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Parcours éducatifs: Construction de soi et transformation sociale
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Livre électronique335 pages3 heures

Parcours éducatifs: Construction de soi et transformation sociale

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À propos de ce livre électronique

Petits enfants réprimés dans leur curiosité, étudiants vivant leur échec scolaire comme une responsabilité personnelle, employés aspirant vainement à des apprentissages significatifs dans l’entreprise, aînés exclus de la vie éducative… Les traumatismes et les dommages éducatifs subis par les individus tout au long de leur vie abondent. Pour l’auteur de cet essai, l’avenir de nos sociétés passe pourtant par une citoyenneté active et réfléchie. Dans ce sens, le développement continu du potentiel individuel et collectif des populations devient une nécessité économique, sociale et culturelle. Et si on commence à reconnaître que les transgressions et les agressions du corps ont des conséquences souvent dramatiques, la question mérite également d’être posée à propos du parcours éducatif : qu’en est-il de l’intimité blessée des individus dépossédés de leur projet de vie ou des moyens de le réaliser ?
Afin de mieux comprendre ce que signifie, pour nos sociétés, la construction continue de soi, Paul Bélanger passe en revue les théories, les pratiques et les politiques liées à l’éducation entendue dans son sens le plus large et montre, imposante documentation à l’appui, que la reconnaissance de l’intimité dans l’acte d’apprendre est, au sens fort du terme, un véritable enjeu social.

Paul Bélanger est un spécialiste de l’éducation des adultes reconnu internationalement. Il est professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.
LangueFrançais
Date de sortie12 juin 2015
ISBN9782760635432
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    Aperçu du livre

    Parcours éducatifs - Paul Bélanger

    Introduction

    C’est d’abord par son absence, sinon par son rejet, dans les politiques et les discours éducatifs que j’ai saisi l’importance de l’intimité de l’expérience éducative. Et c’est dans la découverte répétée de la misère cachée des parcours éducatifs individuels usurpés que j’en suis venu à m’interroger sur sa portée sociale. Les exemples d’expériences traumatisantes et de dommages éducatifs subis silencieusement par les individus tout au long de leur vie ne manquent pas: petite enfance maltraitée ou réprimée dans sa curiosité, échec scolaire vécu comme une responsabilité personnelle, mépris des aspirations individuelles des employés dans la programmation de la formation en entreprise, refus d’entendre les demandes éducatives non reliées au travail, aînés exclus de la vie éducative, etc.

    Ces entraves à la construction de l’autonomie et au développement cognitif des individus ne sont jamais définitives. Ces intimités refoulées ou blessées peuvent conduire à mille scénarios dans la trajectoire future des sujets. C’est précisément dans cette ambiguïté et dans les possibles parcours biographiques qu’elle recèle que réside mon intérêt à étudier les rapports complexes et réciproques entre le public et le privé, entre les demandes externes de socialisation ou de nouvelles compétences, d’un côté, et, de l’autre, les prérogatives des sujets à construire leur identité propre, à protéger leur intégrité, à développer leur pouvoir de comprendre et d’agir et à prendre en main, ou du moins à négocier, individuellement et collectivement, leur parcours de vie, y compris de vie éducative.

    On connaît mieux et on commence à reconnaître publiquement les transgressions de l’intimité des femmes et des enfants victimes d’agression sexuelle, ainsi que l’impact de ces violations sur le devenir personnel et social de ces individus. On parle de plus en plus de ces violences exercées dans le privé et souvent tardivement dévoilées par les victimes. Leur divulgation devient alors un moyen de défense et de prévention, et même, pour certaines de ces victimes, une repossession d’elles-mêmes. La question se pose: en est-il de même de l’intimité blessée et des individus dépossédés silencieusement de leur projet de vie ou des moyens de le réaliser? Que dire aussi de la négation du droit de devenir tout au long de sa vie, de se voir devenir et de jouir de sa dignité humaine?

    Jusque-là, ma démarche était centrée sur des explorations de l’enjeu par la négative. Puis, je me suis mis à comprendre l’envers positif de ces abus et de ces expériences aliénantes. Il ne s’agit pas uniquement de l’autonomie blessée, mais aussi de l’autonomie à construire, de la relance d’une vie éducative bloquée. Ce sont les actions des groupes de femmes pour la défense du droit à l’autonomie de leur corps et pour la protection de leur vie intime qui m’ont conduit à déchiffrer le sens de ces revendications nouvelles dans le champ de l’éducation. Elles m’ont permis, premièrement, de mieux saisir l’aspiration à l’autonomisation, un projet peut-être latent mais non moins réel des individus tout au long de leur parcours biographique et, deuxièmement, de mettre en lumière les enjeux sociaux de la reconnaissance de l’intimité de la vie éducative.

