Derrière les apparences
Par Claude Coulombe
()
À propos de ce livre électronique
Alice Lemoine adore sa mère, Mathilde, malgré sa manie d’attirer constamment la lumière sur elle. Parfait exemple de beauté et d’élégance, elle est la reine de tous les événements mondains. Si elle se sait jolie, elle aussi, la jeune femme préfère qu’on la reconnaisse plutôt comme une bonne catholique, sachant faire honneur à sa famille et à son rang.
Quand la santé de Mathilde se met à dépérir à vue d’œil, Alice est dévastée. Souffrant d’être enfant unique, elle en veut à son père, qui se montre distant, absent. Mais la maladie a le don de placer les gens face à leur propre vulnérabilité. Sur son lit de mort, sa mère ressent le besoin de soulager sa conscience et lui confie un secret explosif.
Bientôt, Alice découvre dans un tiroir à double fond des photos et des lettres cachées par Mathilde. Intriguée, elle entreprend de reconstituer le passé. Le prix à payer sera terrible, puisque le savant échafaudage élaboré par ses parents pour préserver leur respectabilité ne tardera pas à s’écrouler tel un château de cartes.
Seulement, au cœur de la haute société, ce club sélect qui protège jalousement ses privilèges, les apparences font foi de tout…
Claude Coulombe
Claude Coulombe naît en mai 1959 à Québec. Après des études secondaires au Séminaire Saint-François, à Saint-Augustin, puis des études collégiales au campus Notre-Dame-de-Foy, il fait un bac en enseignement secondaire à l'Université Laval, avec une majeure en géographie. Immédiatement après, il décroche un emploi chez Provigo, puis devient représentant pour la compagnie Les soupes Campbell, poste qu'il occupe durant presque 30 ans. Marié et père de quatre enfants, il demeure à Cap-Rouge depuis plus de deux décennies. Entraîneur de soccer durant plusieurs étés, il œuvre aussi comme bénévole dans un parti politique. Nous étions invincibles, témoignage qu'il a recueilli auprès de Denis Morisset, est son premier ouvrage, publié par les Éditions JCL en avril 2008. Un premier roman, publié pendant l'été 2014 et intitulé J'ai vu mourir Kennedy, raconte une version fort méconnue de cet événement encore bien présent dans la mémoire collective nord-américaine.
En savoir plus sur Claude Coulombe
Nous étions invincibles (Nouvelle édition revue et augmentée) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationJ'ai vu mourir Kennedy Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à Derrière les apparences
Livres électroniques liés
L'éclosion d'Anna: Comme une fleur solitaire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne femme rousse à sa fenêtre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn carrosse pour le paradis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe devoir en bandoulière Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa clé du songe: Et autres nouvelles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Maudit Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSur les berges du lac Brûlé, tome 3: L'héritage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCocktail Rose: Les femmes ont-elles encore besoin des hommes? Évaluation : 1 sur 5 étoiles1/5Cassandre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDésir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBelgiques: Chemins de femmes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne femme un soir de pluie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'amour relève le gant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHeureusement que vous êtes là Cécile! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTête de brume Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationToujours il me manquera quelqu'un Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu Pic Saint-Loup, avec ou malgré vous ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes contes interdits - Aladin Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEnfin l'Aube viendra: Romance policière historique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRosalie Lamorlière: Dernière servante de Marie-Antoinette Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Ormes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe poids du soupçon: Thriller Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn détective à New York: Pour tous les goûts Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCasting aux Grottes: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne bouteille jetée à la terre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'espoir des lendemains: La voix du silence Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL' ESPOIR DES BERGERON: L'héritage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires fâcheuses Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTe retrouver Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction historique pour vous
