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L'espoir des lendemains: La voix du silence
L'espoir des lendemains: La voix du silence
L'espoir des lendemains: La voix du silence
Livre électronique452 pages5 heuresLa voix du silence

L'espoir des lendemains: La voix du silence

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À propos de ce livre électronique

Montréal, 1920. Évelyne Beaudry peine à se remettre de la mort de son mari. Heureusement, elle peut compter sur sa belle-sœur, Béatrice, pour l’héberger et l’aider à se reconstruire. En
attendant des jours meilleurs, elle confie sa fille unique, Élisabeth, à ses parents vivant dans le Haut-Saint-Laurent.
La guerre ayant fait plusieurs victimes collatérales, hommes et femmes souffrent de manière invisible. Ainsi, l’avant-gardiste docteur Étienne Morin fonde un centre d’entraide psychologique : La porte ouverte. Évelyne y obtient à la fois son premier emploi et une nouvelle raison de vivre. Elle se sent enfin utile en aidant les patients qui ont besoin de réconfort.
Impressionné par son écoute naturelle, le Dr Morin la considère rapidement comme une alliée précieuse. Il tentera de s’en rapprocher, mais les démons du passé viendront troubler leur relation naissante. Est-ce que la voix du silence aura raison de la cacophonie ambiante, leur laissant espérer des lendemains plus mélodieux ?
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditeurs réunis
Date de sortie9 oct. 2024
ISBN9782898670596
L'espoir des lendemains: La voix du silence

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    Aperçu du livre

    L'espoir des lendemains - Ginny Martineau

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : La voix du silence / Ginny Martineau

    Nom : Martineau, Ginny, 1949- , auteure

    Martineau, Ginny, 1949- | L’espoir des lendemains

    Description : Sommaire incomplet : tome 2. L’espoir des lendemains

    Identifiants : Canadiana 20240002172 | ISBN 9782898670596 (vol. 2)

    Classification : LCC PS8626.A77363 V65 2024 | CDD C843/.6–dc23

    © 2024 Les Éditeurs réunis

    Image de la couverture : 123RF / Images générées par l’IA

    Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Édition

    LES ÉDITEURS RÉUNIS

    lesediteursreunis.com

    Distribution nationale

    PROLOGUE

    prologue.ca

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    La voix du silence

    1. Entre l’ombre et la lumière, 2024

    D’une vie à l’autre

    1. Le secret des Lambert, 2023

    2. Les aléas du destin, 2023

    Un couteau ne peut se couper lui-même.

    – Proverbe bouddhiste

    Personne ne peut se mettre à la fenêtre

    pour se regarder passer dans la rue.

    Auguste Comte

    Et si la conscience était seulement les pulsions

    que dirige l’âme à l’intérieur de nous pour tenter

    de faire passer son message ? Serait-ce la voix du silence ?

    1

    Évelyne Beaudry se relevait du décès de son mari survenu un peu plus de deux années auparavant. Sa belle-sœur Béatrice se désespérait depuis longtemps de la voir un jour reprendre goût à la vie. Ce n’était pas encore le cas, mais depuis la dernière année, il y avait une évolution, lente mais graduelle.

    Béatrice avait mis au monde un beau gros garçon, son quatrième enfant. Elle avait été soulagée d’apprendre que ce n’était finalement pas des jumeaux. La guerre était enfin terminée. Dieu merci, les hostilités avaient pris fin le 11 novembre 1918, huit mois suivant la mort de Julien. Charles avait été exempté du service militaire en fin de compte. Le père de Mathilde, épouse d’Hervé, l’avait embauché dans son entreprise, la fabrication de moteurs étant considérée comme prioritaire.

    Le lendemain du décès de Julien, Béatrice avait fini par joindre les membres de la famille d’Évelyne, qui, malgré le peu de temps qu’ils avaient, s’étaient déplacés pour assister à l’enterrement de leur gendre. Ils avaient voulu ramener leur fille avec eux, mais Évelyne s’était accrochée avec désespoir à Béatrice et avait tellement crié que cette dernière avait supplié les Maguire de la laisser avec elle. Ils proposèrent toutefois de prendre avec eux leur petite-fille Élisabeth, qui les connaissait bien maintenant.

