Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Prospérité: Sorcières & Chasseurs, #4
Prospérité: Sorcières & Chasseurs, #4
Prospérité: Sorcières & Chasseurs, #4
Livre électronique558 pages8 heures

Prospérité: Sorcières & Chasseurs, #4

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Seule contre l'ordre établi. 

 

Le temps est compté. Leila et Arthur ne disposent que d'une seule arme contre l'Ordre des chasseurs, le grimoire Prospérité. Pour déchiffrer les secrets que l'ouvrage referme, Leila n'a pas le choix : elle doit faire évoluer sa magie avec l'aide d'Arthur. Mais la résistance de ce dernier s'émousse peu à peu, tandis que les anciens démons de Leila ressurgissent, plus sombres que jamais. 

 

Poursuivis par l'Ordre, ils sont contraints de traverser toute l'Europe pour solliciter la protection des praticiennes russes, les plus à même de faire face aux chasseurs. Mais seront-elles leurs alliées ? 

 

Lorsqu'enfin Prospérité dévoile ses secrets, il exige un impossible sacrifice. Les racines du mal plongent profondément dans le passé et bientôt, il n'y aura plus rien entre Leila et la terrible réalité de sa magie. 

 

L'avenir des sorcières et la survie du clan, le sort qui lie Leila à Satie, tout se joue dans ce dernier tome de la série.

LangueFrançais
Date de sortie14 nov. 2023
ISBN9782493641212
Prospérité: Sorcières & Chasseurs, #4

En savoir plus sur Charlotte Munich

Auteurs associés

Lié à Prospérité

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Prospérité

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Prospérité - Charlotte Munich

    Chapitre 1

    Le combi Peugeot s’arrête sur un parking. C’est joli ce coin, on n’est pas très loin du parc naturel régional des volcans d’Auvergne, on vient de passer le plateau de Millevaches. Bientôt, l’autoroute.

    Leila descend sur le macadam, fait quelques pas. Elle a la tête qui tourne. Elle doit retourner à la voiture pour s’appuyer contre la carrosserie.

    — Ça va aller ? s’inquiète Sara depuis le siège du conducteur.

    Leila regarde ses mains qui tremblent, la peau rougie de ses doigts.

    — Ça va, formule-t-elle d’une voix très lointaine à ses propres oreilles. Désolée. Il faut juste que j’aille me laver les mains, et on repart.

    Il y a des toilettes sur cette aire de parking le long de la nationale. Elle se dirige vers le lavabo, presse le bouton, puis agite sous le robinet glacial ses mains couvertes de sang. L’eau qui s’écoule vers la bonde est rose.

    Ensuite, tout en s’efforçant de respirer régulièrement, elle lave son petit couteau, celui dont elle vient de se servir. Avec des doigts tremblants mais une lenteur délibérée, elle rince la lame sous le jet d’eau froide, entre le pouce et l’index.

    Ça y est, elle est en première ligne. Plus personne pour faire le boulot à sa place. Plus de chasseur aux mains sales, plus aucun filtre entre elle et la réalité.

    Elle respire un grand coup. Elle s’essuie les mains sur son pantalon, avant de se rappeler qu’il est blanc. Elle inspecte ses jambes à l’affût d’une trace rose. Bah. Au point où elle en est.

    Le problème c’est surtout cette hémorragie de temps. Trois heures se sont écoulées depuis que Duncan leur a filé entre les doigts et qu’il a…

    Leila refoule le souvenir trop pénible et se met en route vers le combi où l’attendent les trois autres passagers. Les deux vivants, et le mort.

    Arthur vient à sa rencontre, l’air préoccupé.

    — Leila.

    Elle sourit, juste une vague contraction du bas du visage, c’est tout ce qu’elle peut offrir pour l’instant. Elle repousse avec soin tout ce que le meurtre à répétition soulève au fond de son être comme vase putride. Elle se sent déchoir dans le regard d’Arthur, et ne peut le tolérer.

    — Ne t’inquiète pas, répond-elle avec un deuxième sourire, un peu plus authentique, mais tout aussi épuisé. Je ne vais pas vous claquer entre les doigts.

    Il lui prend la main et elle le laisse faire, elle laisse la grande main d’Arthur réchauffer ses doigts mouillés et glacés, tout en se concentrant sur la voiture, la route, l’itinéraire. Même du fond de sa déprime, elle sent le fourmillement coloré et vivant qui est la manifestation de la magie d’Arthur courir sur sa peau, réchauffer ses muscles et partir à l’assaut de son cœur.

    — Je voudrais bien pouvoir t’aider, dit-il.

    Mais elle le lui a interdit.

    À l’arrière du combi, Sara a déjà réarrangé la bâche autour du corps de Conan. On aperçoit juste un pan maculé de sang de sa chemise ridicule de tissu Liberty fleuri dans tous les tons de bleu et de mauve. Les choix vestimentaires de ce type sont un vrai mystère que Leila ajoute mentalement à la longue liste de ses comportements aberrants. Si encore c’était le pire. Non, Conan, le mort, est une vraie saleté, un limier entraîné et altéré pour traquer et massacrer les sorcières comme elle. Elle peut parler de lui au présent, parce qu’elle ne connaît pas vraiment de moyen de le tuer tout à fait. Et s’ils le laissent émerger de son long sommeil, ils sont cuits. Il peut tous les anéantir d’un seul sort de sa magie noire et toxique. Du moins, il peut expédier Leila et Sara ad patres en une fraction de seconde. Ce n’est pas garanti qu’Arthur soit vulnérable à sa magie, et cette idée est presque encore plus terrifiante.