Le Comte de Monte-Cristo Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Noble satyre: Une romance historique georgienne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Rougon-Macquart (Série Intégrale): La Collection Intégrale des ROUGON-MACQUART (20 titres) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo - Tome I Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Son Duc, suite de Sa Duchesse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBon anniversaire Molière ! Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSa Duchesse, suite du Noble satyre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLES SOEURS DEBLOIS, TOME 1: Charlotte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL' Anse-à-Lajoie, tome 3: Clémence Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Madame Chrysanthème: Récit de voyage au Japon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand l'Afrique s'éveille entre le marteau et l'enclume: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNouvelles de Taiwan: Récits de voyage Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Biscuiterie Saint-Claude, tome 2: Charles Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le VIOLON D'ADRIEN Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le dernier feu: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMathilde Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes folies d'une jeune fille: Le destin d’un voyou, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVingt ans après Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Fille de Joseph, La, édition de luxe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAu fil du chapeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Garage Rose, tome 1 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L' Anse-à-Lajoie, tome 2: Simone Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Gouvernante de la Renardière: Un roman historique poignant Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTerre des hommes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Derrière les apparences
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Derrière les apparences - Claude Coulombe
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales
du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Derrière les apparences / Claude Coulombe
Nom : Coulombe, Claude, 1959- , auteur
Identifiants : Canadiana 20240032306 | ISBN 9782898044212
Classification : LCC PS8605.O8894 D47 2025 | CDD C843/.6–dc23
© 2025 Les éditions JCL
Couverture : Freepik /Illustration partiellement
créée à l’aide de l’imagerie générative
Les éditions JCL bénéficient du soutien financier de la SODEC
et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.
Financé par le gouvernement du Canada.Édition
LES ÉDITIONS JCL
editionsjcl.com
Distribution au Canada et aux États-Unis
MESSAGERIES ADP
messageries-adp.com
Distribution en France et autres pays européens
DNM
librairieduquebec.fr
Distribution en Suisse
SERVIDIS
servidis.ch
Imprimé au Canada
Dépôt légal : 2025
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque nationale de France
Claude Coulombe. Derrière les apparences. Les éditions JCL.Du même auteur
aux Éditions JCL
Comme une fleur solitaire
1. Le rêve de Marguerite, 2024
2. L’éclosion d’Anna, 2024
Du haut de la falaise
1. Rue du Petit-Champlain, 2023
2. Le cap Diamant, 2023
Le chant des bruants
1. Le frère perdu, 2021
2. Entre ciel et terre, 2022
3. Les alliances improbables, 2022
La vie à bout de bras
1. Le dilemme de Laurette, 2020
2. La trahison de Simone, 2020
3. L’héritage de Maurice, 2021
J’ai vu mourir Kennedy, 2014
Nous étions invincibles : Témoignage d’un ex-commando,
en collaboration avec Denis Morisset, 2008, 2018
À Christian et Marie-Claire, un couple charmant,
des plus agréables à côtoyer et soudé pour la vie
1
L’enveloppe avait été livrée par un coursier en uniforme. À l’intérieur, il y avait deux cartons d’invitation, un pour M. et Mme Albert Lemoine et un second pour leur fille, Alice. Chaque invitation avait un libellé semblable : « L’aide de camp de service est prié par Son Excellence le gouverneur général d’inviter Mlle Alice Lemoine à un bal le vendredi 1er mai 1942 à 9 h 30 PM. » Une réponse était requise pour cet événement qui aurait lieu à la Citadelle, un endroit sélect de la ville de Québec.
Pour les Lemoine, cette sortie s’insérait dans un horaire déjà passablement rempli. Mathilde Dussault, l’épouse d’Albert et mère d’Alice, ressentait déjà l’excitation d’aller magasiner des robes de soirée pour elle et sa fille. À quarante-cinq ans, Mathilde faisait toujours tourner les têtes avec sa silhouette de mannequin, qu’elle préservait avec soin, et ses jambes interminables. Même son visage semblait figé dans le temps, comme si elle avait toujours vingt-cinq ans.
Alice adorait sa mère, malgré cette manie d’attirer toute la lumière sur elle qui, parfois, pesait lourd. Comme si ce n’était pas suffisant, la jeune femme était constamment comparée à celle qui l’avait mise au monde, ce qui devenait lassant à la longue. Difficile d’y échapper tant les deux se ressemblaient.
