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L' accès aux soins de santé: Au-delà des idéologies et des idées reçues
L' accès aux soins de santé: Au-delà des idéologies et des idées reçues
L' accès aux soins de santé: Au-delà des idéologies et des idées reçues
Livre électronique431 pages5 heures

L' accès aux soins de santé: Au-delà des idéologies et des idées reçues

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À propos de ce livre électronique

« Ce livre est à ce jour le meilleur corpus de connaissances sur les enjeux des barrières financières à l’accès aux soins. Il résume excellemment les stratégies fondées sur l’équité qui lèvent ces barrières. » Nicolas Meda, médecin, enseignant-chercheur, Burkina Faso
« Valéry Ridde sait conjuguer avec pertinence analyse quantitative et recours qualitatif, santé publique et anthropologie de la santé, recherche fondamentale et recherche-action. »
Jean-Pierre Olivier de Sardan, directeur d’études à l’EHESS, directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur au LASDEL

« Le travail de Valéry Ridde est caractérisé par une grande rigueur méthodologique, une attention particulière pour la recherche de solutions opérationnelles, mais aussi, et peut-être surtout, par une attitude empathique et respectueuse vis-à-vis les pauvres et exclus sociaux des sociétés africaines. »
Bart Criel, professeur de santé publique, Département de santé publique, Institut de médecine tropicale, Belgique

« En réunissant ces documents en un seul volume, l’auteur rend un fier service aux concepteurs de politiques publiques, aux administrateurs et aux chercheurs. Il était vital que ce matériel soit à leur disposition pour l’élaboration de nouvelles politiques. »
Lucy Gilson, University of Cape Town, London School of Hygiene and Tropical Medicine
LangueFrançais
Date de sortie10 avr. 2012
ISBN9782760627543
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    L' accès aux soins de santé - Valéry Ridde

    Valéry Ridde

    L’ACCÉS AUX SOINS DE SANTÉ EN AFRIQUE DE L’OUEST

    Au-delà des idéologies et des idées reçus

    Les Presses de l'Université de Montréal

    INTRODUCTION

    S'éloigner des idées reçues

    Lorsque j’étais jeune et naïf, je croyais que les gens sérieux prenaient leurs décisions en considérant attentivement les différentes options qui s’offraient à eux. À présent, j’en sais plus. La majorité de ce que croient les gens sérieux est basée sur des présupposés, et non sur des analyses. Et ces présupposés sont influencés par la mode.

    Paul Krugman, prix Nobel d’économie, The New York Times, 1er juillet 2010

    Au moment où je termine de rassembler les résultats des recherches sur le financement de la santé dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest présentées dans cet ouvrage, plusieurs phrases entendues ou lues récemment viennent contrecarrer cette volonté de rester au niveau des faits, pour nous emmener vers des idées reçues. Je reviendrai plus loin sur celles-ci, mais il me semble utile d’en soulever, d’emblée, deux qui témoignent largement de certaines idéologies encore bien présentes dans le domaine : « Il n’y a pas de problème d’accès » (affirmation faite à la fin de 2010 par un fonctionnaire du Fonds des Nations unies pour la population basé à Dakar) et « aucune étude ne montre dans quelle mesure le recouvrement des coûts constituerait un obstacle à la fréquentation des formations sanitaires » (écrit par un professeur d’économie de la santé dans un rapport de 2009). Cette dérive n’est pas nouvelle, ni en ce qui concerne ce que certains pensent de l’Afrique, ni en ce qui a trait à ce que d’autres croient de la santé publique. Il n’y a qu’à se souvenir des théories sur l’origine du VIH/ sida dans les années 1980, de l’utilisation du concept de race dans le système de santé publique aux États-Unis ¹ ou encore, plus récemment, de la façon dont on a traité du réchauffement de la planète dans les médias.