    Voilà l’autre réalité que Leila ne peut pas digérer. Arthur, l’homme qu’elle aime, et le type mort sous la bâche, le monstre qu’elle déteste et craint, ces deux-là participent de la même essence. Ils sont tous deux des chasseurs recrutés par l’Ordre – l’élite en matière de traqueurs de sorcières, dépositaires d’une magie létale et d’incroyables pouvoirs de régénération. Tous deux obéissent à Duncan Rattray, leur chef, dont la mission semble être d’exterminer Leila et son clan et de détruire ses grimoires. Duncan a obligé Arthur à rejoindre ses rangs et exige de lui qu’il tue Leila.

    Comment ont-ils pu, en quelques mois seulement, en arriver là ?

    Les choses se sont emballées depuis qu’à l’automne dernier Convoitise, le grimoire de magie noire de Leila, qui lui colle aux basques depuis l’adolescence, a commencé à manifester des comportements vraiment singuliers. Le livre semble déterminé, en générant des pouvoirs magiques chez des sorcières, des chasseurs et des civils sans la moindre magie, à créer ce qu’il nomme des « sourciers ». D’après l’expérience de Leila, qui officiellement n’est plus une sorcière mais une sourcière, cela revient à perdre tous ses pouvoirs et à remplacer sa charge magique grouillante par des émanations qu’elle ne comprend pas et dont elle ne parvient pas non plus à se servir.

    Arthur, qu’elle a entraîné dans cet engrenage, désigne par le terme « couleurs » cette nouvelle magie, même si du point de vue de Leila, les émotions forment une métaphore plus adaptée pour décrire ces manifestations. Ou bien peut-être est-ce parce qu’elle aime Arthur que la magie de celui-ci la met sens dessus dessous.

    Chacun se débrouille comme il peut avec ces phénomènes inédits. Arthur est le plus avancé, celui qui a le mieux exploré les « couleurs ». C’est de lui qu’elles émergent à la façon d’une source intarissable. Leila, de son côté, a du mal à les manipuler. Elle en est réduite à observer ces manifestations fascinantes, et à faire ce qu’elle peut pour suivre.

    Le seul problème, c’est que la résurgence de cette source semble avoir fait d’eux la cible à abattre pour l’Ordre, la secte secrète qui se cache derrière les chasseurs de sorcières. D’après les grimoires de Leila, l’Ordre a lancé sur l’ensemble des sourciers une malédiction qui a fait de la sorcellerie ce qu’elle est aujourd’hui… une drogue, un fardeau qui écrase les praticiennes et les oblige à se reproduire avec les chasseurs qui veulent les tuer.

    Et maintenant, ces mêmes livres la pressent de retrouver le chemin de sa magie, car la seule arme connue contre l’Ordre est un sort codé d’un vieux grimoire de famille, Prospérité, qu’elle ne pourra déchiffrer qu’en ayant fait évoluer son talent. Quoi que cela puisse bien vouloir dire.

    Tel est l’objectif de leur voyage : la succursale bancaire où Leila garde Prospérité. Elle veut arriver à Paris, à son coffre et à son grimoire, avant Duncan Rattray qui le convoite. D’où leur course folle.

    Ils sont handicapés dans leur progression par la nécessité de refroidir leur prisonnier toutes les deux heures, car, vivant, il est bien trop dangereux. Leila songe avec aigreur qu’il faudrait proposer ce système aux syndicats de chauffeurs routiers. On est assuré de faire sa pause régulièrement. Par contre, rien ne garantit que ce soit très bon pour les nerfs. Ce cadavre commence à se faire vraiment très encombrant et leur occasionnerait de gros ennuis avec la justice des humains ordinaires, s’ils étaient arrêtés et fouillés.

    Ce que le macchabée fait à l’arrière du combi ? Elle n’en est pas encore sûre elle-même. Il est tout à la fois une assurance, un trophée de guerre, un otage et un colis à haute valeur marchande.

    Leila a promis de le jeter aux pieds d’Oxana Frantsuzova, sorcière moscovite qui en sait long sur l’Ordre des chasseurs. Leila lui doit une faveur et Oxana veut un « homme-serpent » comme Conan pour mener des « expériences scientifiques ». En ce qui concerne Leila, Oxana peut bien le découper en fines rondelles.

    Sara, la quatrième passagère du combi, a refusé de prendre la route sans cet encombrant otage. Elle nourrit le projet douteux et périlleux de l’interroger. Elle ne le lâchera pas tant qu’elle n’aura pas retrouvé Félix Keller alias Satie, son ami d’enfance et le chasseur attitré de Leila.

    — Tu devrais me laisser le volant et te reposer un peu, offre Leila à Sara.

    Conan est parti pour une « sieste », c’est le moment d’en profiter.

    — Je n’ai pas vraiment sommeil, ment Sara à son tour.

    Leila hausse un sourcil tout en contemplant, inquiète, les cernes violacés de Sara.

    — Il va nous falloir des troupes fraîches à notre arrivée à Paris. Ça fait plus de vingt-quatre heures que tu n’as pas fermé l’œil.

    Elle entreprend de desserrer gentiment les doigts de Sara crispés sur le volant. Elle sait très bien pourquoi Sara ne veut pas dormir, bien qu’elle en éprouve le besoin manifeste. Ça a trait aux cauchemars qui envahissent son esprit et son corps dès qu’elle baisse sa garde. Des cauchemars qui évoquent des crises de possession démoniaque, tendance L’Exorciste.

    Leila ne sait toujours pas trop ce qu’elle doit penser du mal dont souffre Sara. Elle n’a jamais vraiment cru à l’existence de forces occultes et sûrement pas aux démons, incubes et autres êtres maléfiques censés surgir de l’au-delà. Elle est en mal de mots pour désigner un problème qui semble pourtant bien réel. Depuis qu’elle a été accidentellement maudite par Satie lorsqu’ils étaient tous deux adolescents, Sara rêve régulièrement d’une créature immatérielle qui se débrouille pour lui implanter dans l’utérus des embryons non identifiés à croissance ultra-rapide. C’est arrivé la nuit dernière, à la faveur d’une microsieste.

