Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le Secret de Sabine
Le Secret de Sabine
Le Secret de Sabine
Livre électronique405 pages5 heures

Le Secret de Sabine

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Le Secret de Sabine», de Henry Desnar. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547435884
Le Secret de Sabine

Auteurs associés

Lié à Le Secret de Sabine

Livres électroniques liés

Classiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le Secret de Sabine

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le Secret de Sabine - Henry Desnar

    Henry Desnar

    Le Secret de Sabine

    EAN 8596547435884

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    LE SECRET DE SABINE

    I LE CHATEAU DE LA CHESNAYE

    II ÇITA

    III LA DEMANDE EN MARIAGE

    IV LE JUGE ET LE GREFFIER

    V L’ENLÈVEMENT

    VI LE COUVENT DE POYAN

    VII UN FILS

    VIII L’ARRESTATION

    IX L’INSTRUCTION

    X LA CONFRONTATION

    XI EL CONDE DE VERGAS

    XII L’ÉVASION

    XIII UNE SINGULIÈRE RENCONTRE

    XIV ÇITA SE DÉVOUE

    XV CONSULTATION

    XVI MERCÉDÈS

    XVII LA MORENA

    XVIII L’ESPIONNE

    XIX LA SURPRISE

    XX LA CONFESSION

    XXI SANTA-MARIA.

    XXIII LA FUITE

    XXIV CHAPITRE D’HISTOIRE

    XXV LA PARTIE D’ÉCHECS

    XXII LA HAINE

    XXVII OU CRIQUEBOEUF CHANGE D’AVIS SUR PLUSIEURS PERSONNAGES DE CONNAISSANCE

    XXVIII NOUVEAU SÉJOUR DE SANTA-MARIA EN ESPAGNE

    XXIX DERNIÈRE TENTATIVE

    XXX VOYAGE A L’ÉTRANGER

    XXXI NOTRE-DAME DE PENA-PLATA.

    XXXII DES AVANTAGES D’UNE BONNE ACTION ET DES DÉSAVANTAGES QUE PRÉSENTE L’APPLICATION DE CERTAINES THÈSES PHILOSOPHIQUES ET JURIDIQUES.

    XXXIII LA MÈRE ET LE FILS

    XXXIV CONCLUSION

    EPILOGUE

    PAR

    H. DESNAR

    PARIS

    TRESSE, ÉDITEUR

    8,, 1, 1, GALERIE DU THÉATRE-FRANÇAIS

    PALAIS-ROYAL

    1883

    Droits de reproduction et de traduction réservés

    LE

    SECRET DE SABINE

    Table des matières

    I

    LE CHATEAU DE LA CHESNAYE

    Table des matières

    Le voyageur débarquant à Hendaye, dernière station française du chemin de fer du Midi, s’aperçoit avec étonnement que les hautes montagnes qu’il avait vues jusque-là, exclusivement plantées à sa gauche depuis Saint-Jean de-Luz, l’entourent de toutes parts et forment une espèce d’entonnoir assez resserré.

    A peine entrevoit-il à droite un petit coin de mer par l’échappée que crée l’embouchure de la Bidassoa, rivière dont la ligne médiane limite la France et l’Espagne.

    S’il remonte à pied quelques minutes ce cours d’eau en regardant au Midi, il voit en face de lui Gaès-Kibel montagne espagnole capricieuse, qui se profile en s’enfonçant à l’ouest dans l’Océan pour former le cap Figuier. La Bidassoa seule le sépare d’Irun, qu’il entrevoit distinctement à sa gauche, et de Fontarabie, située plus à droite, au pied d’une montagne verdoyante, au sommet de laquelle se montre solitaire la chapelle de la Guadalupe.

    L’île des Faisans, longue de quelques pas, où Louis XIV signa la paix, lui rappelle un souvenir historique au milieu de ce ravissant paysage. Tout à fait à l’est, la montagne dite des Trois-Couronnes, en basque Aïaka arria, étale le profil bizarre de son plateau, et au nord la Rune, première montagne française importante se dresse en pain de sucre d’un air menaçant et s’impose à la vue de tout le pays jusqu’à Bayonne.