    Il semble que ces débats empreints d’idées reçues et d’idéologie soient particulièrement prégnants au sujet d’une modalité de paiement spécifique dans le domaine de la santé, soit ce que l’on nomme le paiement direct : le fait que le patient doit payer (le professionnel de la santé, les médicaments, etc.) au point de service où il se rend pour obtenir des soins. Le sujet est si sensible que même l’Organisation mondiale de la santé usait dans son rapport annuel de 2008 (voir le chapitre 5) d’un discours quasi religieux : « il faut résister à la tentation de compter sur le paiement direct » (2008, p. 26). Avant de revenir sur ces idées surprenantes, il me faut insister sur le fait qu’elles ne se cantonnent pas au continent africain. Au début des années 1990, de célèbres et brillants économistes de la santé au Canada avaient éprouvé le besoin d’écrire un texte dont le titre était évocateur de ce mouvement qui s’éloigne des données probantes : « le paiement direct au point de service : pourquoi une mauvaise idée refait encore surface ? » (Evans et al. 1993). Cela n’a pas empêché que Le Devoir publie le 18 mai 2006 le texte suivant :

    De façon périodique, l’idée d’imposer des frais modérateurs, communément appelés « ticket modérateur », pour financer le système de santé revient hanter la scène politique québécoise. Cette fois-ci, c’est au ministre fondateur de notre régime public universel, Claude Castonguay, qu’on doit le retour de cette proposition qu’on croyait oubliée. (Sansfaçon 2006)

    C’est dans cette mouvance que l’on publiera par la suite au Québec un livre qui tentera de rétablir les faits et de discuter de cette perception du financement de la santé (Béland et al. 2008). Le présent ouvrage n’a pas cette ambition, et il reste certainement encore du travail à faire pour tenter de comprendre pourquoi, en Afrique aussi, ces idées reçues perdurent et reviennent nous hanter, pour reprendre les mots du journaliste du Devoir. L’objectif de ce livre est plus modeste et vise à présenter, en les regroupant, mes travaux empiriques récents portant sur le financement de la santé en Afrique de l’Ouest ou, plus exactement, sur les modalités opérationnelles qui pourraient faire de l’accès financier aux soins de santé une réalité pour le plus grand nombre.

    Ce livre s’éloigne des idées reçues et se concentre sur le partage de faits mis au jour par les recherches scientifiques entreprises au cours de ces dernières années avec de nombreux collègues africains, canadiens ou européens. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les éléments empiriques abordés dans un ouvrage précédent, dont l’objectif était de comprendre la rareté des acteurs en santé publique au Burkina Faso intéressés par l’amélioration de l’équité d’accès aux soins (Ridde 2007). Ainsi, dans ce nouvel ouvrage, il est donc moins question de comprendre l’inaction ² (cependant traitée au chapitre 15 pour la question de l’accès aux soins des indigents) que d’analyser les retombées de certaines interventions visant à améliorer l’accès financier aux soins de santé. Ce que je cherche à partager ici, ce sont des faits, que chacune et chacun pourront apprécier à leur juste valeur, et dont ils pourront se servir pour mettre en perspective ces fameuses idées reçues sur le paiement direct des soins de santé. Car de Dakar à Niamey, en passant par Ouagadougou, ces idées reçues fusent, surtout lorsque l’on évoque la suppression du paiement au point de service. Depuis quelque temps, j’ai même décidé de bannir de mon vocabulaire la notion de « gratuité des soins », car même si l’on prend le temps d’en expliquer les contours, peu de personnes semblent vouloir les appréhender et nombreux sont ceux qui rattachent cette notion à de multiples idées reçues.

    Les contours de cette notion sont que le terme de gratuité des soins est un raccourci sémantique et émique reprenant largement le discours des acteurs du terrain pour évoquer le fait que demander au patient de payer lorsqu’il se rend dans une formation sanitaire constitue la modalité de financement la plus injuste et la moins efficace pour les systèmes de santé. Il faut donc exempter le patient du paiement au point de service et trouver une autre manière de financer le système de santé, puisque ce paiement ne permet de financer qu’une infime partie des coûts du système. Tel que nous le verrons dans les chapitres suivants, la plupart des agences internationales et de nombreux chefs d’État ont maintenant déclaré l’importance de supprimer ce paiement direct au point de service, que ce soit l’OMS, l’Union africaine ou l’Union européenne.

    Mais les idées reçues perdurent et elles ne sont l’apanage ni des professeurs d’université, ni des paysans, ni des gestionnaires des systèmes de santé. Elles naviguent dans toutes les sphères de la société, de l’Afrique à l’Europe. Pour illustrer cette situation, je veux ici évoquer cinq réactions entendues ou lues récemment afin, non pas de stigmatiser ces personnes que je ne nommerai pas, mais de montrer combien le discours des données probantes et des politiques publiques fondées sur des preuves (evidence based policy making) est encore loin d’être présent dans tous les esprits.