    Leila serait bien mal placée pour jouer les incrédules, vu qu’elle-même est censée avoir été conçue dans un songe. Mais heureusement, son père à elle est un sourcier, pas une abomination. Quant à sa mère…

    Elle écarte à nouveau cette pensée trop pénible et se concentre sur Sara.

    — Allez, Sara. On est là. Il fait jour. C’est le moment où jamais. Tu en as vraiment, vraiment besoin. Juste une demi-heure.

    — Je dors, si tu dors aussi, grogne Sara.

    Leila n’est pas plus enthousiasmée par cette perspective, mais ils n’ont guère le choix. Plus tôt ils trouveront le moyen d’organiser leur sommeil autour de leurs déplacements et du problème que représente Conan, plus ils auront de chances de s’en sortir.

    — C’est moi qui vais conduire, décide Arthur. Vous n’avez qu’à vous reposer à tour de rôle.

    — Ça vaut pour toi aussi, cette histoire de sieste, signale Leila.

    Ils ont des contraintes logistiques exotiques et ont tous d’excellentes raisons de ne pas vouloir s’assoupir, mais restent des êtres humains avec des besoins vitaux difficiles à ignorer.

    Finalement Arthur s’installe au volant et Leila prend place à l’avant avec lui, non sans avoir vérifié qu’elle peut surveiller Conan par un pan de la bâche. Alors que le combi démarre à peine, le portable de Leila se met à sonner.

    — Vous avez fait votre, hum, pause ? demande la voix gouailleuse et chantante d’Ebony Musset.

    La journaliste n’est pas censée être au courant des agissements criminels qui se déroulent dans le combi. Précaution élémentaire pour garantir contre d’éventuels problèmes avec la justice les journalistes qui se sont joints à leur convoi : Ebony Musset, spécialiste du surnaturel, et Cédric Sissi, le frère d’Arthur, qui est lui aussi journaliste indépendant. Ils les précèdent dans la Golf rouge tomate d’Ebony.

    Ils ont décidé d’accompagner Leila et Arthur dans leur périple, en partie parce que Cédric Sissi veut protéger son petit frère Arthur, et surtout parce que ce sont des journalistes : curieux au point d’en oublier leurs instincts vitaux.

    Leila n’est pas encore tout à fait sûre de ce qu’elle pense de ces poissons-pilotes. Elle n’est pas certaine de vouloir des témoins. Leur expédition est à la fois illégale, hautement dangereuse, et beaucoup trop improvisée. Et elle n’a plus l’appui de sa magie habituelle.

    — C’est fait, exhale-t-elle. On vient de repartir. Vous êtes où ?

    Cédric et Ebony ont pris un peu d’avance.

    — On s’arrêtera dans une station pour vous commander un café, propose cette dernière. On vous prendra un jerrican d’essence. Comme ça, vous pourrez éviter les aires les plus fréquentées.

    Leila jette un coup d’œil en direction de Conan, à l’arrière. Il ne devrait pas s’animer avant un moment. Bientôt, elle devra dénuder tout à fait son visage, scruter bien en face son corps détruit, afin de surveiller les signes de son retour à la vie. Bientôt, mais pas tout de suite.

    Sara a commencé à établir des statistiques – heures de réveil, mode d’exécution. Il y a encore trop peu de données pour conclure et Leila se demande avec une morne résignation combien de fois elles devront refroidir ce cave avant d’arriver à Paris. Elle est beaucoup trop fatiguée pour faire le calcul.

    Un léger ronflement derrière elle lui apprend que Sara s’est endormie, et ses yeux tombent sur l’arme qu’elle tient sur ses genoux. Si Conan se réveille, elle se promet de ne pas hésiter. Elle expire tout doucement et se détend un peu.

    — Tu tiens le coup ? demande Arthur.

    Elle hoche la tête.

    — Oui, ne t’inquiète pas pour moi.

    Il lui lance de temps en temps des regards en biais, ne quittant la route des yeux que le temps d’un battement de cils. Elle sourit. Avec la façon dont il respecte les limitations de vitesse, Duncan a deux cent cinquante fois le temps d’arriver à Paris avant même qu’ils ne franchissent la barrière du périph’.

    — Tu as une nouvelle couleur qui m’inquiète un peu, insiste-t-il.

    — Oh, ça va être comme ça maintenant ? relève-t-elle par provocation. La psychothérapie de cuisine au quotidien ?

    Elle plaisante mais ça ne l’arrange pas, qu’il détienne en cet instant la carte complète de ses états d’âme. Parce que ça ne doit pas être joli-joli.

    Mais Arthur fronce les sourcils.

    — Ne compte pas sur moi pour ça.

    — Je ne le recommande pas forcément, approuve-t-elle. Tu t’aventurerais dans un sacré bourbier.

    — J’adore ton bourbier, affirme-t-il avec conviction, et je suis plutôt du genre contemplatif, te concernant. C’est peut-être égoïste, mais je n’ai pas du tout envie de te changer.

    Elle sent son sourire s’étirer sur ses lèvres.

    — Cependant, poursuit-il, n’importe qui serait sur les rotules après avoir retrouvé puis perdu sa mère en l’espace d’une heure.

    Depuis qu’ils sont partis, elle lutte pour entraver le processus mental qui veut décompter tout ce qu’elle a perdu cette nuit. Toutes ces vies, toutes ces amies. Son homme, en sursis. Son avenir, vraiment hasardeux. Et sa mère, Yasmine.

    Elle est encore trop anesthésiée pour ressentir quoi que ce soit. Selon toute logique, elle devrait être en colère, triste au minimum. Mais elle agit surtout en pilote automatique. Buter le quatrième passager. Conduire. Échanger des informations logistiques avec l’autre voiture. Recommencer. Dès qu’elle se laisse aller, son esprit compte et recompte, comme la mère chatte de l’histoire, ses enfants perdus, son clan dispersé. Et c’est absurde, car elle n’a jamais vraiment eu de clan. Mais Yasmine, Satie, les « viragos », les femmes de cette improbable communauté qui les a hébergés quelques jours, cela fait trop de disparus, trop de vide autour d’elle. Elle commençait tout juste à s’habituer à leur présence.

