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Une autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn
Une autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn
Une autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn
Livre électronique365 pages4 heures

Une autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn

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À propos de ce livre électronique

Depuis dix ans, Justine et Pierre veillent sur leur famille reconstituée. Dans la grande maison affectueusement baptisée l'Auberge Inn, les six enfants du couple ont grandi dans un contexte d'unité et de tendresse, sujets comme tout le monde aux joies et aux peines que sème la vie. Mais, depuis un moment déjà, les parents vivent seuls, les jeunes ayant quitté le nid familial à tour de rôle.

De l'arrivée annoncée du premier bébé du clan naît un tout autre projet : ceux qui sont sur le point de devenir grands-parents entendent convoler en justes noces. Pour ce couronnement de leur tendre histoire d'amour, les fiancés souhaitent bien entendu la présence des enfants et de leurs conjoints. Or, le destin s'en mêle et chambarde
les célébrations sur plusieurs plans…

L'heureuse famille dans laquelle les futurs mariés se sont tant investis tiendra-t-elle le coup jusqu'à la cérémonie, mais aussi au-delà ?
LangueFrançais
Date de sortie18 mars 2015
ISBN9782895856801
Une autre histoire de famille 02 : L'auberge Inn

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    Une autre histoire de famille 02 - Claudie Durand

    Autrehistoire2.jpg

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Durand, Claudie, 1948-

    Une autre histoire de famille

    Sommaire : t. 2. L’Auberge Inn

    ISBN 978-2-89585-680-1

    I. Durand, Claudie, 1948- . Auberge Inn. II. Titre.

    III. Titre : L’Auberge Inn

    PS8607.U715A97 2014 C843’.6 C2014-941580-X

    PS9607.U715A97 2014

    © 2015 Les Éditeurs réunis (LÉR).

    Image de couverture : Shutterstock, Gemenacom

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédits d’impôt du gouvernement du Québec.

    Nous remercions le Conseil des Arts du Canada

    de l’aide accordée à notre programme de publication.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada

    par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

    Édition :

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    www.lesediteursreunis.com

    Distribution au Canada :

    PROLOGUE

    www.prologue.ca

    Distribution en Europe :

    DNM

    www.librairieduquebec.fr

    missing image file Suivez Les Éditeurs réunis sur Facebook.

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Bibliothèque nationale de France

    Autrehistoire2titre.jpg

    À Nathalie et Audrey.

    À Bibi, Jeff, Jenny, Pascal et Doum

    et à leurs conjoints et amis.

    À Gé.

    Chapitre 1

    Lundi matin, neuf heures. En pénétrant dans la cuisine, Justine huma une fraîche odeur de lilas. Elle pensa à Pierre qui, une heure plus tôt, était parti travailler. Il avait sûrement laissé la porte moustiquaire ouverte afin que la brise de mai embaume toute la maison. Son homme et ses habitudes printanières !

    Frissonnante, la vacancière ressentit ensuite de l’irritation. La fraîcheur de la pièce et le bruissement des papiers voletant sur le comptoir de la cuisine la contrariaient. Paradoxalement, les effluves de la nouvelle saison l’envoûtaient ; peu à peu, ils réussirent même à stimuler sa bonne humeur.

    Elle décida d’aller couper quelques branches parfumées. À la recherche d’un panier, elle se dirigea vers la remise au bout de la véranda. Lorsqu’elle ouvrit la porte de ce fourre-tout plein à craquer, plusieurs pots et autres trucs mal empilés dégringolèrent et elle dut se protéger avec ses mains. Ravie de ne pas s’être blessée, elle replaça au mieux les objets hétéroclites. Un grand ménage s’imposait. Un jour, elle s’attaquerait à cette corvée.

    Alors qu’elle fouinait dans les étagères, des souvenirs de voyages, d’excursions, d’anciens sports délaissés ou d’essais de jardinage remontèrent dans son esprit. C’est fou tout ce qu’on peut accumuler en huit ans ! se dit-elle. Cette remise en a vu de toutes les couleurs avec les allées et venues des enfants !