    Toutes ces montagnes sont vertes, à peine l’œil découvre-t-il au sommet quelques rochers; celles formant la vallée de la Bidassoa, du côté de la France, beaucoup moins élevées que leurs rivales espagnoles, sont presque toutes boisées, et charmantes de gaieté et de fraîcheur. Pourtant, après une demi-heure de marche vers Biriatou, peu à peu les montées s’accentuent, . les crevasses se creusent, les cimes deviennent des pics, les vallées des ravins; des oiseaux de proie apparaissent planant dans le ciel, et les Carabineros (soldats de douane espagnole, ) que l’on voit en faction, à distance régulière, sont obligés de se construire eux-mêmes des guérites dans les creux des rochers, faute de maisons.

    Plus loin encore, la Bidassoa cesse d’être frontière; elle devient espagnole, ainsi que le pont qui la traverse à Enderlaza, hameau distant d’Hendaye d’une dizaine de kilomètres. Là, la montagne est absolumentsauvage.

    Non loin du village de Biriatou, et sur la rive droite de la Bidassoa, en France par conséquent, s’élève au sommet d’une colline une maison appelée Echeberry, ce qui signifie maison blanche. Dans le pays, on l’appelle aussi pompeusement «le chateau», du nom des ruines d’un château féodal dont il ne reste plus qu’une aile à peu près inhabitée, et dévorée par un lierre épais et sombre.

    En1866, c’est-à-dire quelques années avant l’époque où commence cette histoire, le château, avec ses vastes dépendances, avait été acquis par le duc de la Chesnaye.

    Ce gentilhomme était absolument étranger au pays, dans lequel il n’avait aucune attache. Le bruit public lui attribuait une immense fortune. Le nom de La Chesnaye, fort commun dans certaines parties de la France, est porté par différentes familles, mais le duc n’était parent à aucune d’elles. Il était le dernier représentant de ces La Chesnaye qui émigrèrent pendant la première Révolution, et dont, depuis cette époque aucun registre municipal français n’avait mentionné ni les naissances ni les décès.

    Personne donc ne le connaissait de vue ou de réputation dans la contrée avant qu’il s’y fût établi, et depuis, les relations qu’il s’était créées étaient toutes de circonstances, d’occasion; nulle intimité n’était née à la suite de ses rapports officiels avec les autorités du pays.

    La famille de la Chesnaye se suffisait à elle-même. Elle se composait, lors de son arrivée, du duc, de la duchesse, créole qu’il avait épousée à Pondichéry, de leur fille Sabine, d’une beauté remarquable, âgée d’environ vingt-cinq ans: et–si l’on .peut comprendre sous la dénomination de «famille» les gens vivant dans l’intimité, sous le même toit–de Cita, sa sœur de lait, une Indienne cuivrée, traitée dans la maison comme si elle eût été réellement sœur de sa maîtresse.

    Depuis leur arrivée, aucune de ces personnes n’avait quitté le château, sauf le duc. Il se trouva: contraint à une absence de quelques mois pour ses affaires coloniales, mais presque aussitôt après son retour, toute la famille entreprit un voyage général en Italie, pendant lequel il naquit à la duchesse un fils qui-reçut-le nom de Fernand. –

    La malignité publique se préoccupa de cette absence contraire à l’esprit casanierdu duc et à ses intentions formellement exprimées à plusieurs reprises, , de vivre sans s’éloigner de son domaine.

    Une année plus tard, la duchesse, mourut, ce qui contribua à donner un nouvel. essor aux commentaires des habitants, qui firent à ce sujet toute sorte de remarques désobligeantes. On. attribuait au chagrin, à des querelles intimes, dont les causes seront suffisamment développêes par ce qui va suivre, la mort de madame de là Chesnaye.-Son souvenir était généralement sympathique; les indigènes qui l’avaient approchée vantaient sa douceur, bien qu’ils eussent contre elle cette espèce de malveillance latente qu’éprouvent toujours les Méridionaux de la campagne vis-à-vis des étrangers.