    En mai 1918, ému par le décès du frère de son gendre, le beau-père d’Hervé avait offert à Charles non seulement un emploi pour lui permettre l’exemption requise, mais aussi la location d’un grand six pièces au rez-de-chaussée d’un immeuble lui appartenant près de l’usine. Galant homme face aux déboires que vivaient les Beaudry, M. Brunet le lui louerait même à un prix plus que raisonnable, ce qu’avait grandement apprécié Charles, devant maintenant loger sept personnes. Quatre chambres étaient exactement ce qu’il lui fallait. Il avait accepté avec empressement, cela le soulageait terriblement.

    Les deux frères restants devinrent plus près l’un de l’autre qu’ils ne l’avaient jamais été dans le passé. Ne pouvant la laisser seule, elle qui s’accrochait à Béatrice comme à une bouée de sauvetage, Charles invita Évelyne à emménager avec sa famille sur la rue Parthenais.

    Comme si la guerre n’avait pas suffi en pertes humaines, la grippe espagnole avait fait rage partout dans le monde de 1918 à 1919. Peu de familles étaient restées indemnes. Les Beaudry se sentaient privilégiés. Oui, des contraintes avaient été exigées : porter des masques, respecter un couvre-feu et garder certaines distances. Mais comme pour la guerre, tout le monde était persuadé que cette période de remous se terminerait bien un jour ou l’autre.

    En ce matin du début de l’été 1920, les Beaudry eurent la plus belle surprise qui soit. Sonna à leur porte une femme amaigrie et changée, mais reconnaissable par sa magnifique chevelure rousse inoubliable.

    — Constance ! cria Béatrice en se jetant sur sa sœur. Oh mon Dieu, Évelyne, viens voir qui est ici après si longtemps !

    Évelyne s’approcha et accueillit avec bonheur cette femme que tous pensaient ne jamais revoir.

    Les trois femmes se retrouvèrent rapidement autour de la table de la cuisine.

    — Bon Dieu, Constance, raconte-nous tout ce que tu as vécu ! commença sa sœur.

    Mais avant que la visiteuse ne se soit exécutée, un bambin de deux ans trottina vers le trio.

    — Béatrice ! C’est l’enfant de qui ? Le tien ou celui d’Évelyne ?

    Béatrice toussota. Heureusement, Évelyne, encore fragile, ne réagit pas.

    — C’est le mien, mon petit dernier, lui apprit sa sœur.

    Constance se sermonna intérieurement. Pourquoi avait-elle posé une question aussi stupide ? S’il y en avait une qui savait qu’Évelyne ne devrait jamais avoir d’autres enfants, c’était bien elle. La fille unique de son amie avait failli lui coûter sa vie à sa naissance et devait être grande maintenant.

    Comme si une bourde n’attendait pas l’autre, Constance prit son nouveau petit-neveu sur ses genoux et, tout en faisant connaissance avec lui, demanda à Évelyne :

    — Mais ta fille, la belle Élisabeth, est-ce qu’elle est en visite avec toi ici aujourd’hui ?

    — Constance, rectifia Béatrice, Évelyne vit en permanence avec nous maintenant. Tu n’es pas au courant, mais Julien est décédé il y a deux ans, et la petite Élisabeth vit chez ses grands-parents à Huntingdon.

    — Oh, mon Dieu, Évelyne ! lança Constance en se tournant vers elle. Je suis désolée. Je ne savais pas. Il s’est enrôlé ?

    — Non ! Je te raconterai une autre fois, s’empressa de répondre sa sœur à la place de leur amie. Mais parle-nous de toi. Quand es-tu revenue ?

    — Il y a deux jours seulement. Je n’en reviens pas d’avoir été partie si longtemps. La guerre et la grippe espagnole se sont enchaînées. Ça fait déjà six ans que je suis partie. Et j’ai peu de choses à raconter, sinon que j’ai beaucoup travaillé. Dans un hôpital de guerre, tu n’as plus de vie personnelle. Seul le travail compte. J’ai pensé mille fois tout laisser tomber, mais je ne pouvais tout simplement pas. C’était terrible de voir tous ces hommes souffrir alors qu’on n’avait pas le quart de ce qu’il nous aurait fallu en médicaments.

    Les trois femmes passèrent une grande partie de l’après-midi à jacasser. Lorsqu’elle reconduisit sa sœur à la porte, se souvenant de quelque chose, Béatrice lança :

    — Tu ne devineras jamais qui j’ai rencontré l’année dernière !