    Tentant d’éviter de nouvelles catastrophes, Justine finit par mettre la main sur un panier. Elle se dépêcha de refermer la porte sur ce désordre mouvant. « Ouf ! » s’exclama-t-elle en se dirigeant vers la cour.

    Depuis quelque temps, son couple vivait une période empreinte de fébrilité. Ce matin, juste avant de descendre à la cuisine, Justine avait repéré la date sur le calendrier et l’avait encerclée au crayon rouge. Enfin, on y était : 15 mai 2000. Pour différentes raisons, cette date revêtait une importance considérable.

    D’abord, c’était le « jour 1 » d’un long congé de trois mois pour Justine. Songeant à tous les travailleurs qui se rendaient au boulot, elle ressentit une grande liberté. Le soleil et le vent de ce jour de printemps ajoutaient de la gaieté à cette première journée de répit de son emploi d’infirmière au CLSC.

    Vêtue d’un jeans, d’un polar et d’une casquette, elle se jucha sur un petit escabeau. S’étirant pour couper des branches de lilas, l’horticultrice amateur portait attention à ne pas trop dégarnir l’arbuste. Pour elle, c’était un péché de tailler les lilas avant la fin de la saison. Bien fournis, ils exhibaient un spectacle tellement vivant et enivrant !

    Justine forma un bouquet avec les tiges sélectionnées. « Comme la nature est généreuse ! » pensa-t-elle. Malgré la lourdeur du panier, elle prit un instant pour admirer le ciel d’un bleu immaculé. Elle avait parfois l’impression de communier avec la nature et de perdre toute notion du temps. En mettant pied à terre, elle se rappela certains mois de mai maussades et venteux. Elle s’écria : « On dirait bien qu’il n’y aura pas de grandes marées cette année ! »

    Ce 15 mai 2000 signifiait aussi le début d’un décompte, et pas le moindre. Effectivement, le 17 juin prochain, Pierre et Justine se marieront. Le couple célébrera avec ses enfants une décennie d’amour et de famille recomposée.

    À la suite d’un divorce douloureux, Justine avait lutté de toutes ses forces pour éviter de retomber amoureuse. Mais comme elle était une inconditionnelle du couple et de la famille, un jour elle avait flanché ; elle s’était abandonnée à ce nouvel amour. Pierre était son âme sœur ! Ayant la garde de leurs trois enfants respectifs, ils s’étaient fréquentés pendant deux ans avant de vivre en famille recomposée.

    Les dix dernières années avaient passé si vite ! Les enfants avaient quitté le nid et le couple vivait maintenant seul dans sa grande maison.

    Le projet de mariage était né à la fin de l’été dernier, lors d’un souper en famille. Pierre en avait eu l’idée après avoir appris que Justine et lui deviendraient grands-parents. En effet, Isabelle et Thomas avaient surpris tout le monde avec leur grande nouvelle. Le jeune couple s’était montré des plus réservés sur son désir d’avoir des enfants, il n’en avait jamais soufflé mot.

    Ce soir-là, Thomas – surnommé le « businessman » en raison de son travail dans le monde des affaires et de ses beaux habits – avait pris la parole sous le regard brillant de sa belle. Sur un ton majestueux, il avait déclaré :

    — Je vous annonce officiellement que vous serez grands-parents, oncles et tantes à la fin du mois de mai 2000.

    Il y avait eu une véritable commotion autour de la table !

    Justine se rappela sa conversation avec Pierre quelques jours plus tard lors d’une promenade sur la plage. Il lui avait serré la main en regardant l’horizon, puis lui avait glissé subtilement :

    — En l’an 2000, j’aimerais que nous organisions une grande fête. Tu sais quoi ? Je voudrais que toi et moi, nous devenions de « vrais » grands-parents.

    — Bonne idée, mon chéri ! Je suis toujours partante pour fêter, moi.

