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L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient
L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient
L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient
Livre électronique332 pages5 heures

L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient

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À propos de ce livre électronique

France, 1945. Enfin, c'est le temps de la Libération ! Or, le futur n'a jamais été aussi incertain pour Camille...
Le peuple est en liesse devant cette liberté retrouvée. Pourtant Camille sait que rien n'est garanti : d'ores et déjà, d'autres puissances cherchent à faire main-basse sur la France, à voler au peuple sa victoire et à priver la jeunesse française de ses espérances...
Mais Camille n'est pas du genre à laisser son pays aller à vau-l'eau ; et si la solution à ses inquiétudes veut dire entrer à l'Assemblée Nationale, alors ainsi soit-il ! Sans compter que cela pourrait l'aider à trouver, enfin, ce qu'il a donc bien pu advenir de sa petite sœur Yvonne, disparue pendant l'Occupation...
« Ces lendemains qui chantaient » est une fiction historique au réalisme exceptionnel, narrant les Trente Glorieuses via l'histoire fictive de Camille, une Résistante Maquisarde devenue députée du PCF, qui se bat pour ses droits dans le monde politique français.
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie7 mai 2024
ISBN9788727063102
L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient

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    Aperçu du livre

    L'Ombre rouge - T2 - Pierre Louty

    Pierre Louty

    L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient

    Saga

    L'Ombre rouge - T2 : Ces lendemains qui chantaient

    Image de couverture : Midjourney

    Copyright ©2011, 2024 Pierre Louty et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788727063102

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    Avant-propos

    Au cœur des Monts d’Ambazac, Camille avait vu le jour dans une famille de petits paysans au lendemain de la Grande Guerre. Au village des Cailloux Blancs, elle avait joué avec sa petite sœur Yvonne. Ensemble, par les chemins creux bordés de haies de noisetiers et d’aubépine, elles étaient allées à l’école des Bordes.

    Camille avait eu 20 ans à l’heure où la France subissait l’humiliation, la débâcle de nos soldats et l’occupation allemande. Ce fut alors qu’elle devint l’Ombre rouge insufflant la flamme de l’espoir à celles et à ceux qui refusaient la soumission à l’ordre hitlérien.

    À l’école de l’Internationale, elle avait appris la lutte clandestine et les actions d’éclat contre l’envahisseur. Les grands chefs de la Résistance lui obéirent. Unis comme les doigts de la main, les colonels Gaspard, Guingouin, Murat, Bernard, Chaumette et André libérèrent le pays à la tête de leurs glorieux maquisards. Une dernière fois, Camille les réunit au plus profond de la forêt de la Loubatière. Ils étaient là, autour d’elle, avec les commandants des prestigieux bataillons de la jeunesse. Il y avait le commandant Soleil de la Dordogne, le capitaine Michel des Deux-Sèvres et encore Violette du Pont Lasveyras… Ils étaient là mais il manquait à l’appel Yvonne, la petite sœur.

    Où était-elle donc passée celle qui avait suivi, pas à pas, les traces de l’Ombre rouge ? Arrêtée par la Milice ou la sinistre Gestapo ? Fusillée ou déportée ? Disparue…

    Chapitre I

    Le temps de la Victoire

    De septembre 1944 à janvier 1947

    Cet automne 44 avait été magnifique ! L’été avait été brûlant… Mais les victoires remportées par les Francs-Tireurs de l’Ombre rouge avaient fracassé la machine de guerre nazie. Partout, au centre de la France, les compagnies de F.T.P. avaient balayé l’armée hitlérienne qui battait en retraite. La barbarie avait dû céder ! L’Ombre rouge avait su rassembler toutes les forces vives de la Nation comme l’avait demandé Jean Moulin. Comme il aurait été heureux l’envoyé spécial du général de Gaulle s’il avait survécu à la tyrannie des bourreaux ! Jean Moulin ? C’était l’union pour le combat final de la Résistance ; c’était le programme élaboré sous l’autorité du Conseil National de cette même Résistance… L’Ombre rouge avait inlassablement parcouru les régions militaires des F.F.I. pour inculquer à toutes et à tous cet idéal de Liberté et de Progrès social qui donnait à chacun un sens à sa lutte, à son combat au quotidien.