    Lors d’un colloque international sur la mortalité maternelle en Afrique organisé en 2010, un expert européen du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) affirme qu’« il n’y a pas de problème d’accès », alors même que je présente mes travaux sur l’accès aux soins des indigents (chapitres 12 à 15) et des femmes enceintes (chapitres 7 et 8). Dans une conférence organisée à Paris sur la gynécologie, un clinicien, dont la présentation ne repose sur aucune étude scientifique, se demande « comment réduire la croissance démographique galopante du Burkina alors que les accouchements sont gratuits». Lors d’une réunion avec deux chercheurs en démographie basés en Afrique, j’entends ces derniers affirmer que toutes les femmes sont en mesure de payer un accouchement si le prix demandé n’est que de 900 FCFA ³ (2$), même les plus pauvres. Un consultant de la Banque mondiale, ancien professeur d’économie de la santé, note dans un rapport que le gouvernement du pays d’Afrique de l’Ouest concerné finira par refuser, qu’« aucune étude ne montre dans quelle mesure le recouvrement des coûts constituerait un obstacle à la fréquentation des formations sanitaires ». Enfin, dans un document interne d’un ministère de la Santé d’Afrique de l’Ouest, les responsables d’une direction centrale affirment que « bien que la gratuité favorise l’utilisation des services, elle contribue à déresponsabiliser les populations face à leur santé ». Cette perspective fait écho à une conclusion du clinicien cité plus haut qui termine sa présentation à Paris en faisant la « promotion de la parenté responsable »...

    Nous pourrions multiplier les exemples à l’infini, mais ce n’est pas l’objectif. Ces cinq exemples, représentatifs de l’idéologie et émanant de personnes provenant de multiples horizons, et se réclamant souvent du monde scientifique, visent simplement à montrer combien perdurent les idées reçues sur l’exemption du paiement des soins. Car il est inutile ici de revenir sur les points abordés par ces personnes et de fournir des arguments scientifiques : toute personne au fait des connaissances sur ce sujet aura facilement compris que nous sommes dans le registre des idées reçues et non des données probantes.

    Cet ouvrage cherche donc à regrouper plusieurs chapitres visant à partager des connaissances contemporaines sur les stratégies favorisant l’accès financier aux soins de santé, notamment l’exemption du paiement des soins pour les populations les plus vulnérables. Il ne cherche pas à répondre aux cinq idées reçues que je viens d’évoquer, car les écrits scientifiques, certains mêmes très anciens, sont largement disponibles pour les battre en brèche. Nous les avons essentiellement convoquées pour montrer l’orientation factuelle que nous souhaitons donner au présent ouvrage. Car il est aussi intéressant de noter que, puisque je travaillais sur un sujet comme celui de l’exemption du paiement des soins, mes pairs m’ont aussi perçu comme un scientifique idéologique. Je revendique une science engagée, telle que peut l’être l’étude des interventions favorisant l’accès aux soins des plus pauvres, et je ne suis évidemment pas le seul, mais une science qui repose sur une démarche rigoureuse fondée sur des faits et non des croyances.

