Guy Main-Rouge: Légende du pays de Savoie
Par Charles Buet
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Aperçu du livre
Guy Main-Rouge - Charles Buet
Charles Buet
Guy Main-Rouge
Légende du pays de Savoie
EAN 8596547436041
DigiCat, 2022
Contact: DigiCat@okpublishing.info
Table des matières
A la Vicomtesse
ALIX DE JANZÉ
PRÉAMBULE
I
II
III
IV
V
VI
A la Vicomtesse
ALIX DE JANZÉ
Table des matières
Née CHOISEUL-GOUFFIER
PRÉAMBULE
Table des matières
D’une cloche fêlée qui sonnait
en la neuvaine de Noël sans que personne
tirât la corde ou fit mouvoir le battant.
Si vous aimez ces belles chroniques du moyen âge, toutes pleines de chevaliers bardés de fer, de gentes châtelaines en surcot d’hermine, de pages aux blonds cheveux bouclés, d’écuyers et de nains, de palefrois et de haquenées...
Si vous aimez les donjons à oubliettes, les manoirs branlants à mâchicoulis et à barbacanes, les douves tapissées d’herbes folles, les préaux gazonnés, les tours trapues, les créneaux et les meurtrières...
Si le moyen âge de convention, composé de toutes pièces par les romanciers et les poètes, a séduit votre imagination...
Si enfin vous croyez aux sorciers, aux stryges, aux goules, aux revenants, — allez dans mon beau pays de Savoie, tout parsemé de ruines féodales, de châteaux construits comme des nids d’aigles au sommet des rocs, de forteresses démantelées où de splendides écussons, frustes, élimés, timbrent l’ogive des porches profonds.
Allez en Savoie! Dans ces vallées alpestres, aussi poétiquement belles que les glens d’Ecosse, plantées de forêts ombreuses, arrosées de torrents blancs d’écume, on vous contera comment saint Jacques enchaîna et mit sous le joug un ours, qu’il força à labourer sa terre, — lequel ours n’était autre que Satan...
On vous contera la légende de la dame blanche de Salins, qui institua le pain de mai; celle du mille et unième pont bâti par le diable; celles du farfadet des Urtières, des verpillons de Saint-Julien, des cloches du lac de Sainte-Hélène, et cent autres aussi véridiques, desquelles, au surplus, la morale est facile à déduire.
Le soir à la veillée, dans l’étable où les ménagères filent au rouet, où les vieilles tricotent, où les hommes travaillent le bois de fayard en sabots, en écuelles, en pauches, en mortiers à sel, tandis que les vaches rousses et les grands bœufs blancs ruminent sur la litière, on narre ces légendes jolies que recueillent force archéologues et menus savants, pour les alourdir de textes, citations, chartes, documents, parchemins, exhumés à grand tapage de la vénérable poussière où dorment les fastes du temps jadis.
Est-ce donc en Savoie que j’ai trouvé cette chronique de Main-Rouge? Peut-être. Je n’ose affirmer, par crainte et respect de messieurs les archéologues et antiquaires, lesquels me sommeraient de fournir preuves, manuscrits, originaux et palimpsestes; de quoi je serais fort empêché.
Il est certain que je n’en ai vu trace dans aucun livre, pas même dans le très judicieux, très complet et très amusant recueil publié par mon ami Antony Dessaix, sous le titre de Traditions populaires de la Savoie.
Mais l’histoire vaut une préface.
Pendant le funeste hiver de 1870, en plein mois de décembre, je passais quelques jours chez un ami d’ancienne date, qui habite dans un repli des Alpes, au sommet d’un escarpement de rochers, un ancien prieuré, bâti tout auprès d’un joli village.
On ne s’amusait guère en ce moment-là. Tous les hommes valides étaient à l’armée, et nous attendions nous-mêmes qu’on nous appelât sous les drapeaux. Chaque jour, le valet de ville, au petit chef-lieu de la province, venait languissamment afficher de lamentables dépêches, autour desquelles s’amassait la foule: mères éplorées, veuves en deuil, tristes jeunes filles, vieillards assombris et moroses.
On apprenait alors que quatre uhlans avaient emporté sans coup férir une ville de cinquante mille âmes, que trois artilleurs avaient écharpé un mulet prussien, que dans un engagement trois ennemis avaient été blessés; et toujours, pour conclure, cette phrase fatale:
«Les troupes, dont le moral est excellent, se replient en bon ordre!»
Il y eut aussi l’aventure des cercueils de drap d’or, et le voyage bizarre de cet homme, inconnu la veille, qui s’en allait en ballon à la recherche du gouvernement, et qui, chargé de fourrures, ayant bon feu, bon gîte et le reste, faisait héroïquement, tout seul, des pactes avec la victoire ou avec la mort.
Et dans les campagnes presque désertes, les femmes se désolaient, les vieux soupiraient en songeant aux victoires de l’ancien temps, les enfants pleuraient leurs pères envoyés à l’ennemi, sans pain, sans feu, sans vêtements, et qui se battaient sans espoir.
On avait donc désappris le rire; on vivait dans les angoisses de l’incertitude, les regrets amers de l’impuissance, la colère indignée et la douleur inconsolée. On oubliait le jour écoulé, on ne rêvait plus au jour à venir. Attendre, attendre encore, et savourer l’âpre jouissance de la déception: telle était l’existence pesante de ceux qui restaient au foyer.
Ce soir-là, nous étions cinq ou six autour de la table hospitalière d’Alphonse.
Un grand feu pétillait dans l’âtre. La lampe éclairait la nappe bise, les faïences à fleurs