    Ils n’étaient pas innocents ces jeunes de 16 à 20 ans qui s’étaient rassemblés dans les forêts du Limousin, de l’Auvergne et du Périgord pour s’organiser, apprendre le maniement des armes et la discipline de l’Armée des Ombres. Ils étaient instruits dans l’art de la guerre révolutionnaire, celle de l’émancipation des peuples ! Ils avaient au fond de leur cœur beaucoup d’amour… Amour de la France ! Amour de cette vieille terre de granit qui était celle de leurs ancêtres !

    Lorsqu’ils étaient entrés en rébellion, en résistance à l’appel du Front National, ils n’avaient fait que suivre le chemin de leurs pères, de leurs grands-pères… Ils avaient appris à l’école de Jules Ferry, l’Histoire de France et de la Gaule. Ils savaient parfaitement ce long cheminement vers la Liberté et la souveraineté nationale. Ils connaissaient les victoires remportées au prix de sacrifices inouïs mais aussi les revers et les défaites subis et imposés par les dictateurs de l’étranger. Ils avaient médité sur la conquête de la Gaule par Jules César… Les Romains n’étaient pas venus par hasard : la Gaule était un vaste territoire peuplé de paysans, d’artisans et de commerçants qui avaient su rendre prospère cette vieille terre sur laquelle ils avaient bâti leurs temples et écouté la leçon des druides… Les Romains avaient eu envie de s’emparer de cette richesse, de se l’approprier et de rendre serviles les ancêtres Gaulois. Seulement voilà, les tribus celtes avaient chèrement vendu leur peau ! Elles avaient d’abord infligé à l’envahisseur des défaites spectaculaires le repoussant par-delà les Alpes mais les divisions de Jules César, disciplinées et armées jusqu’aux dents, étaient revenues et avaient réussi à imposer la dure loi des Maîtres. Justement, c’est au centre de la France que Vercingétorix allait rassembler les peuples de l’Auvergne, du Limousin et du Périgord pour tenter une dernière fois de chasser l’envahisseur gourmand. Sur le plateau de Gergovie, l’armée des Gaules bousculait les légions romaines… La victoire était à portée de la main. Les Celtes ne surent point la saisir… Le stratège Jules César parvint à encercler l’armée de Vercingétorix dans Alésia. Ce fut la défaite des Gaulois et l’asservissement qui s’ensuivit fut d’autant plus sévère. Les Maîtres de la Gaule firent plier les peuples celtes et tracèrent les voies de la domination transalpine. Ce ne fut point pour rendre service aux populations de chez nous que les Romains firent construire les grands axes routiers, les ponts et les viaducs ! C’était tout simplement pour mieux dominer notre pays, mieux l’exploiter et le piller !

    Et les Gaulois baissèrent la tête et courbèrent l’échine… Ils avaient perdu leur liberté, leur autonomie, leurs écoles et leur religion. Seulement voilà, sous la bruyère, la fougère et la mousse, les sources de la vie continuaient à murmurer et à couler. Goutte à goutte, le mince filet de l’eau étincelante et argentée poursuivait son chemin. Au Mont-Gargan, la source du buisson blanc jaillissait encore et ceux qui y croyaient venaient en procession. Et la petite source murmurait et racontait qu’il n’est point de peuples libres sous l’oppression. Elle disait aussi qu’un peuple qui en opprime un autre a perdu sa liberté. Elle ajoutait que la liberté ne peut être vaincue.

    Lorsque, bien plus tard, Jules Ferry fit bâtir les écoles de France et que les petits paysans vinrent s’asseoir, les uns après les autres, sur les bancs de chêne ou de hêtre, il était des maîtres qui racontaient la même chose. Ces maîtres d’école enseignaient l’Histoire de France au peuple et parlaient encore de la victoire que remporta Vercingétorix sur les légions romaines de Jules César. Ils racontaient à leurs petits élèves en blouse grise et en sabots que pour ne point voir ses soldats mourir de faim le grand chef celte s’était rendu au général romain. Ils racontaient cette scène inoubliable de la reddition de Vercingétorix jetant son bouclier et ses armes au pied de César… En récompense de quoi, le Romain fit enchaîner le héros d’Auvergne et le fit conduire dans les geôles de Rome où il devait croupir et mourir huit années plus tard… Ils racontaient aussi les légendes et les croyances des Celtes. Au pays des mille sources, elles susurraient encore et les enfants de France avaient appris à les écouter, à les comprendre. Désormais, grâce à Jules Ferry, le message infini de l’Histoire passerait de génération en génération. Les envahisseurs avaient conquis la Gaule en 52 avant Jésus Christ mais l’esprit des Celtes soufflait encore dans les combes et les monts du Limousin et de l’Auvergne.