    — Si tu ne me le dis pas, je ne le saurai pas, répondit Constance en riant.

    — Tu te souviens de Simon ? L’avocat dont tu étais éperdument amoureuse ?

    — …

    — Je l’ai croisé l’an dernier. Il a fait la guerre lui aussi. Il m’a demandé si je savais où tu étais et comment te joindre. J’ai dû lui dire que je n’en avais aucune idée, qu’aux dernières nouvelles, tu étais toujours vivante, même si ça faisait très longtemps maintenant que…

    Constance eut l’impression que le sol s’était mis à tourner autour d’elle. Béatrice, prise au dépourvu, dut la soutenir pour lui éviter de tomber.

    — Mon Dieu, Constance ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

    — Tu as vu Simon ? Ici à Montréal ?

    — Oui, il sortait de son bureau quand je l’ai croisé.

    — Tu es certaine qu’il s’agissait de lui ? demanda Constance, la voix tremblante.

    — Certaine. Je lui ai même parlé.

    — Il faut que je parte, lança Constance en reprenant sa respiration. Je vais revenir, Béa, mais il faut que je parte, c’est important.

    Et sans un mot de plus, elle sortit de la maison en courant, laissant sa sœur abasourdie sur le pas de la porte.

    Constance n’avait qu’une idée en tête : retrouver Simon. Sans réfléchir plus longtemps, elle se rendit immédiatement au bureau de l’avocat. Comme sa sœur venait de le lui confirmer, il était toujours au même endroit. Elle transpirait énormément et tremblait de tous ses membres lorsqu’elle se dressa devant la porte d’entrée, heureusement déverrouillée.

    Une secrétaire inconnue était assise derrière le bureau, toujours au même endroit que dans son souvenir. Avant même que la jeune femme n’ait le temps de lui demander la raison de sa visite, Constance se lança :

    — Je dois voir Me Dupuis, s’il vous plaît. Immédiatement.

    — Me Dupuis est absent. Vous aviez rendez-vous ?

    — Je n’ai pas de rendez-vous. Dites-moi comment je peux le joindre.

    — Je ne peux pas vous donner ce genre d’information, madame. Puis-je savoir qui vous êtes ?

    Constance faillit dire : « Je suis sa femme. » Mais il ne le fallait pas. Elle reviendrait.

    — Dites-moi, est-ce que Me Dupuis sera ici demain matin ?

    — Il sera ici. Mais je doute qu’il vous reçoive sans rendez-vous.

    — Je vous remercie.

    Sans un mot de plus, Constance sortit du bureau et se dirigea lentement vers la demeure de ses parents, chez qui elle logeait temporairement. Une seule pensée tournait en boucle dans sa tête : Simon est vivant, il est vivant. Merci, Seigneur, merci. Puis, tout en marchant, elle sentit des larmes se mettre à couler une nouvelle fois sur ses joues et, alors que les gens qu’elle croisait la suivaient du regard sans oser intervenir, elle se mit à rire à travers ses yeux embués. Simon était vivant. Elle n’en revenait pas encore. Dieu avait répondu à ses prières.

    2

    Béatrice et Évelyne s’affairaient ensemble à préparer le souper. Les garçons de Béa s’en donnaient à cœur joie en se tiraillant dans leur chambre. Sa fille, tranquillement assise dans la berçante de sa mère, écoutait sagement la conversation des deux femmes.

    — Je suis tellement contente que Constance soit revenue. Ça faisait si longtemps qu’elle était partie que j’en étais venue à penser qu’elle ne reviendrait jamais, confia Béatrice.

    — Pourquoi ne serait-elle pas revenue ? demanda Évelyne.

    — Oh, parce que, dans le temps, elle a eu une histoire d’amour avec l’avocat qui a défendu Julien lors du procès. Il était le frère de son amoureux de l’époque. Ce dernier l’avait demandée en mariage, mais elle lui avait dit ne pas être prête. Mais lorsque Simon est entré dans sa vie, ce fut l’amour fou. Celui-là, elle était prête à lui dire oui pour le mariage. Imagine la réaction de l’autre quand il a appris que celle qu’il aimait voulait le quitter pour son frère. Il s’est enlevé la vie. Je sais que ça a vraiment atteint ma sœur, d’autant plus que Simon, l’avocat, se sentait coupable du décès de son frère. Ils se sont donc laissés. Ma sœur ne s’en remettait pas, alors elle est partie, comme tu le sais. J’ai eu l’impression qu’elle voulait changer de vie.