Si Alice se savait jolie, elle tirait plutôt sa fierté du fait qu’on la décrivait comme une bonne fille catholique, sachant faire honneur à sa famille et à son rang, ces qualités n’étant pas tributaires de son bagage génétique. Un tel comportement était aussi pour elle un moyen d’attirer l’attention de son père qui pouvait se montrer des plus affectueux pour ensuite l’ignorer totalement, une attitude plutôt déstabilisante.
La jeune Lemoine avait longtemps rêvé d’avoir une sœur avec qui elle aurait pu échanger et développer une complicité. Même un frère aurait fait l’affaire, mais à l’adolescence, elle avait dû se résigner, ça n’arriverait pas. Sa mère avait mis fin à cet idéal quand, les larmes aux yeux, elle avait annoncé à la jeune Alice qu’elle devait renoncer à l’idée d’une famille nombreuse.
Cette nouvelle avait causé bien du dommage, surtout pour Albert qui espérait tant avoir un fils. Chez les Lemoine, la façade était mince et, derrière les portes closes, le couple se désagrégeait peu à peu, faisant chambre à part et partageant de très rares moments d’intimité, comme si l’homme et la femme menaient des vies parallèles. Mathilde acceptait toutes les invitations pour les bals de charité, les garden-partys et les cocktails. Si Albert l’accompagnait, il disparaissait très vite pour discuter affaires avec d’autres riches entrepreneurs, et son épouse se retrouvait ainsi en compagnie de sa fille. Esseulée, la femme avait rapidement fait d’Alice sa complice, son amie, oubliant toutefois qu’il y avait une vingtaine d’années d’écart entre elles.
* * *
La salle réservée pour le bal brillait de tous ses feux. Déjà, Albert y était entré et avait rejoint plusieurs de ses amis pour discuter, abandonnant sa femme et sa fille. Alice attendait patiemment à l’entrée pendant que sa mère était allée se « repoudrer le nez ». Tandis qu’elle faisait le pied de grue, un jeune homme l’aborda.
— Vous êtes vraiment en beauté ce soir, mademoiselle.
Alice se retourna et sourit.
— Merci, André, c’est gentil, mais tu me dis la même chose chaque fois.
— Est-ce que tu préférerais que je ne dise rien, ou pire, que je t’ignore ?
— Bien sûr que non, mais force-toi un peu. Un brin d’originalité ne ferait pas de tort.
— C’est noté, répondit le jeune homme en rougissant.
Comme Alice, André Châteauvert faisait partie de la haute bourgeoisie de Québec. Les deux jeunes se connaissaient depuis longtemps et André n’était pas insensible au charme de la fille d’Albert Lemoine. Les rumeurs faisaient état d’un mariage futur entre les deux, mais l’apparente timidité du jeune homme ne favorisait pas un rapprochement. Il est vrai que si la beauté d’Alice était un aimant à garçons, en revanche, elle pouvait se révéler intimidante pour quelqu’un manquant le moindrement d’assurance, ce qui semblait le cas d’André. Il parlait avec Alice dès qu’il en avait l’occasion, mais ne parvenait pas à passer à l’étape suivante, comme si lui faire la cour était au-dessus de ses forces. Alice le trouvait sympathique, était au courant des rumeurs de mariage, mais se demandait si elle devrait faire les premiers pas pour en arriver à cette conclusion.
Le jeune Châteauvert aurait bien aimé continuer la conversation, mais il fut relégué dans l’ombre par l’arrivée d’un quatuor de jeunes femmes, les amies d’Alice. Chantale Samson et Louise Laroche, les plus bavardes, se fendirent d’admiration devant la robe d’Alice, la complimentant à grands coups de superlatifs qui l’agacèrent.
— Je vous en prie, cessez, c’est gênant.
— Comme si tu n’étais pas habituée, rétorqua Chantale. Allez, viens avec nous.
