le à te donner des détails sur ce qu’il a réellement éprouvé.

    Il ne me demande pas si j’ai l’intention d’y retourner. Il doit déjà l’avoir lu dans mes pensées. Je hoche la tête.

    — N’attends pas une semaine à ne rien faire d’autre que d’aller en classe. S’il ne se passe rien, je veux le savoir et si les choses s’améliorent avec lui également.

    — Vous m’aviez…

    Je voulais lui dire qu’il n’avait pas précisé quand je devais passer le voir ou l’appeler. Il m’a arrêté avant que j’aie le temps d’ajouter des détails à mon explication.

    — T’ai-je posé une question ? T’ai-je permis de parler librement ?

    — Non, Monsieur.

    Il me contourne. Il me retire le colis qu’Amy m’avait donné pour que je le lui remette et le dépose sur sa table, puis il retourne derrière moi. Il se tient toujours trop près, toujours dans ma bulle. J’ai manqué à une règle et tout manquement entraîne châtiment, je le sais. Je sens la tension monter en moi. J’attends qu’il se décide à me faire quelque chose, n’importe quoi, mais il reste juste derrière moi pendant que ma respiration s’accélère.

    — Contrôle ton souffle, David. C’est d’abord en perdant le contrôle de notre souffle que nous perdons la maîtrise de notre esprit, de nos pensées. Et nous perdons ensuite celle de nos actes. Si tu veux rester maître de toi-même, commence par réguler ta respiration. Respire lentement et profondément.

    Je me souviens des exercices de relaxations pratiqués à l’école lorsque j’étais plus jeune. Je tente la respiration du yogi. Mon souffle se ralentit et mon cœur bat aussi un peu moins vite.

    — C’est bien, me félicite-t-il.

    Puis il pose une main à plat au milieu de mon dos, un peu plus haut que mes reins. Je sens la chaleur de sa main, mais mon souffle reprend son accélération. Je n’attends pas qu’il l’exige et me remets à essayer de respirer plus lentement et profondément.

    Je voudrais être ailleurs. Je regrette mon erreur. Je me promets de ne plus parler sans sa permission. Il ne dit rien. Sa main est toujours immobile au milieu de mon dos et le réchauffe. Mon souffle est à peu près revenu à la normale lorsqu’il se met à glisser la main le long de ma colonne vertébrale vers le haut, jusqu’à ma nuque. La peur me donne mal au ventre. Pourtant, il ne m’a rien fait que de glisser lentement et très doucement sa main sur mon dos. Je me dis que ma peur est absurde et je m’efforce encore de ralentir mon souffle et de ne plus en perdre le contrôle.

    Sa main est simplement posée contre l’arrière de mon cou maintenant. Ses doigts, posés de chaque côté, l’enveloppent comme un col chauffant. Pourtant, c’est cette attente qui met mon imagination en branle et qui fait que je m’affole. Je me dis que je ne dois pas laisser mon imagination vagabonder, que je dois juste essayer de maîtriser mon souffle. J’y arrive enfin. Je me sens très calme. Il me semble que mon maître pourrait me faire n’importe quoi et j’arriverais à conserver mon calme. Pourtant, lorsque sa main contourne lentement mon cou, vient appuyer sur le devant de ma gorge et y presse un peu, pourtant très peu, tout mon beau travail pour conserver mon calme tombe en ruine.

    Depuis combien de temps est-il derrière moi, à ne rien faire qui aurait dû m’énerver ? Tout ce qu’il m’a fait pourrait presque être considéré comme des caresses, tant ses gestes étaient doux. Alors pourquoi est-ce que cela m’est si difficile à supporter que j’ai envie de le supplier de me laisser partir ?

    Je m’efforce de retrouver ce calme qui me semblait si imperturbable tout à l’heure. Monsieur attend. Sa main ne bouge même pas d’un millième de millimètre et je n’entends que son souffle, qui est si lent et paisible qu’il me rassure. Je m’imagine assis en haut d’une montagne au bord de la mer. Je regarde le soleil se lever. Les rayons du soleil me réchauffent. Je sens l’odeur saline de l’océan. J’entends de petits oiseaux qui pépient derrière moi. Et au-dessus de moi, je vois des goélands se laisser glisser lentement sur les courants aériens. Je me sens bien.

    Jusqu’à ce qu’il presse si fort ma gorge que je suis projeté contre sa poitrine où il me maintient, me soutient devrais-je dire, vu que je suis sur la pointe des pieds maintenant. Un réflexe m’a poussé à retirer mes bras de mon dos et à me débattre un peu. Il relâche un peu la pression contre mon cou pour me permettre de respirer. Je tente de reprendre la posture d’attente, mais si je le faisais, je mettrais mes pieds sur les siens et je frotterais mes bras contre son ventre. Alors je reste immobile, dans la position où je me trouve. Je voudrais retourner sur ma montagne, mais je me suis égaré et je ne la retrouve pas.