    Une science engagée se comprend aussi comme une démarche visant à faire en sorte que les connaissances produites soient utiles, et si possible utilisées. Or, le monde scientifique impose ses contraintes, notamment celles de l’écriture en anglais et de la publication dans des revues payantes et difficilement accessibles. Ainsi, la plupart des données probantes que l’on trouve dans ces écrits, certainement utiles pour au moins défaire une partie des idées reçues, ne sont pas suffisamment connues de ceux qui, en Afrique de l’Ouest, lisent surtout le français et peu l’anglais. En somme, cet ouvrage vise deux objectifs principaux. D’une part, il tente de partager les principaux résultats de recherche concernant les stratégies potentiellement utiles à l’amélioration de l’accès aux soins. L’exemption du paiement au point de service est une de ces stratégies, mais les chapitres de ce livre vont aussi montrer que ce n’est pas si simple que cela, que l’exemption n’est ni la solution miracle ni la panacée. L’exonération du paiement reste une solution pour lever une partie de la barrière financière à l’accès aux soins, cela ne fait plus de doute : elle ne semble pas accentuer les inégalités d’accès aux soins et profite aussi aux plus pauvres. Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment pour que la barrière géographique soit prise en compte et pour que les responsables des politiques se décident à prendre le droit à la santé au sérieux en se donnant les moyens de mettre en œuvre efficacement leurs politiques publiques. D’autre part, la traduction de tous ces articles en langue française et leur regroupement dans un seul ouvrage rendent ces connaissances accessibles aux personnes vivant dans les pays francophones, notamment en Afrique de l’Ouest. Le lecteur peut choisir de lire l’ouvrage de bout en bout, ou de s’arrêter à certains chapitres puisque ceux-ci ont une certaine autonomie car ils sont pour la plupart issus d’articles scientifiques publiés dans des revues savantes. Cela permet de mieux comprendre la manière dont certaines interventions de santé publique peuvent être utiles pour améliorer l’accès aux soins des plus vulnérables. Ajoutons que pour rendre la lecture de cet ouvrage plus fluide, et contrairement aux habitudes scientifiques, la majorité des références n’ont pas été notées dans les chapitres. Le lecteur en trouvera cependant la liste dans la bibliographie proposée à la fin de l’ouvrage ainsi que les articles scientifiques d’où sont issus les différents chapitres. Une remarque encore: sauf exceptions, les tableaux et les figures sont de moi. Dans les cas contraires, les sources sont mentionnées.

    La première partie du livre permet de montrer les effets néfastes du paiement direct sur l’utilisation des services de santé ainsi que les limites des mutuelles de santé (notamment au Bénin, chapitre 3) pour la prise en charge des plus pauvres. Pourtant, le paiement des soins a permis aux comités de gestion des centres de santé de thésauriser des sommes importantes encore jamais mobilisées pour l’accès aux soins des plus pauvres (chapitre 1), tel que cela était néanmoins préconisé lorsque l’on a généralisé l’initiative de Bamako dans les années 1980. Une fois le contexte présenté, la deuxième partie de l’ouvrage rend compte de l’évaluation des interventions nouvelles visant à exempter du paiement les femmes et les enfants de moins de cinq ans, populations comprises en Afrique de l’Ouest comme vulnérables dans les politiques publiques. Ces recherches concernent l’Afrique en général, mais plus particulièrement le Niger et le Burkina Faso. La troisième partie du livre se concentre sur l’exemption du paiement d’une catégorie de personnes toujours oubliée dans les politiques de santé, soit les indigents, incapables de payer les soins de santé. Les chapitres de cette troisième partie montrent comment une recherche-action entreprise au Burkina Faso peut produire des effets particulièrement intéressants pour les plus pauvres. Mais du même coup, il s’agit de discuter des enjeux plus politiques et des difficultés d’étendre ce type d’expérience à un territoire national dans un contexte où les «faiseurs» de politiques publiques, bailleurs de fonds internationaux ou agents de santé se préoccupent peu des conditions de vie des indigents et des plus pauvres en général (chapitre 15). La partie conclusive du livre, sous la forme de deux chapitres (16 et 17), revient sur ces défis et opportunités que fournissent ces nouvelles politiques d’exemption du paiement des soins pour renforcer les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest. Ceux-ci nécessitent l’application de ces politiques, car les populations ne les utilisent absolument pas puisqu’ils ne répondent toujours pas à leurs besoins, malgré les promesses perpétuelles depuis la conférence d’Alma Ata (1978) à la récente déclaration de l’Assemblée mondiale de la Santé pour la couverture universelle (2011).