    Voyant qu’il devait formuler sa proposition plus explicitement, il avait alors exposé son projet sans détour :

    — J’ai envie d’un mariage.

    — Un mariage ? avait-elle répété, intriguée. Pour qui ?

    — Dix ans d’amour… On pourrait peut-être fêter ça en grand…

    Mi-sérieuse, mi-coquine, Justine avait jeté :

    — Quoi ? Nous marier, toi, Pierre Biron, et moi, Justine Renaud ? Je ne comprends pas… Je pensais que c’était fini pour nous, ces affaires-là…

    Pierre avait exprimé peu à peu ses idées en ébullition.

    — Depuis le dernier souper de famille, j’en ai le goût. Par contre, je ne sais pas si j’y ai suffisamment réfléchi ! Je t’en ai parlé pour voir ta réaction.

    Justine s’était arrêtée et l’avait regardé dans les yeux. Époustouflée, elle avait lancé :

    — Je rêve ou je suis en train de recevoir une vraie demande en mariage ?

    — C’est un projet que je caresse depuis que je sais que je serai grand-père, avait-il formulé sur un ton imperturbable.

    Surprise et troublée, Justine avait réfléchi.

    — Je ne sais pas… Par contre, j’avoue que c’est la première fois que je pense à cet événement en tant que fête. Avant, les rares fois où nous en avons discuté, ça me stressait trop. Je reconsidérais ma notion d’engagement et, bien sûr, la peur me gagnait immédiatement.

    Afin de mieux se concentrer, Justine s’était assise sur la plage. Tout en pétrissant le sable de ses deux mains, elle s’était dit que, compte tenu de ce que certains prédisaient pour ce début de millénaire – bogue informatique, fin du monde ou disparition de certaines villes –, l’an 2000 ne verrait peut-être jamais le jour. Mais cela n’empêchait quand même pas de faire des projets ! Après tout, si l’idée de Pierre l’étonnait, cela ne signifiait pas qu’elle était déraisonnable. En tout cas, à première vue, ça ne lui faisait pas peur !

    Pierre s’était laissé tomber à côté d’elle. Silencieux, il l’avait regardée façonner ses petits tas de sable.

    Elle avait alors lancé spontanément :

    — Tout un programme, mon amour !

    Justine avait embrassé Pierre. Pour la forme, elle lui avait demandé :

    — Cinquante ans, ce n’est pas trop vieux pour se marier ?

    Reprenant leur promenade, ils avaient fait les fous en se traitant de « vieux » et de « grands-parents gagas ». Toutefois, le sérieux du projet les avait vite rattrapés avec son lot de questionnements et d’incertitudes. En bout de ligne, mariés ou pas, ils continueraient leur œuvre auprès de la famille et, inévitablement, ils joueraient leur rôle de grands-parents auprès des futurs petits-enfants.

    Finalement, d’une semaine à l’autre, l’idée avait germé et ils étaient devenus très à l’aise avec le projet. Ils avaient fini par fixer une date. La noce aurait lieu à l’été 2000, quelques semaines après l’arrivée du premier bébé de la famille.

    L’annonce du mariage avait été faite lors du réveillon de Noël. Cette fête représentait une occasion sans pareille pour ce genre de surprises. La famille au grand complet avait été enchantée de la nouvelle. Les rires et les cris pendant les jeux, de même que les chants autour du piano, avaient rappelé à tous Noël 1989, leur première réunion de famille recomposée à Bois-des-Hurons.

    Justine se souvenait de sa Brigitte proclamant haut et fort :

    — Jamais deux sans trois ! À l’été 2000, un bébé, un mariage et… quoi encore ? Peut-être qu’un de nous aura quelque chose d’autre à annoncer ? Moi, en tout cas, j’ai un projet de séjour en Europe…

    Cette discussion s’était conclue par plusieurs toasts. Les verres avaient tinté allègrement. D’abord en l’honneur du mariage des parents, du petit d’Isabelle et Thomas, de Noël et des cadeaux, ensuite pour souligner l’an 2000 qui approchait et bien d’autres choses encore.