    Évelyne écoutait, ne posant pas de questions. Devant le silence de son amie, Béatrice se tourna vers elle et réalisa la bourde qu’elle venait de commettre.

    — Oh, je suis désolée, Évelyne. Je n’aurais pas dû te remémorer le procès de Julien. Je sais pourtant à quel point juste d’entendre son nom te bouleverse encore.

    Au lieu de lui répondre, Évelyne agit comme si son amie n’avait rien dit.

    — C’est vraiment fantastique, ce changement d’heure qu’ils ont instauré, tu ne trouves pas ? Il fait tellement clair plus tard. Je suis certaine que mes parents vont apprécier.

    Béatrice se contenta de hocher la tête. Son amie, « sa sœur », comme elle aimait l’appeler, avait trouvé le premier prétexte pour détourner la conversation. Oui, Évelyne faisait des progrès, bien que ses parents ne soient venus que quatre fois à Montréal avec la petite Élisabeth. Elle n’avait pas relevé l’offre que ces derniers lui avaient faite, celle d’aller s’installer à Huntingdon. Comme sa fille allait maintenant à l’école, les visites étaient plus rares. Évelyne l’adorait. Pourtant, malgré le temps qui passait, elle demeurait indifférente à la vie, vivant un jour après l’autre sans aucun projet d’avenir. La douleur en elle, aussi présente qu’au premier jour, déformait son jugement. Persuadée de donner à Élise une vie plus heureuse avec des gens normaux, plutôt qu’avec une mère incapable de lui faire un sourire, elle avait choisi de la laisser aux bons soins de ses parents.

    Béatrice vit sa fille dans la berçante suivre attentivement la conversation, et cela lui déplut.

    — Bon, toi, la seineuse, va donc jouer un peu, au lieu de rester là à nous espionner. Allez, ouste ! Puis surtout, ne va pas étriver tes frères.

    La petite fille prit la poupée de chiffon reposant sur ses genoux et, triste de ne pas pouvoir écouter la suite, se dirigea vers sa chambre. Bernadette était la seule avec sa tante à posséder une chambre entière dans cette grande maison. Ses trois frères se partageaient celle de devant, alors que ses parents occupaient la suivante. De l’autre côté du couloir se trouvaient sa propre chambre et celle de sa tante Évelyne. Bernadette ne comprenait pas pourquoi sa mère avait le droit d’appeler sa tante « Lyne », alors qu’eux, les enfants, devaient absolument dire « ma tante Évelyne ».

    Quand Bernadette fut partie vers son refuge, Béatrice prit quel­­ques minutes pour engager une conversation lui tenant à cœur depuis longtemps. Elle prit même le temps de s’installer à la table de la cuisine, invitant Évelyne à s’y asseoir auprès d’elle.

    — Lyne, tu sais à quel point je tiens à toi. Ça me crève le cœur de te voir déambuler dans le logement, indifférente à la vie. Comme on est en été et que les enfants sont en congé pour une longue période, qu’est-ce que tu dirais si on allait chercher ta fille ? Elle pourrait dormir dans ta chambre avec toi. Et peut-être que, si tout va bien, elle pourrait revenir à Montréal et entrer à l’école ici l’année prochaine…

    Évelyne resta silencieuse. Béatrice se demandait si son amie réfléchissait à cette possibilité ou si elle cherchait une excuse pour la refuser. La réponse sortit lentement de la bouche d’Évelyne d’une voix tremblante :

    — Je ne suis pas prête, Béa.

    — Bon, écoute. Je n’avais pas prévu de parler de ça avec toi aujourd’hui, mais puisque la conversation est engagée aussi bien battre le fer pendant qu’il est chaud. Ça fait deux ans que Julien est mort, Évelyne. Je sais que tu le pleures encore et je te comprends, mais ta vie à toi n’est pas terminée et celle de ta fille non plus. Tu te dois de vivre pour Élisabeth, elle a besoin de sa mère.