    C’est cet esprit que Camille avait su saisir, ranimer et insuffler aux jeunes patriotes qui avaient vu, une fois de plus, la terre des ancêtres occupée par la barbarie. Les bottes nazies avaient foulé les bruyères d’Auvergne et du Limousin, suivi les rives de la Dordogne, la rivière Espérance… Les bottes nazies avaient fait trembler les ponts mais elles avaient dû céder ! La victoire avait été totale pour les forces du Maquis et maintenant le centre de la France paraissait bien être devenu une « petite Russie ». Seulement voilà, ce que l’Ombre rouge savait : c’est qu’une oppression peut en cacher une autre. Désormais, il s’agissait pour Camille d’éviter le pire : le vol de cette victoire que les enfants de France avaient payé de leur sang ! Les nazis n’avaient pas encore définitivement quitté cette région que d’autres exploiteurs se profilaient à l’horizon. Les maîtres d’école avaient aussi enseigné cela à leurs petits élèves : la vie est un combat et ce combat ne finit jamais… à l’instant même où l’Homme croit remporter une victoire, elle peut lui échapper… Le bonheur est insaisissable. Il court, il court comme l’a dit le poète. Les hommes désirent le prendre mais ce n’est qu’illusion. Camille savait tout cela et pourtant elle n’avait pas envie de le dire à ces combattants de la Liberté, elle voulait encore leur laisser savourer cette victoire si précieuse qu’ils venaient d’obtenir en libérant, eux-mêmes, leur patrie. Oui, les maquisards étaient des patriotes et ils savaient le prix de cette victoire.

    ***

    Les premières couleurs de l’automne s’allumaient lorsque l’Ombre rouge réunit, au cœur de la forêt de La Loubatière, les grands chefs du Maquis du centre de la France. C’était au lendemain de la prise d’Angoulême, dans ces premières journées de septembre où le soleil brillait encore très haut et brûlait les prairies assoiffées. Il y avait encore dans l’air comme un parfum de poudre, de mitraille et de combats exaspérés. À l’orée de nos forêts et de nos taillis, en bordure des prés et des champs de blé, le long des chemins creux et à l’ombre des noisetiers, il était encore des traces de cette lutte terrible qui avait opposé l’Armée des Ombres à la puissance de la Wehrmacht. Les SS étaient passés par là, ils avaient quitté les nationales pour s’engouffrer sur les routes départementales et vicinales, pour aller quérir dans les hameaux et les fermes isolés « les terroristes » comme ils aimaient à le dire. Sans autre forme de procès, ils avaient conduit ces fils de France par deux ou trois, par demidouzaine et plus, dans cette campagne qui était la leur et ils les avaient mitraillés, exécutés, défigurés ! Les soudards de la barbarie avaient brisé les corps, transpercé les poitrines, écrasé de leurs bottes les visages flamboyants de la Liberté. Cette jeunesse avait été transie par cette violence inouïe mais elle avait répliqué aux accents de « La Marseillaise » et de « l’Internationale ». Oui, les jeunes de France étaient morts en chantant !