    Le24du mois de juin1873, vers cinq heures de l’après-midi, un inconnu s’était introduit dans l’enceinte du parc de la Chesnaye. Cependant l’accès en était défendu par un mur élevé, qui, après avoir longé capricieusement un petit chemin, formait un angle, et suivait la route d’Espagne, sur laquelle donnait une petite porte grillée, toujours fermée. Un pavillon agreste abritait des outils de jardinage.

    L’homme, de haute taille, âgé d’environ cinquante ans, recouvert d’une immense capa espagnole, doublée de velours rouge; coiffé d’un sombrero, chaussé de guêtres jaunes, cherchait à s’orienter et à découvrir le chemin conduisant au château parmi tous ceux qui partaient de la clairière en rond-point, où il se trouvait.

    Il était visible que l’inconnu n’était pas un familier du château et qu’il cherchait le moyen d’y accéder sans être remarqué.

    –N’est-il pas imprudent à moi d’arriver en plein jour, sans que le duc soit prévenu? On peut me voir, me surprendre. Et il hésitait, bien que sa mine et les traits de son visage révélassent une énergie et une résolution peu communes.

    Il se décidait enfin à marcher par l’un des sentiers qui lui paraissaient le mieux pouvoir dissimuler sa présence, lorsqu’une vieille femme sortit brusquement du pavillon.

    Elle l’arrêta par le bras.

    Il était difficile de rêver un type plus sordide. Elle était voûtée, couverte de haillons, ses cheveux gris retombant sur son visage, empêchaient de distinguer sa figure. Sa démarche vive et brusque pouvait cependant faire supposer qu’elle n’était pas encore arrivée à un âge aussi avancé qu’elle le paraissait au premier abord.

    L’inconnu se croyant surpris se retourna vivement, il chercha sous son vêtement une arme cachée, puis, se remettant à cette vue, il tendit à la vieille une pièce de monnaie en lui disant, en français:

    –Tenez! dites-moi si le château que j’aperçois là-bas est Lien celui du duc de la Chesnaye? Puis-je y aller par ce chemin?

    La mendiante prit la pièce et la contempla longtemps d’un air de réflexion singulier; puis, après un instant de silence, elle répondit:

    –Leduc n’est pas au château.

    –Qu’importe? reprit l’inconnu.

    –Puisque c’est à lui que vous voulez parler?

    –Commenent sais-tu que je veux parler au duc? répondit l’étranger surpris.

    –Parce que Dieu m’a permis de voir les choses cachées. Je sais le motif qui vous amène. Le duc passera bientôt; cachez-vous dans ce taillis, je l’arrêterai et vous pourrez lui parler.

    L’inconnu fit sans doute un signe d’étonnement, car la mendiante continua en ricanant d’un rire amer:

    –Oui, je suis une mendiante à laquelle vous venez de jeter une aumône; une sorcière, comme ils disent, et vous n’avez pas confiance en moi, vous non plus. Cependant, vous portez un bijou semblable à celui-ci.

    –Un C entrelacé avec le chiffre7, le signe de l’armée royale e! reprit l’inconnu après examen d’un objet qu’elle lui avait tendu. Mais. vous, qui êtes-vous?

    Une voix assez rapprochée fit entendre de l’extérieur le chant suivant populaire alors:

    Je me nomme Popaul

    J’habite l’entresol!

    –Le Parisien! murmura la vieille, il pourrait nous voir et raconter!. Entendez-vous? on vient, on va vous surprendre. Croyez-moi, la mendiante sait ce qu’elle dit. Entrez dans ce taillis et, quand le duc passera, je me charge de vous avertir.

    L’inconnu suivit ce conseil après avoir hésité.

    Une tête apparut bientôt au-dessus du mur. C’était une physionomie bizarre, respirant la ruse et la hardiesse, et formant un singulier contraste avec celles de la mendiante et de l’inconnu.