    — Ma fille est entre bonnes mains. Ma mère et ma sœur lui offrent une meilleure vie que je pourrais le faire. Tu penses sincèrement qu’Élise serait heureuse avec une mère ne ressentant plus rien d’autre qu’un grand trou vide à l’intérieur d’elle ? Une mère incapable de rire et de s’amuser ? Élise mérite mieux. Une mère n’ayant rien à lui offrir ne vaut rien.

    — Mais on est là, nous, Lyne. Elle aimerait sûrement avoir une compagne pour jouer. Si tu préfères être seule, on pourrait même l’installer dans la même chambre que Bernadette. À la campagne, ta fille n’a pas de compagnon, elle est toujours seule avec des adultes. Ce n’est pas une vie pour une enfant.

    — Je ne peux pas, Béatrice. Je n’ai pas la force de le faire. Je ne suis pas prête.

    — Si tu t’écoutes, tu ne seras jamais prête. Il faut te motiver, te donner des coups de pied dans le derrière. La vie continue.

    Évelyne se leva si soudainement de table que Béatrice sursauta. Puis, sans un mot, elle se dirigea vers sa chambre.

    Béatrice lâcha un grand soupir de déception. Elle avait eu très peur pour Évelyne lors du décès de Julien. Celle-ci était dans un état second que personne n’arrivait à percer. La mère qu’était Béatrice prit soin d’elle jour après jour. Mais les semaines et les mois avaient passé sans grande amélioration. Puis, lentement, Évelyne était sortie de sa chambre et avait accepté de venir prendre ses repas avec les autres. Maintenant, deux ans plus tard, elle vivait une vie pouvant paraître normale pour ceux qui ne la fréquentaient pas. Mais Béatrice, elle, la connaissait trop bien. Cette femme ne souriait plus, faisait le strict nécessaire et s’enfermait dans sa chambre dès qu’elle le pouvait, ce n’était pas l’Évelyne qu’elle avait connue du vivant de Julien. Elle avait cru la ramener à la vie en lui offrant de prendre sa fille avec elle. Mais elle s’était trompée. Évelyne serait-elle prête un jour à reprendre sa vie en main ? Ou la vie l’avait-elle tellement blessée qu’il lui serait impossible de redevenir la femme d’avant la guerre ?

    3

    Le lendemain, Constance Sinclair, s’étant installée chez ses parents et partageant la chambre de sa sœur revenue seule à Montréal, s’empressa de se lever sans bruit afin de ne pas réveiller Yvonne. La veille, elle avait préparé en vitesse les vêtements qu’elle voulait porter. Elle était fébrile, elle allait revoir Simon. Enfin ! Après une si longue attente à se demander s’il était mort ou vivant, elle passait par toutes sortes de sentiments. Qu’avait-il pu se passer pour qu’il disparaisse ainsi sans l’aviser de ses intentions ? Elle l’avait cru mort. Cela l’avait affectée à un point tel que, la guerre finie, elle n’était pas revenue au pays. La grippe espagnole battait son plein, et les infirmières expérimentées étaient les bienvenues à rester pour combattre cette pandémie.

    Constance refusait de croire qu’il l’avait abandonnée volontairement. Mais ne sachant plus que penser, elle se demandait comment il la recevrait. À la seule pensée qu’elle pourrait à nouveau le regarder, peut-être même le toucher et l’embrasser, le cœur lui battait à tout rompre.

    Elle s’habilla avec soin, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années, avec des vêtements que sa mère avait heureusement gardés. Ils étaient démodés, certes, mais elle les arrangea rapidement de façon que son allure ressemble à ce qu’elle avait aperçu dans les rues depuis son retour il y avait à peine deux jours.

    Lorsque sa mère la vit dans la cuisine, elle ne put s’empêcher de lui demander où elle allait comme cela, si tôt en matinée.

    — J’ai des choses à régler à l’hôpital. Mais ne vous inquiétez pas si je ne suis pas de retour pour le dîner. Il se peut que ce soit long.

    Sa mère faillit lui demander quelles choses, sachant que sa fille avait délaissé l’hôpital depuis plusieurs années. Mais elle se retint de le faire. Se pouvait-il que Constance souhaite y retourner ? Enfin, elle en saurait plus long au retour de sa fille.