    Camille savait tout cela et elle avait réuni ses compagnons dans la clairière de la Loubatière pour leur transmettre les dernières directives du Front National de la lutte patriotique. En ce début de septembre, à l’heure où les brumes montaient légèrement de nos vallées pour effacer les lignes si pures de la forêt, Camille avait expliqué la complexité de cette lutte. S’unir, s’armer et combattre ! Il fallait constituer partout des régiments de F.F.I. et s’engager résolument pour la durée de la guerre afin de venir à bout de l’envahisseur qui se terrait derrière les fortifications du mur de l’Atlantique. Il fallait aussi organiser dans chaque localité la vie démocratique et remplacer au plus vite les délégations spéciales de Vichy qui avaient tant servi l’Allemagne et ses complices. Oui, il fallait constituer des Comités de Libération pour gérer conformément au programme du Conseil National de la Résistance les communes de France. Il fallait chasser les collaborateurs et leurs complices. Il fallait arrêter la fuite des miliciens et de ceux qui avaient saigné le peuple. Il fallait mettre à la raison les magouilleurs et les voleurs. La bataille de la Libération était engagée. Depuis le 6 juin 44, les forces alliées avaient pris pied sur le sol même de la France mais, en ce début de septembre 44, les troupes du général Eisenhower avaient tout juste dépassé Paris. De vastes zones du territoire français demeuraient occupées, pillées et tyrannisées par les hitlériens. Hitler vendrait chèrement sa peau. Le fascisme luttait avec l’énergie du désespoir mais il était encore extrêmement dangereux. À l’heure où les splendides couleurs de l’automne commençaient à couronner les hautes futaies de la Loubatière, de la Braconne, des forêts de Chizé, de Châteauneuf et des monts d’Auvergne, l’embrasement final de la seconde guerre mondiale n’était point arrivé. Certes, sous les coups de boutoir de l’Armée rouge, les troupes fascistes reculaient mais elles résistaient aussi… et c’étaient des Français qui étaient le dernier rempart de cette armée hitlérienne en déroute. Oui, des Français de cette légion de volontaires pour combattre le bolchevisme, cette division Charlemagne qui constituait l’arrière-garde de l’armée du Reich. Charlemagne ? L’empereur à la barbe fleurie… celui qui avec Roland à Roncevaux avait tant de fois poursuivi les Sarrasins, les envahisseurs de son vaste empire… Ils avaient osé choisir son nom pour baptiser leur division de la mort ! Charlemagne n’aurait certainement pas accepté cette trahison, lui qui avait organisé la France en vastes domaines agricoles et créé auprès de ses abbayes, des centres d’enseignement… N’était-ce pas lui qui avait choisi la Lumière en lieu et place de l’obscurantisme ? N’était-ce pas son neveu qui avait préféré lancer dans les airs son épée Durandal plutôt que de la laisser prendre par les fanatiques ? Et c’est à Rocamadour que l’épée de Roland était venue se ficher dans cette pierre de la Liberté au cœur du Lot enfin libéré par les Maquis de Philippe et malgré les terribles souffrances infligées par les hordes nazies au village de Gabaudet…

    Comme il aurait été heureux d’être là dans cette clairière de la Loubatière aux côtés de ses compagnons, le commandant Kléber ! Seulement voilà, à l’entrée de Bourganeuf, à l’heure où il allait prendre la tête des patriotes creusois, Jean-Jacques Chapou était tombé sous les balles de l’ennemi. Il était tombé en héros, son pistolet à la main… Il était tombé criblé de coups et il avait roulé dans le ravin… Celui qui avait libéré Tulle au soir du 8 juin 44 avait connu ce cruel destin. Camille s’interrogeait encore et ne comprenait pas pourquoi un chef si prestigieux des Maquis du Lot et de la Corrèze avait trouvé la mort dans cette embuscade de Bourganeuf. Pourquoi Kléber était-il seul au volant de sa voiture accompagné de sa secrétaire ? Pourquoi ceux à qui il avait demandé si la voie était libre pour poursuivre sa route, ceux qui savaient que les Boches étaient dans Bourganeuf l’avaient laissé continuer et se jeter dans la gueule des loups ? Camille se les poserait longtemps ces questions troublantes. Oui, très longtemps… Des décennies plus tard, à l’orée de sa vie, l’Ombre rouge s’interrogerait encore. Le capitaine Philippe, le chef prestigieux de la bataille de Tulle qu’elle avait laissé au soir du 8 juin 44 et qu’elle n’avait jamais plu revu, était mort. Mort dans des circonstances tragiques et encore inexpliquées…

    Au soir de cette réunion de la Loubatière, Camille avait longuement parlé aux chefs de la Résistance mais, à l’instant même où elle serrait les mains et embrassait le commandant Soleil, le colonel Bernard, le capitaine Michel et tant d’autres héros prestigieux de cette lutte clandestine, elle se demandait encore pourquoi le colonel Guingouin n’était pas venu.