    Plusieurs questions alors s’imposent. L’émergence des nouveaux rapports à l’intimité se reflète-t-elle dans les divers parcours éducatifs? Les nouvelles attentes observées dans la vie privée ou dans la mutation des enjeux de la lutte contre les agressions sexuelles se retrouvent-elles dans le champ éducatif? En quoi les expériences éducatives sont-elles marquées par la priorité croissante donnée à la recherche de qualité dans les rapports interpersonnels, ainsi que par la quête de sens de l’individu tout au long de sa vie? Les expériences éducatives constitutives des biographies individuelles ne sont-elles pas vécues en tension continuelle entre la construction de l’identité pour autrui et celle de l’identité pour soi?

    Toute une autre série de questions, d’ordre plus immédiatement éducatif, ont alors surgi. Comment expliquer l’intimité et la dimension subjective de toute expérience de violence éducative et surtout de son envers positif, l’expérience d’apprentissage significatif pour le sujet? Comment se traduit la montée de ce principe d’action pédagogique dans la transformation en cours des demandes éducatives? Comment se manifestent les dénonciations et revendications pour une reconnaissance de l’intimité de l’acte d’apprendre et de ses conséquences? Au sein de quels groupes? Dans quels contextes sociaux? Comment, dans les mutations des parcours de vie éducative, s’articulent l’exigence de construction de soi et la nécessaire acquisition et maîtrise des savoirs constitués? Comment les diverses théories de l’apprentissage relient-elles cette recherche d’identité du sujet et cette demande d’appropriation des connaissances? Quels sont les impacts d’une reconnaissance vraisemblablement inégale de l’intimité de l’acte d’apprendre au travail, dans la vie sociale, la vie politique? Comment se traduit cette mutation et complexification des aspirations éducatives dans les débats publics sur l’éducation? Quelles sont les conditions et les pratiques associées à la prise en compte de l’intimité de l’acte d’apprendre?

    Bien sûr, on ne peut taire les tentatives de manipulation de la vie intime à des fins commerciales ou autres. Il importera, tout au long de ce livre, de mettre en rapport réciproque le privé et le public et de marquer la différence entre individualité et individualisme.

    Bref, nous sommes en voie d’assister à une transformation non seulement de la vision de l’éducation, mais aussi des vies éducatives. Et cette transformation soulève trois questions. En quoi consiste cette demande d’autonomisation des individus dans la société d’aujourd’hui? Quelles sont les conditions de réalisation de ces nouvelles aspirations autant intimes que sociales? Comment s’articule la reconnaissance de l’intériorité de la vie éducative à la quête, nécessaire et continue, du savoir?

    Voilà les questions que j’étais curieux d’explorer et qui m’ont conduit à vouloir écrire ce livre dans lequel, en dialogue anticipé avec vous, lectrices et lecteurs, je lance le débat.

    Dans cette publication, je procéderai en trois étapes. Après avoir expliqué, dans la première partie, ce que signifie l’intimité de l’acte d’apprendre et souligné la portée sociale de sa reconnaissance, je décrirai, en deuxième lieu, les pratiques éducatives qui facilitent ou freinent le développement des individus, pour enfin, dans la troisième partie, explorer certaines implications politiques d’une telle reconnaissance.

    PREMIÈRE PARTIE

    La reconnaissance

    Chapitre 1

    L’intimité de l’acte d’apprendre

    L’intimité de l’acte d’apprendre suscite un intérêt croissant, mais elle ne constitue pas pour autant un phénomène complètement nouveau. Plusieurs tendances relativement récentes mettent en lumière la dimension subjective de la vie éducative. On le voit, entre autres, dans l’exigence imposée aux individus d’assumer leur parcours de vie éducative, devenu de moins en moins linéaire, dans le recentrage des pratiques éducatives sur l’apprenant, dans la montée des projets d’empowerment ou encore dans la reconnaissance du rôle transversal des droits éducatifs vis-à-vis des autres droits humains.

    Les transformations des visions de l’éducation

    Un des traits caractéristiques de l’évolution récente des systèmes éducatifs est très certainement la multiplication des options et des filières de formation, la diversification des structures d’enseignement et, donc, la singularisation des trajectoires éducatives. Après avoir assisté à l’uniformisation des structures et des parcours visant à corriger les inégalités scolaires, on observe depuis les années 1980 une tendance à la décentralisation et à la diversification des institutions d’enseignement pour répondre à la diversité croissante des populations scolaires et à la recherche de parcours alternatifs.