    –Tiens, tiens, tiens! Qu’est-ce que c’est que ça? fit ce troisième personnage, Gachaz Karra ici!. Après tout, ça m’est égal, à moi. tout ce qui n’est pas gendarme Carabineros, douanier ou guardia a civil, ça m’est égal, à moi. Ce que je demande, c’est qu’on me laisse faire en paix mon petit commerce. D’ailleurs, c’est une amie, Gachaz Karra.

    Alors, avec une agilité incomparable, ce personnage continua son escalade et sauta dans le parc, sans avoir aperçu celui qui venait de se cacher dans le taillis et sans être le moins du monde gêné de sa façon d’entrer dans la propriété d’autrui.

    Gachaz Karra, dès son apparition, s’était éloignée.

    Cet homme avait environ trente ans. Il était de taille médiocre, mais large d’épaules et solidement bâti; il portait un accoutrement particulier.

    Autour de sa tête était enroulé un foulard formant une sorte de résille, recouvrant ses cheveux jusqu’au cou. Son chapeau, placé par dessus, était fortement rabattu sur ses yeux, extrêmement mobiles et vifs. Il était vêtu d’une veste assez courte cachant à peine sa taille entourée d’une ceinture rouge; sa culotte de velours marron s’arrêtait à ses genoux; ses jambes étaient recouvertes de guêtres boutonnées seulement dans le haut et le bas, en laissant le milieu ouvert, de façon qu’on entrevoyait le peau hâlée de ses membres puissants. Il portait une balle, comme les colporteurs.

    Ce qui semblait prédominer chez lui était une agilité, une vivacité intellectuelle et physique extraordinaires, qu’il avait peine à réprimer. Il parlait et gesticulait tout seul, ne pouvant tenir en repos ni sa langue ni sa personne.

    –Mariette devait rôder par ici. Comment n’est-elle pas là?. Elle doit m’avoir entendu cependant.

    Et il se remit à fredonner:

    Je me nomme Popaul.

    Demonio o! Ce que c’est que de manquer sa vocation. J’étais fait pour être agent secret. Après tout, il aurait fallu rester à Paris, et à Paris, ça manque d’air; la montagne, bien!. là, il y a de l’ air!

    Il interrompit son monologue en entendant un bruit de pas.

    –A! enfin.!

    Et il se dissimula derrière la porte du pavillon, au moment où une jeune femme de chambre, habillée avec correction comme une soubrette de bonne maison, s’avançait, cherchant du regard celui qui l’attendait. Mais il ne lui laissa pas la joie de le découvrir; s’élançant prestement vers elle, il la saisit galamment par la taille, l’embrassa et commença la conversation avant qu’elle eût eu le temps de placer un mot et de se remettre de sa surprise.

    –Ouf! ça fait du bien. J’étais si fatigué. J’ai passé la montagne dans la journée; j’ai vu les carlistes, je leur ai vendu de la poudre et des cartouches. Ça marche! ça marche!. Don Carlos est, dit-on, enfin entré en Espagne. Le général Echeandia a remporté une victoire, il va huit jours, mais ça ne fait rien, on dit qu’il est en mission en France. Oh! s’il n’est pas à la tête de l’armée, les carlistes ne se battront pas ou ils se battront mal, parce que, quand il n’est pas là, rien ne va bien. Ainsi, pour m’acheter mes cartouches, on marchande; mes commissions, on les paye ma igrement. Et dame! l’argent c’est le nerf de la contrebande, vois-tu.

    La jeune personne, qui s’était remise peu à peu de son émotion, regardait avec admiration et tendresse celui qui lui parlait avec cette volubilité.

    –Pourquoi me faire peur!. Tu sautes tout à coup!.

    –C’est mon métier. Le jour où le Parisien ne sautera plus, ce sera la fin de sa vie.

    –Mais qu’as-tu là?. Tu es blessé, encore?.

    –Oui. Peuh! rien, Nada! C’est la vie du contrebandier. A la fin de la guerre, je t’épouserai et alors je resterai tranquille.

    –M’épouser! Nous verrons ça, si tu es sage; mais je n’épouserai jamais un mari qui sera toujours à courir la montagne et qui courtise toutes.