— Je vous rejoindrai plus tard. J’attends ma mère.
Louise souleva les épaules en levant les yeux, un geste d’impatience qui ne passa pas inaperçu. Elle entraîna ses amies vers la salle, mais l’une d’elles s’attarda et murmura à l’oreille d’Alice :
— Dépêche-toi de venir nous retrouver, ne me laisse pas seule avec ces trois folles.
Alice fit un clin d’œil, en plus de sourire à celle qui venait de faire cette remarque. Anne-Marie Bruchési était une fille sympathique, très terre à terre, sans doute celle dont le caractère se rapprochait le plus de celui de la jeune Lemoine. Sarcastique à souhait, Anne-Marie évoluait dans l’ombre d’Alice. Pas qu’elle n’était pas jolie, mais face à son amie, elle était éclipsée. Elle compensait ce désavantage par un bon sens de l’humour. Quoi qu’il en soit, Alice l’aimait beaucoup. Ses amies parties, Alice remarqua qu’André, incapable de s’imposer face au quatuor féminin, s’était lui aussi évaporé. Elle soupira et attendit. Sa mère arriva quelques secondes plus tard et lui prit le bras.
— Viens, ma chérie, allons les éblouir, dit-elle en faisant une entrée remarquée dans la salle où se tenait le bal.
Effectivement, tous les yeux se tournèrent vers les deux femmes lorsqu’elles mirent les pieds dans la salle. Difficile de trouver un duo plus éblouissant. Certaines habituées de ces entrées époustouflantes ne purent s’empêcher de médire, incapables de cacher leur jalousie. Alice, entraînée par Mathilde, fit un balayage rapide de la salle, sa mère saluant timidement les hommes aux regards concupiscents, qui lui souriaient en retour. Alice, qui aurait bientôt vingt et un ans, commençait à être un peu gênée de ces tours de piste, comme elle les appelait, mais elle n’osait pas le dire. Sa stratégie pour y mettre fin consistait à se détacher en douce de celle qui l’agrippait, la laissant à ses connaissances, pendant qu’elle-même allait rejoindre ses amies.
— Bientôt, il faudra qu’il y ait un projecteur, comme au cirque, quand vous faites votre entrée, déclara Chantale avec perfidie.
— Il pourrait servir aussi pour nous quatre, répliqua Anne-Marie. On appellerait ça l’« arrivée des clowns ».
Claire Aubin, le quatrième membre du quatuor d’amies, éclata de rire pendant que Louise et Chantale affichaient leur mécontentement.
— Je vous en prie, dit Alice, on ne va pas recommencer à se crêper le chignon pour ça.
— C’est la jalousie qui les rend malades, rétorqua Anne-Marie.
— Bon, ça suffit, dit Alice avec fermeté. Si on ne change pas de sujet, je m’en vais.
Il y eut un moment de silence ; les jeunes femmes savaient que si Alice partait, leur groupe ne serait plus le centre d’intérêt. Sagement, elles décidèrent d’orienter leur conversation vers d’autres points de discussion.
— Une de mes partenaires de tennis, dont les parents connaissent les miens, m’a invitée à son mariage, dit Claire. Je vais vivre mon premier shower d’ustensiles la semaine prochaine.
— Parlant de tennis, je me suis trouvé un partenaire masculin de bon calibre pour le prochain jitney du club Belvédère, lança Chantale.
Cette mention éveilla l’attention de toutes. Le tennis était pratiqué par la grande majorité des gens de leur milieu. Jitney était un terme anglais pour désigner les tournois du samedi soir qui, traditionnellement, marquaient le début de la saison ou certaines soirées sociales importantes du calendrier. Aucune des filles n’aurait manqué un de ces événements, surtout Chantale, car c’était un des rares moments où elle brillait plus qu’Alice, étant une meilleure joueuse qu’elle.