    Je tiens à remercier vivement tous mes amis et collègues qui participent depuis toutes ces années à ces travaux, car évidemment, si l’exercice d’écriture est souvent solitaire, celui de la pratique de recherche, à tout le moins en santé publique, est collectif. Je ne peux pas tous les citer, mais ils se reconnaîtront. Les nombreux chercheurs qui ont contribué à la rédaction des chapitres du présent livre ont également toute ma reconnaissance ; je ne saurai jamais assez les remercier, leurs noms sont explicités dans la liste des articles présentés à la fin de l’ouvrage. De plus, ces recherches étant souvent appliquées à des situations de terrain, les agents de santé, les responsables sanitaires, les membres de plusieurs organisations non gouvernementales (HELP, MDM) et les populations des villages où sont entreprises les actions étudiées ici participent pleinement à la qualité des travaux que je partage ici. Je dois aussi ajouter le rôle essentiel de plusieurs bailleurs de fonds sans lesquels ces recherches n’auraient pu avoir lieu : Fonds de recherche en santé du Québec, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Centre de recherche pour le développement international du Canada, le Service d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO), l’Union européenne, la Direction du développement et de la coopération suisse (DCC) et l’UNICEF. Enfin, il me faut remercier chaleureusement Xuân Ducandas et Florence Capelle pour leur traduction des articles publiés précédemment en anglais et dont le financement a été assuré par les IRSC.

    ¹Je viens même de lire une thèse en santé publique où l’étudiante parle de « chercheurs caucasiens » !

    ²  Rappelons-nous que Thomas Dye affirmait qu’une politique publique est ce que l’État fait ou décide de ne pas faire.

    ³   Franc de la Communauté financière africaine, utilisé par les anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale ; 1 $ CAN = 470 FCFA (environ). Dans le reste de l’ouvrage, nous utiliserons le FCFA comme monnaie de référence puisque le contexte des études est celui de l’Afrique de l’Ouest.

    PARTIE I

    L'ÉQUITÉ D'ACCÉS AUX SOINS ?

    CHAPITRE 1

    L'effet de la tarification (Burkina Faso)

    Les mécanismes de financement et de solidarité communautaires s’inscrivent dans la mise en œuvre, au début des années 1980, de la politique des soins de santé primaires. Le changement le plus notable dans les réformes de santé durant les années 1980 a été l’instauration et le développement des systèmes de paiement relatifs aux frais aux usagers. En outre, la mise en place la plus importante a probablement eu lieu en Afrique subsaharienne. Étant donné les problèmes économiques des pays africains dans les années 1980, leurs conséquences néfastes sur la situation sanitaire et les difficultés de mise en œuvre des soins de santé primaires, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’UNICEF ont formulé une proposition en 1987 afin de relancer cette politique et de réduire la mortalité maternelle et infantile. Il s’agit de l’initiative de Bamako, adoptée en 1988 par les ministres africains de la Santé. L’initiative de Bamako est différente de la politique des frais aux usagers sur le plan national, dont l’objectif principal est la génération de revenus, car sa mise en place doit servir, entre autres, à l’amélioration de la qualité des services et à l’équité d’accès aux soins.

    Techniquement, l’initiative de Bamako peut se traduire par le processus suivant : au départ, un stock de médicaments essentiels génériques est offert par les bailleurs de fonds au comité de gestion (issu de la population) du dispensaire. Ces médicaments doivent ensuite être vendus aux usagers avec une marge bénéficiaire. Cette marge, ajoutée aux paiements effectués par les usagers pour les consultations (paiement direct = frais aux usagers), permet de racheter le stock initial de médicaments et d’améliorer l’accès aux soins et la qualité des services (primes au personnel, réfection des bâtiments, etc.).

    Les écrits scientifiques concernant l’impact de la mise en place des frais aux usagers sur l’accessibilité aux services, notamment pour les plus pauvres, foisonnent et demeurent très controversés. Ce sujet est l’objet de très nombreux débats depuis plus de 20 ans. Nous savons, sans aucun doute, que les frais aux usagers représentent pour les moins nantis un obstacle financier dans l’utilisation des services. De nombreuses études faites en Afrique (Ghana, Kenya, Ouganda, Zambie, Lesotho) démontrent que la mise en place des frais aux usagers a entraîné la réduction de l’utilisation des services (Creese et Kutzin 1997; Gertler et Hammer 1997; Mwabu et al. 1995 ; Kipp et al. 2001). L’une des rares études longitudinales, réalisée au Zaïre, montre une réduction de l’utilisation de 40 % au cours de la période 1987-1991 ; on attribue de 18 à 32 % de cette baisse au coût du service (Haddad et Fournier 1995).

