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Le Match du Vendredi saint
Le Match du Vendredi saint
Le Match du Vendredi saint
Livre électronique513 pages6 heures

Le Match du Vendredi saint

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À propos de ce livre électronique

« Le match du Vendredi saint a été l’une des parties de hockey les plus violentes jamais disputées dans la LNH. Des centaines de minutes de pénalité, deux batailles générales et même deux frères qui se sont tapés dessus ! Un des joueurs a pratiquement perdu un œil, calvaire ! Disons-le simplement, tous les coups étaient permis ! »

Ce roman n’a rien à voir avec ça. Ou presque.

 

Le matin du Vendredi saint, cinq détenus du Québec quittent leur cellule à tout jamais. Confiés à une organisation obscure, ils sont invités à participer à un «jeu de la seconde chance». Les règles en sont simples: avec peu de ressources, dans un quadrilatère précis de Montréal, ils doivent éliminer les quatre autres concurrents. Le grand prix: une belle somme d’argent, une nouvelle identité et un billet d’avion aller seulement pour la destination de son choix.

Directement d’un somptueux manoir de Magog, les organisateurs de cet événement suivent la compétition à distance. Parmi eux: le premier ministre du Québec, le propriétaire du Canadien de Montréal, le ministre de la Justice, les chefs de la SQ et du SPVM, les parrains des mafias italienne et russe, le boss de la GRC. Dans le contexte de cette «course de Pâques», les paris, les alliances, la soif de vengeance et la débauche volent littéralement la vedette aux petits cocos en chocolat.

La vingtième édition de cette étrange compétition réserve toutefois des surprises. L’un des invités n’est pas celui qu’il prétend être. Et l’un des concurrents, non plus…
LangueFrançais
Date de sortie19 avr. 2023
ISBN9782898275173
Le Match du Vendredi saint
Auteur

David Snow

David Snow a passé l’essentiel de son enfance enfermé dans une bibliothèque du West Island, où ses parents l’envoyaient réfléchir sur son comportement. À défaut d’y découvrir une sagesse ou une maturité qui ne viendront jamais, il y a développé un amour profond du thriller et du roman noir. Il n’a jamais cessé de faire des mauvais coups, et considère ce roman comme le meilleur d’entre eux.

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    Aperçu du livre

    Le Match du Vendredi saint - David Snow

    Prologue

    — À l’accusation de meurtre au premier degré, nous déclarons l’accusé non coupable, votre Honneur.

    Alors que la foule, qui se massait jusqu’à l’extérieur de la salle, laissait éclater son mécontentement, le juge Poirier porta un regard dégoûté sur le jury, dont aucun membre n’osait le regarder en face. Le magistrat fulminait intérieurement, et le cachait difficilement. Trois semaines de ce cirque médiatique pour en arriver là ?

    Le juge eut envie d’envoyer son maillet voler en direction des jurés. Bande de navets ! Comment ces douze idiots auraient-ils pu représenter la Justice dans tout ce qu’elle avait de majestueux, alors qu’ils avaient du mal à attacher leurs lacets ?

    La cause était gagnée d’avance, clef en main ! Ils avaient les témoins, l’arme du crime et le motif ! Ce verdict leur avait été servi sur un plateau ! Poirier ressentait l’urgence de se lever de son banc pour aller secouer ses jurés comme des cocotiers. Même si le procureur avait travaillé comme un manche, c’était au juge de porter, entre les branches, la responsabilité d’un échec. L’Histoire se souviendrait de lui comme du magistrat ayant laissé filer Tommaso Morritone ! Et à deux semaines de sa retraite, par-dessus le marché !

    Vu le temps qu’avaient mis les forces de l’ordre à réunir assez de preuves pour faire tomber le Parrain de la mafia italienne de Montréal, Poirier prenait comme une affront de le voir s’en tirer à si bon compte. Le vieux juriste, qui avait trouvé la preuve de l’accusation sans faille, n’en croyait pas ses oreilles. Il prit note, en grinçant des dents, de demander une enquête officieuse du côté des comptes bancaires de ces douze honnêtes citoyens.

    À la table de la défense, Andrew Lloyd demeurait impassible. L’avocat d’une quarantaine d’années, qui s’était chargé seul de la défense du caïd, ne s’accorda même pas un sourire. Il pivota pour faire face aux jurés et s’inclina sobrement. Tout au long du procès, Poirier n’avait pu se défaire de l’impression qu’il avait déjà vu Lloyd, mais les recherches de son clerc avaient prouvé qu’il n’avait jamais plaidé devant lui. Le juge, bien que fort contrarié, admira la retenue de l’avocat. Son client, toutefois, c’était autre chose…

    Tommaso Morritone, suspecté depuis plus de vingt ans d’être à la tête de la mafia italienne de Montréal, distribuait des claques dans le dos de ses supporteurs du premier rang. L’Italien, qui avait pris la suite de son père au jour de son quarante-cinquième anniversaire, n’en revenait toujours pas du verdict. Malgré son assurance, il était persuadé, encore cinq minutes plus tôt, de finir ses jours en prison.