Le chef d’orchestre et maître de cérémonie ouvrit le bal et les garçons se précipitèrent pour réserver une danse auprès des jeunes dames présentes. Comme il fallait s’y attendre, le carnet d’Alice se mit à se remplir à une vitesse folle, mais bientôt elle le ferma, déclarant qu’il était plein. C’était faux, mais elle souhaitait garder du temps pour discuter avec ses amies, d’autant plus que certaines, moins populaires, faisaient tapisserie. L’orchestre enchaîna salsa, valse, triple swing, et lorsque ce fut le tour d’André, il s’inclina devant Alice et lui tendit le bras.
— Je suis chanceux d’avoir obtenu une danse. J’ai vu une meute se diriger vers toi.
— De toute façon, je t’en aurais réservé une, répondit Alice.
— C’est gentil de ta part d’avoir pitié de moi, répliqua André.
— Je n’ai pas pitié de toi, rétorqua vivement Alice en fronçant les sourcils. Mais j’attends toujours que tu te déclares et tu ne sembles vraiment pas pressé.
André resta estomaqué, ne sachant quoi répondre. Alice venait de lui ouvrir la porte toute grande, mais il demeurait hésitant.
— Mais il y a tellement de garçons qui te tournent autour. Je me demande toujours ce que je pourrais avoir de plus qu’eux.
Alice se laissa entraîner sur la piste de danse et commença à valser.
— Pour une chose, tu es assurément le meilleur danseur.
— Merci.
— Écoute, André, je vais bientôt avoir vingt et un ans. Rien ne presse, mais je commence à penser au mariage. Un jour, ça arrivera et j’élimine tranquillement ceux qui ne me passeront jamais la bague au doigt. Tu ne fais pas partie de ce groupe, je dirais même que tu es dans le petit peloton de tête de ceux qui peuvent espérer. Je te connais depuis longtemps, je sais à quel point tu es intelligent, drôle, bien élevé, et je peux même ajouter que tu es assez beau bonhomme. Un futur bien rempli t’attend. Malheureusement, ton indécision finira par te coûter la première place.
— Pourtant…, dit André.
— Pourtant, quoi ? répliqua Alice.
— Je ne suis pas aussi indécis dans ma vie de tous les jours. C’est simplement que tu peux être intimidante.
— Moi, tu plaisantes ?
— Fais un survol rapide de la salle. Aucune des jeunes femmes présentes ne te va à la cheville. Tu les supplantes sans même lever le petit doigt. Il y a une flopée d’hommes qui te convoitent, en bavant presque.
— Je n’en ai rien à cirer. N’oublie jamais que personne ne me forcera. C’est moi qui déciderai qui je vais épouser.
— Crois-moi, celui qui sera l’heureux élu pourra s’estimer chanceux, dit André.
— Je ne suis pourtant pas inaccessible, dit Alice, des regrets dans la voix.
C’est à ce moment précis qu’elle comprit, à sa grande déception, que réussir à convaincre André de l’épouser ne serait pas une partie de plaisir. Malgré toutes ses belles qualités, et le fait qu’elle lui avait démontré son intérêt, lui dégageant l’accès pour qu’il se commette enfin, le jeune homme tergiversait toujours.
C’était en même temps un rappel à l’ordre pour elle. Si sa beauté était un atout, elle n’opérait pas comme un charme magique et envoûtant. Le jeune Châteauvert venait de lui en donner la preuve. Sur les dernières notes de musique, Alice abandonna les bras d’André pour rejoindre ses amies. Elle cacha sa déconvenue avec un sourire factice, ne comprenant toujours pas l’hésitation du jeune homme. Devait-elle essayer de le rendre jaloux pour le faire réagir ? Si elle avait connu la vraie raison pour laquelle André ne manifestait pas l’intérêt attendu de lui, elle aurait été atterrée.
* * *
Il était tard. De retour chez elle, Alice, fatiguée, n’aspirait qu’à une seule chose, une bonne nuit de sommeil. Elle se dévêtit, disposant sa robe sur une chaise, puis elle enfila une mince jaquette de coton. Au moment d’aller au lit, elle eut une envie pressante et se rendit à la salle de bain. La porte de la chambre de son père était ouverte à demi, il y avait de la lumière et elle entendit une discussion entre sa mère et lui. Par curiosité, elle avança pour écouter.