    L’individualisation des pratiques

    et la diversification des parcours éducatifs

    Dans le système scolaire québécois, par exemple, cette tendance prend, entre autres, la forme d’une spécialisation des écoles publiques fondée sur des concentrations musique-études, sport-études, «écoles internationales» ou d’une adaptation des contenus pour tenir compte de la culture et des conditions locales ou pour rejoindre des publics étrangers à la culture scolaire. On constate aussi, dans divers pays, une diversification des passerelles vers les niveaux supérieurs via les filières d’enseignement professionnel et technique ainsi que la subdivision des programmes en modules afin d’offrir aux étudiants des configurations diverses. On observe également, aux différents cycles, différentes voies de formation à distance.

    Bien sûr, une telle orientation, visant à une articulation toujours difficile entre égalité et reconnaissance des différences, implique des risques quant à l’égalité des chances et suscite donc des débats (Portelance et al., 2006, Combaz, 1999)¹. Les différences auxquelles nous faisons référence ici ne sont pas celles, inégalitaires, faites au nom d’une conception néolibérale de la liberté d’enseignement, telle la constitution d’un réseau privé privilégié soutenu en bonne partie par l’État. Il s’agit plutôt de la reconnaissance, par et dans le système public, de l’existence de différentes façons d’atteindre l’objectif d’une éducation de qualité pour tous.

    Ainsi, déjà en phase de formation initiale, l’élève est appelé à faire des choix de matières et de programmes. Les parcours ne sont plus unilinéaires et séquentiels. On donne aux individus des possibilités de diverger, ce qui fait en sorte que les jeunes ont de plus en plus de décisions à prendre tout au long de leur cheminement scolaire initial. Ils ont plus de liberté pour différencier et individualiser leur trajectoire. Ils sont ainsi appelés à devenir des acteurs «capables d’effectuer» leurs choix (Étienne et al., 1992). Mais encore faut-il que les conditions socioculturelles de cette «capacité» soient présentes!

    À la particularisation des parcours s’ajoute une tendance relativement nouvelle à individualiser la pédagogie, à introduire l’accompagnement individuel, le mentorat, tant à l’école qu’en milieu de travail. On cherche à prendre en compte les besoins et demandes individuels et à adapter les rythmes d’apprentissage et les référents culturels aux publics particuliers et à leurs expériences et contextes singuliers, et ce, afin de permettre aux individus de s’y retrouver et de réaliser des apprentissages authentiques, significatifs. Les nouveaux textes de référence font ainsi une place à des contributions provenant de divers milieux et traditions. Oui, la différence peut être un outil d’égalité (Taylor, 1992).

    Cette diversification des parcours, des contextes d’apprentissage et des façons d’apprendre s’accentuera tout au long de la vie adulte et conduira le sujet à refaire continuellement la synthèse, toujours provisoire, de ses connaissances et compétences.

    L’éducation extensive

    et liée à la vie des individus

    Dans cette perspective, l’éducation n’est plus réduite (l’a-t-elle déjà été?) à la phase préparatoire institutionnalisée des parcours de vie. La petite enfance, phase éducative longtemps méconnue mais combien intensive (voir le chapitre 10), influe sur la suite de la biographie éducative, laquelle, d’ailleurs, ne se termine évidemment pas à la sortie des parcours institutionnalisés de l’école, du collège ou de l’université.

    Après la formation dite initiale, les adultes participent en effet à divers types de formation, ou alors cessent de le faire, selon les circonstances personnelles ou sociales et les occasions qui leur sont offertes (Crossan et al., 2003; Rubenson, Xu, 1997). Dans la mesure où chacun bénéficiera des espaces, des ressources et de la volonté de le faire, il pourra ainsi, au long de sa vie, construire un self de plus en plus singulier.

    Le récit biographique, un courant de recherche né dans les années 1980, contribue également à la redécouverte de l’intimité de l’acte d’apprendre. Ces histoires de vie reconstituées permettent de saisir comment le sujet, tout au long de son parcours et de façon plus intensive lors de transitions importantes, construit et reconstruit son identité (Bertaux, 1980). Dominicé (1990, 2001), par exemple, a observé les façons dont le sujet en vient ou non à manœuvrer lors de transitions de vie, à mettre en forme ce que l’expérience lui a appris et qui pourra faire sens par la suite. Les récits de vie, que ce soit ceux de femmes de la société rurale du 19e siècle qui ont rompu avec la tradition omniprésente de leur milieu (Zeldin, 1973, 1995) ou ceux de jeunes adolescents au chômage qui organisent leur résistance et qui, ainsi, trouvent leur identité (Alheit, 1994), permettent de comprendre les tensions entre le poids déterminant des structures sociales et la capacité relative des sujets de réagir et de se tailler une place. On observe ainsi comment et dans quels contextes les différents sujets prennent position face au «potentiel de vie non encore vécue» et comment ils en viennent ou non à reconstruire leur identité, soit en utilisant leur réseau, soit par bricolage, ou encore sur la base d’un projet mobilisateur (Alheit, 1995, 2005; Pineau, 2000, 2009). Nous reviendrons au chapitre 4 sur ce que Alheit appelle la biographisation du social et sur la redécouverte de l’acteur dans l’action sociale.