    –Sois tranquille; je resterai-à la maison avec ma petite femme, avec loi. et le contrebandier la caressait. Je médite un coup énorme.

    –Vraiment? Qu’est-ce donc?

    –J’ai à faire entrer trente-deux sommiers élastiques.

    –Quoi. des sommiers? Tu fais la contrebande sur des sommiers? Mais quel avantage.?

    –Minute! ils sont rembourrés avec des dentelles, du tabac et des cartes à jouer, etc. Si je réussis, je serai riche du coup et nous vivrons en paix.

    –Alors, je pourrai quitter le service? Quel bonheur! Bien que mademoiselle soit douce et bonne.

    –Surtout si elle t’a permis de faire quelques économies.

    –Il n’y a pas quatre ans que je suis au château, malheureusement; mais enfin, on a toujours quelque chose.

    –Pourquoi dis-tu: malheureusement? Au contraire, heureusement, ma fille; si tu y étais entrée auparavant, le duc t’aurait renvoyée, ainsi que tous les autres domestiques, lors de son voyage en Italie.

    –C’est vrai, il n’a gardé absolument que la Mulâtresse à cette époque; il l’avait emmenée avec lui en Espagne. Ah! celle-là, par exemple, je ne la regretterai pas quand je quitterai le château.

    –Ainsi, elle te fait toujours des affaires, des crasses quoi?

    –A moi, non; c’est-à-dire, oui, comme à tout le monde. Elle est méchante, c’est sa nature. Et puis, elle est sur un pied dans la maison, on dirait qu’elle est la maîtresse. Elle commande avec un ton plus arrogant que Mademoiselle.

    –C’est pendant ce voyage qu’est né le frère de ta maîtresse?

    –Oui, Fernand; il a aujourd’hui près de quatre ans.

    –Lorsque la duchesse est morte, elle a laissé quelque chose à tous les domestiques!

    –Oui, mais, comme elle est morte un an après le retour d’Italie, elle ne connaissait pas depuis bien longtemps les nouveaux, et alors elle ne nous a pas donné beaucoup. L’Indienne a eu une rente, elle. D’ailleurs, moi, je n’avais jamais été précisément à son service, j’étais surtout à celui de mademoiselle Sabine. et de l’Indienne, puisqu’elle s’est mise à me commander, la Moricaude.

    –Si ce n’est pas agaçant de servir des gens qui sont moins que vous!.

    –Oui, c’est une esclave. C’est-à-dire que sa mère l’était; comme elle est la sœur de lait de mademoiselle et orpheline, M. le duc l’a ramenée en France quand il a quitté l’Inde. Si elle nous voyait.

    –Oh! si elle te tracasse tant que ça, ne t’inquiète pas trop, va, ce sera bientôt fini; et, si l’on voulait en dire sur son compte.

    –Quoi donc?. Est-ce que tu saurais quelque chose?

    –Suffit t! je m’entends!J’en sais long, quoique je n’habite pas le château. Et, si j’avais été agent secret de la préfecture de police, elle n’aurait pas mal placé sa confiance. On a du nez!.

    –Mais qu’est-ce que tu sais?

    –Je m’entends, reprit le contrebandier; mais ce secret, vois-tu, est une chose grave. Du reste, je ne suis pas encore sûr.

    –Ciel! la voilà qui vient là-bas!Va-t’en, tu reviendras. Si elle te voyait, elle me ferait chasser; va.

    –M’en aller! par cette porte?.. Et il secoua vivement la grille, qui résista à ses efforts.

    –C’est inutile, on ne l’ouvre jamais.

    –Par où, alors?. D’ailleurs, m’en aller; voici la nuit, tu me feras rentrer dans ta chambre.

    –Dans ma chambre, la nuit? Oh!

    –Voyons, est-ce que ce n’est pas pour le bon motif que nous nous aimons? Eh bien! un peu plus tôt, un peu plus tard.

    –Elle se dirige de ce côté. Mon Dieu! je suis per due!