    Bien évidemment, c’était l’excuse parfaite que Constance avait donnée pour ne pas avouer la vérité. Elle n’avait confié à personne avoir revu Simon pendant la guerre ni être devenue sa femme.

    Les jambes tremblantes, vêtue d’une jupe bleue restée dans le placard depuis belle lurette et d’une blouse blanche à jabot, Constance franchit la porte du cabinet de la rue Notre-Dame. Sans laisser à la secrétaire le temps de lui dire bonjour, elle s’empressa de s’informer :

    — Me Dupuis est ici ?

    — Je vous reconnais, vous êtes venue hier. Je ne veux pas vous décevoir, mais vous n’avez pas de rendez-vous. Il ne vous recevra pas.

    — Je n’en ai pas besoin, répliqua Constance en raffermissant son pas pour se diriger directement vers la porte du bureau de Simon.

    — Madame, mademoiselle ! cria la réceptionniste, vous ne pouvez pas…

    Trop tard, Constance avait ouvert la porte du bureau. Regardant dans une filière derrière lui, Simon crut que c’était sa secrétaire qui était ainsi entrée sans frapper.

    — Irène, s’il vous plaît, j’aimerais que…

    Il releva la tête et aperçut Constance dans l’embrasure de la porte. Son bras tomba et les dossiers qu’il tenait à la main allèrent s’échouer sur le tapis persan qui agrémentait la pièce sous son bureau.

    — Merci, mon Dieu, merci ! Constance, je n’arrive pas à le croire, déclara-t-il en s’élançant vers elle à bras ouverts.

    La jeune femme s’affaissa pratiquement dans les bras de son mari. Irène comprit que Me Dupuis ne voudrait pas être dérangé, si bien qu’elle ferma la porte doucement.

    Simon tint Constance serrée contre lui pendant un temps qu’il n’aurait su définir. Les yeux fermés, tous les deux pleuraient de joie de s’être finalement retrouvés.

    — Enfin, te voilà ! reprit-il en finissant par la relâcher. Viens t’asseoir, je t’ai tellement cherchée.

    — Tu m’as cherchée ? réagit Constance, ne comprenant plus ce qui s’était passé.

    — Le surlendemain de notre mariage, il y a eu ce tremblement de terre, et on a été attaqués en même temps par des missiles venant du ciel. Des fissures se sont ouvertes dans la terre, là où on était. J’étais sous haute pression et on se battait tous pour tenter de sauver les nôtres qui avaient été gravement blessés. Vers quatre heures de l’après-midi, on est venu me chercher, un commandant qui détenait des informations prioritaires avait été gravement blessé. On ne pouvait courir le risque de le perdre. Pas question de l’amener à l’hôpital, c’était trop risqué. Un avion est venu le prendre et, comme j’étais le seul haut gradé à parler français et anglais, je n’ai eu d’autre choix que de monter avec lui à bord de l’appareil. Sans savoir où je m’en allais, je me suis retrouvé au Canada. Puis, il y a eu le retour à Montréal. J’ai voulu retourner là-bas, mais je n’ai pas pu. On m’a envoyé en Allemagne. Chaque jour, je pensais à toi, mais je n’avais aucun moyen de te faire savoir où j’étais et que j’étais toujours vivant. J’ai tout fait pour te retrouver, j’ai envoyé des communiqués sans savoir s’ils se rendaient, car je ne recevais aucune réponse. Puis, il y a eu la fin de la guerre, je me disais que tu allais enfin revenir. Mais tu n’es pas revenue. J’ai vécu l’espoir et le désespoir et, maintenant, tu es là. Je n’en reviens pas encore.

    — Simon, je t’ai cru mort lorsque j’ai vu que tu ne revenais pas. Ma vie n’avait plus aucun sens. Pourquoi je serais revenue ? Il y a eu la grippe espagnole et, là-bas, on était à court de personnel. J’ai quitté la CMAC et je me suis lancée dans le travail pour apaiser la douleur que je ressentais de t’avoir perdu pour une deuxième fois. Je ne peux pas croire, encore maintenant, qu’on soit enfin ensemble.

    — La vie tente de nous séparer à tout prix, mais elle ne réussira pas. Tu es ma femme et tu le resteras toujours. J’espère que ça ne te déçoit pas trop ?

    — Qu’allons-nous faire, Simon ?