    En entrant sa brassée de lilas, Justine songea que le temps passait trop vite et qu’il restait encore beaucoup de détails à régler avant le mariage. « Isabelle accouchera d’ici une semaine et le mariage suivra à la mi-juin, se dit-elle. Je sens que je ne m’ennuierai pas ! »

    Installée dans la cuisine, elle disposa les fleurs dans un vase. Elle coupa certaines tiges afin de les égaliser, tout en inhalant l’odeur d’air et de terre qui s’en dégageait. Justine dégustait ce rituel qui confirmait l’arrivée de la saison chaude. Elle se rappela soudain son rendez-vous avec Rose dans une heure. Le temps d’avaler son petit-déjeuner, de préparer du café et son amie débarquerait avec sa paperasse et ses questions.

    En effet, aujourd’hui commencerait une série d’une dizaine de rencontres avec sa collègue de travail. Rose effectuait une maîtrise en service social à l’Université Laval et lui avait demandé sa collaboration pour appuyer, voire approfondir, son mémoire.

    Le tout avait débuté un mois auparavant, à la fin d’une journée de travail. Les deux femmes s’étaient retrouvées seules au vestiaire du CLSC. Rose, nouvelle infirmière, avait salué Justine d’un cordial bonjour. Ensuite, elle avait pris le taureau par les cornes. D’une voix chevrotante, elle avait osé :

    — Je suis contente de te croiser seule, Justine, parce que j’ai quelque chose à te demander. J’avoue que ça me gêne un peu…

    — Tu es gênée avec moi ? s’était étonnée Justine. Il ne faut pas ; sinon je vais me sentir vieille !

    L’infirmière d’expérience appréciait la compagnie des plus jeunes et ne voulait surtout pas intimider Rose.

    Un peu plus détendue et surtout déterminée, la nouvelle venue s’était lancée :

    — D’accord ! Tu sais, c’est difficile pour moi de solliciter l’aide des autres. Enfin… Comme je suis en train de terminer ma maîtrise à l’université, j’ai un mémoire à rédiger sur un thème particulier…

    De fil en aiguille, Rose avait précisé son propos. Il s’agissait d’une recherche sur un sujet très à la mode en sciences sociales, mais par ailleurs très peu documenté : les familles recomposées.

    — Je dois te dire que, dans mon environnement, je ne connais personne possédant autant d’expérience dans ce domaine que ton conjoint et toi, avait insisté l’étudiante pour apprivoiser sa consœur.

    Justine n’avait pas besoin de flatteries pour rendre service à quelqu’un. Par contre, elle manquait de temps et de motivation pour participer à une recherche. Durant ses vacances prolongées, elle avait surtout prévu un programme de repos et de loisirs avec Pierre, qui achevait son année d’enseignement au cégep. Le couple s’était promis de prendre du bon temps, malgré toutes les obligations à remplir avant le mariage.

    Lors de sa première semaine de congé, Justine magasinerait sa robe de mariage, choisirait le menu avec le traiteur et sélectionnerait la musique pour la cérémonie au palais de justice. Elle devait aussi prendre rendez-vous avec la coiffeuse. Disposant d’un peu de temps libre, le couple se dépêcherait de compléter l’organisation du mariage. Cette journée unique, ils la souhaitaient évidemment extraordinaire et mémorable.

    Justine prévoyait aussi octroyer du temps à Isabelle pour l’aider avec son bébé. Diane, la mère d’Isabelle, habitait en Gaspésie et occupait un boulot très exigeant. Elle avait peu de disponibilité pour fournir du soutien à sa fille et lui apprendre les rudiments facilitant l’arrivée d’un premier bébé. Justine aimait Isabelle et se faisait une grande joie de remplacer Diane dans cette fonction.