— Nous ne faisons même plus illusion, Albert, nous allons à des bals et tu ne m’accordes même pas une seule danse. Dès qu’on met les pieds dans la salle, tu disparais.
— Disons que ça ne me plaît plus autant qu’autrefois.
— Qu’est-ce qui te déplaît, moi ou les événements ? Je fais pourtant tout pour garder une apparence jeune. Sais-tu combien d’hommes t’envient quand ils me voient ?
— Ça, je n’en doute pas une seconde. Tu sais pourtant très bien pourquoi je… je ne suis plus aussi assidu envers toi.
— Tu pourrais en revenir de cette histoire. Elle date d’avant notre mariage.
— Tu es peut-être passé à autre chose, Mathilde, mais pas moi. J’espérais plus de ta part, mais il semble que ce ne sera jamais le cas.
— Tu es vraiment injuste, Albert.
La conversation s’arrêta et Mathilde sortit de la pièce, les épaules voûtées. Son regard croisa celui d’Alice, debout dans le couloir, mais elle détourna la tête et retraita vers sa chambre. La jeune femme resta sans bouger durant un long moment. C’était difficile de voir le mariage de ses parents se désagréger sous ses yeux. Bien sûr, ça avait commencé longtemps avant ce moment, mais les discussions entre eux devenaient plus hargneuses avec le temps. Ce qu’elle venait d’entendre laissait cependant supposer que les problèmes avaient débuté avant leur mariage, ce qui était un non-sens. Comment avaient-ils pu s’épouser, alors ?
Alice regagna sa chambre et s’étendit sur son lit, les bras en croix. Elle fit encore appel à Dieu, pour la nième fois, Lui demandant d’aider ses parents à se réconcilier, mais avec lucidité, elle dut convenir que ses demandes étaient restées lettre morte, et que son père et sa mère avaient atteint un point de non-retour. Une larme coula sur ses joues, qu’elle essuya machinalement dans la seconde.
La jeune femme aurait bien aimé savoir quelle était cette histoire dont il était question dans leur conversation. Qu’avait donc fait sa mère pour que son père remette le sujet sur le tapis ? Elle soupira et, après avoir récité machinalement un Notre Père, elle sombra doucement dans le sommeil.
* * *
Le jitney marquant l’ouverture de la saison du club de tennis Belvédère se révéla un franc succès. Alice joua plusieurs matchs en simple avant d’être éliminée. Elle avait refusé de jouer en double ou en double mixte, préférant bavarder avec ses amies, ainsi qu’avec les garçons présents, dont certains fêtaient la fin de l’année scolaire. Plusieurs conversations se déroulaient en anglais, la langue de la bourgeoisie. D’ailleurs, dans la ville à majorité francophone, l’affichage commercial était dominé par l’anglais, un héritage de la Conquête, et quiconque souhaitant frayer dans ce milieu se devait de parler couramment la langue de Shakespeare.
Les rapports entre les membres étaient courtois, mais ici comme ailleurs, il y avait toujours un imbécile sans éducation qui finissait par poser un geste inconvenant. Alice, en se rendant à la salle de bain, ne remarqua pas qu’elle était suivie, jusqu’à ce qu’elle sente une main se poser sur ses fesses. Surprise, elle se retourna pour se retrouver face à un homme qui la dévisageait avec un sourire carnassier. Il fit une remarque grivoise sur son postérieur, et plutôt que de prendre peur, Alice mit en pratique les leçons apprises de sa mère qui, tout au long de sa vie, avait subi les assauts de ces individus mal dégrossis. Elle fit un pas vers l’homme, en souriant, et lui donna un bon coup de raquette sur le pouce. L’homme poussa un cri qui attira l’attention. Quelques membres s’avancèrent et l’un d’eux demanda s’il y avait un problème.