    Guingouin avait choisi de rester à Limoges, dans cet Hôtel de Ville de la cité de la porcelaine qu’il avait investi au soir du 21 août 44. Libérateur de Limoges, Georges Guingouin l’était mais, tout de même, comment pouvait-il avoir oublié l’appui si précieux des compagnies F.T.P. de la Charente du colonel Bernard qui avaient barré la route d’Aixe-sur-Vienne aux Boches ? Comment pouvait-il oublier le travail souterrain et précieux qu’Alphonse Denis, fondateur de « Valmy » et responsable du Front National avait prodigué à cette terre limousine ? Sans cette activité de propagande pour inculquer les idéaux de liberté et de patriotisme, rien n’eut été possible ! Comment comprendre l’absence de Raoul à cette soirée de la Loubatière ?

    Camille n’ignorait rien du parcours du chef du Maquis du Mont-Gargan, elle savait que dès juillet 1940, à son retour sur la terre de Saint-Gilles, il avait lancé, le premier, l’appel aux paysans pour ne point accepter la défaite et la honteuse politique de collaboration. Elle savait les efforts de l’instituteur révoqué par le gouvernement de Vichy afin de renouer les fils brisés de la lutte des communistes pour la Libération. Elle savait les premiers contacts qu’il avait entrepris avec ses anciens camarades du rayon d’Eymoutiers et les difficultés qui avaient été les siennes pour réapprendre la vie démocratique dans une France terrorisée. Elle savait aussi que le premier maquisard de France avait été particulièrement indiscipliné… Il n’en faisait qu’à sa tête… Camille ne pouvait ignorer que Lerouge était venu dans les compagnies F.T.P. de Saint-Léonard pour faire disparaître le « Grand »… L’opération avait échoué et le cœur de Camille s’en était discrètement réjoui. Cela eut été dommage qu’un si grand résistant soit abattu ! Camille savait aussi qu’il n’aurait pas été le premier, ni le dernier. Elle n’ignorait point qu’il avait fallu ainsi agir pour combattre avec discipline et rigueur un ennemi bien supérieur en nombre et scientifiquement organisé. Elle ne savait pas si cette clause supérieure de la déontologie patriotique avait frappé sa propre famille. Camille ne savait pas où était passée sa petite sœur… Yvonne ? Lors de sa dernière rencontre avec Jacques Duclos, le grand dirigeant communiste ne lui avait rien révélé. Il avait refusé de parler. Savait-il lui-même ? Toujours était-il qu’à cette belle réunion de la forêt de la Loubatière il manquait Georges Guingouin et Yvonne…

    ***

    Les chefs de la Résistance s’étaient dispersés et avaient rejoint leurs compagnies, leurs bataillons et leurs régiments. Ils allaient poursuivre le combat. L’automne 44 était splendide. Il régnait partout une douceur exquise, des parfums de liberté retrouvée. Les campagnes respiraient et les villes commençaient à bouger à nouveau. Enfin, on circulait librement sur ce vaste territoire du centre de la France. On circulait… c’était beaucoup dire ! La dynamite avait parlé, les ponts et les viaducs, les tunnels aussi avaient explosé. Pour stopper les convois de l’armée allemande, les maquisards avaient fait sauter les points stratégiques des voies ferrées et routières. On circulait… oui, il fallait vite le dire ! Les trains, peu à peu, se remettaient à rouler mais à très petite vitesse et bientôt le pain de la vapeur vint à manquer… Oui, le charbon ! On avait oublié que les Allemands avaient pris le meilleur et, en partant, ils avaient inondé nos mines et nos puits d’extraction. Le charbon manquait… Le bois aussi… On manquait de tout. C’était bien là la question primordiale à régler par les Comités de Libération mis en place au lendemain du départ des autorités allemandes. Les hitlériens avaient pillé le pays mais la France de la Résistance serait-elle capable de redonner aux populations de quoi satisfaire leurs besoins élémentaires pour vivre. Se nourrir ?