    Enfin, la future mariée rêvait de partir en bohème avec Pierre, de longer le fleuve en voiture, de dormir dans des auberges, de pique-niquer, de bouquiner. Elle voulait aussi passer du temps avec ses enfants, Brigitte, Olivier et Paul. Bref, elle imaginait surtout un plan où l’insouciance et la légèreté constitueraient le menu principal de ses longues vacances.

    Avec tous ces projets en tête, Justine avait rechigné à accorder une douzaine d’heures à sa collègue du CLSC. Inévitablement, ces rencontres l’amèneraient à ressasser l’atmosphère de travail et les problèmes des infirmières.

    Mais Rose avait insisté :

    — Tu sais, de belles histoires comme la vôtre, ça ne court pas les rues !

    Cette tirade flagorneuse avait incité Justine à repenser le projet de cette collègue dynamique. La jeune femme qui se donnait la peine de poursuivre des études supérieures lui rappelait ses propres enfants et ceux de Pierre. Et quoi encore ? Son couple pourrait faire partie d’un processus de recherche sur les familles recomposées de la ville de Québec !

    — J’ai envie de te dire oui, mais j’ignore si mon horaire te conviendra. Il faudrait examiner ça ensemble, avait-elle finalement répondu à Rose tout en regardant l’heure car son estomac criait famine.

    Surprise et heureuse, la jeune femme lui avait sauté au cou en s’exclamant :

    — Merci, Justine ! Ton horaire sera le mien, et on fera les entrevues où tu voudras. Je suis tellement contente ! Tu ne peux pas savoir…

    Elles s’étaient quittées après l’accolade. Justine avait perçu toute la confiance de Rose dans son étreinte vigoureuse. Somme toute, Justine avait minimisé la tâche et se sentait à l’aise avec sa décision. Après tout, cela ne prendrait qu’une petite douzaine d’heures. Ça passerait très vite !

    Il était entendu que les rencontres auraient lieu le matin ou le soir pendant le mois de mai, chez Justine ou dans un petit café du quartier. Cette dernière voulait avant tout alléger son horaire pendant les semaines précédant le mariage et celles suivant l’accouchement d’Isabelle. Surtout, elle préserverait à tout prix les semaines de vacances après le mariage.

    En lisant les textes préparatoires au travail, Justine avait appris qu’elle serait rémunérée pour sa participation. Pour chaque heure d’entrevue, on lui attribuerait un gros sept dollars, ce qui lui donnerait au total la mirobolante somme de quatre-vingt-quatre dollars.

    Prenant connaissance des règles relatives à cette recherche, elle avait aussi compris que chaque rencontre devrait aboutir à un principe ayant contribué à créer l’harmonie du couple et de la famille recomposée. Afin de trouver le mot précis pour exprimer ce premier principe, Justine avait demandé conseil à Pierre la veille. Cependant, ils avaient été dérangés à quelques reprises et n’avaient jamais fini la conversation.

    Elle répondrait donc au mieux de ses connaissances pour satisfaire aux attentes de Rose. L’étude s’avérait très sérieuse et l’étudiante était guidée par une docteure en sociologie pour bien orienter son questionnaire.

    Rose se présenta quelques minutes avant l’heure prévue. Justine la trouva ravissante dans le soleil qui plombait sur la véranda. Cette belle grande brune aux yeux indigo, portant des vêtements recherchés dans les tons de turquoise, devait faire tourner les regards masculins plus d’une fois dans une journée.

    — Bonjour, Justine ! poussa-t-elle timidement dans le cadre de la porte d’entrée.

    — Salut, beauté ! répondit la vacancière à l’allure décontractée.

    — Arrête, tu me gênes ! déclara Rose.

    Justine tenta de la mettre à l’aise :

    — Et si on commençait par un café ? proposa-t-elle, alors qu’elle avait patienté afin de boire son premier café de la journée avec son invitée.

