Absolhomme
Par Johnny Boyer
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Aperçu du livre
Absolhomme - Johnny Boyer
:
Juggernaute
La promesse
Il fait décidément trop chaud dans cette mansarde. Le vieux ventilateur rouillé n’arrive même plus à baratter le beurre de la chaleur.
Je cuis littéralement dans cette huile à cinquante degrés. Du rhum, à la même température, aurait sûrement dû m’apporter le meilleur des remèdes.
Mais il me faut vite éloigner de moi ce mirage de Tantale.
Car j’ai bien fini par me rendre à l’évidence. Mes poches crevées se refusent désespérément à me jouer ce bel opéra du mois dernier. Celui orchestré par le tintement d’espèces sonnantes et trébuchantes. Celui qu’aura su apprécier en tout cas le feu propriétaire de mon nouvel altoglisseur : Draco.
J’ouvre le misérable frigo. Il me reste quand même une mauricienne : une dernière phœnix.
Je décapite cette petite rescapée sur l’autel rutilant de mon unique baie vitrée. Sous les rayons du zénith la bière entre en effervescence.
L’or suintant de son justaucorps est subitement animé de dentelles. Un tutu lilial de danseuse qui aligne de façon scabreuse ses entrechats sur la glissière brûlante.
Tropique du Capricorne. Dans l’Océan Indien.
C’est sur cette île des Mascareignes à présent que je suis en train de cramer. Dans une ville infâme de La Réunion.
Qui n’aura même pas réussi à trouver un autre nom que : Le Port.
Une ville qui me ressemblerait presque. Délabrée.
Avec son éventaire de quartiers malfamés. Et qui brasse toujours, en cet hiver austral de 2061, toute la vermine issue des flottilles interlopes. Rattachées aux ports internationaux d’un monde décadent et contaminé.
Le Port : vile cité de négoce, de contrebande, et de néo-piraterie noire. Une Babylone taillée pour les aventuriers de l’âge d’acier.
Voilà pourquoi cette mégalopole me ressemble surtout. En plus de son délabrement. Avec ma gueule cassée de cyborg. De marin au long cours. Et d’écrivain à la petite semaine.
Ma bière est proprement sifflée. Je vais m’emparer du livre fétiche qui trône sur mon bureau d’écrivaillon. Et que j’emporte au fil de mes robinsonnades.
Il abrite depuis peu un nouveau marque-page : une promesse d’embarquement. À compléter, à signer, à rapporter surtout diligemment. Et ce avant midi à l’IP.
Autrement dit dans le quart d’heure, à l’industrie PIN, sise sur un quai du Port Ouest.
Je contemple un instant la couverture chatoyante de l’ouvrage qui arbore l’image d’un guerrier de manga. De profil. Affublé d’une archaïque et ridicule armure de bois. L’incarnadium : cette pierre exogène engendrée par les comètes devait certainement être inconnue à son époque. Ou alors ses propriétés étaient-elles exclusivement réservées à la confection des sabres ?
Son auteur n’en demeure pas moins un illustre inconnu. Au nom pompeux quand même. Cela va de soi. Car il en est toujours ainsi de ces insignifiants de l’ombre.
De ces vers luisants d’écrivaillons. Qui ne brilleront peut-être que dans la nuit éternelle. Ces misérables mirabilis de la littérature. Qui peineront sans cesse à vouloir apporter un semblant de reflet aux cruelles étoiles.
Johnny Phoenix : c’est audacieux, je dois l’avouer !
Celui-ci renaîtra peut-être dans mille ans. Au beau milieu des cendres de la Grande Bibliothèque Universelle. Lorsque celle-ci aura enfin pris feu. Comme jadis à Alexandrie. Purifiée par je ne sais quel fou de pyromane iconoclaste.
Fahrenheit 451 ne représente-t-il pas l’un des plus beaux fleurons de la littérature universelle ? Pondu par un phénix hérétique ?
Heureusement que la cinquantaine de quatrains qui maçonne le recueil suffit à l’édifier.
Son titre reste lui aussi sans appel. Un coup de sabre inexorable : Samouraï.
Mais la porte est tout à coup refermée sur mon onanisme cérébral. Et c’est là que je dois dégringoler, mon petit livre en poche, les sombres escaliers de la Pension du Chat Noir.
La PIN
À l’ombre des flamboyants, où j’ai coutume de garer à la diable mon fossile de land rover, je retrouve Schubert : le brave propriétaire de la pension.
Ses cheveux blancs, ébouriffés par l’alizé, couronnent non sans zèle la bonhomie du personnage.
Souriant et loquace, Schubert est un colosse de cent cinquante kilos. Avec des transpalettes en guise de paluches. Son sourire m’engage cette fois encore à sortir de ma taciturnité. C’est en quelque sorte la rencontre entre un kodiak et un grand loup solitaire.
– Alors, paré pour le grand plongeon mon poto ?
Une question qui n’est pas sans me rappeler cette célèbre caricature de manga. Celle d’un péquenot lambda, planté sous l’abribus d’une ville où il vient de débarquer. Qui tout en examinant le plan de réseau urbain, achoppe béatement contre le phylactère criard de ce premier jalon : « Vous êtes ici ». Et qui s’exclame en aparté : « Comme les nouvelles vont vite dans cette ville ! ».