    –C’est que, si je saute par-dessus le mur, on va m’apercevoir. Dans ta chambre.

    –Tiens, suisce petit sentier jusqu’au bout dupotager et attends-moi. Je te rejoindrai et je te cacherai.

    –Dans ta chambre, dit galamment le contrebandier en s’esquivant, car il tenait à ses idées.

    La jeune fille resta seule, ’en proie à une préoccupation facile à comprendre.

    –Si l’Indienne l’a vu, je suis perdue!. Elle va me faire renvoyer. Mais non, elle semble préoccupée, elle ne regarde pas de ce côté. Avec cette femme-là, on ne peut jamais savoir ni ce qu’elle veut ni ce qu’elle va faire. Mais qu’a donc voulu dire le Parisien.?

    II

    ÇITA

    Table des matières

    Une jeune femme d’environ vingt-cinq ans, d’une merveilleuse beauté, mais d’un type étrange et pour ainsi dire sauvage, parut alors. La couleur cuivrée de son teint expliquait bien le non d’Indienne qui lui avait été donné. Elle portait encore sinon le costume national, du moins quelques-uns des ornements particuliers aux femmes qui habitent ce pays féerique des rajahs.

    D’une voix brusque elle interpella la femme de chambre, qui cherchait à deviner dans ses yeux si elle avait surpris son rendez-vous avec le contrebandier.

    –Que faites-vous ici?

    –Mais rien, mademoiselle Çita, rien; je me promenais. je cherchais mademoiselle.

    –Vous avez tort. Vous savez que Sabine ne se promène jamais de ce côté que vers le soir. Si elle est dans le parc, ce dont je doute, elle ne peut être ici.

    –Mais, mademoiselle, c’est nous.

    –C’est bien, allez!Vous avez à travailler et vous êtes toujours à vous promener. Cela ne peut me convenir ainsi. Rentrez, et que je ne vous rencontre plus dehors.

    Mariette obéit à cette injonction et s’en alla rapidement. Outre la crainte que lui inspirait celle qu’elle appelait improprement la mulâtresse, elle avait le plus grand désir de retrouver le Parisien, dont le sort la préoccupait vivement.

    Restée seule, l’Indienne s’assura qu’elle n’était observée par personne, et alors elle tira de son corsage une .clef et une lettre. Elle alla avec précaution vers la petite porte et essaya la clef dans la serrure. Il lui fallut quelques efforts pour arriver à en faire jouer le pêne. Néanmoins, au bout d’un instant, elle réussit, et finit par ouvrir avec précaution le battant, qui cria légèrement sur ses gonds. Elle regarda attentivement sur la route, sans oser cependant sortir complètement en dehors de l’enceinte, puis elle referma.

    –Ii n’est pas encore là. Cependant, il est bien l’heure. Elle déplia alors la lettre et lut tout haut: «Ma bien-aimée, attends-moi près de la porte. J’irai mardi t’embrasser, te dire que le terme de notre séparation s’approche, que bientôt. Mais je te réserve la surprise. Mille baisers brûlants sur tes beaux yeux noirs.»

    A. mesure qu’elle lisait, le visage de l’Indienne prenait une expression singulière de tendresse et de bonheur. Mais, lorsqu’elle replia la lettre, qu’elle glissa précieusement dans son corsage, sa physionomie changea peu à peu, et, d’une voix sourde et haineuse, elle articula ces paroles pleines de menaces:

    –Ah! ah! Sabine fille orgueilleuse! tu te moquais de Ici pauvre Çita de l’Indienne au teint cuivré; mais l’Indienne sera vengée de tés mépris

    Cita! appela de la porte un cavalier

    L’Indienne poussa un cri de joie, s’élança vers celui qu’elle attendait, se jetant dans ses bras.

    C’était un homme d’environ trente-cinq ans. Ses vêtements rappelaient ceux de l’inconnu que nous avons vu au début de ce récit se cacher dans le taillis–costume d’ailleurs généralement adopté par. ceux qui conspiraient alors en faveur de don Carlos. Sa taille élevée et svelte, ses manières d’une élégance rare, son teint pâle et mat auraient suffi à trahir son origine espagnole.