    À la prison de Bordeaux, il avait bénéficié d’un train de vie sans commune mesure avec le détenu moyen, après avoir soudoyé la plupart des gardes, mais le Parrain ne s’était pas pour autant attaché à l’endroit. Il y avait été bien accueilli par une douzaine de ses propres hommes, et avait dû prendre, depuis février, trois mois de vacances forcées aux frais de la Reine, même s’il dirigeait toujours son organisation du fond de sa cellule. Il n’avait toutefois jamais douté un seul instant de son retour au pénitencier, le soir même.

    Il aurait mérité de finir sa vie derrière les barreaux et le savait parfaitement. Pas pour avoir buté ce caïd miteux, mais pour avoir fait preuve d’autant de stupidité. Tout ça pour un différend d’à peine cinquante mille dollars ! Lorsque son vis-à-vis avait sorti une arme, alors que ses hommes étaient encore à l’extérieur, Morritone l’avait abattu comme un chien, au milieu de son bar minable. Malheureusement, deux policiers en mal de sensation, qui passaient devant le bar, s’étaient précipités à l’intérieur.

    Il avait alors pensé plaider la légitime défense, d’autant que c’était vrai, et s’était rendu aux policiers sans résistance, un geste qu’il avait amplement eu le temps de regretter. Il aurait dû descendre ces deux idiots sur-le-champ et détaler au plus vite.

    Morritone cessa un instant de claironner son triomphe, qui agaçait particulièrement la procureure de la Couronne, pour jeter un coup d’œil au gringalet qui assurait sa défense depuis des mois. Lorsque sa mère et son neveu lui avaient envoyé cet homme, une heure à peine après son arrestation, il n’avait pas compris. Il avait besoin d’un ténor du barreau et on lui dépêchait un type dont il n’avait jamais entendu parler !

    Échevelé et dégingandé, habillé d’un costume griffé, Andrew Lloyd rangeait tranquillement ses dossiers dans sa mallette. Il adressa un signe de tête au juge Poirier, qui le lui renvoya à contrecœur, et fit ensuite face au Parrain, qui l’observait sans s’en cacher. Andrew lui rendit son regard et hocha simplement la tête comme s’il s’était attendu tout du long à ce verdict. Il tendit la main à Tommaso Morritone, qui la serra avec effusion.

    Le Parrain détailla l’avocat qu’il n’aurait jamais engagé s’il ne s’était démarqué de la masse par un autre verdict retentissant, quelques mois plus tôt. Tommaso devait néanmoins admettre que son défenseur avait livré depuis une semaine une superbe performance et s’était montré sans merci face aux témoins de l’accusation. Il les avait complètement détruits après avoir épluché la vie de chacun avec attention. L’homme ne payait peut-être pas de mine, et semblait toujours épuisé, pensa le Parrain, mais il allait pourtant sortir libre de ce tribunal grâce à lui !

    — Je me suis arrangé avec l’huissier pour qu’on vous fasse sortir par une porte dérobée, donnant sur l’arrière du palais. Vous devriez avertir votre chauffeur.

    — Hors de question ! s’écria Morritone joyeusement. Je sors avec mes amis par la grande porte !

    L’avocat grimaça et baissa le ton.

    — J’éviterais, si j’étais vous… La procureure hésite, pour l’instant, à trouver la moindre faille dans ce procès pour pouvoir hurler au vice de procédures. Elles sont nombreuses, comme vous vous en doutez. Elle ne peut toutefois pas se permettre de perdre deux fois. Surtout avec le bruit qui court qu’elle briguerait le comté de Mercier pour le Parti libéral, aux prochaines élections. De vous voir faire le paon devant les caméras ne peut rien apporter de bon, en ce sens. Elle le verra comme une provocation, et c’est du quitte ou double… Soit elle perd et elle peut dire adieu à la politique dans l’immédiat, soit elle gagne et elle fera campagne là-dessus pendant des mois.

    — Je voudrais bien voir ça ! Je la ferais…

    Lloyd, qui n’en croyait pas ses oreilles, fit la première chose qui lui vint à l’esprit, avant que ce fou furieux ne prononce des menaces en plein tribunal, avec des centaines d’oreilles susceptibles de l’entendre : il lui balança discrètement un coup de pied.

    — Ouch ! Mais t’es con ou quoi ? Ah. Ouais…

    Lloyd entraîna son client à l’écart.

    — Je connais Diane Bastien. Je sais comment la manipuler. Je peux la convaincre de ne pas faire appel. En échange, vous financerez en sous-main sa campagne.

    Les yeux de Morritone, à l’évocation d’une garantie supplémentaire, s’illuminèrent comme la vitrine d’un grand magasin en plein mois de décembre.

    — Ah oui ? Et ça me coûterait combien, cette histoire ?

    — Deux ou trois millions.

    — Et puis quoi encore ?

    — Vous savez ce que vous avez fait. Vous êtes chanceux d’avoir le choix de la porte par laquelle on va sortir, aujourd’hui…

    Morritone en était conscient. Il hocha la tête lentement.