    À notre connaissance, il n’existe que deux expériences prouvant que la mise en place de la tarification des actes a eu des conséquences positives sur l’utilisation des services. La première, au Cameroun, montre que, outre l’amélioration de la qualité des soins, la mise en place des frais aux usagers s’accompagne de l’augmentation de l’utilisation des services. Or, il apparaît que cette augmentation est proportionnellement plus importante pour les pauvres que pour les riches. La seconde étude, réalisée au Niger, montre que la mise en place d’un système de frais aux usagers (taxe locale + ticket modérateur faible), accompagné de mesures d’augmentation de la qualité (médicaments) et d’exemption (avec une bonne définition de la population concernée), aurait un impact positif sur la fréquentation du centre par les plus pauvres. Les experts ont largement commenté ces expériences et beaucoup doutent tant de leur reproductibilité que des possibilités de généralisation, d’autant que ces projets ont bénéficié, comme beaucoup d’autres, d’un soutien technique externe spécialisé, renforcé par un financement exogène substantiel. Mais il semble que l’appel n’a pas été entendu par tous, surtout pas par les promoteurs de la participation financière directe des usagers.

    Il n’en demeure pas moins qu’une partie de la population reste incapable de payer, et de ce fait, n’a pas accès aux soins. Le chiffre représentant la proportion de la population qui n’a pas accès aux soins semble être de l’ordre de 5 à 30%. En outre, le discours a changé et on ne parle plus de recouvrement des coûts des médicaments essentiels afin de les rendre accessibles – comme le discours de James Grant, directeur de l’UNICEF à l’époque, l’entendait en 1987 lors de l’annonce de l’initiative – mais de partage des frais de fonctionnement, ce qui va bien plus loin en ce qui a trait au fardeau financier pour la communauté.

    C’est au regard de cette problématique générale que nous avons entrepris une étude dans un district du Burkina Faso. L’objectif initial de cette recherche était de déterminer la faisabilité de la prise en charge des indigents par l’exemption du paiement des frais aux usagers dans un district pratiquant l’initiative de Bamako.

    Le contexte

    Le Burkina Faso s’est engagé dans la mise en œuvre de l’initiative de Bamako par l’adoption en 1993 d’une stratégie nationale de renforcement des soins de santé primaires. Cette même année, on divise le système de santé en districts et on crée la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques. En 1996, alors que les districts sanitaires sont en place depuis trois ans, un degré supplémentaire de la pyramide sanitaire s’ajoute: la Direction régionale de la santé. Onze régions sanitaires se partagent les 53 districts du pays à l’époque de la présente étude.

    La recherche se déroule dans le district sanitaire de Kongoussi, qui se confond avec la province du Bam, situé dans le plateau central, à une centaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou et de Kaya, chef-lieu de la région sanitaire. Sa population (220 000 habitants en 1997) provient majoritairement de l’ethnie mossé (80 %). L’agriculture et l’élevage occupent 90% de la population. En l’an 2000, le district possède 20 Centres de santé et de promotion sociale de première ligne, un centre médical, un centre médical diocésain et un centre médical avec antenne chirurgicale (hôpital de district). Il n’y a que deux médecins dont l’un est le médecinchef du district. Le partenaire opérationnel et financier principal en matière de soins de santé primaires est la division des Pays-Bas de l’organisation Save the Children (SC-PB). Le programme d’appui au développement des soins de santé primaires de la région de Kaya est établi en fonction du plan quinquennal, et la phase actuelle s’étalant de 1995 à 2000 disposait d’un budget de trois milliards de FCFA.

    La méthodologie

    Le modèle théorique retenu dans le cadre de cette recherche est issu de la philosophie des soins de santé primaires et de l’initiative de Bamako : les frais aux usagers (le « recouvrement des coûts ») organisés suivant le processus d’implantation de l’initiative de Bamako doivent permettre d’atteindre l’équité d’accès aux soins par une juste redistribution des revenus permettant ainsi aux indigents d’utiliser les services de première ligne. La mise en place des frais aux usagers est l’un des outils de l’initiative de Bamako, mais selon nous, il devrait être utilisé pour accroître l’accès aux soins des plus démunis ¹.