    Je me demande s’il est possible à quiconque de vivre sans prendre peur une telle expérience aux mains de cet homme dont on dit qu’il peut se montrer très dur. Comment pourrais-je y arriver ? Plutôt que d’essayer de me calmer chaque fois que la peur revient, comment pourrais-je faire en sorte de ne pas la laisser naître en moi ? Je me demande : « Ai-je vraiment si peur que ça ? Si oui, de quoi au juste ? » Certainement pas de mourir, car il serait très étonnant qu’il me tue ici et maintenant. D’avoir mal ? La douleur m’effraie, c’est vrai, mais je peux y faire face. J’ai manqué à une règle. S’il me faisait souffrir un peu pour me punir de cette erreur, ce ne serait pas si terrible. Je peux l’accepter. Alors pourquoi me suis-je débattu tantôt ? J’aurais dû le laisser faire ce qu’il voulait. Qu’importe ?

    Il me secoue si sèchement que la tête m’en ballotte, puis il me tire encore contre lui en pressant sa main contre ma gorge. J’essaie de ne pas lui résister, de le laisser me manipuler comme si je n’étais qu’une poupée de chiffon. Advienne que pourra. Oui, mon souffle et mon cœur se sont encore accélérés, mais pas autant que les fois précédentes et j’arrive vite à retrouver mes esprits et à me calmer. Pourtant sa main presse encore ma gorge, ce qui rend ma respiration difficile. Difficile, mais pas impossible. Je respire à plus petites bouffées, c’est tout. C’est simple. Il me relâche. Je suis un peu étourdi. Il me retient de ses mains sur mes épaules et me demande :

    — Ça va ?

    — Oui, Monsieur.

    — Tu as fait du bon travail, David. Pour une première expérience de ce genre, c’est excellent.

    J’ai envie de lui dire « merci », mais je n’ai pas eu la permission de parler, alors je me tais. Il est de retour devant moi et me sourit. Je vois l’heure sur son horloge murale. Il me semble que lorsqu’il s’était rendu derrière moi, il était dix-huit heures dix. Il est maintenant dix-neuf heures vingt. Il a passé une heure dix minutes à essentiellement demeurer immobile derrière moi et, moi, j’ai passé tout ce temps à m’efforcer de conserver mon calme.

    — La peur que tu as éprouvée était ton œuvre, David, celle de ton imagination. Il faut que tu apprennes à ne pas laisser ton imagination s’emballer ou ta peur dominer ton esprit. Tu pourrais avoir reçu la meilleure formation du monde libre, t’être entraîné parfaitement à exécuter toutes les tâches attendues de toi en mission, avoir acquis de l’expérience sur le terrain par des travaux bénévoles ou autres, mais si tu perds le contrôle de ton esprit aussi facilement, tu es fait comme un rat. Me comprends-tu ?

    — Oui, Maître.

    — Va faire ce que tu dois maintenant.

    ~.~.~

    Je vais manger, puis je pars directement chez Jonathan par astrobus. Arrivé à sa pyramide, maintenant entièrement éclairée par bioluminescence, je sonne à l’extérieur. Personne ne répond. J’essaie donc tous les boutons. Certains résidents me demandent qui je suis et ce que je veux, je ne réponds pas. Mais quelqu’un devait attendre un visiteur et il m’a ouvert sans même vérifier qui sonnait. Une fois à la porte de la résidence des Whimp, je sonne à nouveau, monsieur Whimp ouvre.

    Sa femme a dû l’informer de ce que j’ai fait à son fils, car il me claque la porte au nez sans rien dire. Je me doute où se trouve la chambre de Jonny, alors je sors, contourne la pyramide en marchant dans l’espace relativement étroit qui la sépare de l’édifice voisin, dont tous les murs servent d’écrans tridi et affiche de la publicité. Sur l’un d’eux, je vois une fillette jouer dans une cour comme tout le monde en avait autrefois. Elle se rend à un jardin où poussent fruits et légumes. Elle cueille une fraise bien mûre et y mord. Le nom d’une entreprise locale qui produit et vend des fruits et légumes s’affiche comme un cyclone miniature que la fillette avale en même temps que son fruit. Une fois derrière l’édifice-sablier où vit Jonny, je lance un caillou à ce que je pense être sa fenêtre. Rien. Je fais le tour du terrain et cherche à voir par les fenêtres s’il est là. La plupart sont des capteurs d’énergie solaire, alors on ne voit rien à l’intérieur. Je décide donc d’attendre Jonny assis sur les marches. Son père me voit et vient me dire de décamper au plus vite ou qu’il appellera la police. Je vais m’asseoir sur les marches de la spirale résidentielle d’en face. Si personne ne me chasse, avec un peu de chance, je pourrai rester là jusqu’à ce que Jonny sorte ou rentre chez lui ; en espérant qu’il ne reste pas chez lui jusqu’à demain ou ne passe pas la nuit chez l’une des mignonnes jeunes femmes, qui exécutera devant lui la parade de l’amour.