    — Je financerai sa campagne quand elle se présentera. Et j’aurai bien assez de saloperies sur elle d’ici là pour l’empêcher de gagner quand même.

    Le Parrain alla dire quelques mots à sa mère et à ses hommes, avant de suivre Andrew jusqu’à une petite porte qu’un huissier tenait ouverte. Un billet passa de l’avocat au petit homme rondouillard durant leur poignée de main, et celui-ci, au lieu de les accompagner comme il aurait dû le faire, se contenta de refermer la porte derrière eux.

    En arrivant à la sortie, alors qu’ils étaient seuls, les deux hommes se firent face.

    — Rendez-vous service, à l’avenir, Monsieur Morritone… Envoyez vos employés faire le travail.

    — Mais je suis innocent, voyons ! Vous n’avez pas suivi le procès ?

    — Vous étiez surtout bien défendu, dit Lloyd froidement.

    — Comment avez-vous réussi un truc pareil ?

    — Tout le mérite en revient à votre réputation. Ils ont été soudoyés avec votre argent. Ou menacés par vos hommes.

    — Vous êtes trop modeste, dit Tommaso en attrapant familièrement son avocat par l’épaule, alors qu’ils atteignaient le bout du couloir. Quelle plaidoirie ! J’en ai eu les larmes aux yeux ! Si je n’avais pas su que vous parliez de moi, je n’aurais jamais pu le deviner !

    L’avocat eut un sourire ironique.

    — Tant mieux. J’aime divertir mes clients…

    — Venez travailler pour moi, Lloyd !

    Surpris pour la première fois, l’avocat ralentit le pas et regarda directement le caïd.

    — Je ne veux pas vous manquer de respect, Monsieur Morritone, mais vraiment…

    — Deux millions par an. Je pourrais utiliser un cerveau comme le vôtre à autre chose qu’à me défendre.

    Lloyd ne prit qu’une seconde de réflexion.

    — Et je commencerais quand ?

    Morritone réfléchit un moment, avant qu’un sourire espiègle ne s’affiche sur ses traits.

    — Soyez devant chez vous à six heures, demain matin… Je passerai vous chercher.

    1.

    Simon Fournier, en raccrochant le téléphone à son socle mural, vit arriver le gros Sami, qui venait de terminer son quart aux cuisines. La nourriture de la prison de Bordeaux ne valait peut-être pas grand-chose, mais sans l’homme qui s’avançait vers lui en se dandinant, embêté par son embonpoint, les choses auraient été bien pires. Les gardiens, à l’entrée de l’aile, firent semblant de ne pas remarquer le petit gâteau que portait le cuisinier. Comme la prison ne fournissait pas ce genre de gâteries, Sami avait nécessairement dû le cuisiner lui-même, en contradiction avec une douzaine de règlements de l’établissement.

    Les deux gardes, qui totalisaient cinquante ans d’expérience à eux deux, savaient que de l’envoyer au trou pour une raison pareille mènerait à trois jours d’une cuisine exécrable qui se répercuterait sur l’humeur de l’ensemble des détenus. Afin de faire respecter un règlement sans importance ? En plus de punir un prisonnier qui ne leur causait jamais d’ennuis ? Très peu pour eux, merci…

    En arrivant près de Simon, Sami déposa le jeu de backgammon devant son cadet d’une main et lui tendit le cupcake, fier comme un paon, de l’autre.

    — Bonne fête, p’tit con !

    Un grand Noir, qui lisait Tolstoï en fronçant les sourcils, assis près d’eux, demanda à Simon, sans relever les yeux de son livre :

    — Est-ce qu’on ne t’a pas fêté, il y a deux ou trois mois, Fournier ? Un peu après Noël ?

    — Ça fait cinq ans que je suis ici, aujourd’hui, expliqua l’homme d’une trentaine d’années, qui ne semblait pas avoir mangé à sa faim depuis longtemps, en admirant la pâtisserie.

    Sami, lui, paraissait avoir ingurgité tous les repas de son ami, en plus des siens, depuis son arrivée. Simon, qui ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois où il avait tenu un tel trésor entre ses mains, prit le temps de le déballer avec soin, pour faire plaisir au prisonnier.

    — Encore un an ! dit le cuisinier en relevant Simon par son col de chemise et en l’enserrant dans une prise d’ours. Ça se peut que le gâteau ait un drôle de goût, parce qu’il ne restait pas beaucoup de sucre et que Desbiens garde les cuisines, cette semaine. Je n’ai pas osé aller en chercher alors qu’il n’y a rien de sucré au menu…

    — C’est l’intention qui compte, dit Simon, touché, en prenant une bouchée. Sais-tu, c’est pas mauvais ! Ça a le goût du gâteau grano que mon ex-femme achetait !

    — J’ai acheté un gâteau dans un commerce santé, une fois, dit l’amateur de littérature russe, les yeux dans le vague. Ça goûtait le sable…

    — T’étais encore au téléphone, kiddo ? l’interrogea le cuisinier en prenant place à la table avec ses compagnons habituels. Qui est-ce que tu appelles chaque jour, alors que tu n’as même pas de famille ?