— Il y en avait un, déclara Alice, mais je l’ai réglé.
Pendant qu’elle entrait dans la salle de bain, l’homme fut escorté, malgré ses protestations, et expulsé du club. De retour avec ses amies, elle fut questionnée par celles-ci afin de savoir ce qui s’était passé et elle narra sa mésaventure.
— Ça m’arrive souvent, ici ou ailleurs, de me faire pincer une fesse, déclara Chantale. Ce n’est pas agréable, mais je n’en fais plus de cas.
— Si tu ne fais rien, rétorqua Alice, ça va continuer.
Chantale se contenta de hausser les épaules, comme si c’était une fatalité, et elle reprit sa conversation, énumérant les showers auxquels elle était invitée.
— J’ai hâte que ce soit mon tour de me marier, dit-elle.
Alice revit dans sa tête la scène de la veille entre ses parents et, soudainement, toutes ces conversations, et l’institution même du mariage, lui semblèrent futiles. À quoi cela servait-il de se marier si c’était pour s’entredéchirer ? Elle savait son raisonnement radical, car ce n’était certainement pas tous les couples qui agissaient comme son père et sa mère. Sans un mot, elle abandonna ses amies, alla se doucher et se changer avant de quitter l’endroit. Chaudement vêtue, elle décida de marcher les deux kilomètres et demi la séparant de son domicile. C’était un trajet plutôt long, mais parfaitement raisonnable pour quelqu’un d’aussi en forme qu’elle.
* * *
Le 2 juin 1942, Alice fêta son vingt et unième anniversaire. Une flopée d’invités se pressaient dans la cour, où un immense chapiteau avait été dressé malgré l’étroitesse du terrain. Son père lui fit un cadeau auquel elle ne s’attendait pas, un Ford coupé de luxe de 1940, acheté d’occasion, une prouesse compte tenu de toutes les restrictions imposées par la guerre. Les usines fabriquant des voitures avaient été reconverties pour fournir le matériel militaire nécessaire aux différentes armées, et se procurer un véhicule neuf était impossible. Les modèles usagés faisaient aussi l’objet d’un contrôle serré et mettre la main sur cet objet convoité relevait de l’exploit. Albert avait donc contourné les diverses entraves mises en place par le gouvernement canadien. Il avait même fait peindre la voiture en blanc. Il n’était pas dit que sa fille conduirait une voiture noire comme le commun des mortels. Alice, emballée, remercia chaleureusement son père, cette rare marque d’affection la remplissant de joie. Même si elle avait son permis de conduire depuis l’automne précédent, jamais, au grand jamais, elle n’aurait cru posséder une auto si vite. Elle était la première de son groupe d’amies à en avoir une et souhaitait ne pas créer de jalousie.
— Elle est d’occasion, mais tu en auras une neuve quand cette maudite guerre sera terminée, dit Albert.
— C’est déjà inespéré que je puisse en avoir une, alors qu’elle soit neuve ou d’occasion, franchement, papa, je m’en fiche. Je suis tellement heureuse !
Il fallut un moment à Alice avant de s’apercevoir que sa mère n’était pas près d’elle. Elle la chercha et la trouva assise à l’intérieur, à la table de la cuisine.
— Qu’est-ce que tu as, maman ? demanda Alice, inquiète.
— Ne t’en fais pas, ma chérie, j’ai mal dormi la nuit dernière et je suis fatiguée.
Sans le savoir, Alice était témoin des premiers signes de la maladie de sa mère. Celle-ci n’en avait parlé à personne, persuadée que ce n’était pas aussi grave que le laissait entendre son médecin et qu’elle pouvait encore s’en tirer. Malheureusement, la flamme brillante de Mathilde commençait à vaciller, et nier sa condition ne la servait pas.
La femme se leva et, affichant son plus beau sourire, accompagna sa fille à l’extérieur. Elle circula parmi les invités de la fête et rien ne transparut pour le restant de l’après-midi.