    Un androserviteur sort de l’édifice derrière moi et vient me demander ce que je veux. Je lui réponds que je ne veux que me reposer un peu, que je partirai ensuite. Les inflexions de ma voix, l’expression de mon visage, l’absence de tension de mes muscles et mon odeur doivent indiquer à ses capteurs sonores, visuels et olfactifs que je ne suis pas une menace. Il m’a peut-être aussi identifié grâce à la base universelle d’identification et, comme mon casier judiciaire est vierge, il retourne donc à l’intérieur.

    Je m’appuie contre la balustrade et je m’endors. Je me réveille en suspension dans les airs. C’est Jonny qui m’a attrapé par ma veste et me maintient dans une posture assez précaire. Il me secoue encore plus sèchement que Monsieur l’a fait plus tôt, puis me lâche. Je me retrouve étalé de tout mon long dans les marches. Je tente de me lever, quand il met un pied sur ma poitrine et m’ordonne de rester là. Je le regarde et je lui souris. J’y resterai tant qu’il le voudra.

    Il retourne chez lui en m’abandonnant dans l’escalier des voisins. Mais lui ou son père a appelé la police en se faisant probablement passer pour le propriétaire d’en face. Quand la police arrive, deux policiers, un homme dans la quarantaine et une jeune femme dans la vingtaine m’ordonnent de les suivre. Je reste allongé dans les marches.

    Jonny et sa famille sont sur le perron de leur sablier domiciliaire à regarder la scène. Monsieur Whimp sourit, bien content de me voir si mal en point. La mère de Jonny rentre sans attendre le dénouement de cet intéressant drame policier. Quant à Jonny, il est debout et me regarde, bras croisés sur la poitrine, l’air sérieux.

    La policière me demande de lui montrer mes cartes. En fait, elle m’a sûrement déjà identifié, mais je lui obéis. J’écarte pouce et index pour activer mon com et afficher mes documents d’identité. Elle en profite pour prendre mes empreintes digitales, vocale et oculaires grâce à son propre com.

    — Comment vous appelez-vous ? demande-t-elle.

    Leur mentir ne me servirait à rien. Il lui suffirait de lire ce qu’affiche maintenant son com et elle le saurait immédiatement. Il est même probable qu’elle ne me questionne que pour me pousser à collaborer à ma propre arrestation. On apprend aux policiers comme aux vendeurs le principe du pied dans la porte. On demande quelque chose de simple, puis quelque chose de plus difficile et ainsi de suite. Ayant collaboré une fois, on est généralement porté à le faire encore.

    — David Bar-Kokhba.

    — Est-ce que vous demeurez ou connaissez quelqu’un demeurant à cette adresse ?

    — Non.

    — Que faites-vous alors étendu sur ces marches ?

    — Je me repose.

    — Ne pouvez-vous pas aller vous reposer chez vous ?

    — Non. Je suis là où je dois rester.

    — Pourquoi ?

    — Pas pour quoi, mais pour qui. Pour le jeune homme debout là-bas. Celui avec les bras croisés.

    Ils regardent de l’autre côté. La policière va questionner Jonny, qui lui dit sûrement ne rien avoir à faire dans tout ça, qu’il est seulement curieux de voir ce qui va se passer. Je demande à mon traducteur de hausser le volume.

    — Il a dit que s’il restait là, c’était à cause de vous, lui explique la jeune policière.

    — Je vous le répète, je n’ai rien à voir avec lui. D’ailleurs, il me semble libre de ses mouvements, alors pourquoi ne se lève-t-il pas ?

    Le policier me demande si quelque chose m’empêche de bouger, comme une drogue, des liens virtuels, l’effet d’un rayon paralysant ou autre chose. Il pourrait également le découvrir facilement si je lui mentais.

    — Eh… Juste le désir de me faire pardonner. Est-ce que ça compte ?

    — Ce n’est pas le moment de blaguer. Allez, venez dans ce flyercar ou je vous administre une décharge de ça.

    Il me montre alors sa matraque. En fait, c’est la version policière de la badine qu’utilisaient mon maître et ses assistants pendant mon épreuve d’admission, sauf que sur le manche de la matraque, il n’y a qu’un cadran gradué d’un à vingt et trois boutons : un argenté, probablement pour envoyer une décharge normale, un gros vert, probablement pour l’arrestation et un rouge, peut-être pour activer le verrou de sûreté. La badine ne pouvait qu’envoyer de très faibles décharges, alors que la matraque doit pouvoir vous assommer si nécessaire.

    Comme je ne bouge toujours pas, le policier m’envoie une décharge qui, si elle est vraiment sur l’un des plus bas degrés, n’en est pas moins assez forte pour m’avoir fait japper de surprise. J’aurais probablement eu droit à une nouvelle décharge si j’avais été à Éden pour ne pas avoir su rester silencieux. Je n’ai vraiment pas envie qu’il recommence, mais je ne me lèverai pas de ces marches à moins que ce ne soit en tant que mort-vivant ou avec la permission de Jonny.

    — Tu te lèves, oui ou non ?

    — Non, Monsieur.

    — Zoé, prends note : « résistance à des agents de la paix », ordonne le policier

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