    Le jeune prisonnier prit une bouchée de plus, la savoura comme tout ce qui sortait de l’ordinaire de la prison, et répondit la bouche pleine :

    — Quand je sortirai d’ici, ce ne sera pas seulement avec mes yeux pour pleurer ! Je fais des démarches ! Je m’organise un avenir !

    Le gros Sami haussa les sourcils, surpris.

    — Oh ? Good for you, bro… Mais c’est pas le gâteau, le cadeau ! Ça m’a coûté tout ce qu’il me restait de cantine, mais je nous ai réservé des places pour le match de demain !

    Simon, ébahi, tourna la tête vers la télévision, et les deux douzaines de chaises pliantes se trouvant devant, toutes occupées par les détenus ayant le plus d’ancienneté, ou de propension à la violence. Une politique complexe, puisqu’on n’avait pas manqué de temps pour l’élaborer, régissait la location de ces sièges par les propriétaires en titre. Ce qui signifiait que Sami, pour le luxe de regarder le match de hockey assis, et non au milieu de la foule hurlante et gesticulante qui se trouvait derrière, avait dû traiter avec non pas un, mais deux meurtriers. Simon, qui avait depuis longtemps compris que la notion de luxe, à Bordeaux, tenait de la légende urbaine, en fut très touché.

    — No shit ! Assis ?

    — Oui, m’sieur ! Et au premier rang ! C’est pas le Centre Bell, mais c’est de bon cœur !

    — Je sais pas quoi te dire, le gros… C’est trop, mais je vais le prendre certain !

    — Fait plaisir, kiddo… Une petite partie ?

    Le jeune prisonnier ouvrit le plateau de backgammon et installa les pions sur la surface de jeu en souriant à son ami. Fournier s’était d’abord inquiété de l’intérêt du vieux cuisinier à son égard, avant de comprendre qu’il lui rappelait simplement son fils, qui ne venait jamais le visiter. De plus, les bons conteurs avaient une valeur certaine en prison, où le temps était tellement plus long qu’ailleurs. Le gros Sami pouvait vous tenir en haleine pendant quinze minutes grâce au récit d’une crevaison. Avec Shakespeare, qui lisait beaucoup et parlait peu, Simon s’était bâti un petit cercle social, mais il discutait avec des gens de tous les horizons, dans les limites de l’aile D. Il était parvenu à tisser des relations au sein de chaque groupe ou presque, ce qui leur assurait une relative tranquillité. Le pouvoir de Sami sur tout ce qui concernait la bouffe finissait de leur garantir une sécurité dont bien des prisonniers ne pouvaient se targuer.

    — Une année, Simon ! Ensuite…

    Fournier et Shakespeare levèrent les yeux au ciel avec une synchronisation parfaite. Le cuisinier, lui, continua sur sa lancée.

    — Un jet privé, l’océan et deux millions de dollars !

    Le jeune homme prit une grande inspiration pour conserver son calme. Il était aussi agacé qu’amusé par l’idée fixe du cuisinier, qui ne lui voulait pourtant que du bien et croyait se réjouir de la bonne fortune de son ami.

    — Je n’ai rien volé, Sami ! Ça fait des années que je te le dis !

    Le gros Iranien fit un clin d’œil complice à Simon, en hochant la tête.

    — Sûr ! T’as rien pris du tout ! Je suis certain qu’ils vont retrouver l’argent, un jour ou l’autre, hein ? Sinon, un gars aussi intelligent que toi le retrouvera bien !

    — Je te le demande, comme si je ne l’avais pas déjà fait vingt fois, en fait, mais à ton avis, est-ce que je n’aurais pas prévu de disparaître dans la nature, si j’avais vraiment volé ces deux millions ? Ça ne t’apparaît pas étrange que je sois resté tranquillement dans mon appartement à attendre qu’on vienne me chercher ? Si je l’avais, je ne te le cacherais pas ! Je partagerais !

    — Si j’avais juste cinquante mille, je pense que je parviendrais à m’évader d’ici…, dit Sami, songeur, en regardant autour de lui.

    — C’est vrai qu’être dehors, ça serait déjà pas mal…, conclut Simon en se levant, lorsque retentit la cloche indiquant le retour aux cellules pour la nuit.

    — Je n’ai jamais été croyant, dit le cuisinier en lui serrant la main comme chaque soir, mais je prie pour un miracle comme ça tous les jours.

    — Arrête pas d’espérer, le gros ! Des miracles, il en faut un de temps en temps, ou personne ne croirait plus à ça !

    Simon regarda son ami s’éloigner vers les escaliers, sa cellule se situant au bout du couloir du second étage, près des téléphones. Il se fit la réflexion qu’il avait eu de la chance de rencontrer un tel homme en un pareil endroit. Il se réjouit de l’aubaine d’assister au match du lendemain en tant que VIP, sans savoir qu’au moment où la mise en jeu protocolaire serait effectuée, il serait en train de lutter pour sa vie.