    –Tu as reçu ma lettre? Nous n’avons que quelques instants à rester ensemble.

    –Mon bien-aimé, c’est l’heure où le duc revient de la chasse: il pourrait nous rencontrer. mais ce soir. D’abord, m’aimes-tu toujours, dis?. Voilà trois grands mois que je ne t’ai vu.

    –Tu le demandes?. Serais-je ici si je ne t’aimais pas?.

    –M’aimes-tu?. moi seule?. Si tu pensais encore à.

    –Folle e! tu sais bien que je n’aime que toi. Et, comme l’Indienne allait parler, il l’embrassa tendrement sur la bouche.

    –Bientôt tu pourras me rejoindre en Espagne, où un nouveau service que je suis appelé à rendre à mon pays m’assure une haute situation, et nous ne nous quitterons plus.

    –Tu le promets? Oh!alors c’est que tu m’aimes toi, quoique je sois de couleur.

    Et la figure de l’Indienne prit une expression dé tristesse humiliée.

    –Oui, je t’aime et tu seras l’égale dé cette Sabinë si hautaine si fière, la fille de ton maître.

    –= Mon maître! A ce seul mot mon sang bouillonne. Mon maître!. Mais toi, ta famille ne s’opposera-t-elle pas

    Le visage de Fernando se rembrunit.

    –Je n’ai plus de famille, dit-il.

    –Alors, qu’importent les La Chesnaye? Fuyons ensemble. Allons où tu voudras. Nous marcherons vers le pays où le soleil se lève. Nons irons, si tu veux jusque dans l’Inde. Le père de mon père était Rampal-Saïd, le rajah; il fut tué à la guerre, ainsi que mon père et tous les nôtres, par les Européens. Le duc était capitaine dans l’armée ennemie, et c’est ainsi que je suis devenue esclave. Là, dans l’Inde, est tout un peuple qui aime le nom de Rampal-Saïd et le vénère. Sur un signe de moi, les guerriers se lèveront, chasseront l’étranger, tous ces Européens à la face pâle, aux manières cauteleuses, et tu seras roi, mon Fernando, car je t’abandonnerai ce titre qui est le mien. Parfois on m’écrit.

    –Peuh1l’Inde est bien loin, ma chère. J’y serais, moi aussi, un Européen, un blanc. En Espagne, ma situation est à peu près faite; mais je crains l’influence des La Chesnaye à Madrid. Le duc a juré ma mort devant toi.

    –Quand un obstacle se dresse, on le brise.

    –En Asie, soit, Mais, en Europe, un duc qui a vingt millions est difficile à briser. Et partout s’étend sa puissance. ou celle de son argent si tu préfères, et surtout en Espagne. Il peut vouloir mettre à exécution son projet, mais je crois avoir trouvé le moyen de le réduire à l’impuissance et de contraindre Sabine à ramper devant moi.

    –Je t’aime avec fureur, avec rage, autant que je déteste Sabine, car Lu comprends la vengeance comme nous autres, dont le sang est brûlé par les ardeurs du soleil.

    Lorsque l’Européen reçoit quelque mortelle atteinte, son âme s’exhale en vaines menaces, il défie son ennemi avec des torrents de paroles, quelques jours se passent, on s’explique, puis tout est oublié. Il n’en est point ainsi sur notre sol brûlant. L’offense vit longtemps au cœur de l’offensé. S’il dort, la nuit la haine vient apparaître dans ses songes et l’éveille; sa vengeance lui souffle à l’oreille: «Tu dors, allons debout; car l’autre veille.» Alors, toute arme est bonne, tout moyen est légitime, le fer, le feu, le poison; et s’il faut, pour frapper, plus sûrement son ennemi, lécher la terre de ses pas, l’Indien se prosterne à sa vue et souille son visage dans la poussière.

    –Ah! je t’aime ainsi. Et son amant l’enlaça de ses bras. Puis il reprit après un instant:

    Depuis mon absence, aucun des nôtres s’est-il caché au château?