    — Et toi ? N’importe qui serait à genoux aussi après avoir été agressé par l’Ordre, rétorque-t-elle pour changer de sujet.

    Arthur considère cette information.

    — Il faut croire qu’on n’est pas n’importe qui, conclut-il finalement.

    Et de toute façon, ça ne servirait à rien de ressortir tous ces traumatismes pour les réexaminer. Ils n’ont tout simplement pas le temps.

    — Il vaut mieux continuer avec les parties de nous-mêmes qui fonctionnent, profiter de ce qui va bien et oublier le reste, conseille-t-elle.

    — Je commence à mieux comprendre ta philosophie du marche ou crève, acquiesce-t-il, à la fois amusé et soucieux.

    Le silence entre eux est de courte durée, parce que : pas le temps.

    — Depuis tout à l’heure, j’imagine ce qui se serait passé si on avait pris l’autre option, admet-elle. Si l’on avait choisi la fuite, au lieu de partir à l’assaut de cette fichue malédiction.

    — J’y pense constamment, dit Arthur. Cette dimension parallèle, je la vois comme si j’y étais.

    Il triture les boutons de l’autoradio et les notes un peu trop sirupeuses d’une nouveauté électro-pop s’égrènent dans l’habitacle. La musique est peut-être médiocre, mais elle fait son effet en créant autour d’eux une merveilleuse atmosphère de normalité.

    — On a pris une série d’avions de plus en plus petits pour aller jusqu’à Irkoutsk, raconte-t-il, et maintenant, on est sur les rives du lac Baïkal. Je t’ai emmenée là-bas parce que c’était les vacances que je préparais avec ferveur quand on s’est rencontrés. Un grand périple sac au dos autour du lac Baïkal.

    — Plus bobo, tu meurs, rit-elle. Et sac au dos ? Je suis adepte de ce genre de trucs, maintenant ?

    — Oui, depuis que je t’ai offert des bonnes chaussures et que tu as découvert les joies du bivouac. Je te réchauffe quand tu en as besoin. Pour rien au monde tu ne retournerais dans un des palaces croates ou vénitiens ou cubains que tu fréquentes ordinairement pour tes vacances.

    Elle sourit. Elle n’a pas de doute là-dessus.

    — Hmmm. Et moi qui pensais qu’on irait voir la forêt amazonienne ?

    — Pas tout de suite, explique Arthur. Tout le monde nous cherche là-bas. J’ai des plans asiatiques pour commencer.

    — Oh, des plans.

    — Ouaip. On va brouiller les pistes. On va se fabriquer des légendes qui mettront tous nos poursuivants en déroute.

    Elle penche la tête de côté, croise brièvement son regard.

    — On n’a pas abandonné la magie ?

    Il fait non de la tête.

    — On ne peut pas t’aimer sans aimer la magie, Leila. Mais on s’est délestés du climat européen qui était devenu étouffant. On a laissé Verdureau et Rattray s’entretuer et on a filé à l’anglaise, à l’abri de notre cercle. Vus de loin, comme ça, c’est fou ce qu’ils ont l’air minuscules.

    Leur grimoire Harmonie leur avait enjoint de « refermer le cercle » autour d’eux – de lancer un sort de protection magique supposé les sauver de tous les prédateurs qui s’intéressaient d’un peu trop près à leur magie. C’était probablement un leurre. Et quoi qu’il en soit, ce « cercle » miraculeux est hors de leur portée à présent. Harmonie, à demi calciné, gît aux pieds de Leila dans sa besace. Ce n’est certainement pas lui qui va les aider.

    Arthur a-t-il senti le changement d’humeur soudain de sa copilote ? Il redouble d’efforts pour tisser son rêve autour d’elle.

    — La journée, on marche. Les paysages sont époustouflants et il ne fait pas trop chaud. Tu râles bien un peu, mais c’est de la musique à mes oreilles. Par ailleurs, je ne suis pas dupe. Plus ces vacances se prolongent, plus tu t’épanouis. Je t’ai déjà dit que tu produisais des couleurs inédites ces derniers temps. Ce n’est rien à côté de ce que tu synthétises depuis le fond de la Sibérie. Il n’y a plus de mots du tout pour exprimer ta beauté. Toi, tu regardes le paysage, et moi, c’est toi que j’admire à la dérobée.

    — Baratineur.

    — La nuit, poursuit-il sans se démonter, on se retrouve sous la tente, et c’est plus luxueux qu’un palace. Aucun artiste, si talentueux soit-il, ne pourrait restituer la sophistication de nos nuits.

    Elle ne sourit plus. Toute son énergie est partie dans son corps astral, qui batifole sous la tente avec Arthur Sissi.

    — J’aime quand tu rattrapes le temps perdu.

    — À ton service.

    Leur bulle est encore là et peu importe s’ils vivent leur vraie vie dans une réalité parallèle à des milliers de kilomètres d’ici, à Pétaouchnok-les-Bains avec des chaussures qui leur collent des ampoules aux pieds. C’est le plus pur des bonheurs, même s’il est virtuel et hors de portée, il est quand même à eux.

    Et elle s’en voudrait de jouer les rabat-joie.

    Par chance, c’est lui qui s’en charge.

    — Encore un quart d’heure et on réveille Sara, propose-t-il. Mais avant ça, il faut que je te parle d’un truc.

    Elle le dévisage en biais à travers ses cils. Il lui a passé la pommade, maintenant il va en venir aux faits.

    — Au sujet de Prospérité, dit-il.