La foule se clairsema au fil des heures, mais il fallut attendre le milieu de la soirée avant que les derniers invités ne prennent congé. Alice flottait sur un petit nuage et elle n’avait qu’une envie, essayer sa nouvelle voiture. Son père l’en dissuada.
— Je sais que la tentation est grande, mais tout est rationné, l’essence comme les pneus. Le gouvernement demande même de ne faire aucune balade pour le plaisir. Si j’étais toi, j’attendrais de pouvoir sortir ta Ford quand tu pourras conduire ta mère quelque part.
— C’est dommage, mais je comprends. Tout le monde doit faire son effort.
— C’est ce foutu Hitler, lança Albert avec colère, qui a semé la pagaille dans le monde entier, entraînant tout le monde à sa suite. Comme si nous n’avions pas eu assez de la Première Guerre mondiale et ses millions de morts.
— Il semble que certains n’apprennent jamais, répliqua Alice.
— Il aurait été aussi bien de se lancer en affaires, plutôt que de précipiter son pays dans la guerre, ça aurait fait moins de dégâts, conclut Albert.
— Est-ce que tu as vu maman ?
— Je l’ai vue monter plus tôt.
— Déjà ? C’est inhabituel. Ordinairement, après un événement, elle reste debout assez tard.
Albert haussa les épaules, mais Alice se montra préoccupée. Elle aida leur bonne à finir de ramasser et monta à l’étage. Elle constata que la porte de la chambre de sa mère était fermée. Aucune lumière ne filtrait par l’interstice au bas de la porte. Apparemment, sa mère était couchée. Alice ne sut que penser de ce comportement, qui était une première en soi. Elle l’interrogerait au déjeuner.
* * *
Le lendemain de son anniversaire, une tentative d’explication avec sa mère tourna court. Celle-ci balaya l’air du revers de la main, arguant, comme elle l’avait fait la veille, qu’elle avait mal dormi et était fatiguée. Rien ne put la détourner de cette version et toute tentative de creuser le sujet se révéla vaine.
Il fallut attendre quatre jours avant qu’Alice puisse enfin conduire sa voiture. Sa mère avait besoin de se rendre chez J. B. Laliberté, un magasin en vogue de la basse-ville. Ce n’était pas une urgence, mais il était impossible de s’y rendre à pied, et chez les Lemoine, on ne voyageait pas en tramway.
C’est avec une certaine frénésie que la jeune femme s’installa au volant, sa mère à ses côtés. Pendant qu’Alice décrivait certaines caractéristiques de la voiture, Mathilde restait silencieuse. Au bout de cinq minutes, Alice se rendit compte qu’elle embêtait sa mère.
— Je suis assommante, n’est-ce pas ? C’est que je suis tellement enthousiaste.
— Tu es bien chanceuse, ton père n’a jamais songé à m’en offrir une.
Cette remarque acerbe jeta une douche froide dans l’habitacle, et le reste du trajet se déroula dans un silence complet. Alice était un peu déboussolée, car sa mère n’avait pas l’habitude de se montrer amère. On aurait dit que depuis quelques jours, elle avait perdu son entrain. Alice se stationna près du magasin et les deux femmes descendirent de l’auto pour marcher en direction du commerce.
Elles entrèrent et commencèrent à parcourir les rayons. Alice remarqua assez vite le manque d’énergie de sa mère qui, d’habitude, se pâmait sur tout. Au bout d’un moment, Mathilde se tourna vers sa fille.
— Rien ne me tente, allez, partons et retournons à la maison.
— Mais, maman…
— Partons, je te dis, nous perdons notre temps ici.
Inquiète, Alice suivit sa mère et sortit du magasin. Une fois dans la voiture, Alice démarra et reprit le chemin de la maison. Son anxiété grimpa d’un cran quand elle s’aperçut qu’à côté d’elle, sa mère pleurait en silence.
2
Alice stationna son auto dans l’allée adjacente à la maison, et