    –Un carliste?. Aucun; sans quoi, je l’eusse vu. Chut!. fit-elle en baissant la voix avec un geste expressif.

    L’Indienne perçut sans doute un bruit inaccoutumé, car elle écouta comme savent seuls le faire les gens de certaines de ces races, qui ont longtemps cherché à surprendre dans les vagues rumeurs de la nuit le pas de leurs ennemis.

    Fernando prononça entre ses dents ces paroles:

    –Le général n’est donc pas ici?. M’échapperait-il?. C’est l’âme de l’insurrection; de sa capture dépend ma fortune à la cour de Madrid. Sans lui, le carlisme est vaincu. Avec lui et les cabecillas, l’insurrection sera triomphante; et moi, non seulement je perdrai le bénéfice de mes efforts, mais la vie. si l’on s’empare de moi.

    Çita revint:

    –Quelqu’un est dans ce taillis. viens, suis-moi.

    Elle se glissa peu à peu à travers les herbes et les branches, si adroitement que pas un craquement ne décéla se présence.

    –Un homme, vois!. dit-elle à voix basse.

    Effectivement, après avoir regardé, Fernando discerna les traits de l’inconnu.

    –Le général! Lui! ici! l’émissaire de don Carlos. Ah! Enfin. C’est ma bonne étoile qui m’a mis sur sa trace.

    En ce moment, Çita, tendant la main, montra à travers les arbres deux chasseurs qui entraient dans le parc à l’extrémité opposée.

    –Le duc, dit-elle, et son cousin.

    –Je pars, Cita; je vais en mission à Paris. A mon retour, dans quelques jours, je te verrai. Il est probable que, dans une heure, une rumeur se fera au château, car on cherche les carlistes réfugiés en France, et je pense que la justice française viendra arrêter celui-ci.

    –La justice française!. Mais toi, qui es carliste aussi, on t’arrêtera peut-être.

    –Moi, c’est différent. Je t’expliquerai cela plus tard. Fais quelques pas et je vais te dire le jour où je te reverrai.

    Tous deux sortirent en causant à voix basse. Une minute après, Çita rentra.

    Les pas du cavalier résonnaient encore sur la route, se perdant au lointain, qu’elle, du haut de la terrasse, continuait à le suivre des yeux et à lui parler:

    –Au revoir, mon bien-aimé!. Quand donc pourrons-nous nous aimer librement, loin de cette terre où il me semble porter encore le collier de l’esclavage?. Quand donc se terminera cette guerre?

    Lorsqu’il eut disparu, elle redescendit de la terrasse et marcha au-devant du duc qui s’approchait. Elle murmurait encore, d’une voix sourde et menaçante:

    –Ah! race orgueilleuse des blancs! vous vouliez faire de Çita une esclave, un jouet pour amuser les vôtres, mais.

    Le duc et le vicomte n’étaient plus qu’à quelques pas. Çita s’inclina avec l’effusion et le respect le plus complet devant son maître.

    –Monseigneur. dit-elle.

    –Bonjour, Çita, fit celui-ci d’une voix bienveillante et presque paternelle. Prie Sabine de me rejoindre ici à l’instant.

    Çita se dirigea vers le château. Le duc alors se retourna vers son neveu.

    –Quel dévouement l’on rencontre chez certaines races primitives!. J’ai tué dans la guerre de l’Inde le père de cette enfant, dont la famille tout entière fut massacrée. Je l’ai élevée et adoptée sans qu’elle comprît sans doute que je m’acquittais d’un devoir de conscience. Quelle blanche, par cette seule raison, se serait ainsi dévouée à ma famille?

    Le vicomte ne répondit point. Il semblait préoccupé trop vivement.

    III

    LA DEMANDE EN MARIAGE

    Table des matières

    Les deux interlocuteurs représentaient assez exactement, malgré le négligé de leur costume de chasse, des gentilshommes vivant sur leurs terres. ce qu’on appelle de l’autre côté de la Manche gentlemen farmers.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1