    Elle exhale doucement. Ils n’ont pas encore eu le loisir d’examiner en détail une ultime complication. Tout à l’heure, ce matin, dans une tentative désespérée pour préserver Arthur de l’influence de Duncan et de l’Ordre, elle a eu cette idée brillamment stupide. Elle l’a senti glisser sur la mauvaise pente et pour le retenir auprès d’elle, elle lui a fait don de son grimoire de famille, Prospérité. Oui, Prospérité, précisément, le grimoire codé qui doit leur indiquer la marche à suivre pour détruire l’Ordre et sa malédiction. Elle a dévoilé à l’ennemi son arme la plus précieuse. Ça a fonctionné, elle a atteint son objectif : elle a réussi à retenir Arthur, à le sauver provisoirement de l’emprise de l’Ordre. Mais en lui donnant officiellement Prospérité, elle a fait un pari dangereux. Maintenant, Duncan Rattray en sait beaucoup trop long sur leur stratégie. Lui aussi, il veut s’emparer du grimoire. Il est peut-être même déjà à Paris à l’heure qu’il est.

    — Ne me laisse pas toucher à Prospérité, dit Arthur. Sous aucun prétexte. Compris ?

    Elle ouvre la bouche pour protester. S’il rejette son cadeau à ce stade, il va mettre en péril l’acte magique étrange qu’elle a réussi quand elle lui a offert le grimoire. Il n’y aura plus rien entre lui et l’Ordre.

    La vérité, c’est qu’elle ne sait pas du tout comment elle peut aider Arthur à résister aux sirènes de l’Ordre. Les seules informations utiles qu’elle ait pu collecter à ce sujet pour l’instant, c’est qu’elle ne doit en aucun cas le laisser tuer ou être tué. Un flirt avec la mort, apparemment, est tout ce qui lui manque pour devenir un homme-serpent comme Conan – :yeux rouges, odeur de musc et tout le toutim.

    — Je sais bien que Prospérité est à moi, et je ne le renie pas, ajoute Arthur en haussant un peu la voix, empêchant qu’elle l’interrompe. Et je te demande d’agir pour mon compte quand je te le confie. C’est toi qui vas le lire. Je préfère ne pas savoir. C’est trop dangereux. Il faudra que tu t’occupes sans moi des préparatifs pour ce sort. Essaye de m’en cacher le plus possible.

    Leila pince les lèvres. Elle n’a pas envie de tenir Arthur dans le noir. Ils ont suffisamment souffert par le passé à cause de malentendus sur des questions de magie.

    — Tu penses vraiment que Duncan pourrait se servir de son lien avec toi pour nous espionner ? s’inquiète-t-elle.

    Imaginer le chef des chasseurs en train de trifouiller dans le cerveau d’Arthur lui donne la nausée.

    — Je n’en suis pas certain, mais il vaut mieux éviter de prendre le risque.

    La mort dans l’âme, elle accepte, avec l’impression de perdre du terrain. Ils ont à peine formé leur équipe que déjà elle se dissout. Et c’est fichu d’avance, n’est-ce pas ? Elle le sait très bien. Mais ça ne va pas l’empêcher de se battre.

    Quelques heures de route, et ils pourront descendre au coffre cet après-midi même. Elle va consulter Prospérité, décoder le message caché, et en tirer la liste des ingrédients requis pour le sort qui va tout arranger. La malédiction lancée contre les sourciers par l’Ordre des chasseurs n’en a plus pour longtemps à importuner Leila et ses semblables. Idéalement, quand Leila l’anéantira, l’Ordre implosera à sa suite, Duncan Rattray partira en confettis et avec lui, tous leurs problèmes. Arthur sera sauvé de ce cauchemar, libre de faire sa vie avec Leila, sans fil à la patte, sans accointances troubles avec une magie prédatrice. Et ils couleront des jours heureux jusqu’à un âge indécemment avancé. Pourquoi pas au bord du lac Baïkal.

    Voilà. En tout cas c’est le plan, et pour l’instant, tant qu’Arthur est là à côté d’elle, tant qu’elle n’a pas tenu Prospérité entre ses mains, Leila refuse de considérer tout ce que sa stratégie peut encore contenir de trous béants.

    Chapitre 2

    Le soleil se lève sur Belleville. La rue fourmille d’activité. Il y a beaucoup de gens assis dans la rue, entre les étalages et les voitures. Ils ne sont pas très propres ni très bien habillés, mais ils ont tous un sourire aux lèvres.

    Dita sort de la boulangerie en mordant dans un croissant trois ou quatre fois plus gros que la moyenne. Leila sourit. Seule Dita pouvait ainsi fantasmer sur des viennoiseries géantes. Et elle seule accorde autant d’importance aux laissés-pour-compte de la rue, elle qui a aussi dormi dans le métro parisien.

    Ceci est le rêve de Dita. C’était au tour de Leila de fermer l’œil pendant que Sara surveille Conan et qu’Arthur conduit. Dita en a profité pour lui rendre visite.

    La gamine a l’air soulagée de voir Leila. Elle porte une de ces robes blanches qui constituent son uniforme dans les songes et dans la vie. Mais elle n’a plus vraiment l’air d’une petite fille modèle. Ses joues sont maculées de crasse noire, ses cheveux dénoués sont emmêlés, un peu comme aux heures sombres de sa vie de petite clocharde. Leila l’accueille dans ses bras quand même et respire avec délectation son parfum d’océan, de grand soleil et de… petit rat d’égout.

    — J’étais inquiète, soupire Dita en enfouissant sa tête dans le cou de Leila.

    — Il ne faut pas, dit celle-ci en caressant le petit dos maigre et musclé de la fillette. Je vais bien, Arthur va bien. Sara aussi, plus ou moins.

    — Je viens de parler à Félix, dit la gamine d’un air sombre.

    Dita était censée couper les ponts avec Satie.

    — Dans un rêve ? vérifie Leila.

    La fillette hoche la tête.

    — Tu devrais faire attention, Dita. Duncan lui a demandé de te localiser. Il pourrait l’obliger à te trouver. Duncan n’est pas quelqu’un de bien. Tu serais en danger de mort.