    Les deux femmes s’installèrent dans le bureau au deuxième étage. Cette pièce, située au nord-est de la maison, se trouvait actuellement réchauffée et éclairée par le soleil qui traversait les deux lucarnes. Les oiseaux qui chantaient dehors, les livres rangés sur les étagères au creux du pignon, la table centrale avec deux petits fauteuils ainsi que l’odeur du café et celle des fleurs fraîchement cueillies, tout contribuait à créer une ambiance stimulante.

    Beaucoup plus pour meubler la conversation qu’autre chose, Rose expliqua à sa consœur qu’elles étaient toutes les deux novices dans cette expérience et qu’elles apprendraient comment travailler ensemble au fil du temps.

    — Soyons cool, répondit Justine. On s’ajustera au fur et à mesure. Je n’ai aucune inquiétude quant à l’équipe que nous formons et je suivrai tes directives.

    Avant d’attaquer la première question qui traitait de la rencontre du couple – en l’occurrence Justine et Pierre –, Rose nota les noms de tous les enfants et parents concernés ainsi que leur âge lors de la recomposition familiale, dix ans plus tôt.

    Rose apprit que Justine Renaud avait alors quarante ans et trois enfants : Brigitte, quatorze ans ; Olivier, treize ans ; et Paul, douze ans.

    L’étudiante fut informée que Pierre Biron en avait aussi trois et qu’ils étaient sensiblement du même âge que ceux de Justine, soit Isabelle, dix-huit ans ; Caroline, dix-sept ans ; et Julien, quinze ans.

    Aujourd’hui, Pierre avait cinquante-deux ans, et Justine, cinquante. Et leurs enfants étaient âgés entre vingt-deux et vingt-huit ans, calcula Rose rapidement.

    Sans lever les yeux de son bloc-note, elle songea qu’elle faisait partie de la même tranche d’âge que ces six enfants. Au fond, Justine était beaucoup plus près de l’âge de sa mère que du sien ! Heureusement pour l’étudiante, Justine n’était pas du tout le même genre de femme. En fait, Rose savait qu’elle n’aurait jamais pu travailler en équipe avec sa propre mère.

    Rose mit ses lunettes et posa enfin la première question qui portait sur la rencontre de Justine avec Pierre. Timide, elle s’empressa d’ajouter cette précision :

    — Tu n’es pas obligée de tout raconter…

    — Ne t’inquiète pas, répondit Justine. Tu m’interroges et je m’arrange avec le reste. Parler de mon couple n’est pas désagréable, bien au contraire !

    Tout était un prétexte à retarder la discussion qui semblait embarrasser l’étudiante. Sentant la résistance de Rose, Justine décida de plonger dans le vif du sujet.

    — Avant qu’on se connaisse, Pierre et moi avions vécu tous les deux des expériences douloureuses, à savoir divorce, désillusions, peine d’amour, déménagement… On s’est rencontrés dans un centre de croissance où on assistait à des conférences. Au besoin, on y voyait des intervenants en tête à tête, et les participants formaient aussi un groupe d’entraide. Pierre et moi, nous avions entrepris cette démarche pour comprendre ce qui avait, pour ainsi dire, brisé nos couples. On voulait guérir nos plaies le plus possible avant de penser à nous mettre de nouveau avec quelqu’un. Dans le fond, on ne savait plus si on avait le potentiel pour reformer un couple. On était tellement confus… Je te parle des années 1988 et 1989. En plus, tous les deux, nous suivions des thérapies individuelles. On consultait des psys !

    — Ah oui ? Pourquoi ? questionna Rose, intriguée et sonnée par l’entrée en matière si vive de Justine.

    Jusqu’à ce jour, Justine et Rose avaient entretenu des rapports plutôt superficiels. Elles échangeaient surtout entre collègues aux repas. Ces moments étaient souvent l’occasion de se détendre, de raconter des anecdotes familiales, de discuter des faits de l’heure. Bien sûr, elles parlaient aussi des ajustements apportés aux horaires au CLSC ainsi que des corvées. Les infirmières se sentaient souvent dépassées, notamment ces dernières années.