    2.

    Lorsqu’Andrew sortit de son condo, le lendemain matin, une limousine noire, longue comme une nuit d’insomnie, bloquait la circulation en ignorant les coups de klaxon rageurs. L’avocat savait que le mafioso n’était pas du genre à se la péter et ne fit donc pas le lien. Il allait dépasser la péniche, quand l’une des vitres arrière s’abaissa et que le visage souriant de son nouveau patron apparut.

    — My man ! Allez ! Sautez dans cette voiture ! Je vais vous offrir un week-end comme vous n’en avez jamais connu !

    Intrigué, Andrew Lloyd s’engouffra sans discuter dans la limousine, dont la porte venait de s’ouvrir. Il eut la surprise de constater que celle-ci, malgré sa longueur, était déjà bien remplie. Le Parrain se glissa sur l’une des banquettes interminables pour lui faire une place, en poussant son voisin, qui protesta pour la forme. Quand les yeux de l’avocat se furent habitués à la pénombre, il reconnut son voisin immédiat et se tourna vers son nouveau patron, en alerte. Que faisait le directeur de la Gendarmerie royale du Canada dans la limousine du Parrain ? Ils ne pouvaient, en aucun cas, avoir déjà deviné comment Andrew avait fait transiter les capitaux de Morritone vers les jurés ! Pas en si peu de temps ! Le policier étira la jambe et balança un coup de pied dans le mollet de l’Italien.

    — Tiens donc… C’est vous qui avez sorti ce vieux machin du pétrin ? Vous devriez avoir honte, jeune homme !

    Le dégoût qu’affichait l’homme était clairement feint, car il semblait heureux de retrouver le malfrat. Il se fendit d’ailleurs rapidement d’un sourire, que lui rendit Morritone, en désignant Lloyd :

    — Tu n’étais pas là pour l’entendre ! Je suis une bonne personne ! Un pilier de notre communauté !

    Le haut gradé éclata de rire.

    — Au nombre de membres de cette communauté que tu as toi-même fait couler dans des piliers, c’est assez ironique ! dit une autre voix.

    Lloyd se tourna et reconnut avec surprise un juge devant lequel il avait plaidé, six mois auparavant.

    — Votre Honneur ? Je…

    — Il n’y a que Denis Martin dans cette voiture, jeune homme, dit son vis-à-vis en riant. Mon honneur est demeuré au palais. Vous êtes Lloyd, non ? Je ne me souviens plus qui était votre client, mais vous m’aviez fait chier, ça, c’est certain !

    — Je fais parfois cet effet sur les juges…

    Le magistrat tenta de prendre ses aises sur sa banquette, mais l’espace était limité par la présence de deux armoires à glace qui ne devaient pas avoir encore fêté leur vingt-cinquième anniversaire. Denis Martin soupira et se tourna vers le fond de la limousine.

    — Dites-moi, Daniel… Vous êtes vraiment obligé de vous encombrer de vos gardes du corps ? On s’en va faire la fête, après tout !

    — Je sais, mais j’ai découvert l’an passé que je soulevais plus de questions en renonçant à mon escorte pour la fin de semaine qu’en la traînant avec moi…

    Le dernier homme sortit de l’ombre et se pencha vers l’avant pour tendre la main aux nouveaux venus. Aucun muscle du visage d’Andrew ne tressaillit. Il ne recula que légèrement, sous le choc.

    — Quand même ! apprécia le directeur de la GRC. Pas une seule réaction ! Celui-là sera à surveiller autour de la table de poker !

    — J’en fais mon affaire ! dit le premier ministre du Québec en adressant un chaleureux sourire à l’avocat.

    3.

    Prison de Bordeaux, Vendredi saint, minuit

    Le bruit du verrou de sa porte fit bouger Simon dans son sommeil, sans pour autant le tirer d’un rêve où il s’apprêtait à descendre tous ceux qui l’entouraient. Une main s’abattit toutefois sur son épaule avec assez de force pour lui faire mal, puisqu’il dormait sur un grabat en béton. Le matelas, qui avait l’épaisseur d’une crêpe, n’avait pas été conçu pour amortir les chocs.

    — Fournier !

    La toute première seconde, au réveil, était toujours la pire. C’était celle où il se rappelait l’endroit où il se trouvait et la personne qui avait intrigué pour l’y placer. C’était la seconde du hurlement, comme il avait fini par la nommer. Celle qui semblait durer dix minutes et où il lâchait intérieurement un cri de bête blessée qui l’effrayait lui-même. C’était la seconde où il se rappelait, léger détail ignoré en cour, qu’il était innocent. Survivre à cette seconde sans attirer l’attention, ou sans devenir fou, était le moment le plus difficile de sa journée. Ensuite, il avait de quoi s’occuper. Cette saleté de prison ne viendrait pas à bout de lui. Pas aujourd’hui. Il se tenait le même discours chaque matin. Il sortirait d’ici plus fort qu’il n’y était entré.

    — Humm ?