    La saison était superbe et les chênes, les uns après les autres, s’allumaient des plus belles couleurs qui allaient du jaune d’or au rouge pourpre… Seulement voilà, comme sous Vichy, allait-on être obligé de ramasser les glands et de les griller dans le four des cuisinières pour imiter le café ? Dans les luttes de l’été, les jeunes des campagnes s’étaient engagés et avaient laissé les vieux se débrouiller dans les métairies. On avait bien fauché un peu d’herbe, moissonné, battu le blé mais tout de même les récoltes de l’année étaient des plus faibles. La terre avait été abandonnée par les meilleurs bras et n’avait pu donner que très peu. L’hiver qui s’annonçait serait dur ! Il y avait urgence. Camille le savait et s’agitait de son mieux pour tenter l’impossible et ravitailler une population affamée, des enfants qui n’avaient pas leur ration de lait et qui mouraient de faim… Camille le savait et c’est pourquoi elle était venue dès les premiers jours d’octobre à la préfecture de Limoges rencontrer Jean Chaintron. Elle avait de la chance : Jean Chaintron était le seul préfet de France communiste. Elle serait reçue sans protocole et parlerait en tête-à-tête avec lui… Le Limousin n’était pas la région française la plus défavorisée, par chance cette terre de paysans avait su préserver l’essentiel. La récolte de pommes de terre s’annonçait bien mais les jeunes partis sur le front de l’Atlantique, cantonnés devant Royan, Saint-Nazaire et La Rochelle, ne seraient point là pour l’arracher et la mettre à l’abri dans les caves des métairies. Si le gel était précoce, ce serait une catastrophe. Il fallait donc des mesures d’urgence. Il fallait aussi approvisionner les grandes villes en bois de chauffage. Nous étions encore à l’époque où les maisons individuelles avaient leurs poêles, leurs cuisinières, leurs cheminées. Seulement voilà, on avait oublié d’abattre les arbres et de scier des bûches si nécessaires à l’alimentation des foyers. Des chênes avaient été coupés tout le long des routes nationales pour empêcher la circulation des troupes allemandes remontant sur le front de Normandie. Il était urgent de s’en occuper, d’envoyer des employés municipaux pour récupérer ces troncs et les transporter. Limoges, Angoulême, Périgueux, Guéret, Tulle et Brive pouvaient craindre le pire… Il faudrait aussi relancer la production industrielle, les manufactures de confection, de chaussures, les usines alimentaires… Rien n’était simple. La jeunesse engagée dans le combat libérateur ne pouvait être appelée à cette tâche. C’est aux femmes que Camille pensa. Elle avait été l’Ombre rouge, un agent secret de l’Internationale. Elle n’était qu’une jeune femme. Elle avait commencé tout juste à 19 ans de parcourir son pays, d’aller et venir. Au cours de cette guerre, elle avait côtoyé ces jeunes filles qui étaient des agents de liaison et qui avaient su prendre tous les risques. Désormais, elles devraient avoir leur place dans la vie civique. Désormais, les femmes devraient avoir le droit de vote et pouvoir se présenter aux élections législatives et municipales. Il fallait imposer les femmes dans ces assemblées populaires des Comités locaux de Libération. Elles avaient su prendre les initiatives les plus osées pour libérer le pays et chasser les nazis. Elles sauraient agir pour sauver la France de la faim et du froid…

    Dans son bureau feutré de la préfecture, Jean Chaintron avait parlé avec Camille de toutes ces implications des femmes et des difficultés qu’il avait à les imposer dans la vie pratique. Camille l’encouragea à poursuivre ses efforts sans jamais défaillir. Désormais, la femme devait être l’égale de l’homme comme l’avait proclamé Louis Aragon. Le général de Gaulle lui-même accordait une grande place aux femmes et admirait leur courage dans l’engagement patriotique. Sa propre nièce avait été arrêtée et déportée et il savait qu’il lui faudrait accorder aux femmes toute la place qui leur revient de droit. Bientôt les femmes voteraient au même titre que les hommes. Quant à Camille, elle avait reçu des assurances de la direction nationale de son parti. Il y aurait des femmes candidates aux prochaines élections, des femmes issues de la Résistance et parfois des camps de la déportation. Camille savait que ses camarades de l’Union des Jeunes Filles de France avaient été frappées par la tyrannie des bourreaux. Certaines avaient disparu dans l’enfer des camps de la mort mais elle savait aussi que Marie-Claude Vaillant-Couturier reviendrait et qu’elle serait leur chef de file. Déjà, Camille se préparait à affronter ces combats futurs.