    Dans ces réunions informelles entre camarades, Rose avait idéalisé le couple de Justine. Encore aujourd’hui, elle aurait parié que son amie avait vécu uniquement une histoire d’amour et d’eau fraîche. Elle ne s’attendait pas, ce matin, à entendre parler de croissance et de plaies.

    L’étudiante à la maîtrise se rendait compte qu’elle ne connaissait vraiment pas la femme assise devant elle. Justine, de son côté, prenait conscience que ce travail pourrait peut-être désillusionner Rose. En observant la jeune femme nerveuse se métamorphoser sous ses yeux, elle se demanda même si elle devait poursuivre son propos quelque peu chargé.

    Constamment, Rose plaçait et replaçait ses lunettes d’un air morose. Elle semblait avoir une réelle difficulté à se concentrer et ne cessait de raturer ses notes. D’ailleurs, elle venait encore une fois de se retrouver devant une page blanche.

    « Suis-je en train de la traumatiser avec mes commentaires ? » pensa Justine. Jetant un œil sur la paperasse empilée devant elle, elle songea soudainement à sa fille. Brigitte avait le même âge que cette étudiante et elle était très avide de connaître certaines expériences humaines. Justine se demanda comment elle agirait avec Brigitte en ce moment. Devait-elle gagner du temps ou poursuivre sur cette lancée qui semblait perturber Rose ? Elle répéta la dernière question :

    — Pourquoi Pierre et moi avons-nous consulté des psys ?

    — Oui, c’est ça. Vous ne vous sentiez pas mieux après vos divorces ?

    Justine opta pour une discussion franche.

    — Dans mon cas, c’est bien plus compliqué que ça ! J’étais incapable de faire face à la réalité. Et je… je… prenais un peu de vin pour… pour oublier tout ça. Je vivais beaucoup d’angoisse. Je vais résumer ainsi : j’étais restée extrêmement affectée par cette rupture, je voulais retrouver de la joie et… bien sûr… ne plus boire… comme tu t’en doutes !

    — Et Pierre, lui ? s’enquit la jeune femme qui semblait sortir d’une boîte à surprise.

    — Comme moi, il était malheureux, répondit Justine. Et en plus, il avait essayé de vivre en couple avec une autre femme. Comme tu peux le voir, ce n’était pas du joli, tout ça ! Les histoires d’amour ne sont pas toutes romantiques au début, je suppose. Mais ne t’inquiète pas, ma chouette, ça va le devenir, ajouta-t-elle en voyant l’expression de Rose.

    — Alors ? Est-ce que c’est au centre de croissance que vous êtes tombés amoureux ?

    — Eh bien… peut-être ! En tout cas, c’est là qu’on s’est connus, pendant la session du printemps 1989. Par la suite, Pierre m’a téléphoné régulièrement pour garder le contact. Pendant tout l’été qui a suivi, on a jasé souvent ensemble. À ce moment-là, on ne discutait pas de sujets légers ! Au contraire, on était très sérieux. Je trouvais déjà qu’il avait une belle voix… une voix d’annonceur de radio. On se parlait de nos blessures de divorce qui guérissaient, on se donnait des trucs pour rester positifs. Plus le temps passait, plus on était chums ! Puis on a commencé doucement à rire de nos travers. Je pense surtout qu’à ce moment-là on avait la trouille. On avait peur d’aller plus loin. On se retenait ! Enfin, un beau jour, Pierre a osé me faire la cour ! Il m’a offert un café, qui a été suivi d’une promenade. J’avais hâte, mais j’étais encore craintive… C’est bien bizarre, tu sais, quand tu désires quelque chose tout en restant sur tes gardes.

    — Je ne croyais pas que vous en aviez arraché à ce point-là, Justine, avoua l’étudiante en enlevant ses lunettes. Dis donc, est-ce que je peux me resservir du café ?

    Justine fut ravie que Rose exprime spontanément son besoin. Elle y vit le signe que la jeune femme se sentait un peu plus à l’aise. Elle l’invita

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