    — Réveille !

    Le détenu de la 18F ouvrit un œil lentement, et le second instantanément, en reconnaissant l’homme qui le surplombait. D’autant que celui-ci venait de lui balancer une claque pour le réveiller plus efficacement. Désorienté, il finit par s’asseoir sur son grabat en se frottant les yeux. Il jugea plus prudent, vu l’urgence qu’il lisait dans ceux de son visiteur, de se mettre debout rapidement et de baisser la tête. Quand le plus fou des gardiens de l’établissement vous rend visite dans votre cellule au petit matin, en infraction totale avec le code qui régissait son métier, mieux valait garder profil bas.

    — Monsieur Desbiens ? Qu’est-ce que j’ai fait ? demanda Simon en tentant de reprendre ses esprits.

    Le gardien jeta un œil à sa montre et répondit, sans le regarder :

    — Rien. Tu es un grand chanceux, c’est tout ! Suis-moi !

    — Hein ? Où ça ?

    — Tu préfères venir avec moi ou avoir une commotion ici ?

    Connaissant la réputation de Desbiens, qu’il évitait comme la peste lorsqu’il travaillait dans l’aile D, Fournier s’empressa d’enfiler un pantalon et un hoodie dont les gardiens avaient découpé le capuchon, un sort réservé à tout ce qui risquait de les empêcher d’identifier un détenu dans l’instant. Tout ça n’augurait rien de bon. Il n’y avait aucune raison valable pour expliquer la visite d’un geôlier dans votre cellule à cette heure indue, si vous étiez toujours conscient pour la remarquer.

    Arrivé un an auparavant, Desbiens s’était déjà rendu coupable de nombreux abus et se trouvait à deux doigts de se faire virer. Il avait fracassé le crâne d’un détenu de l’aile voisine avant même la fin de sa première semaine et Simon avait appris de source sûre que les autres gardiens l’avaient alors couvert, ce qu’ils étaient de moins en moins enclins à faire. Fournier ne s’expliquait pas qu’il ne soit pas déjà derrière les barreaux en leur compagnie.

    — Où est-ce qu’on va, Monsieur Desbiens ?

    Au lieu de répondre, le gardien se tourna, le plaqua au mur et lui colla la main sur la bouche. Simon Fournier entendit alors des pas décroître au bout de l’aile C. Il n’osa plus parler, ce qui ne l’empêchait pas de tenter de se repérer. Pendant ses cinq années derrière les barreaux, il n’était sorti de son aile que pour les repas et les services religieux. Il n’avait jamais cru en Dieu, mais toute façon de briser la routine et de rencontrer de nouveaux détenus était la bienvenue. Il n’avait donc pas une grande connaissance du reste de la prison. Il était toutefois certain de n’être jamais passé dans le corridor qu’ils parcouraient, même s’ils se ressemblaient tous un peu. Celui-là sentait le couloir administratif à plein nez.

    Ils s’arrêtèrent dans un local voisin d’une infirmerie, lorsque d’autres pas se firent entendre. Alors que le gardien le retenait contre le mur de son avant-bras, Simon murmura :

    — Vous allez me tuer ?

    — Arrête de paniquer, le jeune… Mort, tu ne vaux rien. Vivant, tu vas me rapporter cinquante mille. Tiens-toi tranquille, et le match de demain, tu vas l’écouter au chaud dans une taverne, avec une bière à la main…

    — Hein ?

    Desbiens déposa délicatement un doigt sur les lèvres du prisonnier, mais le regard qu’il lui adressa était on ne peut plus clair. Lorsque Simon, après quelques minutes de trajet supplémentaire, se tourna pour protester enfin, il vit un pistolet dans la main du gardien. Le prisonnier se força à demeurer calme. À sa connaissance, il ne s’était jamais fait remarquer de ce fou furieux. Il avait vu ce qui arrivait à ceux qu’il prenait en grippe. Comment ce malade était-il parvenu à faire entrer une arme dans la prison, d’ailleurs ?

    Après avoir ouvert une dernière serrure à l’aide de son trousseau, Desbiens poussa une porte qui donnait sur l’arrière de la prison. Il risqua un coup d’œil rapide, alors que Fournier respirait à fond l’air frais de la nuit, et dit à mi-voix :

    — C’est bon ! Avance !

    Fournier se transforma alors en statue de sel.

    — Mais…

    — Je te promets que si tu dis un mot de plus, je t’enfonce ma matraque dans le cul !

    Desbiens ouvrit deux portes grillagées à l’aide des clefs qu’il avait volées un peu plus tôt dans la soirée et une voiture sombre vint immédiatement se garer, plus loin sur la route. Simon repéra deux silhouettes à l’intérieur.

    En se voyant franchir les limites de la prison, Fournier se trouvait pris entre l’exaltation pure et la panique la plus totale. Son geôlier lui fit signe de se diriger vers la voiture.

    — Je fais quoi, là ?

    — Monte dans le char ! Now ! Je ne crèverai pas ici à cause de toi !

    — À cause de… Je dormais, moi, il y a dix minutes !