    Comment faire comprendre à la petite l’urgence de la situation ? Leila n’a pas vu Satie depuis le matin, quand il est parti à la recherche de Sara, mais elle est pratiquement certaine que Duncan n’a pas attendu pour l’appeler sous ses drapeaux. Elle pense qu’il avait déjà lancé sur le chasseur son sort de recrutement dans l’Ordre, et qu’il n’avait plus qu’à l’invoquer. Il l’a sûrement fait à l’heure qu’il est : Satie en liberté ne lui servait plus à rien. Et il a toujours eu cette habitude déplorable de toujours vous glisser entre les mains. Leila en sait quelque chose. Satie est, ou était, son familier. Bien malin qui parviendra à le faire obéir : il a pris grand soin d’accumuler toutes sortes de pactes magiques avec les uns et les autres afin d’échapper à l’influence d’un seul maître. En plus d’être pour Leila un familier très inutile, il a conclu avec elle un accord aux contours plutôt fumeux. Sa loyauté, cependant, va tout entière à son amie Sara, pour laquelle il semble éprouver un cocktail complexe de culpabilité, d’affection, de dégoût et d’admiration. Et il a aussi l’air bien décidé à ne jamais prendre un enfant pour cible, ce qui lui a permis jusqu’ici de protéger Dita.

    Toutes ces contraintes et allégeances limitent l’emprise que Duncan a acquise sur lui. C’est en tout cas l’idée à laquelle Leila s’accroche. Car si Duncan Rattray parvient à soumettre Satie à sa loi, les choses se corseront vraiment pour elle. Satie est capable de la retrouver virtuellement n’importe où sur la planète.

    — Je sais que c’est dangereux, concède Dita. Mais je suis quand même contente d’avoir pu le voir. Il ne va pas bien. Il est tout seul et il a peur.

    — Mais il va tenir le coup ?

    — Il dit que tout est en place et qu’il résistera le plus longtemps possible. Il te fait dire de bien t’occuper de Sara. Et il ne veut pas que Sara parte à sa recherche. C’est trop risqué, et surtout, elle ne doit pas voir ce qu’il est devenu.

    Leila pince les lèvres. La voilà, sa confirmation. Satie est perdu pour son camp.

    — Tu as essayé de lui dire un petit mot ? demande-t-elle.

    Il lui reste toujours l’espoir que Dita pourrait aider le chasseur à rester imperméable aux ordres de Duncan. Ce serait une bonne nouvelle, y compris pour Arthur, une sécurité supplémentaire.

    Mais Dita a une moue d’excuse.

    — Désolée, ça n’a pas pris. Je pourrais forcer, mais il faudrait un mot vraiment gros et…

    Leila tente de se représenter le prix d’un tel sort et grimace.

    — Non, dit-elle précipitamment, ne le fais pas.

    Plus Dita utilise son talent, plus sa personnalité s’altère. Il y a toujours un risque qu’elle finisse comme sa mère, l’insupportable Cassandra, qui a perdu de vue depuis longtemps l’empathie la plus élémentaire. Toutes les magies patinent ceux qui les pratiquent, jusqu’à les dépouiller de toute trace d’humanité, mais certaines sont plus radicales que d’autres.

    — Est-ce que tu voudrais voir Félix ? demande Dita. Ça lui ferait peut-être du bien ?

    — Non, merci, sans façon.

    Leila ne sait pas comment le chasseur réagirait à sa présence, maintenant que l’influence rassérénante de Dita n’opère plus sur lui. Elle n’a pas du tout envie de tomber nez à nez avec un homme de l’Ordre en pleine transe assassine. Ni dans la réalité ni en rêve. Très peu pour elle.

    — Tu sais où il est ?

    — Ils étaient en chemin vers Paris. Il a parlé d’un hélicoptère.

    L’estomac de Leila se tord. Un hélicoptère ? Avec ce genre de moyens, Duncan est sûrement déjà arrivé à Paris. Il a peut-être même déjà Prospérité entre les mains.

    — C’était très courageux de ta part d’aller prendre de ses nouvelles, Dita, mais maintenant, il va falloir prendre soin de toi.

    Dita se renfrogne.

    — Il y a autre chose. C’est Olympe.

    L’amie de Dita ne porte pas Leila dans son cœur et c’est assez réciproque. Leila n’a jamais compris l’affection que Dita voue à l’adolescente.

    — Je voudrais que tu lui parles, explique Dita. Moi, je n’y arrive plus.

    Leila secoue la tête.

    — Je ne crois pas qu’Olympe ait envie de m’entendre.

    En l’espace d’un mois, Olympe a été agressée deux fois, son petit ami s’est jeté d’une falaise et la mère adoptive qu’elle s’était trouvée s’est avérée être une sorcière de magie blanche de la variété veuve noire. Par-dessus le marché, Convoitise a fait don à Olympe d’un talent dangereux et angoissant. En s’introduisant dans les rêves de son entourage, elle est capable de vous faire fondre la cervelle à distance. Ça fait beaucoup pour une seule ado perturbée. Et le lien entre l’arrivée de Leila dans son village et le début de tous ses problèmes ne lui a pas échappé.

    — Elle a besoin de parler à un adulte, insiste Dita. Moi, je n’ai que sept ans. Si elle ne le veut pas m’écouter, elle ne m’écoutera pas.

    Dita a pris la décision admirable de ne pas abuser de sa magie en ce qui concerne Olympe, mais cette stratégie a ses limites.

    — S’il te plaît, prie la petite. Parle-lui. Je serai là aussi. Au cas où elle s’énerve.

    Quand Olympe s’énerve, tout flambe autour d’elle.

    Leila soupire et finit par céder.

    — D’accord. Mais je risque de ne pas beaucoup dormir au cours des prochains jours. Ça va être compliqué de se recroiser.

    — Ce n’est pas grave, dit la petite. On attendra notre tour.