D’autant plus vite dans cette sordide cité du Port.
– L’Astral a accosté dimanche. Pour ta gouverne, c’est ce matin qu’ils ont entamé le déchargement. La trop précieuse cargaison d’amours-en-cage en tout premier lieu. J’ose à peine imaginer combien cette camelote peut valoir ! Des millions pour sûr ! Au vu du nombre de policyborgs qui ont été mobilisés par la pine ! Ensuite et seulement, ce sera à notre tour : les plébéiens. Langoustes d’élevage engraissées aux polluants, poissons irradiés et consorts en conserves.
Tandis que Schubert établit face au vent son soliloque, je réfléchis à l’ironie de cet acronyme : la PIN. Prononcé lapin par les plus loyaux.
Quand on sait que ce lagomorphe est encore sujet, après des siècles de navigation, à la plus stérile des superstitions auprès des marins. Un animal qui livré à lui-même avait pris la fâcheuse habitude de tout ronger à bord des navires. Des vaigrages en bois des premiers vaisseaux de l’histoire des navigateurs, aux installations électriques des générations suivantes.
À croire que les carottes ne parviennent pas toujours à rendre aimables nos petits passagers à grandes oreilles.
Quant aux plus réfractaires, ils la prononcent avec vulgarité : la pine.
Inutile par conséquent de m’éterniser davantage sur cette expression d’animosité, que cultive cette abominable engeance de marins à l’égard de ma nouvelle compagnie.
Des détracteurs sans aucun doute révoltés par le manque de considération humaine qu’entretient l’industrie PIN. Qui n’emploie, il est vrai, dans sa flottille composée d’une douzaine de chalutiers, que des cyborgs et des marins augmentés. Autrement dit classés dans la catégorie hautement efficiente des humanoïdes.
Et afin de réduire à quia ma péroraison, et d’apporter un éclairage définitif sur le sujet, résumons simplement que l’Astral est le plus puissant des brise-glaces atomiques de la flottille. Le nec plus ultra de la compagnie. Puisqu’il est armé en grande pêche, autour des deux Îles Nivéales que représentent Perce-Neige et Edelweiss. Toutes deux voisines du sixième continent : l’Antarctique.
Que sa mission de trois mois consiste à dénicher, sous la banquise encerclant le couple de cryovolcans, les lanternes de verre. Des poissons extrémophiles possédant un organe sustentatoire dénommé l’amour-en-cage.
Que cette sphère rouge et phosphorescente, de la taille d’une boule de billard, renferme surtout une drogue surpuissante convoitée par tout le gotha de ce monde. Qui permet, en stimulant voluptueusement la glande pinéale, d’accéder au véritable voyage astral.
D’où l’appellation du brise-glace de deux cents mètres, appartenant à l’industrie PIN. Dont l’acronyme n’est pas sans dévoiler son attachement à la fameuse glande de l’éveil. Et qui signifie en définitive, de façon on ne peut plus triviale et matérialiste : l’industrie Propriétaire des Îles Nivéales.
La comète
C’est à mon tour de me retrouver sur le billard.
La transition s’avère peut-être bancale. Mais pas le billard en tout cas, sur lequel je me retrouve fatalement.
L’infirmière correspond bien à tous les fantasmes.
Mais c’est un leurre : un travestissement de robot.
Conçu afin de nous exhorter à résister au stress de l’opération. Ainsi qu’à l’insidieuse nostalgie liée à la perte de son ancienne identité.
L’androïde cherche pourtant à me rassurer. Par un interrogatoire aussi incisif qu’un scalpel :
– Johnny Phoenix. Vous n’avez pas oublié votre nom, n’est-ce pas ?
– Affirmatif Spectra ! Puisque c’est notamment vous-même qui avez procédé à ma transmutation. Ainsi qu’à l’attribution irrévocable de ma nouvelle consubstantialité.
– Alors très bien Johnny ! Sachez donc que tandis que vous rêvassiez, sur le plan de l’inséminateur de programme, j’ai eu loisir de vérifier tout ce qui se rattache à votre ultime état civil, en tant que vénérable recrue de l’industrie PIN.
Votre conscience a bel et bien été intriquée dans un cyborg de catégorie cinq. La toute dernière génération. Vous mesurez un mètre quatre vingt quinze. Pour un poids de cent vingt cinq kilos.
Votre endosquelette d’incarnadium rassemble à lui seul les quatre cinquièmes de votre poids. Un quintal tout rond.
Vos pupilles, à l’instar de votre chevelure, sont désormais en parfaite adéquation avec votre souhait prononcé lors de votre définitive transfiguration. Toutes deux resteront dorénavant bleues phosphorescentes.
Et afin de parachever notre constat, permettez-moi encore de vous délivrer le rapport de notre dernière innovation. L’implantation neuronale de votre nouveau programme autonome est un franc succès. Elle vient d’être entérinée par notre IA d’industrie.
Vous voici devenu in fine, Johnny Phoenix, un scaphandrier des abysses : un juggernaute. Un membre hautement spécialisé, intégrant à part entière l’équipage de l’Astral. En remplacement définitif du feu Ringo Shiroki.
Votre période d’essai se limite à la première campagne du navire.
– Cela voudrait-il signifier, Spectra, que je