    — On va rentrer chez nous. Ensemble, toi et moi. Je vais demander à Irène d’annuler tous mes rendez-vous de la journée. Tu es plus importante que n’importe qui d’autre. Viens, je t’emmène avec moi.

    — Où allons-nous ? lui redemanda-t-elle.

    — On rentre à la maison. Chez nous. Il est hors de question que ma femme vive ailleurs que dans ma maison.

    — Et c’est où ta maison ?

    — C’est vrai, tu ne le sais pas. Ma mère est morte l’an dernier et mon père a dû être interné, il a une maladie qui fait qu’il ne sait plus qui il est. J’ai tout fait refaire la décoration. Cette maison m’appartient, je suis le seul héritier de mes parents. J’ai laissé l’appartement que j’avais dans le temps et j’habite seul cette belle grande maison, qui n’attendait que toi.

    Quarante minutes plus tard, les amoureux entrèrent pour la première fois ensemble dans la demeure appartenant maintenant à Simon. Quand il prit sa femme dans ses bras après l’avoir embrassée passionnément, laissant la fougue l’entraîner vers le lit qui les attendait, Constance tenta de repousser tendrement Simon.

    — Simon, je dois te dire. Il y a eu un autre homme dans ma vie, il y a quelques années alors que je pensais qu’on n’aurait plus jamais le droit d’être ensemble.

    Il mit un doigt sur sa bouche.

    — Chut ! Oublie ça, Constance. J’ai eu des dizaines de femmes dans ma vie quand je faisais tout pour tenter de t’oublier. Crois-moi, je ne suis pas un saint. J’ai passé l’âge de chercher de la chair fraîche. Le passé est le passé, laissons-le là où il est. La vie a tenté à trop de reprises de nous séparer. Maintenant, tu es ma femme. Je te prends telle que tu es et tu me prends tel que je suis. Est-ce que ça te convient ?

    Constance releva la tête et lui tendit ses lèvres à nouveau. Ils passèrent leur premier jour ensemble. À la tombée de la nuit, alors que la lumière faiblissait dehors, Constance écrivit un mot à sa mère pour lui expliquer qu’elle était à l’hôpital et qu’elle ne savait pas à quelle heure elle reviendrait. Simon se rendit à l’extérieur, trouva un gamin près de chez lui et lui remit l’enveloppe contenant le message et un cinq sous tout neuf.

    — Tu peux aller me porter ça à cette adresse ? demanda-t-il au jeune.

    — Oui, monsieur ! s’exclama le gamin regardant le cinq sous.

    * * *

    Simon, après lui avoir fait maintes fois l’amour, fit visiter à sa femme la maison et l’emmena au restaurant. Puis, ils revinrent passer la nuit dans les bras l’un de l’autre.

    Au matin, il s’excusa de devoir partir, mais heureusement, ce jour étant un samedi, il pourrait passer la journée ensemble. Constance lui apprit qu’elle devrait aller chez ses parents afin de leur apprendre qu’elle était mariée.

    — Je ne sais vraiment pas comment ils vont prendre la chose, dit-elle, le sourire aux lèvres. Je devrai leur apprendre que je suis mariée et, en plus, qu’il s’agit d’un mariage protestant. Ma mère va chavirer, c’est certain. Pour elle, seul un mariage catholique est recevable.

    — Écoute-moi bien, Constantina. Il me vient une idée et j’ai une proposition à te faire. Aimerais-tu qu’on fasse un mariage catholique ? Je sais que tu te sentirais mieux aux yeux de tes parents. Apprends-leur qu’on s’est retrouvés, qu’on va se marier, et je m’engage de mon côté à obtenir une dispense de publication. Comme ça, tu auras un vrai mariage. Entre-temps, rien ne nous empêchera de nous voir chaque soir si tu le souhaites. Et même de passer une nuit ou deux ici si tu peux trouver une bonne défaite pour le faire.

    — C’est vrai ? Tu serais prêt à faire ça pour moi ? À attendre quelques semaines avant qu’on soit considérés comme officiellement mariés ?

    — On est mariés, Constance. Légalement, tu es ma femme. C’est juste qu’aux yeux des autres, avec un mariage catholique, tu seras une vraie mariée telle qu’ils ont l’habitude de le voir.

    — J’apprécie vraiment ton offre.

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