    Ce poids en moins sur la conscience, l’enfant semble enfin se rappeler l’existence de son croissant épique. Elle trifouille dans le sac en papier avec des mains repoussantes de crasse, et mord à belles dents dans la viennoiserie.

    Leila se réveille en sursaut. Unité de temps et de lieu :

    Un combi Peugeot.

    La route.

    La même journée, toujours cette saloperie de journée interminable, noire comme l’encre de Chine, entrecoupée de rares éclairs de lumière.

    — Tu as parlé dans ton sommeil, informe Sara.

    Affalée sur le siège arrière, ses yeux bleus d’ordinaire pétillants cernés et profondément enfoncés dans leurs orbites, elle est occupée à nettoyer le couteau de Leila avec une lingette pour bébé.

    — Déjà ? s’inquiète Leila.

    — On t’a laissée dormir un peu plus longtemps que prévu.

    — Ah oui ? Où est-ce qu’on est ?

    — Entre Montluçon et Bourges, sur l’A71.

    Il reste trois heures de route environ. Leila se redresse, envahie par un sentiment d’urgence et de désespoir. Ils se traînent sur la route et Duncan se déplace en hélicoptère. La lutte est si inégale.

    Sara lui tend sans un mot la feuille de papier sur laquelle elles notent les heures de réveil/de mort du quatrième passager. Leila vérifie l’heure à l’horloge du tableau de bord. La dernière ligne date d’il y a cinq minutes. Il est onze heures trente. Elle a dormi une heure.

    — Vous auriez dû me réveiller plus tôt, râle Leila. Arthur, tu as besoin de te reposer aussi.

    Arthur bâille au volant.

    — Oui. Je viens de téléphoner à Cédric. Ils nous attendent dans cinq kilomètres avec un jerrican d’essence. Il dit que l’aire est calme, mais je suggère quand même que vous planquiez notre gros colis un peu mieux que ça.

    Sara se coule entre les sièges, jusqu’au cadavre de Conan qu’elle borde dans sa bâche plastique, comme la maman invertie et dangereuse qu’elle est.

    Leila, de son côté, appelle sa banque.

    — Agence Paris Saint-Ambroise, bonjour, que puis-je faire pour vous ?

    Leila prend instinctivement sa fidèle voix ensoleillée d’esthéticienne à domicile et réussit à entrer en communication avec son nouveau conseiller de clientèle.

    — Pacifica me harcèle à cause de votre appartement, signale celui-ci. Il faut vraiment que vous fassiez le constat, sinon, vous n’allez pas être couverte.

    L’appartement de Leila est parti en flammes à cause d’Olympe il y a quelques jours. Leila rassure le banquier, oui, oui, bien sûr, elle s’occupera des papiers, elle est juste un peu en retard, elle a du mal à retrouver ses petits après avoir tout perdu dans l’incendie…

    — J’ai des raisons de penser que mon ex-mari va tenter de s’emparer de ma bague de fiançailles qui est dans mon coffre chez vous, explique-t-elle.

    Duncan – « mon ex-mari » – Bwahahahaha.

    — Tranquillisez-vous, madame Dahmani, rassure le banquier, nos coffres sont sécurisés. Mais vous avez bien fait de nous prévenir.

    Elle insiste.

    — Il se pourrait qu’il ait la clef, qu’il se montre violent, ou très persuasif. Faites bien attention à vous.

    Mais bien entendu, le personnel de l’agence bancaire n’est pas formé à la magie noire, encore moins à celle de l’Ordre, et ne peut pas comprendre ce qui les menace réellement. Leila raccroche, frustrée.

    Sara revient s’asseoir.

    — Leila.

    — Hmm ?

    Leila se demande si elle pourrait joindre Birgit, sa voisine. Birgit pourrait poster un chat devant l’agence, pour qu’il fasse la surveillance. Les chats de Birgit sont anormalement intelligents. Mais Leila a perdu le contact avec elle depuis que leur immeuble a brûlé.

    Sara lui touche l’épaule.

    — Leila, dans ton sommeil, tu as parlé de Félix.

    Leila exhale doucement, pas vraiment sûre de savoir comment elle doit relayer ce qu’elle vient d’apprendre.

    — Qu’est-ce qui s’est passé ? demande Sara. Tu l’as vu ?

    — Non.

    Évidemment, après une réponse aussi monosyllabique, Sara insiste.

    — Qu’est-ce que tu me caches ? Parle.

    Leila se tortille dans son siège.

    — Rien. J’ai vu Dita, et elle se fait du souci pour, euh, Félix. Mais je lui ai dit de ne plus s’approcher de lui.

    — Mais pourquoi ?

    — Parce que ses petits mots ont cessé de faire effet et que c’est dangereux pour elle.

    Sara n’est pas d’accord.

    — C’est faux et tu le sais très bien. Félix ne toucherait jamais à un cheveu de la gamine. Après tout ce qu’elle a fait pour lui !

    — Mais peut-être qu’il n’aura pas le choix, proteste doucement Leila. Peut-être qu’il va craquer. On ne peut pas le savoir !

    — Il ne craquera pas, dit Sara d’une voix d’airain, froide et nette. Il n’a jamais craqué.

    Comment faire entendre à Sara que tout a changé et qu’elle ne reverra pas Satie, que leurs routes se séparent maintenant ? Qu’il s’était même probablement trompé de chemin en essayant d’aller la délivrer des enfers ?

    Leila comprend la requête du chasseur mais se demande comment elle va faire pour empêcher Sara de lancer une opération désespérée pour le sauver. Elle a promis de protéger Sara et ne peut pas, à ce stade, se payer le luxe d’une autre quête impossible.

    Elle opte pour la transparence.

    — Il ne veut pas que tu ailles le chercher, dit-elle à Sara. Sa priorité est de te mettre à l’abri du danger, tu ne dois pas tenter de le retrouver.

    Sara éclate d’un rire amer, montre le siège avant.