    L’approche méthodologique de la recherche est mixte. C’est une recherche opérationnelle utilisant la stratégie de l’étude de cas descriptive. Sur le plan des instruments de collecte de données, nous avons utilisé de la documentation (rapports, évaluations, etc.), des archives (cahiers de gestion, système d’information sanitaire, etc.), neuf entrevues individuelles ² et trois entrevues de groupes (villageoises et villageois, et personnel de santé).

    Nous avons trouvé à Kongoussi un devis quasi expérimental du type pré-test/post-test. En effet, le système de tarification des actes médicaux est organisé en juillet 1997 (voir la carte à la figure 1.1) dans seulement 9 formations sanitaires (FS-cas) sur les 14 existant à l’époque. Les 5 autres formations sanitaires n’appliquent pas la tarification (FS-témoins). Le système de recouvrement des coûts, plus exactement le paiement des médicaments essentiels génériques existe depuis 1994. Les tarifs des actes sont décidés sur le plan national (100 FCFA pour la consultation adulte et 50 FCFA pour les enfants dans les Centres de santé et de promotion sociale, et le double à l’hôpital de district.

    D’après le médecin-chef de district en place à l’époque, on a fait le choix de ces neuf structures en fonction de deux critères : avoir un comité de gestion fonctionnel et dynamique et posséder un dépôt de médicaments essentiels performant. En fait, les neuf formations sanitaires appliquant la tarification sont celles faisant partie de la première vague d’organisation de l’initiative de

    Bamako par l’implantation des dépôts de médicaments essentiels en 19941995. Les cinq autres ont eu des dépôts de médicaments essentiels quelques mois avant la tarification. Il est utile de préciser que dans ce district, contrairement à d’autres expériences, les responsables sanitaires n’ont pas immédiatement cherché à couvrir l’ensemble des coûts des Centres de santé et de promotion sociale par l’application du paiement des soins et des médicaments. Ainsi, le premier objectif de la mise en œuvre du paiement était de contribuer aux frais de fonctionnement des dépôts de médicaments essentiels et non des Centres de santé et de promotion sociale. Voilà pourquoi cette étude s’attache uniquement à l’analyse de la viabilité financière des dépôts de médicaments essentiels. Précisons que l’on a intégré dans le calcul des résultats d’exploitation les variations de stocks de médicaments qui peuvent avoir un impact significatif sur la trésorerie.

    Pour déterminer l’impact de la tarification des actes sur l’utilisation des services, il est impératif de réaliser une comparaison tant longitudinale (dans le temps) que transversale (cas-témoins).

    Les données concernant les nouvelles consultations curatives sont issues des rapports mensuels envoyés par les formations sanitaires au district (34 rapports mensuels sur 1 156 manquent pour la période de janvier 1995 à juin 2000, soit 2,9 %). La population totale du district a été déterminée à partir du dernier recensement (1996). Les années 1995-2000 sont ajustées à partir de cette base suivant un taux d’accroissement de la population de 2,42 %. Le traitement des données a été effectué à l’aide du logiciel d’analyse QsrNudist© pour le contenu qualitatif et des logiciels Excel© et SAS© pour les données quantitatives. L’étude a été autorisée par le ministère de la Santé du Burkina Faso.

    Les résultats

    On trouvera dans le tableau 1.1 une comparaison des deux groupes de formations de santé (FS-cas et FS-témoins) :

    L’utilisation des services d’un point de vue quantitatif

    Pour les neuf formations sanitaires appliquant la tarification, le tableau 1.2 montre clairement que les trois périodes de 12 mois suivant la tarification se situent en dessous de la période de référence, et ce, pour tous les mois de l’année. Cette baisse se situe en moyenne sur les trois années à 15,4 % de nouvelles consultations curatives. Cette chute, même si elle ne s’est pas accentuée au fur et à mesure des années, est demeurée stable. En d’autres termes, les formations sanitaires ont perdu 15% de leurs patients, et ce, définitivement. Les villageois ne sont plus jamais revenus se faire soigner dans ces structures.

    Pour les cinq formations sanitaires n’ayant pas appliqué la tarification, le taux de consultations est bien supérieur à la période de référence 19961997. La progression a été constante depuis ce mois de juillet 1997 et elle s’est amplifiée au fur et à mesure des années. La moyenne de l’augmentation sur les trois années est de 30,5%. La figure 1.2 est une illustration graphique de cette évolution différente

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