    Lorsque la portière du véhicule s’ouvrit. Simon Fournier n’hésita qu’un instant. Il n’eut besoin que d’un regard vers la prison pour savoir qu’il n’y retournerait jamais, si on lui donnait le moindre choix. Il se précipita.

    Desbiens, de plus en plus agité, demanda d’une voix aiguë :

    — Et ma paye, moi ?

    De l’arrière de la voiture jaillit une main, qui tenait un Beretta muni d’un silencieux. Deux balles atteignirent le gardien à la poitrine, avant qu’une dernière ne lui explose le crâne, pour faire bonne mesure. Desbiens était mort avant d’avoir touché le sol. La Lincoln démarra sur les chapeaux de roue dès que Simon eut attaché sa ceinture.

    Dans l’aile D de la prison, à quelques portes de la cellule vacante, Simon-Mathieu Fournier se tourna dans son sommeil en émettant un ronflement, sans se douter un instant qu’il venait d’échapper au match du Vendredi saint.

    4.

    Prison de Rivière-des-Prairies, Vendredi saint, minuit

    Mike Rivers fut catapulté dans la voiture par le gardien qui l’avait jeté en bas de son grabat. Il aboutit sur les genoux d’un homme bien mis qui ne sembla pas s’en formaliser. Cette fois, au lieu de balles, c’est une épaisse enveloppe qui jaillit de la voiture et atterrit aux pieds de l’agent carcéral. Celui-ci fit claquer la portière après un dernier signe de tête, avant de détaler comme s’il avait le feu au fondement.

    — Touche-moi et t’es mort, salope ! s’exclama Rivers, les yeux fous, en essuyant du sang qui lui coulait de la lèvre inférieure.

    — Bien que mes goûts, sexuellement, soient des plus larges, mon ami, ils ne vont aucunement vers la gent masculine, j’en ai peur… Et même si j’étais pédé comme un phoque, je n’ai jamais aimé les barbus, dit l’homme en produisant un révolver. Je comprends ce que cette situation peut avoir de déstabilisant pour vous, mais un minimum de gratitude, en lieu et place de vos menaces, me semblerait plus appropriée.

    — Redis-moi ça lentement ? demanda Rivers, étonné, en abaissant les poings.

    — En bref ? Si ce n’est pas pour dire merci, ferme ta gueule, crétin ! C’est plus clair comme ça ?

    Le prisonnier garda le silence, mais ne quittait pas son kidnappeur des yeux. Le mafioso, de son côté, était fasciné par le coup de vieux qu’avait pris l’homme en moins d’une décennie. Il avait vu jouer Rivers, dont le nom avait été effacé de tous les livres des records depuis, et dont personne, dans les milieux sportifs du moins, n’osait parler à haute voix. L’ancien porte-couleur des Rangers et des Canadiens avait été le dernier joueur à inscrire trois saisons consécutives de cinquante buts dans l’uniforme des Glorieux. Il possédait également le record, moins glorieux celui-là, d’être le seul joueur de l’organisation, en plus de cent ans d’histoire, à avoir fait l’objet d’une arrestation alors qu’il se trouvait sur le banc de l’équipe.

    Rivers se rapprocha de la portière, et sa main en cherchait déjà la poignée. La prison en avait fait une bête sauvage, même s’il n’avait pas tellement déboulé dans l’échelle de l’évolution pour y parvenir. Il possédait maintenant l’instinct de conservation qui allait de pair avec son état. Le ton mielleux de ce gus ne lui inspirait aucune confiance. Les gens qui avaient l’usage d’un pistolet ne causaient généralement pas de cette façon. De plus, si sa vie de merde lui avait appris une seule chose, c’est qu’il descendait beaucoup plus souvent qu’il ne remontait, dans cette saleté d’échelle.

    — Pourquoi je vous dirais merci ?

    — Pour avoir verrouillé les portières, déjà, parce que tu me sembles assez con pour te lancer hors d’une voiture roulant à cent kilomètres à l’heure pour échapper à une situation que tu as du mal à comprendre. Pourquoi tu devrais me dire merci ? Pour t’avoir sorti de là ! Tu as écopé de vingt-trois ans pour meurtre, et tu demandes pourquoi tu devrais me dire merci ? Sérieusement ?

    — Comme si vous aviez fait ça par bonté d’âme !

    L’homme en complet alluma une cigarette, et ouvrit la fenêtre par laquelle il recracha la fumée de sa première bouffée.

    — Qu’est-ce que t’en sais ?

    — Ce n’est pas un film ! Je n’ai ni amis ni talents qui vaillent qu’on se casse le cul comme ça pour me sortir de prison… Plus maintenant, en tout cas…

    Son sauveur lui adressa un sourire amical, avant de lui tendre son paquet de clopes.

    — Voilà où vous vous trompez, cher monsieur. Vous avez, en fait, certains talents dont nous pourrions avoir très prochainement besoin.

    Rivers eut une moue dubitative, avant d’enfin laisser retomber les bras et de s’installer dans son siège.