    — Satie est dans la même situation qu’Arthur et on n’a pas abandonné Arthur. Comment peux-tu me demander de faire une chose pareille ?

    — Ce n’est pas moi qui te le demande, rétorque froidement Leila. C’est Félix.

    — Je veux savoir ce qui lui est arrivé, répond Sara, les mâchoires contractées. Je veux le voir. Si tu ne veux pas que Dita m’organise une entrevue avec lui, tu peux peut-être solliciter Titus.

    Leila sent ses épaules se raidir.

    — Ce n’est pas une bonne idée, refuse-t-elle. Et Titus est dangereux aussi. Il obéit à Duncan neuf fois sur dix. Il me l’a avoué lui-même.

    Par ailleurs, Titus voudra parler de Yasmine et Leila fera tout pour l’éviter.

    La voiture s’engage sur la bretelle de sortie vers l’aire de repos tandis que Sara proteste avec véhémence :

    — Leila, on est cernés de toute façon. Rien que dans cette voiture, il y a déjà deux membres de l’Ordre, que ça te plaise ou non.

    Arthur ne répond pas, mais les muscles saillent dans sa nuque qui s’est raidie sous l’insulte. Leila se tend immédiatement et bondit à sa rescousse.

    — Sara, comment peux-tu dire une chose pareille ? s’exclame-t-elle en se retournant complètement dans son siège pour faire face à l’autre femme.

    — Elle a raison, intervient Arthur.

    — Non, s’offusque Leila pour lui, je refuse cette association hâtive. Tu n’es pas un membre de l’Ordre, et si j’ai mon mot à dire, ça ne sera jamais le cas !

    — Je ne vois pas en quoi c’est différent pour Félix, fulmine Sara.

    Leila ouvre la bouche pour préciser que c’est la comparaison avec Conan qui l’a peinée avant tout, mais se ravise, car la voiture s’est arrêtée sur le parking sous les arbres, près de la Golf rouge tomate. Une Ebony pleine d’énergie les attend avec un jerrycan d’essence. La conversation va devoir en rester là.

    Chapitre 3

    Dès que le combi s’est arrêté, Ebony s’est approchée avec son jerrican et un tuyau pour transvaser le carburant.

    — N’oublie pas de faire contact avec le réservoir, rappelle Cédric qui arrive à son tour. Tu as éteint ton portable ?

    Ebony se rebiffe.

    — Ben oui, tu me prends pour qui ? Tu crois que c’est la première fois que je bidouille un plein, Mister super-héros reporter de guerre ?

    Leila sourit et Arthur s’approche de son frère pour ce genre de conciliabules dont les Sissi semblent être de grands spécialistes.

    Sara s’intéresse aux manipulations d’Ebony et la journaliste en profite pour poser des questions.

    — Comment va le macchabée ? Quelles sont les nouvelles ?

    — Tu es sûre que tu as envie de savoir ? vérifie Sara.

    — Non, intervient Leila, non, elle n’a pas du tout envie de savoir. Moins elle en sait, mieux c’est pour elle.

    Ebony éclate de rire.

    — Toi, tu sais parler aux journalistes. Non, sérieusement, racontez-moi une histoire, n’importe quoi. Si vous ne me nourrissez pas, je vais me remettre à discuter avec l’autre là-bas et il n’en sortira rien de bon.

    « L’autre là-bas », Cédric, s’est rembruni et converse à voix basse avec Arthur, les sourcils froncés.

    — Pourquoi ? demande malicieusement Sara. Vous ne vous entendez pas bien, tous les deux ?

    — On coopère merveilleusement bien, explique Ebony, et il me rend chèvre. Je peux voyager avec vous ?

    — Pas question, répond Leila.

    — S’il te plaît ?

    — Mais si tu veux, je peux te passer de la lecture.

    Leila sort le petit livre vert de Vagner Lefèvre de sa besace.

    Il y a quelques jours, elle est allée avec Arthur et Satie montrer Harmonie quasi détruit à ce libraire auvergnat spécialiste des grimoires. Ce qu’ils savent des malédictions, ils le tiennent en grande partie de Vagner. Il leur a expliqué que les livres de Leila utilisaient ces sorts hautement tabous pour se régénérer. Ils auraient ainsi accumulé la charge qui leur a permis de traverser les siècles et de prendre autant d’initiatives. Les malédictions font office de batteries magiques. Elles piquent l’énergie de leurs victimes et la détournent au profit d’un livre ou d’une personne. Sara a fait les frais de ce mécanisme : être maudite par Harmonie l’a laissée… magiquement immunodéprimée, et vulnérable aux attaques occultes.

    Vagner Lefèvre est le seul à les avoir aidés sans rien demander en échange que des nouvelles, et Leila en est encore toute déconcertée. Dans leur monde, d’ordinaire, rien n’est jamais gratuit.

    Le seul problème, c’est qu’elle n’arrive pas à comprendre ce que Vagner a voulu leur dire en leur prêtant ce petit livre vert. Elle l’a lu sans grand enthousiasme, et sans parvenir à s’intéresser à cet essai d’historien un peu obscur. Peut-être est-il temps de mettre à contribution le talent d’Ebony pour flairer les actualités scandaleuses ayant trait au surnaturel.

    Même si dans le cas présent, il s’agit d’actualités qui datent un peu.

    — Tiens, dit Leila en tendant le fin volume à Ebony. C’est un bouquin d’histoire. Ça parle de la cour d’un roi de Hongrie au quinzième siècle. Mathias Corvin. C’était un grand mécène, connu de tout le Who’s Who artistique et philosophique de l’époque, et il avait amassé une incroyable bibliothèque qui a ensuite mystérieusement disparu.

    — Quel est le rapport avec la choucroute ? s’enquiert Ebony, pratique.

    — C’est ce que j’aimerais bien savoir.

    Ebony fait la moue, mais empoche le livre.

    — Je vais y jeter un coup d’œil.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1