    L’apprentissage informel

    Ainsi, tout au long de sa vie, l’individu apprend de diverses manières dans des situations d’apprentissage organisées, mais aussi par toutes sortes d’occasions ou de façons de faire. La vision de l’éducation change. On redécouvre que l’éducation formelle, créditée, n’est que la partie visible de l’iceberg éducatif (Livingstone, 1999). D’abord observé par Coombs et son équipe en milieu rural (Coombs et Ahmed, 1974) et théorisé par La Belle (1982), l’apprentissage informel est devenu une dimension incontournable de la scène éducative tant en milieu de travail (Marsick et Watkins, 1992, 2001) que dans l’ensemble des champs d’activités (Schugurensky, 2000; Egetenmeyer, 2008). D’ailleurs, même en éducation dite formelle, il existe des voies variées en présentiel et à distance et il y a toujours une dimension informelle. La formalité et l’informalité sont toujours présentes, bien qu’à des degrés divers, dans toute activité éducative (Billett, 2004; Colley et al., 2003).

    Cette reconnaissance de l’informel signifie qu’au-delà de leur participation aux formations organisées, la grande majorité des femmes et des hommes sont aussi engagés à un moment ou l’autre de leur vie dans des expériences d’apprentissage non structurées, intentionnelles ou fortuites. La valorisation des apprentissages informels réalisés à tout âge et dans toutes les sphères de l’activité humaine contribue à mettre en avant le rôle de l’individu dans les parcours éducatifs. Elle révèle la dimension subjective de l’éducation tout au long de la vie.

    La reconnaissance des apprentissages expérientiels

    Inévitablement, la redécouverte de la variété des modes d’apprentissage allait conduire à ce qui est devenu un des éléments typiques des politiques de l’éducation tout au long de la vie: la reconnaissance, la validation et l’accréditation (RVA) des acquis d’expérience et d’autoformation. L’élaboration et la mise en œuvre d’une série d’outils à cette fin dans différents pays (Livingstone & Myers, 2007; Andersson & Harris, 2006; Colardyn, 2000; Conseil supérieur de l’éducation, 2000) et sur le plan international (UNESCO, 2010) montrent bien l’importance que prend maintenant la reconnaissance des apprentissages réalisés en dehors de cadres structurés.

    Cette validation officielle des acquis informels et la remise de «passeports» permettant à l’individu de poursuivre son cheminement éducatif sur cette base constituent une tendance forte. Elles manifestent bien l’émergence d’une vision élargie de la réalité éducative tout au long de la vie des individus. Aussi, la rubrique traditionnelle concernant l’éducation, dans les curriculum vitæ, en dépit de son intitulé, décrit de façon bien étroite le cheminement éducatif réel de la personne. En effet, c’est par une grande variété d’expériences et d’événements formateurs que le sujet réalise le parcours éducatif pour lequel il revendique une reconnaissance officielle. Par les politiques de reconnaissance d’acquis et en dépit des diverses approches observées (Andersson et Harris, 2006), les institutions reconnaissent ainsi que chaque individu, tout au long de sa biographie éducative, combine, de diverses manières, les façons d’apprendre (McGivney, 1999), sans oublier l’autoformation.

    L’autoformation

    Dès les années 1970, en réaction à la prédominance accordée à la formation formelle, des chercheurs déterminent et codifient les diverses formes et pratiques d’autoformation, connue sous le terme self-directed learning (Tough, 1971; Knowles, 1975). On théorise ces pratiques (Brookfield, 1985; Candy, 1991; Long, 1989; Carré, 1993, 2002; Pineau, 2000). On documente les projets d’autodéveloppement poursuivis par les individus. On étudie les conditions permettant à l’adulte d’être en contrôle de son apprentissage. On discerne les formes d’autoformation et systématise les processus de self-directed learning représentés selon un modèle linéaire chez les uns (Knowles, 1975) ou selon un mode plus interactif chez d’autres (Brockett et Hiemstra, 1991). On décrit les modes et pratiques de soutien ou d’accompagnement à l’apprentissage autodirigé (Carré, 2002). On parle alors de self-learning, d’«autoformation assistée», d’accompagnement.