    — N’importe quoi… J’ai pas enfilé de patins depuis dix ans, bro… À quoi tu voudrais que je serve ?

    — Je ne faisais pas référence à votre carrière de joueur de hockey, l’ami…

    — Je suis confus, là…

    — Je suis un observateur de l’âme humaine. Pas un spécialiste, ni rien, mais j’aime comprendre ce qui fait avancer les gens, et j’y suis plutôt bon. Quand je ne comprends pas, ou que ça me demande un effort, c’est là que ça devient intéressant…

    — Vous ne faites pas partie des témoins de Jéhovah ou une connerie du genre, right ? Parce que je suis au-delà de toute rédemption…

    — Nous savons, oui… Nous avons suivi vos traces à travers la ligue. La petite serveuse à Atlanta. La professeure de musique à Boston. L’agente immobilière à Détroit. Je continue ?

    Rivers recula dans son siège, comme s’il avait été giflé. Il regarda son kidnappeur avec une réelle crainte, enfin réduit au silence.

    — N’ayons pas peur des mots : vous êtes un psychopathe et un tueur en série, par-dessus le marché. Vous êtes rusé, vicieux et violent, ce qui vous a qualifié et a attiré notre attention.

    Rivers tenta d’avaler, mais il n’avait plus la moindre salive en bouche. Comment ce péquenaud avait-il pu en découvrir autant sur lui, alors que les services de police d’une bonne quinzaine de villes ne l’avaient même jamais remarqué ? Au bout de quelques secondes chargées de tension, il demanda finalement :

    — Vous êtes qui, vous ?

    L’homme ajusta les manches de sa chemise et lança son mégot par la fenêtre.

    — Comment je vous dirais ça poliment, l’ami ? Ça ne vous regarde absolument pas…

    5.

    Prison de Sorel-Tracy, Vendredi saint, minuit

    — J’vais t’tuer ! grogna Fred Samson en regardant dans les yeux l’homme qui l’avait fait sortir de prison.

    Ce dernier sembla remarquablement peu ému par cette éventualité. Samson décida d’en remettre une couche.

    — Je vais te faire payer ce que tu viens de me faire !

    — Je viens de vous libérer, cher monsieur…

    — Tu viens de me faire perdre ma cellule de coin, ciboire ! hurla le colosse en s’élançant vers son vis-à-vis, dans l’espace restreint de la limousine.

    Le soldat de la mafia, qui s’y attendait, leva la jambe et enfonça son pied dans l’estomac de son agresseur, qui se dégonfla comme une baudruche. Samson retomba sur la banquette en émettant un son qui ressemblait à celui d’un accordéon malmené. Lorsqu’il eut retrouvé son souffle, deux minutes plus tard, le colosse expliqua :

    — Douze ans que ça m’a pris pour avoir cette cellule-là ! J’étais un VIP ! Et c’est fini, maintenant ! Tout ça à cause de toi ! Je savais que j’aurais dû hurler comme un perdu quand j’étais encore à l’intérieur de la prison ! Je le savais !

    L’homme des Morritone regarda Samson sans répondre. Il avait déjà entendu parler d’institutionnalisation, mais pour avoir lui-même purgé trois ans derrière les barreaux, il avait toujours cru qu’il s’agissait de baratin de psy. Il en avait pourtant un cas probant devant les yeux.

    — Écoute… Dans les prochains jours, tu vas te voir offrir une chance de tout recommencer. Une nouvelle vie ! Imagine ! Ne plus jamais être reconnu comme le Boucher de Lévis, hein ? Non ?

    — Qu’est-ce que ça changerait ? demanda l’assassin, dubitatif.

    — Je ne sais pas pour toi, mais si la première chose à laquelle n’importe qui pensait, en me rencontrant, était ce que j’avais fait à cette famille, je serais prêt à tuer pour changer de vie ! Tu as déjà de la chance que tes codétenus ne t’aient pas réglé ton compte !

    — Ils ont essayé les premières années, mais après le deuxième mort, ils ont renoncé. Je suis condamné à vie, alors un mort de plus ou de moins, moi…

    Le mafioso regarda son dossier et demanda :

    — Simple curiosité, parce que je me demandais si quelqu’un avait mal compris… Il est écrit ici que ta dernière victime pesait près de deux cent cinquante kilos ? C’est une erreur ?

    Sans le dire, le lieutenant des Morritone eut une pensée pour la nourriture de la prison, et jugea impossible d’atteindre un tel poids en ne mangeant que celle-ci.

    — Le gros Réal ? C’est pour ça qu’ils me l’ont envoyé. Il s’assoyait sur ses cibles et les étouffait…

    — Et ce genre d’endroit te manquerait ? Vraiment ?

    Samson haussa les épaules.

    — Bah ! On s’y fait… Et toi tu m’as fait perdre ma cellule de coin ! rugit-il soudainement, en se jetant de nouveau vers l’avant.

    Cette fois, le pied de son sauveur l’atteignit en pleine tête, beaucoup plus durement. Samson, groggy, demeura étendu sur le sol

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