    Malgré la brutalité des événements et la plénitude des années passées, Camille avait la sensation que le temps s’était écoulé très vite. Il lui semblait lorsqu’elle s’arrêtait un instant pour faire le point et réfléchir sur son passé qu’elle était encore une toute petite fille… Une petite fille qui faisait ses premiers pas dans la cour de la ferme des Cailloux Blancs… C’est là qu’elle était née au lendemain de la Grande Guerre qui aurait dû être la dernière comme l’avaient proclamé les Poilus à leur retour des tranchées. Son père, Louis Baillot avait épousé Thérèse qu’il aimait avant de partir au front et Camille était née de cet amour. Sur les genoux de Grand-mère Félicie, elle avait joué avec ses menottes et ri aux éclats… Grand-père l’avait prise dans ses bras et elle avait passé les siens autour du cou plissé du vieil homme pour aller caresser les grandes vaches limousines de l’étable… Ah ! Ce grand-père… il avait été la première joie de Camille et elle avait aimé frotter ses longues moustaches frisées et lui tirer un peu la barbe… Il était parti le premier, usé et fatigué par la peine. Alors Camille avait suivi Grandmère Félicie derrière le troupeau de moutons et sur la lande elles avaient couru ensemble. La lande des Cailloux Blancs, là-haut, sur la commune de Saint-Pierrela-Montagne.

    Une petite sœur était venue se joindre à la famille et le bonheur avait souri à ces paysans laborieux et tenaces qui cultivaient ici une terre rocailleuse et ingrate. Seul, l’air était pur dans ces monts d’Ambazac et il vous faisait des hommes et des femmes d’une trempe exceptionnelle ! Camille et Yvonne étaient allées à pied sur les chemins de l’école des Bordes. Deux petites filles entre deux haies de noisetiers galopant sur les cailloux qui roulaient sous leurs pas… à l’école primaire, il n’y avait qu’une seule classe. C’était une classe unique. On dirait plutôt une ruche… Les grands prenaient en charge les petits et les petits écoutaient la leçon des grands quand ils avaient fini leurs devoirs… à l’école des Bordes comme dans toutes les classes uniques de France, on apprenait vite à être autonome. Cela avait servi à Camille et à sa sœur. Yvonne ? La petite sœur… Disparue !

    Comme les années avaient passé vite ! Camille croyait encore être sur le chemin, tenir par la main sa sœur et l’accompagner doucement vers l’école de la vie. Oui, vite, elles avaient appris aux Bordes et bientôt la maîtresse n’eut plus rien à leur dire alors elles quittèrent cette petite école pour celle du chef-lieu de canton. À l’école primaire supérieure d’Ambazac, Camille et Yvonne étaient entrées et elles n’avaient pas encore 15 ans quand elles réussirent les épreuves du Brevet Supérieur… L’intelligence était au cœur de ces campagnes limousines pourtant considérées alors comme les plus reculées du pays de France. Ici, sur les hauteurs des collines de Saint-Pierre, au village des Cailloux Blancs, deux jeunes filles avaient grandi et surtout, avaient appris en quelques années l’essentiel d’une vie. Et maintenant ? À l’heure du Front populaire et bien malgré Jean Zay et Léon Blum, les filles de cultivateurs n’étaient pas destinées à aller bien plus loin. Il faudrait garder les moutons, traire les vaches, ramasser les javelles et lever les foins de la Prade. Il faudrait trouver un homme qui voudrait bien faire de vous sa femme…

    Seulement voilà, au village des Cailloux Blancs, Louis Baillot n’était pas seulement un paysan ; il était aussi un militant ! Il avait souffert dans les tranchées de Verdun, il avait pleuré quand il avait appris que la guerre lui avait enlevé son frère. Il avait tremblé… mais il s’était juré que la guerre ne recommencerait pas et il avait frissonné de plaisir quand, en 1917, Lénine avait signé la paix de Brest-Litovsk. Oui, il avait applaudi… Lénine avait dit : « Le pouvoir aux Soviets ! Et la Paix !... » Louis avait approuvé : la guerre ne règle rien, elle creuse les fossés et ensevelit les vivants. Elle ruine les peuples et cause des souffrances incommensurables. Louis Baillot avait hoché la tête et approuvé la révolution d’Octobre. L’espoir de la paix était au fond des cœurs et de tous les esprits sains engagés dans une guerre mondiale et inutile. Les prolétariats d’Europe s’entretuaient et le patronat sablait le champagne. Le carnage de Verdun, de la Somme, des Ardennes et de toutes les côtes qui mesuraient la ligne de front était une honte. Des frères se déchiraient au lieu de s’embrasser. Ils étaient ouvriers, paysans, instituteurs et même prêtres… Ils étaient armés de fusils et de baïonnettes, ils se transperçaient… pour rien. On avait exhorté les

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