    Hélas, certains de ces auteurs vont jusqu’à opposer systématiquement l’apprentissage par soi et l’éducation formelle, reconnaissant le premier et dénonçant le second. Toutefois, ce qui ressort des débats et des courants récents est, surtout, le recentrage de l’éducation sur le sujet apprenant. L’accent est alors moins mis sur l’organisation de la formation que sur l’apprentissage réalisé, lequel, en fin de compte, avec bien sûr l’appui d’un enseignant ou accompagnateur, ne peut être que celui opéré par le sujet lui-même.

    Carré (2006) décrit cette vision comme le chaînon manquant dans les discours sur les sociétés éducatives. Il propose la notion d’«apprenance» pour désigner les dispositions affectives, cognitives et conatives de l’individu en mesure d’apprendre de façon autonome. Il fait référence à la thématique de l’agentivité chez Bandura et souligne la place du Self dans le renforcement du «vouloir, pouvoir et savoir apprendre».

    Les notions conçues et mises en avant par ces auteurs sont révélatrices: autodétermination, autorégulation, sens personnel d’efficacité, responsabilisation, autopilotage, initiative personnelle, ou encore la pédagogie du projet personnel (Boutinet, 1999). La place centrale redonnée à l’autonomie et à l’initiative devrait, selon ces auteurs, permettre non d’ignorer les rapports pédagogiques mais de renverser le modèle dominant qui les définit.

    Cette vision élargie de l’éducation tend à mettre en lumière l’individualisation des biographies éducatives. Elle privilégie un sujet qui affronte continuellement des expériences et des savoirs nouveaux qu’il doit intégrer, remanier ou rejeter.

    L’empowerment

    L’émergence de la notion d’empowerment au cours des dernières décennies est aussi révélatrice de cette tendance vers un recentrage sur l’acteur. Cette notion tire son origine, entre autres, du mouvement social des femmes qui, dès les années 1970, en a fait une idée-force de ses pratiques et de son projet collectif. On désigne ainsi la capacité d’action autonome que les femmes entendent se donner afin de pouvoir exercer un contrôle sur leur situation – dans le cas particulier de diverses formes de discrimination – pour ainsi transformer les rapports sociaux.

    La perspective et l’approche reliées à l’empowerment sont à la fois individuelles et collectives, tel qu’on le voit, par exemple, dans le mouvement féministe afro-américain des années 1980 et 1990 (Hill et Collins, 2000). Face à la discrimination sexuelle et aux formes conséquentes de répression subies par les femmes, le mouvement fonde son action à la fois sur la diffusion de la capacité de résistance active de chaque individu et sur l’action collective afin de modifier concrètement la situation immédiate d’oppression, de changer les conditions de vie et de transformer structurellement et culturellement la société patriarcale.

    Le rapport réciproque entre l’émancipation de l’individu et l’action collective est caractéristique de ce nouveau mouvement social en contraste avec les pratiques prédominantes de mobilisation des mouvements sociaux historiques. L’autonomisation n’est pas seulement un moyen. Elle constitue aussi un des objectifs mêmes de l’action et lui donne son sens (Ninacs, 2003). Le processus devient aussi important que le résultat objectif. La participation volontaire de la personne et son analyse personnelle de ses enjeux sont les conditions d’une action efficace, individuelle et collective. La solidarité construite dépasse alors la simple adhésion de principe. Une telle conception de l’empowerment requiert de chaque individu la maîtrise de compétences, une autoreconnaissance de sa capacité d’initiative (une estime de soi) et une conscience critique; elle implique un développement à la fois intime et social.

    La notion d’empowerment apparaît maintenant hors du mouvement féministe; on la retrouve dans une variété de discours sur la gestion des organisations, l’éducation et la formation des adultes, ou encore sur la place de la société civile dans la coopération internationale. Elle est alors reprise dans une perspective plus instrumentale et parfois technocratique (Damant et al., 2001; Fortin-Pellerin, 2006), pour rappeler l’importance de l’implication de l’apprenant dans son apprentissage, pour désigner le développement de la capacité autonome d’action de l’individu dans les nouvelles organisations (Chaize,1995), ou encore pour décrire les conditions individuelles d’une participation active des communautés locales aux projets de développement (Malhotra et al., 2005). L’accent est ici mis sur l’initiative

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